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CHAPITRE IX.

DU DROIT DE LA GUERRE A L'ÉGARD DES CHOSES QUI

160.

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APPARTIENNENT A L'ENNEMI.

Principes du droit sur les choses qui appartiennent à l'ennemi. L'État qui prend les armes pour un juste sujet, a un double droit contre son ennemi. 1o Le droit de se mettre en possession de ce qui lui appartient et que l'ennemi lui refuse; à quoi il faut ajouter les dépenses faites à cette fin, les frais de la guerre et la réparation des dommages : car s'il était obligé de supporter ces frais et ces pertes, il n'obtiendrait point en entier ce qui est à lui ou ce qui lui est dù. 2o Il a le droit d'affaiblir l'ennemi, pour le mettre hors d'état de soutenir une injuste violence (§ 138), le droit de lui ôter les moyens de résister. De là naissent, comme de leur principe, tous les droits de la guerre sur les choses qui appartiennent à l'ennemi. Je parle des cas ordinaires, et de ce qui se rapporte particulièrement aux biens de l'ennemi. En certaines occasions, le droit de le punir produit de nouveaux droits sur les choses qui lui appartiennent, comme il en donne sur sa personne. Nous en parlerons tout à l'heure.

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On est en droit de priver l'ennemi de ses biens, de tout ce qui peut augmenter ses forces et le mettre en état de faire la guerre. Chacun travaille à cette fin de la manière qui lui convient le mieux. On s'empare, quand on le peut, des biens de l'ennemi, on se les approprie, et par là, outre qu'on diminue les forces de son adversaire, on augmente

les siennes propres, et l'on se procure, au moins en partie, un dédommagement, un équivalent, soit du sujet même de la guerre, soit des dépenses et des pertes qu'elle cause; on se fait justice soi-même.

8 162. De ce qu'on ôte à l'ennemi par forme de peine.

Le droit de sûreté autorise souvent à punir l'injustice ou la violence (a). C'est un nouveau titre pour dépouiller un ennemi de quelque partie de ses biens. Il est plus humain de châtier une Nation de cette manière, que de faire tomber la peine sur la personne des citoyens. On peut lui enlever, dans cette vue, des choses précieuses, des droits, des villes ou des provinces. Mais toutes les guerres ne donnent pas un juste sujet de punir. La Nation qui a soutenu de bonne foi et avec modération une mauvaise cause, mérite plus de compassion que de colère, de la part d'un vainqueur généreux. Et dans une cause douteuse, on doit présumer que l'ennemi est dans la bonne foi (Prélim., § 21, et liv. III, § 40). Ce n'est donc que l'injustice manifeste, dénuée même de prétextes plausibles ou d'odieux excès dans les procédés, qui donnent à un ennemi le droit de punir. Et dans toute occasion, il doit borner la peine à ce qu'exigent sa sûreté et celle des Nations. Tant que la prudence le permet, il est beau d'écouter la clémence. Cette aimable vertu est presque toujours plus utile à celui qui l'exerce, que l'inflexible rigueur. La clémence du grand Henri seconda merveilleusement sa valeur, quand ce bon prince se vit forcé de faire la conquête de son royaume. Il n'eût

(a) Note de l'éditeur de 1775.-Le droit de sûreté n'est point le fondement des punitions. Voyez là-dessus toutes les remarques précédentes. Les docteurs en droit des gens en vont souvent chercher les raisons dans la nature, comme les anciens jurisconsultes allaient chercher leurs étymologies dans la grammaire : si elles ne voulaient pas venir, ils les tiraient par les cheveux; et les disciples répétaient cela, sans y regarder de plus près que leurs maîtres.

D.

soumis que des ennemis par ses armes; sa bonté lui gagna des sujets affectionnés.

163. De ce qu'on lui retient pour l'obliger à donner une juste

satisfaction.

Enfin, on s'empare de ce qui appartient à l'ennemi, de ses villes, de ses provinces, pour l'amener à des conditions raisonnables, pour le contraindre à accepter une paix équitable et solide. On lui prend ainsi beaucoup plus qu'il ne doit, plus que l'on ne prétend de lui; mais c'est dans le dessein de restituer le surplus par le traité de paix. Nous avons vu le roi de France déclarer, dans la dernière guerre, qu'il ne prétendait rien pour lui-même, et rendre en effet toutes ces conquêtes, au traité d'Aix-laChapelle 1.

༥ Il ne suffit pas, disait Victoria au xvIe siècle, que la guerre soit entreprise pour de justes causes; il faut la faire de telle sorte qu'au lieu de poursuivre l'extermination de l'ennemi, on n'ait en vue que la défense du pays, le triomphe du bon droit et l'établissement d'une paix durable >> De jure belli, 8 60). Tels sont les principes fondamentaux qui doivent présider aux relations des belligérants dans la guerre. On peut reprocher à Vattel de ne pas les avoir nettement formulés, et d'avoir trop hésité entre les exemples que lui fournissait le droit des gens pratique de son temps, et les inspirations plus généreuses de son cœur et de sa raison. De nos jours, si la sécurité à laquelle ont droit les personnes et les propriétés peut être indirectement troublée, sans qu'il y ait uhe violation réelle de leur droit (parce qu'on ne doit pas considérer comme contraires au droit, certains accidents qui sont la conséquence indirecte mais nécessaire de ce que l'on a le droit de faire), il est admis par toutes les nations civilisées, que les personnes qui ne résistent plus doivent être respectées; qu'il n'y a d'ennemi que celui qui porte les armes (voir suprà, liv. III, 2 69 à 72, et la note); que le droit de conquête ne peut porter aucune atteinte aux propriétés particulières; que la guerre n'étant qu'une relation d'État à Etat, de gouvernement à gouvernement, il en résulte que celui des belli gérants qui fait des conquêtes sur l'autre, ne peut acquérir plus de droits que celui dont il prend la place; que, de même que l'État envahi ou vaincu n'avait aucun droit sur les propriétés particulières, de même aussi l'État envahissant ou vainqueur ne peut exercer légitimement aucun droit sur ces propriétés; enfin, que la guerre n'ayant d'autre but

