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Des honneurs qui sont dus aux ambassadeurs.

Je n'entrerai point ici dans le détail des honneurs qui sont dus, et qui se rendent en effet aux ambassadeurs : ce

» que tels honneurs, et qu'on leur refuse tels autres. Ce sera, si l'on » veut, un affront; mais ce n'est pas plus porter atteinte à son indépen>> dance, que si, dans la société, un particulier refusait de témoigner à un >> autre des égards qu'ils se plaît à rendre à d'autres personnes, ne le » gênant sous aucun rapport dans l'usage de ses facultés et de ses droits; >> on ne saurait dire que, par sa conduite peu honnête, il attaque son >> indépendance, ou qu'il s'arroge sur lui la moindre autorité. D'ail>> leurs, nul principe n'a été établi ni par le raisonnement, ni par des >> conventions généralement admises, pour fixer le rang des nations; » quoique l'on comprenne aisément qu'il doit y avoir parmi elles, comme >> parmi les individus, des distinctions fondées sur des qualités qui ren» dent les unes réellement supérieures aux autres. Les honneurs, pour » qu'ils puissent représenter quelque chose, et pour qu'il soit permis de » leur attribuer quelque importance, doivent reposer sur quelques dis>>tinctions réelles; et c'est parce qu'on en suppose dans tel peuple vis-à-vis » de certains autres, que l'on adresse aux uns des ministres plus élevés >> en dignité que ceux que l'on adresse aux autres. C'est encore dans ce >> sens que l'on accorde aux représentants de l'un des honneurs qu'on » n'accorde peut-être à aucun autre. Cette importance peut n'être que >> relative au gouvernement, qui croit devoir établir ces distinctions par >> des motifs d'intérêt politique ou commercial; mais on ne pourrait dire » que pour cela il regarde la nation à laquelle il donne la préférence » comme la seule qui soit à ses yeux une nation, ou qu'il porte par là >> atteinte à l'indépendance de toutes les autres. Mais il y a une raison >> autrement puissante aux yeux des gouvernements, pour être difficiles >> dans l'admission des ambassadeurs. Sans entrer dans les motifs qui, >> dans l'origine, ont pu dicter à chacun des deux ordres diplomatiques » d'éloigner de leurs conférences les ministres d'un ordre inférieur, >> nous ferons observer que cet usage existe, et que l'on y met une très>> grande importance. D'après cela, tous les cabinets étant d'accord qu'il » y a dans la politique des secrets qu'on ne saurait assez soustraire à la >> connaissance du public, ils ont pensé qu'il fallait placer au sommet de » la hiérarchie diplomatique un conseil choisi et peu nombreux de re» présentants des gouvernements les plus influents. Mais comme on »> ne pourrait éconduire décemment les ministres des gouvernements su» balternes, on a songé à atteindre ce but par des voies détournées. On » s'est donc arrêté à la création d'offices très-coûteux, et entourés d'un

sont des choses de pure institution et de coutume. Je dirai seulement en général, qu'on leur doit les civilités et les distinctions que l'usage et les mœurs destinent à marquer la considération convenable au représentant d'un souverain. Et il faut observer ici, au sujet des choses d'institution et d'usage, que quand une coutume est tellement établie qu'elle donne une valeur réelle à des choses indifférentes de leur nature, et une signification constante suivant les mœurs et les usages, le droit des gens naturel et nécessaire oblige d'avoir égard à cette institution, et de se conduire, par rapport à ces choses-là, comme si elles avaient d'elles-mêmes la valeur que les hommes y ont attachée. C'est, par exemple, dans les mœurs de toute l'Europe, une prérogative propre à l'ambassadeur, que le droit de se couvrir devant le prince à qui il est envoyé. Ce droit marque qu'on le reconnaît pour le représentant d'un souverain. Le refuser à l'ambassadeur d'un État véritablement indépendant, c'est donc faire injure à cet État, et le dégrader en quelque sorte. Les Suisses, autrefois plus instruits dans la guerre que dans les manières des cours, et peu jaloux de ce qui n'est que cérémonie, se sont laissé traiter en quelques occasions sur un pied peu convenable à la dignité de la Nation. Leurs ambassadeurs, en 1663, souffrirent que le roi de France et les seigneurs de sa cour leur refusassent des honneurs que l'usage a rendus essen

