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treprennent de passer secrètement et sans permission dans les lieux dont on est maître. La dernière guerre nous en fournit un grand exemple. Un ambassadeur de France (*) allant à Berlin, passa, par l'imprudence de ses guides, dans un village de l'électorat de Hanovre, dont le souverain, roi d'Angleterre, était en guerre avec la France. Il y fut arrêté, et ensuite transféré en Angleterre. Ni la cour de France, ni celle de Prusse, ne se plaignirent de Sa Majesté Britannique, qui n'avait fait qu'user des droits de la guerre 1.

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Les raisons qui rendent les ambassades nécessaires et les ambassadeurs sacrés et inviolables, n'ont pas moins de force en temps de guerre qu'en pleine paix. Au contraire, la nécessité et le devoir indispensable de conserver quelque moyen de se rapprocher et de rétablir la paix, est une nouvelle raison, qui rend la personne des ministres, instruments des pourparlers et de la réconciliation, plus sacrée encore et plus inviolable. Nomen legati, dit Cicéron, ejusmodi esse debet, quod non modo inter sociorum jura, sed etiam inter hostium tela incolume versetur (*). Aussi la sûreté de ceux qui apportent les messages, ou les propositions de l'ennemi, est-elle une des lois les plus sacrées de la guerre. Il est vrai que l'ambassadeur d'un ennemi ne* peut venir sans permission; et comme il n'aurait pas toujours la commodité de la faire demander par des personnes

(*) Le maréchal de Belle-Isle.

↑ Un ministre public qui part pour sa destination en temps de paix, n'a besoin d'autre protection qu'un passeport de son gouvernement. En temps de guerre il doit être muni d'un sauf-conduit ou passeport du gouvernement de l'État avec lequel son pays est en hostilité, lui pour permettre de traverser en sécurité le territoire ennemi (WHEATON, Élém. du Dr. internat., t. I, p. 197, 10). La doctrine enseignée par Vattel dans ce paragraphe serait assurément repoussée par la pratique, à notre époque. P. P. F.

(*) In Verrem, lib. I.

neutres, on y a suppléé par l'établissement de certains messagers privilégiés, pour faire des propositions en toute sûreté, d'ennemi à ennemi. Je veux parler des hérauts, des · trompettes et des tambours, qui, par les lois de la guerre et le droit des gens, sont sacrés et inviolables dès qu'ils se font connaître, en tant qu'ils se tiennent dans les termes de leurs commissions, dans les fonctions de leur emploi. Cela doit être ainsi nécessairement : car sans compter ce que nous venons de dire, qu'il faut se réserver des moyens de ramener la paix, il est, dans le cours même de la guerre, mille occasions où le salut commun et l'avantage des deux partis exigent qu'ils puissent se faire porter des messages et des propositions.

2 87.

Des hérauts, trompettes et tambours. Les hérauts avaient succédé aux féciales des Romains; aujourd'hui ils ne sont plus guère en usage; on envoie des tambours, ou des trompettes, et ensuite, selon les occasions, des ministres, ou des officiers munis de pouvoirs. Les tambours et trompettes sont sacrés et inviolables; mais ils doivent se faire connaître par les marques qui leur sont propres. Maurice, prince d'Orange, témoigna un vif ressentiment contre la garnison d'Yssendyck, qui avait tiré sur son trompette (*). Il disait à cette occasion, qu'on ne saurait punir trop sévèrement ceux qui violent le droit des gens. On peut voir d'autres exemples dans Wiequefort, et en particulier la réparation que le duc de Savoie, commandant l'armée de Charles-Quint, fit faire à un trompette français, qui avait été démonté et dépouillé par quelques soldats allemands (**).

88. Les ministres, les trompettes, etc., doivent être respectés, même dans une guerre civile.

Dans les guerres des Pays-Bas, le duc d'Albe fit pendre. (*) WICQUEFORT, liv. I, sect. III.

(**) id. Ibid.

un trompette du prince d'Orange, disant qu'il n'était pas obligé de donner sûreté à un trompette que lui envoyait le chef des rebelles (*). Ce général sanguinaire viola certainement, en cette occasion comme en bien d'autres, les lois de la guerre, qui doivent être observées même dans les guerres civiles, comme nous l'avons prouvé ci-dessus (liv. III, chap. XVIII). Et comment viendra-t-on à parler de paix dans ces occasions malheureuses, par quel moyen ménagera-t-on un accommodement salutaire, si les deux parties ne peuvent se faire porter des messages et s'envoyer réciproquement des personnes de confiance en toute sûreté? Le même duc d'Albe, dans la guerre que les Espaguols firent ensuite aux Portugais, qu'ils traitaient aussi de rebelles, fit pendre le gouverneur de Cascaïs, parce qu'il avait fait tirer sur le trompette qui venait sommer la place (**). Dans une guerre civile, ou lorsqu'un prince prend les armes pour soumettre un peuple qui se croit dispensé de lui obéir, prétendre forcer les ennemis à respecter les lois de la guerre, dans le temps qu'on s'en dispense à leur égard, c'est vouloir porter ces guerres aux derniers excès de la cruauté; c'est les faire dégénérer en massacres sans règle et sans mesure, par un enchaînement de représailles réciproques.