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Comme on appelle conquêtes les villes et les terres prises sur l'ennemi, toutes les choses mobiles qu'on lui enlève forment le butin. Naturellement ce butin n'appartient pas moins que les conquêtes au souverain qui fait la guerre ; car lui seul a des prétentions à la charge de l'ennemi, qui l'autorisent à s'emparer de ses biens et à se les approprier. Ses soldats, et même les auxiliaires, ne sont que des ins

que de forcer l'ennemi à être juste, tout ce qui a une liaison moralement nécessaire avec ce but légitime, est permis; mais rien de plus (Voir : MASSE, Le Dr. commerc. dans ses rapports avec le Dr. des gens, t. I, p. 124 et 125). « Dans toutes ses conquêtes, écrivait le 22 août 1809, Napoléon Ier à M. Armstrong, ministre des États-Unis, la France a respecté les propriétés particulières. Les magasins et les boutiques sont restés à leurs propriétaires : ils ont pu disposer de leurs marchandises, et, dans ce moment, des convois de voitures, chargées principalement de coton, traversent les armées françaises, l'Autriche et l'Allemagne, pour se rendre là où le commerce les envoie. » Cette modération qui a, de tout temps, caractérisé l'armée française, et dont les guerres contemporaines de Crimée, d'Italie, du Mexique ont offert les plus nobles exemples, devient à peu près européenne. Il est vrai qu'on peut alléguer bien des cas encore, où le vainqueur ne ménage les propriétés privées que dans l'intérêt même de sa conquête; où il craint d'exciter, par une dépossession violente, des soulèvements et des haines.« Rappelez-vous ce qui s'est fait de nos jours, dit M. Cauchy, pour soumettre à la domination des Européens certaines tribus de l'Afrique ou du Caucase, ou certains royaumes de l'Hindoustan; lisez ces actes de confiscation tout récemment promulgués au sujet de la lutte américaine (voir: Moniteur du 9 août 1862), et dites si c'est seulement sur la mer qu'on se permet de porter atteinte, pendant la guerre, aux propriétés particulières de l'ennemi, ou de ne pas épargner toujours les non combattants dans leur liberté et même dans leur vie » (Le Dr. marit. internat., t. II, p. 484). L'objection est grave, et l'on peut ajouter à l'énumération des violences de la guerre moderne, le récit des excès commis en ce moment par les armées du Csar sur la terre polonaise. Mais l'indignation universelle dont ces attentats aux lois de l'humanité sont l'objet au sein de toutes les nations de l'Europe, est la meilleure démonstration de l'adoucissement des mœurs, et la consécration la plus éloquente d'un droit des gens supérieur encore à celui de Vattel. P. P. F.

truments dans sa main pour faire valoir son droit. Il les entretient et les soudoie; tout ce qu'ils font, ils le font en son nom et pour lui. S'ils ne sont pas associés dans la guerre, elle ne se fait point pour eux; ils n'ont pas plus de droit au butin qu'aux conquêtes. Mais le souverain peut faire aux troupes telle part qu'il lui plaît du butin. Aujourd'hui on leur abandonne, chez la plupart des Nations, tout celui qu'elles peuvent faire en certaines occasions où le général permet le pillage; la dépouille des ennemis restés sur le champ de bataille, le pillage d'un camp forcé, quelquefois celui d'une ville qui se laisse prendre d'assaut. Le soldat acquiert encore dans plusieurs services tout ce qu'il peut enlever aux troupes ennemies quand il va en parti ou en détachement, à l'exception de l'artillerie, des munitions de guerre, des magasins et convois de provisions de bouche et de fourrages, que l'on applique aux besoins et à l'usage de l'armée. Et dès que la coutume est reçue dans une armée, ce serait une injure que d'exclure les auxiliaires du droit qu'elle donne aux troupes. Chez les Romains, le soldat était obligé de rapporter à la masse tout le butin qu'il avait fait. Le général faisait vendre ce butin, il en distribuait quelque partie aux soldats, à chacun selon son rang, et portait le reste au trésor public 1.

1 « On ne saurait admettre, dit Pinheiro-Ferreira, le ton presque ap>> probatif dont Vattel parle du butin et du pillage, surtout lorsqu'il est >> question d'une ville, fût-elle prise d'assaut. Il faut regarder comme un » déplorable malheur que la discipline militaire n'ait pu être maintenue, » la plupart du temps, qu'à condition de laisser le champ libre au soldat » pour exercer, en pareille occasion, tous les excès du pillage. Ériger >> cette condition en principe, c'est le plus triste présage de la dissolu» tion sociale... Croit-on qu'après avoir passé quelques années de sa » vie à piller, tuer, violer, le soldat rentré dans sa patrie reprendra, >> envers ses concitoyens, cette modération qu'il aurait gardée, s'il était >> resté dans les habitudes de la vie civile?... Aussi longtemps qu'on » n'aura pas trouvé les moyens d'amener le soldat à n'exercer que le » déploiement de force indispensable pour mettre l'ennemi hors de » combat, et qu'il lui sera loisible de méconnaître la voix de l'humanité,

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