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l'État où il réside. Quelques auteurs (*) prétendent que cette indépendance est de pure institution entre les Nations, et veulent qu'on la rapporte au droit des gens arbitraire, qui vient des mœurs, de la coutume ou des conventions particulières; ils nient qu'elle soit de droit des gens naturel. Il est vrai que la loi naturelle donne aux hommes le droit de réprimer et de punir ceux qui leur font injure, par conséquent elle donne aux souverains celui de punir un étranger qui trouble l'ordre public, qui les offense euxmêmes, ou qui maltraite leurs sujets; elle les autorise à obliger cet étranger de se conformer aux lois, et de remplir fidèlement ce qu'il doit aux citoyens. Mais il n'est pas moins vrai, que la même loi naturelle impose à tous les souverains l'obligation de consentir aux choses sans lesquelles les Nations ne pourraient cultiver la société que la nature a établie entre elles, correspondre ensemble, traiter de leurs affaires, ajuster leurs différends. Or, les ambassadeurs et autres ministres publics sont des instruments nécessaires à l'entretien de cette société générale, de cette correspondance mutuelle des Nations. Mais leur ministère ne peut atteindre la fin à laquelle il est destiné, s'il n'est muni de toutes les prérogatives capables d'en assurer le succès légitime, de le faire exercer en toute sûreté, librement et fidèlement. Le même droit des gens, qui oblige les Nations à admettre les ministres étrangers, les oblige donc aussi manifestement à recevoir ces ministres avec tous les droits qui leur sont nécessaires, tous les priviléges qui assurent l'exercice de leurs fonctions. Il est aisé de comprendre que l'indépendance doit être un de ces priviléges. Sans elle la sûreté, si nécessaire au ministre public, ne sera que précaire on pourra l'inquiéter, le persécuter, le maltraiter, sous mille prétextes. Souvent le ministre est chargé de commissions désagréables au prince à qui il est

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(*) Vide WOLFF, Jus gent., & 1059,

envoyé; si ce prince a quelque pouvoir sur lui, et particulièrement une autorité souveraine, comment espérer que le ministre exécutera les ordres de son maitre avec la fidélité, la fermeté, la liberté d'esprit nécessaires? Il importe qu'il n'ait point de piéges à redouter, qu'il ne puisse être distrait de ses fonctions par aucune chicane; il importe qu'il n'ait rien à espérer, ni rien à craindre du souverain à qui il est envoyé. Il faut donc, pour assurer le succès de son ministère, qu'il soit indépendant de l'autorité souveraine de la juridiction du pays, tant pour le civil que pour le criminel. Ajoutons que les seigneurs de la cour, les personnes les plus considérables, ne se chargeraient qu'avec répugnance d'une ambassade, si cette commission devait les soumettre à une autorité étrangère, souvent chez des Nations peu amies de la leur, où ils auront à soutenir des prétentions désagréables, à entrer dans des discussions où l'aigreur se mêle aisément. Enfin, si l'ambassadeur peut être accusé pour délits communs, poursuivi criminellement, arrêté, puni; s'il peut être cité en justice pour affaires civiles, il arrivera souvent qu'il ne lui restera ni le pouvoir, ni le loisir, ni la liberté d'esprit que demandent les affaires de son maitre. Et la dignité de la représentation, comment se maintiendra-t-elle dans cet assujettissement? Pour toutes ces raisons, il est impossible de concevoir que l'intention du prince qui envoie un ambassadeur, ou tout autre ministre, soit de le soumettre à l'autorité d'une puissance étrangère. C'est ici une nouvelle raison, qui achève d'établir l'indépendance du ministre public. Si l'on ne peut raisonnablement présumer que son maître veuille le soumettre à l'autorité du souverain à qui il l'envoie, ce souverain, en recevant le ministre, consent de l'admettre sur ce pied d'indépendance, et voilà, entre les deux princes, convention tacite, qui donne une nouvelle force à l'obligation naturelle.

une

L'usage est entièrement conforme à nos principes. Tous

les souverains prétendent une parfaite indépendance pour leurs ambassadeurs et ministres. S'il est vrai qu'il se soit trouvé un roi d'Espagne qui, désirant de s'attribuer une juridiction sur les ministres étrangers résidants à sa cour, ait écrit à tous les princes chrétiens que si ses ambassadeurs venaient à commettre quelque crime dans le lieu de leur résidence, il voulait qu'ils fussent déchus de leurs priviléges, et jugés suivant les lois du pays (*), un exemple unique ne fait rien en pareille matière, et la couronne d'Espagne n'a point adopté cette façon de penser 1.