2 89.

On peut quelquefois refuser de les admettre.

Mais de même qu'un prince, s'il en a de bonnes raisons, peut se dispenser d'admettre et d'écouter des ambassadeurs, un général d'armée ou tout autre commandant, n'est pas toujours obligé de laisser approcher et d'écouter un trompette ou un tambour. Si un gouverneur de place, par exemple, craint qu'une sommation n'intimide sa garnison et ne fasse naître des idées de capituler avant le temps, il peut sans doute envoyer au-devant du trompette qui s'ap(*) WICQUEFORT, liv. 1, sect. III.

(**) Id. Ibid.

proche, lui ordonner de se retirer, et déclarer que, s'il revient pour le même sujet et sans permission, il fera tirer sur lui. Cette conduite n'est pas une violation des lois de la guerre; mais il ne faut y venir que sur des raisons pressantes, parce qu'elle expose, en irritant l'ennemi, à en être traité à toute rigueur et sans ménagement. Refuser d'écouter un trompette, sans en donner une bonne raison, c'est déclarer qu'on veut faire la guerre à ou

trance.

2 90. Il faut éviter à leur égard tout ce qui sent l'insulte

Soit qu'on admette un héraut ou un trompette, soit qu'on refuse de l'entendre, il faut éviter à son égard tout ce qui peut sentir l'insulte. Non-seulement ce respect est dû au droit des gens, c'est encore une maxime de prudence. En 1744, le bailli de Givry envoya un trompette avec un officier, pour sommer la redoute de Pierre-Longe en Piémont. L'officier savoyard, qui commandait dans la redoute, brave homme, mais brusque et emporté, indigné de se voir sommé dans un poste qu'il croyait bon, fit une réponse injurieuse au général français. L'officier, en homme d'esprit, la rendit au bailli de Givry, en présence des troupes françaises; elles en furent enflammées de colère, et l'ardeur de venger un affront se joignant à leur valeur naturelle, rien ne fut capable de les arrêter; les pertes qu'elles souffrirent dans une attaque très-sanglante, ne firent que les animer; elles emportèrent enfin la redoute, et l'imprudent commandant contribua ainsi à sa perte et à celle de ses gens et de son poste.

2 91.

-

Par qui et à qui ils peuvent être envoyés.

Le prince, le général de l'armée, et chaque commandant en chef, dans son département, ont seuls le droit d'envoyer un trompette ou tambour, et ils ne peuvent l'envoyer aussi qu'au commandant en chef. Si le général qui

assiége une ville entreprenait d'envoyer un trompette à quelque subalterne, au magistrat ou à la bourgeoisie, le gouverneur de la place pourrait avec justice traiter ce trompette en espion. François Jer, roi de France, étant en guerre avec Charles-Quint, envoya un trompette à la diète de l'empire assemblée à Spire en 1544. L'empereur fit arrêter le trompette, et menaça de le faire pendre, parce qu'il ne lui était pas adressé (*); mais il n'osa pas exécuter sa menace, sans doute parce qu'il sentait bien, malgré ses plaintes, que la diète était en droit, même sans son aveu, d'écouter un trompette. D'un autre côté, on dédaigne de recevoir un tambour ou trompette de la part d'un subalterne, à moins que ce ne soit pour quelque objet particulier, et dépendant de l'autorité présente de ce subalterne dans ses fonctions. Au siége de Rhinberg, en 1598, un mestre-de-camp d'un régiment espagnol s'étant avisé de faire sommer la place, le gouverneur fit dire au tambour qu'il eût à se retirer, et que si quelque autre tambour ou trompette était assez hardi pour y revenir de la part d'un subalterne, il le ferait pendre (**) 1.

892.

Indépendance des ministres étrangers.

L'inviolabilité du ministre public, ou la sûreté qui lui est due plus saintement et plus particulièrement qu'à tout autre étranger ou citoyen, n'est pas son seul privilége: l'usage universel des Nations lui attribue de plus une entière indépendance de la juridiction et de l'autorité de

(*) WICQUEFORT, liv. I, sect. III.

(**) Id Ibid.

1 Sur les trompettes et autres messagers de paix, qui ont remplacé aujourd'hui les anciens hérauts, et qu'on désigne de nos jours par le nom de parlementaires, voir : MARTENS, Précis du Dr. des gens mod. de l'Eur., édit., cit., t. II, 290, p. 271, & 294, p. 276; KLÜBER, Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., g 172, note e, p. 225, 8 247, note c, p. 318, 275, P. 349.

P. P. F.

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