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de cale, où ils souffrirent des maux cruels (*). Mais s'il se fût exposé à se voir enlevé lui-même avec sa prise et son propre vaisseau, l'humanité de sa conduite en eût-elle justifié l'imprudence? A la bataille d'Azincourt, Henri V, roi d'Angleterre, se trouva après sa victoire, ou crut se trouver, dans la cruelle nécessité de sacrifier les prisonniers à sa propre sûreté. « Dans cette déroute universelle, dit le » P. Daniel, il arriva un nouveau malheur, qui coûta la » vie à un grand nombre de Français. Un reste de l'avant>> garde française se retirait avec quelque ordre, et plu>> sieurs s'y ralliaient. Le roi d'Angleterre les voyant de » dessus une hauteur, crut qu'ils voulaient revenir à la >> charge. On lui vint dire en même temps qu'on attaquait » son camp, où il avait laissé ses bagages. C'était en effet >> quelques gentilshommes picards, qui ayant armé environ >> six cents paysans, étaient venus fondre sur le camp an>> glais. Ce prince, craignant quelque fâcheux retour, en>> voya des aides-de-camp dans tous les quartiers de l'armée, >> porter ordre de faire main-basse sur tous les prison»niers, de peur que si le combat recommençait, le soin » de les garder n'embarrassât ses soldats, et que ces pri>> sonniers ne se rejoignissent à leurs gens. L'ordre fut >> exécuté sur-le-champ, et on les passa tous au fil de » l'épée (**). » La plus grande nécessité peut seule justifier une exécution si terrible, et on doit plaindre le général qui se trouve dans le cas de l'ordonner 1.

(*) Voyez la relation de son voyage.

(**) Histoire de France, règne de Charles VI.

1 Les sentiments généreux de Vattel ont de la peine à se dégager, sur cette matière, des préjugés de son époque. De nos jours, les questions qu'il soulève relativement aux prisonniers de guerre, ont été généralement résolues au profit de l'humanité. D'après les lois de la guerre encore en usage chez les nations sauvages, les prisonniers de guerre sont mis à mort. Parmi les nations plus civilisées de l'antiquité, cet usage fut remplacé graduellement par celui d'en faire des esclaves. A cette coutume fut substituée celle de la rançon, qui continua à travers les guerres

152. — Si l'on peut rendre esclaves les prisonniers de guerre. Peut-on réduire en esclavage les prisonniers de guerre? Oui, dans les cas où l'on est en droit de les tuer, lorsqu'ils se sont rendus personnellement coupables de quelque attentat digne de mort. Les anciens vendaient pour l'esclavage leurs prisonniers de guerre, ils se croyaient en droit de les faire périr. En toute occasion où je ne puis innocemment ôter la vie à mon prisonnier, je ne suis pas en droit d'en faire un esclave (a). Que si j'épargne ses jours féodales du Moyen Age. L'usage actuel d'échanger les prisonniers ne fut solidement établi en Europe que vers le courant du xvIIe siècle (Voir WHEATON, Élém. du Dr. internat., t. II, p. 3). La captivité de guerre ne consiste plus que dans une entrave mise à la liberté du prisonnier, pour l'empêcher de retourner dans son pays et de participer de nouveau aux entreprises de la guerre. On peut prendre, à cet effet, toutes les mesures nécessaires, garder les prisonniers de près, ou les interner dans des provinces éloignées. L'emprisonnement peut ne pas être nécessaire, et l'on n'y soumet même jamais les officiers, auxquels, sur leur parole de ne pas s'enfuir, on accorde généralement une plus grande latitude. Les sous-officiers et les soldats pourraient être employés à des travaux publics, pour compenser en partie la dépense occasionnée par leur entretien. Mais de mauvais traitements, de quelque nature que ce soit, seraient un crime, à moins que les prisonniers ne transgressent les devoirs de leur position, ou ne deviennent menaçants pour leur vainqueur. Hors de là, les tuer, même si l'on était hors d'état de les nourrir ou de les garder, ce serait contraire aux lois de la guerre, et condamné par les principes du droit des gens. La captivité cesse avec la guerre, ou même, avant la paix, par l'échange, par la fuite et par la délivrance, avec ou sans rançon. Le prisonnier libéré qui retombe en captivité doit être traité comme s'il était pris pour la première fois, à moins qu'il n'ait été délivré sous la condition scellée de sa parole d'honneur de ne plus prendre part aux hostilités. Dans ce cas de déloyauté, il pourrait être soumis à des mesures plus rigoureuses que le traitement ordinaire. Voir, sur les prisonniers de guerre MARTENS, Précis du Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., t. II, 8 275 et note a, p. 236; la note de M. VERGÉ, p. 237, 8 276 et la note, p. 239; KLÜBER, Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., ? 249 et les notes a et b, p. 319; WHEATON, Éléments du Dr. internat., t. II, p. 2 et 3; ESCHBACH, Introduction à l'étude du droit, p. 118 et suiv P. P. F.