(*) Le fait est avancé par Antoine de Vera, dans son Idée du parfait ambassadeur. Mais ce récit paraît suspect à Wicquefort, parce qu'il ne l'a trouvé, dit-il, dans aucun autre écrivain. Ambass., liv. I, sect. XXIX, init.

1 Pinheiro-Ferreira critique en ces termes la doctrine de Vattel. << Vattel établit, en général, que le ministre étranger doit être indé» pendant de la juridiction du pays. Les raisons qu'il en donne, c'est » d'abord que le ministre représentant son souverain, ce serait man» quer aux égards dus à celui-ci que de soumettre son ministre à une » juridiction étrangère.

» Puis, sentant sans doute la faiblesse de ce premier argument, il » ajoute que sans cette exemption l'ambassadeur pourrait être telle>> ment obsédé par des procès et des chicanes, qu'il ne lui resterait ni >> temps, ni repos pour s'acquitter des devoirs de sa place.

» De tels arguments ne prouvent rien, parce qu'ils ont besoin eux>> mêmes d'être démontrés...

» La juridiction, tant civile que criminelle, est établie pour assurer » aux citoyens la jouissance de leurs droits, avec la différence que, quant » à la première, l'état y est le plus souvent tout à fait désintéressé, » tandis que, quant à la seconde, il est cointéressé avec la partie plai»gnante, et même il y est plus intéressé qu'elle.

» Si nous supposons donc qu'un citoyen ayant droit à se présenter » comme partie civile contre un ministre étranger est empêché par la loi, >> au nom de la nation, de faire valoir ses droits, cette loi n'est autre » chose qu'une loi d'expropriation pour cause d'utilité publique; car, » pour être juste, il faut qu'elle ait été votée par ce seul motif. Le » citoyen devra donc se désister de son droit, mais la nation lui doit un » dédommagement équivalent.

» Or, jamais aucun publiciste, quelque persuadé qu'il soit de la force » des arguments que nous venons de rapporter, n'oserait faire à la na

2 93. Conduite que doit tenir le ministre étranger.

Cette indépendance du ministre étranger ne doit pas être convertie en licence: elle ne le dispense point de se

>>tion un devoir de payer les dettes que les ministres étrangers pour>>raient contracter dans le pays.

>> Mais supposons pour un moment que, ne voulant pas abandonner >> leur thèse, ces publicistes admettent la conclusion logique que nous » venons d'en déduire; qu'est-ce qu'ils y gagneraient? Rien du tout; › car l'État, obligé de dédommager le citoyen exproprié du droit de » poursuivre son débiteur, a besoin de faire constater contradictoirement >> la créance produite contre le ministre étranger. Il faut donc bien que >> celui-ci soit mis en cause et qu'il comparaisse par-devant les juges, >> ou qu'il s'y fasse représenter par un fondé de pouvoirs. De là il résulte » en premier lieu qu'il y a impossibilité de l'exempter de la juridiction >> des autorités locales, et en second lieu, que le prétexte sous lequel on >> prétendait l'en exempter est tout à fait imaginaire; car, s'il peut se >> faire représenter par un fondé de pouvoirs, rien ne l'empêche de vaquer >> aux devoirs de sa mission. Passons aux causes criminelles : tout le monde >> sait qu'il y a d'abord l'instruction, puis les débats et l'arrêt, et enfin » l'exécution de l'arrêt. Les publicistes, sans tenir aucun compte de ces >> distinctions, avancent hardiment que l'ambassadeur doit être exempt de toute juridiction; mais si on leur demandait s'ils entendent soute»nir que les faits des ambassadeurs doivent rester tout à fait impunis, >> aucun n'oserait avancer une telle doctrine. Ils répondent sans hésiter >> que sans doute ils doivent être punis, mais que c'est aux autorités » de leur pays à les juger. Soit; mais voyons comment ces graves doc>>teurs parviendront à faire punir le coupable. Le crime a été commis >> chez nous, c'est là que se trouve la partie plaignante, c'est là que sont » les moyens de preuve; la partie civile devra-t-elle donc suivre le cou » pable dans son pays pour s'y faire rendre justice? Et comment y fera-t» elle valoir ses preuves? Les témoins aussi devront-ils s'y rendre? Et » les preuves matérielles, comment les déplacer, quand elles appartien» nent à la classe des immeubles? Comment les publicistes n'ont-ils » pas aperçu toutes ces conséquences, les unes plus absurdes que les » autres, qui découlent cependant d'une manière si évidente de leurs >> principes? Ces écrivains s'accordent tous à dire que l'ambassadeur a le >> droit d'appeler ses débiteurs par-devant les autorités locales, de même >> qu'il peut y poursuivre criminellement les personnes contre lesquelles » il voudra se constituer partie civile.

