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les présents et les promesses, qu'un ambassadeur met en usage pour acquérir des amis à son maître. Ce n'est pas séduire les gens et les pousser au crime, que de se concilier leur affection; et c'est à ces nouveaux amis à s'observer de façon, que leur inclination pour un prince. étranger ne les détourne jamais de la fidélité qu'ils doivent à leur souverain.

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Comment on peut les réprimer : 1o à l'égard des délits

communs.

Si l'ambassadeur oublie les devoirs de son état, s'il se rend désagréable et dangereux, s'il forme des complots, des entreprises préjudiciables au repos des citoyens, à l'État ou au prince à qui il est envoyé, il est divers moyens de le réprimer, proportionnés à la nature et au degré de sa faute. S'il maltraite les sujets de l'État, s'il leur fait des injustices, s'il use contre eux de violence, les sujets offensés ne doivent point recourir aux magistrats ordinaires, de la juridiction desquels l'ambassadeur est indépendant; et par la même raison, ces magistrats ne peuvent agir directement contre lui. Il faut en pareilles occasions s'adresser au souverain, qui demande justice au maître de l'ambassadeur, et en cas de refus peut ordonner au ministre insolent de sortir de ses États.

8 95.2° Pour les fautes commises contre le prince.

Si le ministre étranger offense le prince lui-même, s'il lui manque de respect, s'il brouille l'État et la cour par ses intrigues, le prince offensé, voulant garder des ménagements particuliers pour le maître, se borne quelquefois à demander le rappel du ministre; ou si la faute est plus considérable, il lui défend la cour en attendant la réponse du maître. Dans les cas graves, il va même jusqu'à le chasser de ses États.

96. Droit de chasser un ambassadeur coupable, ou justement

suspect.

Tout souverain est sans doute en droit d'en user de la sorte, car il est maître chez lui; aucun étranger ne peut demeurer à sa cour, ou dans ses États, sans son aveu. Et si les souverains sont en général obligés d'écouter les propositions des puissances étrangères et d'admettre leurs ministres, cette obligation cesse entièrement à l'égard d'un ministre qui, manquant lui-même aux devoirs que lui impose son caractère, se rend dangereux ou justement suspect à celui auprès duquel il ne peut venir que comme ministre de paix. Un prince serait-il obligé de souffrir dans ses terres et à sa cour un ennemi secret, qui trouble l'État, ou qui en machine la perte? Ce fut une plaisante réponse que celle de Philippe II à la reine Élisabeth, qui le faisait prier de rappeler son ambassadeur, parce que celui-ci tramait contre elle des complots dangereux. Le roi d'Espagne refusa de le rappeler, disant « que la condition des princes >> serait bien malheureuse, s'ils étaient obligés de révoquer » leur ministre, dès que sa conduite ne répondrait point à » l'honneur ou à l'intérêt de ceux avec qui il négocie (*). » Elle serait bien plus malheureuse, la condition des princes, s'ils étaient obligés de souffrir dans leurs États, et à la cour, un ministre désagréable ou justement suspect, un brouillon, un ennemi masqué sous le caractère d'ambassadeur, qui se prévaudrait de son inviolabilité, pour tramer hardiment des entreprises pernicieuses. La reine, justement offensée du refus de Philippe, fit donner des gardes à l'ambassadeur (**).

2 97.

Droit de le réprimer par la force, s'il agit en ennemi. Mais doit-on toujours se borner à chasser un ambassa

(*) Wicquefort, ubi suprà, liv. I. sect. XXIX.

(**) Idem, ibid.

deur, à quelques excès qu'il se soit porté? Quelques auteurs le prétendent, fondés sur la parfaite indépendance du ministre public. J'avoue qu'il est indépendant de la juridiction du pays, et j'ai déjà dit que, par cette raison, le · magistrat ordinaire ne peut procéder contre lui. Je conviens encore, que pour toutes sortes de délits communs, pour les scandales et les désordres qui font tort aux citoyens et à la société sans mettre l'État et le souverain en péril, on doit ce ménagement à un caractère si nécessaire pour la correspondance des Nations et à la dignité du prince représenté, de se plaindre à lui de la conduite de son ministre, et de lui en demander la réparation; et si on ne peut rien obtenir, de se borner à chasser ce ministre, au cas que la gravité de ses fautes exige absolument qu'on y mette ordre. Mais l'ambassadeur pourra-t-il impunément cabaler contre l'État où il réside, en machiner la perte, inciter les sujets à la révolte, et ourdir sans crainte les conspirations les plus dangereuses, lorsqu'il se tient assuré de l'aveu de son maître? S'il se comporte en ennemi, ne serat-il pas permis de le traiter comme tel? La chose est indubitable à l'égard d'un ambassadeur qui en vient aux voies de fait, qui prend les armes, qui use de violence. Ceux qu'il attaque peuvent le repousser; la défense de soimême est de droit naturel. Ces ambassadeurs romains, envoyés aux Gaulois, et qui combattirent contre eux avec les peuples de Clusium, se dépouillèrent eux-mêmes de leur caractère (*). Qui pourrait penser que les Gaulois devaient les épargner dans la bataille?

