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Pour quelque sujet que l'on ravage un pays, on doit épargner les édifices qui font honneur à l'humanité, et qui ne contribuent point à rendre l'ennemi plus puissant, les temples, les tombeaux, les bâtiments publics, tous les ouvrages respectables par leur beauté. Que gagne-t-on à les détruire? C'est se déclarer ennemi du genre humain, que de le priver, de gaieté de cœur, de ces monuments des arts, de ces modèles de goût, comme Bélisaire le représentait à Totila, roi des Goths (*). Nous détestons encore aujourd'hui ces barbares, qui détruisirent tant de merveilles quand ils inondèrent l'empire romain. De quelque juste ressentiment que le grand Gustave fùt animé contre Maximilien, duc de Bavière, il rejeta avec indignation le conseil de ceux qui voulaient détruire le magnifique palais de Munich, et il prit soin de conserver cet édifice.

Cependant, s'il est nécessaire de détruire des édifices de cette nature, pour les opérations de la guerre, pour pousser les travaux d'un siége, on en a le droit, sans doute. Le souverain du pays, ou son général, les détruit bien luimême, quand les besoins ou les maximes de la guerre l'y invitent. Le gouverneur d'une ville assiégée en brûle les faubourgs, pour empêcher que les assiégeants ne s'y logent. Personne ne s'avise de blâmer celui qui dévaste des jardins, des vignes, des vergers, pour y asseoir son camp et s'y retrancher. Si par là il détruit quelque beau monument, c'est un accident, une suite malheureuse de la guerre ; il ne sera condamné que dans le seul cas où il pût camper ailleurs sans le moindre inconvénient 1.

barbarie, ne devrait plus être reproduite de nos jours, et surtout pour justifier des horreurs qui font frémir l'humanité » (Note sur le 2 280 du Précis de MARTENS, t. II, p. 250). P. P. F.

(*) Voyez sa lettre dans Procope. Elle est rapportée par Grotius, liv. III, chap. xII, 82, note 11.

1 « Dans l'usage moderne des nations, qui a maintenant acquis force

169. Du bombardement des villes.

:

Il est difficile d'épargner les plus beaux édifices, quand on bombarde une ville. Communément on se borne aujourd'hui à foudroyer les remparts, et tout ce qui appartient à la défense de la place détruire une ville par les bombes et les boulets rouges, est une extrémité à laquelle on ne se porte pas sans de grandes raisons. Mais elle est autorisée cependant par les lois de la guerre, lorsqu'on n'est pas en état de réduire autrement une place importante de laquelle peut dépendre le succès de la guerre, ou qui sert à nous porter des coups dangereux. Enfin, on en vient là quelquefois, quand on n'a pas d'autre moyen de forcer un ennemi à faire la guerre avec humanité ou de le punir de quelque autre excès. Mais les bons princes n'usent qu'à l'extrémité et avec répugnance d'un droit si rigoureux. En l'année 1694, les Anglais bombardèrent plusieurs places maritimes de France, dont les armateurs portaient des coups sensibles au commerce de la Grande-Bretagne. La vertueuse et digne épouse de Guillaume III n'apprit point ces exploits de la flotte avec une vraie satisfaction : elle témoigna de la douleur de ce que la guerre rendait de telles hostilités nécessaires, ajoutant qu'elle espérait que ces sortes d'opérations deviendraient si odieuses, qu'à l'avenir on y renoncerait de part et d'autre (*) 1.

de loi, les temples de la religion, les édifices publics affectés au service civil seulement, les monuments d'art, les dépôts de la science sont exemptés des opérations générales de la guerre » (WHEATON, Élém. du Dr. internat., t. II, 8 5, p. 5). Voir: KLÜBER, Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., 253, p. 324. Sur la restitution violente des peintures, statues et autres monuments d'art, recueillis dans les différents pays conquis pendant les guerres de la Révolution française, et déposés dans le Musée du Louvre, voir: WHEATON, Élém. du Dr. internat., t. II, p. 13.

P. P. F.

(*) Histoire de Guillaume III, liv. VI, t. II, p. 66. 1 Voir : MARTENS, Précis du Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., t. II, 286, et 287, p. 263 et suiv.; KLÜBER, Dr. des gens mod. de l'Eur.,

2170. Démolition des forteresses.

Les forteresses, les remparts, toute espèce de fortifications, appartiennent uniquement à la guerre. Rien de plus naturel, ni de plus légitime, dans une guerre juste, que de raser celles qu'on ne se propose pas de garder. On affaiblit d'autant son ennemi, et on n'enveloppe point des innocents dans les pertes qu'on lui cause. C'est le grand parti que la France a tiré de ses victoires, dans une guerre où elle ne prétendait pas faire des conquêtes.

171.- Des sauvegardes.