(a) Note de l'éditeur de 1775.-Voilà encore une de ces assertions tout

pour le condamner à un sort si contraire à la nature de l'homme, je ne fais que continuer avec lui l'état de la guerre il ne me doit rien. Qu'est-ce que la vie, sans la liberté? Si quelqu'un regarde encore la vie comme une faveur, quand on la lui donne avec des chaînes, à la bonne heure; qu'il accepte le bienfait, qu'il se soumette à sa condition, et qu'il en remplisse les devoirs, Mais qu'il les étudie ailleurs assez d'auteurs en ont traité fort au long. Je n'en dirai pas davantage : aussi bien cet opprobre de l'humanité est-il heureusement banni de l'Europe 1.

à fait gratuites. Ce n'est pas le pouvoir de faire mourir un prisonnier, c'est mes droits contre lui qui sont le fondement de son esclavage. L'ennemi que j'ai désarmé et pris me doit dédommager pour m'avoir fait la guerre. S'il n'a que sa personne, c'est-à-dire son travail, à m'offrir en paiement, j'en dispose comme il me convient. Je m'en sers, ou je le vends. Il est vrai qu'il ne me doit plus rien après cela; mais c'est pour qu'il ne me doive plus qu'il est esclave et vendu. Voilà comme raisonnaient les anciens C'étaient leur droit de guerre. Ils s'attendaient à un pareil sort au cas qu'ils se laissassent prendre, et ils ne trouvaient rien d'injuste à un tel arrangement Ce n'est pas que celui de nos temps ne vaille mieux. J'en veux seulement venir à ceci, que hors le cas de la défense nécessaire de nous-mêmes, il n'en est aucun où l'on puisse innocemment ôter la vie à quelqu'un, mais bien la liberté, pour l'obliger à réparer le mal qu'il a fait, l'empêcher d'en faire à l'avenir, et le punir, c'est-à-dire corriger.

D.

1 « Ici, dit Pinheiro-Ferreira, nous ne sommes pas seulement forcé de >> blâmer la doctrine de Vattel, mais aussi celle de son commentateur, >> ordinairement si sage. Non, il n'y a pas plus de droit pour priver le » prisonnier de la liberté, que pour lui ôter la vie. Le prisonnier, on ne » peut assez le répéter, doit être regardé comme un homme qui n'a fait » qu'accomplir un devoir pénible; et pût-on lui prouver qu'il connaissait » toute l'injustice de son gouvernement envers nous, on ne saurait en>> core le traiter en complice, car il n'a pas dépendu de lui de s'abstenir; » il y allait de sa vie : c'est donc un acte forcé, involontaire. Il n'y a >> pas lieu à punition, ni à réparation de la part du prisonnier; il a payé » sa dette à sa patrie, il ne doit rien à personne Des réparations vous » sont-elles dues à cause d'une guerre injuste? forcez à vous les faire le »>> gouvernement, qui seul en est responsable; et si vous n'êtes pas assez

153.

- De l'échange et du rachat des prisonniers.