98. De l'ambassadeur qui forme des conjurations et des complots dangereux.

La question a plus de difficulté à l'égard d'un ambassa

(*) TIT.-LIV., lib. V, cap. xxvI. L'historien décide sans balancer, que ces ambassadeurs violèrent le droit des gens : legati contra jus gentium arma capiunt.

deur qui, sans en venir actuellement aux voies de fait, ourdit des trames dangereuses, incite par ses menées les sujets à la révolte, forme et anime des conspirations contre le souverain ou contre l'État. Ne pourra-t-on réprimer et punir exemplairement un traître qui abuse de soncaractère, et qui viole le premier le droit des gens? Cette loi sacrée ne pourvoit pas moins à la sûreté du prince qui reçoit un ambassadeur, qu'à celle de l'ambassadeur luimême. Mais d'un autre côté, si nous donnons au prince offensé le droit de punir en pareil cas un ministre étranger, il en résultera de fréquents sujets de contestation et de rupture entre les puissances, et il sera fort à craindre que le caractère d'ambassadeur ne soit privé de la sûreté qui lui est nécessaire Il est certaines pratiques, tolérées dans les ministres étrangers, quoiqu'elles ne soient pas toujours fort honnêtes; il en est que l'on ne peut réprimer par des peines, mais seulement en ordonnant au ministre de se retirer; comment marquer toujours les limites de ces divers degrés de fautes? On chargera d'odieuses couleurs les intrigues d'un ministre que l'on voudra troubler, on calomniera ses intentions et ses démarches, par une interprétation sinistre; on lui suscitera même de fausses accusations. Enfin, les entreprises de cette nature se font d'ordinaire avec précaution, elles se ménagent dans le secret; la preuve complète en est difficile, et ne s'obtient guère que par les formalités de la justice. Or, on ne peut as ujeltir à ces formalités un ministre indépendant de la juridiction du pays.

En posant les fondements du droit des gens volontaire (Prélem., 221), nous avons vu que les Nations doivent quelquefois se priver nécessairement, en faveur du bien général, de certains droits, qui, pris en eux-mêmes et abstraction faite de toute autre considération, leur appartiendraient naturellement. Ainsi le souverain, dont la cause est juste, a seul véritablement tous les droits de la guerre

(liv. III, § 188), et cependant il est obligé de considérer son ennemi comme ayant des droits égaux aux siens, et de le traiter en conséquence (ibid., § 190 et 191). Les mêmes principes nous serviront ici de règle. Disons donc qu'en faveur de la grande utilité, de la nécessité même des ambassades, les souverains sont obligés de respecter l'inviolabilité de l'ambassadeur, tant qu'elle ne se trouve pas incompatible avec leur propre sûreté et le salut de leur État. Et par conséquent, quand les menées de l'ambassadeur sont dévoilées, ses complots découverts, quand le péril est passé, en sorte que pour s'en garantir il n'est plus nécessaire de mettre la main sur lui, il faut, en considération du caractère, renoncer au droit général de punir un traître, un ennemi couvert qui attente au salut de l'État, et se borner à chasser le ministre coupable, en demandant sa punition au souverain de qui il dépend.

C'est en effet de quoi la plupart des Nations, et surtout celles de l'Europe, sont tombées d'accord. On peut voir dans Wicquefort (*) plusieurs exemples des principaux souverains de l'Europe, qui se sont contentés de chasser des ambassadeurs coupables d'entreprises odieuses, quelquefois même sans en demander la punition aux maitres, de qui ils n'espéraient pas de l'obtenir. Ajoutons à ces exemples celui du duc d'Orléans, régent de France: ce prince usa de ménagement envers le prince de Cellamare, ambassadeur d'Espagne, qui avait tramé contre lui une conspiration dangereuse, se bornant à lui donner des garles, à saisir ses papiers, et à le faire conduire hors du royaume. L'histoire romaine fournit un exemple très-ancien dans la personne des ambassadeurs de Tarquin. Venus à Rome, sous prétexte de réclamer les biens particuliers de leur maître. qui avait été chassé, ils y subornèrent une jeunesse corrompue, et l'engagèrent dans une horrible trahison contre

(*) Ambassad., liv. I. sect. XXVII, XXIX et XXXIII.

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