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comme par miracle, aux Iles Canaries, où il se radouba. Arrivé à Marseille, il demanda le réglement de l'avarie grosse. Les sieurs Leclerc, père et fils, principaux chargeurs, appelèrent leurs assureurs au procès. Ceux-ci, au bénéfice de leur pacte franc d'avarie, obtinrent gain de cause, par sentence du 30 avril 1771. Elle fut confirmée par arrêt du Parlement d'Aix.

$3. Prétendus inconde celte

M. Valin, art. 47, titre des assurances, pag. 108, s'élève contre cette jurisprudence. Il n'y a pas apparence, dit-il, qu'elle soit adoptée ailleurs, ne veniens › fût-ce qu'à cause qu'elle pourrait porter au crime, c'est-à-dire engager un capitaine à ne point s'embarrasser de retirer son navire de l'échouement,

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» pour l'empêcher de faire naufrage, dès qu'il pourrait se sauver avec son équipage; et cela pour ménager le recours de son armateur et le sien pro› pre contre les assureurs; recours qu'il perdrait en conséquence de cette › clause insidieuse, s'il n'avait que des avaries à demander. »

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La crainte des mêmes abus avait anciennement porté notre tribunal de l'amirauté à rendre une ordonnance conçue en ces termes :

« Nous, lieutenant-général en l'amirauté et mers du Levant, faisons très⚫ expresses inhibitions et défenses à tous courtiers royaux, notaires, et à tous ⚫ autres, de plus à l'avenir insérer dans les polices d'assurance aucune clause ⚫ portant que les assureurs seront francs d'avaries, à peine de nullité desdites clauses, de 3,000 liv. d'amende, d'être déclarés responsables des accidens qui pourraient en dériver, sauf, en cas de récidive, de plus grandes peines. Et pour que personne n'en puisse prétendre cause d'ignorance, notre pré> sente ordonnance sera, à la diligence du procureur du roi, signifiée aux syndics des courtiers royaux et notaires, publiée et affichée aux lieux ac› coutumés. Fait à Marseille, dans le palais et chambre du conseil, le 21 › mai 1718.

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Cette ordonnance fut cassée par le Parlement d'Aix.

1o. Les sénéchaux et autres juges subalternes n'ont pas l'autorité de faire des réglemens généraux. Il leur est simplement permis d'ordonner l'exécution de ceux déjà faits.

2o. Les hommes abusent de tout. Les engagemens les plus saints sont sujets à mille inconvéniens. Mais ce serait une tyrannie que de vouloir gêner la liberté des contrats, dans les points qui n'intéressent directement et essentiellement ni les bonnes mœurs, ni le droit public de la première classe.

Rien n'empêche parmi nous de mitiger la prétendue âpreté de la clause franc d'avarie, soit en imitant l'exemple des autres places maritimes, soit en y apportant telle autre modification qu'on juge convenable.

clause.

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M. Pothier, no. 166, n'a garde de censurer cette clause. Quelquefois, ditil, on stipule par la police que les assureurs ne seront pas tenus des avaries, » ou qu'ils seront francs d'avaries. Le sens de cette clause est qu'ils ne se › chargent que des accidens qui causent une perte entière des effets assurés, » et qui donnent lieu au délaissement, et qu'ils ne se chargent point de tous » les autres. »

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Dans nos conférences tenues en 1778, il fut question de la clause franc d'avarie.

Mais le préambule de la déclaration du 17 août 1779, a dissipé les fausses idées qu'on pouvait avoir à ce sujet. Sa Majesté nous apprend que les assurances ont toujours mérité la protection des lois, qui, en assurant la bonne » foi mutuelle par des clauses nécessaires dans les contrats ou polices d'assurance, laissent au surplus aux parties la liberté d'y ajouter toutes les conditions » dont elles veulent convenir. »

Les abus et les prévarications doivent être réprimós, relativement aux règles établies par le droit commun. Tout capitaine est présumé honnête. Il ne s'attire la confiance publique que par une conduite sage, ferme et intelligente. Lorsque, sacrifiant l'intérêt du moment à ses devoirs, il ramène, au travers des écueils et des tempêtes, le navire à bon port, il se couvre de gloire, et la bonne réputation dont il jouit, devient pour lui un patrimoine aussi solide que fructueux.