» C'est donc en pure perte qu'on l'a déclaré exempt des autorités

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conformer dans ses actes extérieurs aux usages et aux lois du pays, dans tout ce qui est étranger à l'objet de son ca

>> locales, pour ne pas l'exposer a y être traîné; car il dépendra de cha>> cun de le mettre dans la nécessité de s'y présenter en lui donnant des >> sujets de plaintes. Non, disent les publicistes, car les lois sont là pour >> punir ceux qui lui auraient fait du tort. Mais, leur répliquerons-nous, >> les lois sont là aussi pour punir ceux qui inventeraient des délits pour >> le poursuivre calomnieusement. Dès lors, il faudra accepter de deux >> choses l'une: ou que ces lois protectrices suffisent pour mettre l'am>>bassadeur à couvert de la méchanceté des nationaux, ou qu'elles sont >> impuissantes. Si elles le protégent efficacement dans un cas, elles le >> protégeront aussi dans l'autre ; et il n'y aura pas plus de raison pour >> lui permettre de poursuivre les nationaux en justice, que pour per>> mettre à ceux-ci de le poursuivre à leur tour. Si, au contraire, ces >> lois sont impuissantes, on n'aura rien gagné à l'exempter lorsqu'il est » défendu, car on pourra l'inquiéter tout de même en le forçant impu»> nément d'y paraître comme partie civile. On voit, après l'analyse » dans laquelle nous sommes entré, que les publicistes n'ont fait que se >> traîner les uns dans l'ornière des autres, sans se donner la peine de >> réfléchir un instant sur l'inconsistance des principes avancés par les >> premiers.

» Ce qui résulte de toutes ces considérations, c'est qu'en matière civile » la loi ne peut en aucun cas priver les citoyens du droit de se faire » payer par le ministre étranger, en employant les moyens qu'une sage >> jurisprudence commande à l'égard de tout autre débiteur. Ces moyens >> se réduisent à la saisie des biens et à la contrainte par corps. La con>> trainte par corps, de la manière dont on la conçoit dans les pays où >> elle est en usage, se trouve aujourd'hui proscrite dans l'opinion de tous >> les jurisconsultes dignes de ce nom. Quant à nous, tout en souscrivant » à cette réprobation devenue générale pour la contrainte par corps, >> telle que nos écoles l'ont faite, nous la regardons comme d'un droit » aussi incontestable que la saisie des biens, pourvu qu'elle devienne un >> moyen efficace d'acquittement envers le créancier. En écartant donc la >> contrainte par corps comme contraire à tous les principes d'une sage >> législation, il resté la saisie-arrêt, et rien ne s'oppose à ce que celle-ci >> soit mise à exécution, du moment où le gouvernement de l'ambassa» deur, sur les réclamatious du gouvernement près duquel il est accré» dité, ne pourvoit pas à un autre moyen de remboursement des créan»ces. La seule observation qu'il reste à faire quant à la saisie-arrêt, >> c'est que les autorités doivent mettre le plus grand soin à ce que les archives de l'ambassadeur soient couvertes de la protection la plus

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