>> si grand éclat et d'un tel retour d'honneurs et de distinctions, qu'il fût >> impossible aux puissances du second ordre de s'y associer, tant par le >> motif des grandes dépenses que ces emplois entraînent, que pour ne pas >> s'exposer à se voir refuser. Au reste, le corps diplomatique étant géné>> ralement regardé comme destiné à jeter de l'éclat sur la cour auprès de » laquelle il réside, plus il est nombreux et magnifique, plus le monarque >> qui s'en voit entouré doit être glorieux; aussi déroge-t-on quelquefois » à la rigueur des principes pour agréer les hommages des puissances » d'un ordre inférieur, qui, dans le but de témoigner leurs respects au » grand roi, s'empressent de contribuer à l'éclat de sa cour, en y en» voyant des ambassadeurs largement dotés et accompagnés d'une nom» breuse suite » (Note sur le & 98, p. 504).

tiels aux ambassadeurs des souverains, et particulièrement celui de se couvrir à l'audience du roi (*). Quelques-uns, mieux instruits de ce qu'ils devaient à la gloire de leur république, insistèrent fortement sur cet honneur essentiel et distinctif; mais la pluralité l'emporta, et tous cédèrent enfin, sur ce qu'on les assura que les ambassadeurs de la Nation ne s'étaient point couverts devant Henri IV. Supposé que le fait fût vrai, la raison n'était point sans réplique. Les Suisses pouvaient répondre que du temps de Henri leur Nation n'avait pas été solennellement reconnue pour libre et indépendante de l'empire, comme elle venait de l'être en 1648, dans le traité de Westphalie. Ils pouvaient. dire que si leurs devanciers avaient failli et mal soutenu la dignité de leurs souverains, cette faute grossière ne pouvait imposer à des successeurs l'obligation d'en commettre une pareille. Aujourd'hui la Nation, plus éclairée et plus attentive à ces sortes de choses, saura mieux maintenir sa dignité; tous les honneurs extraordinaires, que l'on rend d'ailleurs à ses ambassadeurs, ne pourront l'aveugler désormais jusqu'à lui faire négliger celui que l'usage a rendu essentiel. Lorsque Louis XV vint en Alsace, en 1744, elle ne voulut point lui envoyer des ambassadeurs pour le complimenter suivant la coutume, sans savoir si on leur permettrait de se couvrir. Et une si juste demande ayant été refusée, le Corps Helvétique n'envoya personne. On doit espérer en Suisse que le roi très-chrétien n'insistera pas davantage sur une prétention très-inutile à l'éclat de sa couronne, et qui ne pourrait servir qu'à dégrader d'anciens et fidèles alliés 1.

(*) On peut voir dans Wicquefort le détail de ce qui se passa en cette occasion. Cet auteur a raison de témoigner une sorte d'indignation contre les ambassadeurs suisses. Mais il ne devait pas insulter la Nation entière, en disant brutalement qu'elle préfère l'argent à l'honneur. Ambassad., liv. I, sect. XIX. Voyez aussi la sect. XVIII.

« L'usage des nations civilisées a établi, dit Wheaton, une certaine

CHAPITRE VII.

DES DROITS, PRIVILÉGES ET IMMUNITÉS DES AMBASSADEURS

ET AUTRES MINISTRES PUBLICS.