On donne des sauvegardes aux terres et aux maisons que l'on veut épargner, soit par une faveur, soit à la charge d'une contribution. Ce sont des soldats qui les protégent contre les partis, en signifiant les ordres du général. Ces soldats sont sacrés pour l'ennemi; il ne peut les traiter hostilement, puisqu'ils sont là comme bienfaiteurs, et pour le salut de ses sujets. On doit les respecter, de même que l'on respecte l'escorte donnée à une garnison, ou à des prisonniers de guerre pour les conduire chez eux 1.

172.

Règle générale de modération sur le mal que l'on peut faire à l'ennemi.

En voilà assez pour donner une idée de la modération avec laquelle on doit user, dans la guerre la plus juste, du droit de piller et de ravager le pays ennemi. Otez le

édit. cit., 265, p. 339. Pinheiro-Ferreira fait sur les matières traitées dans ces ?, l'observation suivante, qu'on ne saurait trop proclamer: « Puisqu'il ne saurait y avoir de droit contre le droit, dit-il, ce qui est contraire aux lois de la raison, basées sur les droits de l'humanité, ne peut qu'être contraire aux lois de la guerre » (Note sur le 287 du Précis de MARTENS, édit. cit., t. II, p. 265). P. P. F.

1 Voir : MARTENS, Précis du Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., t. II, 8 290 et 292, p. 271 et 273; KLÜBER, Dr. des gens mod. de l'Eur., édit. cit., 274, p. 348. P. P. F.

:

cas où il s'agit de punir un ennemi, tout revient à cette règle générale Tout le mal que l'on fait à l'ennemi sans nécessité, toute hostilité qui ne tend point à amener la victoire et la fin de la guerre, est une licence que la loi naturelle condamne.

173.

Règle du droit des gens volontaire, sur le même sujet.

Mais cette licence est nécessairement impunie et tolérée jusqu'à un certain point, entre les Nations. Comment déterminer avec précision, dans les cas particuliers, jusqu'où il était nécessaire de porter les hostilités pour parvenir à une heureuse fin de la guerre? Et quand on pourrait le marquer exactement, les Nations ne reconnaissent point de juge commun; chacune juge de ce qu'elle a à faire pour remplir ses devoirs. Donnez lieu à de continuelles accusations d'excès dans les hostilités, vous ne ferez que multiplier les plaintes, aigrir de plus en plus les esprits; de nouvelles. injures renaîtront continuellement, et l'on ne posera point les armes, jusqu'à ce que l'un des partis soit détruit. Il faut donc s'en tenir, de Nation à Nation, à des règles générales, indépendantes des circonstances, d'une application sûre et aisée. Or, ces règles ne peuvent être telles, si l'on n'y considère pas les choses dans un sens absolu, en ellesmêmes et dans leur nature. De même donc que, à l'égard des hostilités contre la personne de l'ennemi, le droit des gens volontaire se borne à proscrire les moyens illicites et odieux en eux-mêmes, tels que le poison, l'assassinat, la trahison, fe massacre d'un ennemi rendu et de qui on n'a rien à craindre; ce même droit, dans la matière que nous traitons ici, condamne toute hostilité qui, de sa nature et indépendamment des circonstances, ne fait rien au succès de nos armes, n'augmente point nos forces, et n'affaiblit point l'ennemi. Au contraire, il permet ou tolère tout acte qui, en soi-même et de sa nature, est propre au but de la guerre, sans s'arrêter à considérer si telle hostilité était peu néces

saire, inutile, ou superflue dans le cas particulier, à moins que l'exception qu'il y avait à faire dans ce cas-là ne fût de la dernière évidence: car là où l'évidence règne, la liberté des jugements ne subsiste plus. Ainsi il n'est pas en général contre les lois de la guerre, de brûler et de saccager un pays. Mais si un ennemi très-supérieur en forces traite de cette manière une ville, une province, qu'il peut facilement garder pour se procurer une paix équitable et avantageuse, il est généralement accusé de faire la guerre en barbare et en furieux. La destruction volontaire des monuments publics, des temples, des tombeaux, des statues, des tableaux, etc., est donc condamnée absolument, même par le droit des gens volontaire, comme toujours inutile au but légitime de la guerre. Le sac et la destruction des villes, la désolation des campagnes, les ravages, les incendies, ne sont pas moins odieux et détestés, dans toutes les occasions où l'on s'y porte évidemment sans nécessité ou sans de grandes raisons.

Mais comme on pourrait excuser tous ces excès, sous prétexte du châtiment que mérite l'ennemi, ajoutons ici que, par le droit des gens naturel et volontaire, on ne peut punir de cette manière que des attentats énormes contre le droit des gens. Encore est-il toujours beau d'écouter la voix de l'humanité et de la clémence, lorsque la rigueur pas d'une absolue nécessité. Cicéron blâme la destruction de Corinthe, qui avait indignement traité les ambassadeurs romains. C'est que Rome était en état de faire respecter ses ministres, sans en venir à ces voies d'une extrême rigueur 1.

n'est

Voir suprà, liv. III, 3 163, la note.

P. P. F.

HI.

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