On retient donc les prisonniers de guerre, ou pour empêcher qu'ils n'aillent se rejoindre aux ennemis, ou pour obtenir de leur souverain une juste satisfaction, comme le prix de leur liberté. Ceux que l'on retient dans cette dernière vue, on n'est obligé de les relâcher qu'après avoir obtenu satisfaction. Par rapport à la première vue, quiconque fait une guerre juste, est en droit de retenir ses prisonniers, s'il le juge à propos, jusqu'à la fin de la guerre ; et lorsqu'il les relâche, il peut avec justice exiger une rançon, soit à titre de dédommagement à la paix, soit, si la guerre continue, pour affaiblir au moins les finances de son ennemi, en même temps qu'il lui renvoie des soldats. Les Nations de l'Europe, toujours louables dans le soin qu'elles prennent d'adoucir les maux de la guerre, ont introduit, à l'égard des prisonniers, des usages humains et salutaires. On les échange ou on les rachète, même pendant la guerre, et on a soin ordinairement de régler cela d'avance, par un cartel. Cependant, si une Nation trouve un avantage considérable à laisser ses soldats prisonniers entre les mains de l'ennemi pendant la guerre, plutôt que de lui rendre les siens, rien n'empêche qu'elle ne prenne le parti le plus convenable à ses intérêts, si elle ne s'est point liée par un

» fort pour l'y contraindre, ne soyez pas si lâche que de vous en prendre >> aux malheureux innocents sans défense, que les hasards de la guerre » ont mis en votre pouvoir.

>> Au sage commentateur nous ferons observer que puisqu'il a devancé >> son siècle, ne voulant voir dans la punition du coupable que l'amen» dement de l'égaré, il aurait dû réfléchir que là où les faits ne prouvent » pas de perversité, il n'y a pas lieu à correction, par la raison toute » simple qu'il n'y a rien à corriger.

» Bref, on n'a à exercer d'autre droit sur les prisonniers, que celui » de les retenir aussi longtemps que l'on a juste raison de croire qu'ils >> seraient encore une fois forcés de coopérer à nous nuire. Mais en les » retenant, on ne doit nullement leur faire subir la moindre punition..... » (Note sur le

152, p. 421).

cartel. Ce serait le cas d'un État abondant en hommes, et qui aurait la guerre avec une Nation beaucoup plus redoutable par la valeur que par le nombre de ses soldats. Il eût peu convenu à l'empereur Pierre le Grand de rendre aux Suédois leurs prisonniers pour un nombre égal de Russes.

2 154. L'État est obligé de les délivrer.

Mais l'État est obligé de délivrer, à ses dépens, ses citoyens et soldats prisonniers de guerre, dès qu'il peut le faire sans danger, et qu'il en a les moyens. Ils ne sont tombés dans l'infortune, que pour son service et pour sa cause. Il doit, par la même raison, fournir aux frais de leur entretien pendant leur prison. Autrefois les prisonniers de guerre étaient obligés de se racheter eux-mêmes; mais aussi la rançon de ceux que les soldats ou les officiers pouvaient prendre, leur appartenait. L'usage moderne est plus conforme à la raison et à la justice. Si l'on ne peut délivrer les prisonniers pendant la guerre, au moins faut-il, s'il est possible, stipuler leur liberté dans le traité de paix. C'est un soin que l'État doit à ceux qui se sont exposés pour lui. Cependant il faut convenir que toute Nation peut, à l'exemple des Romains, et pour exciter ses soldats à la plus vigoureuse résistance, faire une loi qui défende de racheter jamais les prisonniers de guerre. Dès que la société entière en est ainsi convenue, personne ne peut se plaindre. Mais la loi est bien dure; et elle ne pouvait guère convenir qu'à ces héros ambitieux, résolus de tout sacrifier pour devenir les maîtres du monde.

2155.

-

- S'il est permis de faire assassiner ou empoisonner un ennemi. Puisque nous traitons, dans ce chapitre, des droits que donne la guerre contre la personne de l'ennemi, c'est ici le lieu d'examiner une question célèbre, sur laquelle les auteurs se sont partagés. Il s'agit de savoir si on peut légitimement employer toutes sortes de moyens pour ôter la

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