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Le respect qui est dû aux souverains doit rejaillir sur leurs représentants, et principalement sur l'ambassadeur,

étiquette que doivent observer les membres du corps diplomatique résidant à la même cour, les uns envers les autres, et envers les membres du gouvernement auprès duquel ils sont accrédités. Les devoirs dont la bienséance réclame l'observation à cet égard, appartiennent plutôt au code des mœurs qu'à celui des lois, et c'est à peine si l'on en peut faire l'objet d'une mention positive............... » (Elém. du Dr. internat., t. I, p. 198,

13). Voir sur ces différents points: MARTENS, Précis du Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., t. II, 2 206-213, p. 90 et suiv. et les notes de M. CH. VERGÉ, p. 92, 95, 98; KLÜBER, Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., 217-227, p. 283 et suiv.; CH. DE MARTENS, Le guide diplomatique, t. I, p 141 et suiv.; Dalloz, Jurisprudence générale, Vo, Agent diplomatique, nos 65 et suiv.; ESCHBACH, Introduction générale à l'étude du Droit, p. 79 et 88. Entre les agents diplomatiques de la même puissance, le rang se règle d'après les instructions de leur souverain, ou tacitement d'après l'ordre établi dans la lettre de créance qui leur est commune. Entre les agents de plusieurs puissances, d'après le rang auquel ces agents appartiennent, sans avoir égard au rang du souverain de chacun d'eux. Entre les agents du même ordre, on a longtemps suivi le rang de leurs souverains ou le rang du souverain auprès duquel ils étaient accrédités relativement à celui qu'ils représentaient. Il a été innové à cet usage par le règlement du congrès de Vienne du 29 mars 1815, d'après lequel les envoyés diplomatiques doivent prendre rang entre eux, dans chaque classe, d'après la date de la notification officielle de leur arrivée, sauf la préséance accordée aux représentants du pape, du moins pour les États catholiques. Les envoyés diplomatiques en mission extraordinaire n'ont, à ce titre, aucune supériorité de rang. Voir : HEFFTER, Le Dr. internat. publ. de l'Eur., trad. de J. BERGSON, & 219; et la note de M. CH. VERGÉ sur le 210 du Précis de MARTENS, édit. cit., t. II, p. 98. P. P. F.

qui représente la personne de son maître au premier degré. Celui qui offense et insulte un ministre public, commet un crime d'autant plus digne d'une peine sévère, qu'il pourrait attirer par là de fâcheuses affaires à son souverain et à sa patrie. Il est juste qu'il porte la peine de sa faute, et que l'État donne, aux dépens du coupable, une pleine satisfaction au souverain offensé dans la personne de son ministre. Si le ministre étranger offense lui-même un citoyen, celui-ci peut le réprimer sans sortir du respect qui est dû au caractère, et lui donner une leçon, également propre à laver l'offense et à en faire rougir l'auteur. L'offensé peut encore porter sa plainte à son souverain, qui demandera pour lui une juste satisfaction au maître du ministre. Les grands intérêts de l'État ne permettent point au citoyen d'écouter, en pareille rencontre, les idées de vengeance que pourrait lui donner le point d'honneur, quand on les jugerait permises d'ailleurs. Un gentilhomme, même suivant les maximes du siècle, n'est point flétri par une offense dont il n'est pas en son pouvoir de tirer satisfaction par-lui même 1.

81. Leur personne est sacrée et inviolable.

La nécessité et le droit des ambassades une fois établis (Voyez le chapitre v de ce livre), la sûreté parfaite, l'inviolabilité des ambassadeurs et autres ministres, en est une conséquence certaine. Car si leur personne n'est pas à couvert de toute violence, le droit des ambassades devient

1 << Il aurait fallu, dit Pinheiro-Ferreira, avant de faire un devoir aux >> hommes d'honneur d'en agir exceptionnellement avec les ambassa>> deurs, avoir le pouvoir d'empêcher que l'homme de cœur provoqué » par un de ces agents étrangers, ne fût regardé comme lâche, ni plus >> ni moins que si le provocateur eût été un simple particulier. . Im» posez à celui qui s'est battu l'obligation de prouver qu'il a été provoqué >> et non provocateur, mais dès qu'il l'aura prouvé, vous n'êtes pas plus >> autorisé à le condamner comme assassin que si, en sa juste défense, il » avait tué sur-le-champ un agresseur » (Note sur le § 80, p. 508).

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