CONFÉRENCE.

CL. La clause franc d'avarie a beaucoup exercé les auteurs sous l'empire de l'ancienne législation, et sur-tout les auteurs italiens, qui l'ont désapprouvée, et ont, en conséquence, cherché à en atténuer les effets. C'est pourquoi ils enseignent qu'elle ne décharge pas les assureurs des avaries extraordinaires.

Valin même, sur l'art. 47, titre des assurances, comme on vient de le voir plus haut dans le texte, ne trouve cette clause juste que lorsqu'elle est appliquée au transport des vivres et effets comestibles de ports en ports, etc.; et il pense qu'elle peut porter au crime.

Cette clause fournissait sans doute une vaste matière à discussion. Mais nous dirons, avec Pothier et Émérigon, qu'il n'était pas possible de trouver dans cette convention une clause contraire à la justice et à l'équité. En effet, la prime se règle en conséquence; et pourquoi des assureurs ne se déchargeraient-ils pas des événemens dont le risque ne leur aurait pas été payé? Il n'y a rien là que de très-juste et de très-équitable. Les parties d'ailleurs n'ont-elles pas la faculté de faire telles conventions qu'elles jugent à propos, sur la manière dont les avaries seront supportées ? Les polices sont également susceptibles de toutes les conditions dont les parties veulent convenir.

D'un autre côté, cette clause a toujours été prise dans la plus grande acception. L'exemp

tion d'avarie, en effet, comprend celle de tous les dommages qui peuvent survenir aux objets assurés, autres que ceux qui en emportent la perte entière, et dont parle l'art. 369 du Code de commerce. Tout ce qui est dépensé, perdu ou dépéri dans le moment du danger, pour le salut commun, est une véritable avarie dont l'assureur ne doit pas répondre, en vertu de la clause franc d'avarie insérée dans la police.

Mais il en serait autrement s'il s'agissait de sinistres majeurs qui donnassent lieu au dėlaissement, comme nous allons le voir à la section suivante.

Ainsi, toutes les décisions rapportées ici par Emérigon sont basées sur les vrais principes. Il faut bien remarquer d'ailleurs que par la clause franc d'avarie, le capitaine n'est point déchargé de la responsabilité que lui impose l'art. 221 du Code de commerce, et cette clause ne fait pas davantage cesser la garantie que l'art. 216 fait peser sur le propriétaite du navire. Si donc le navire n'a péri que parce que le capitaine n'a pas voulu le sauver, alors ce maître prévaricateur est seul punissable et garant, et les assureurs ne sont plus responsables, − ( Art. 353).

SECTION XLVI.

Clause franc d'avarie dispense-t-elle des avaries, dans les sinistres majeurs?

QUELQUE extension que l'on donne à notre clause franc d'avarie, cette clause ne concerne point les sinistres majeurs spécifiés dans l'art. 46, des assurances, auxquels on doit joindre le cas d'innavigabilité; on présume que les contractans n'ont eu en vue que les avaries proprement dites, soit simples, soit communes, et nullement les cas qui sont de nature à pouvoir donner lieu au délaissement. Telle est notre jurisprudence, ainsi qu'on l'a déjà vu par la consultation de MM. Pazery père et Pascal, rapportée dans la section précédente. Voici les circonstances et le dispositif de l'arrêt rendu par le Parlement d'Aix, le 27 juin 1716;

La keche la Couronne-Bonaventure avait échoué. Le délaissement n'avait pas été fait aux assureurs, qui étaient francs d'avaries. Mais comme il s'agissait d'un sinistre majeur, les assureurs, malgré le pacte franc d'avarie, furent condamnés aux paiement et contribution de la perte du blé, et des dépenses faites au sujet du relèvement de l'échouement.

Extrait des registres du Parlement.

Entre Guillaume Aillaud, Jean-Baptiste Garoute et autres assureurs de › Marseille, appelans de sentence rendue par le lieutenant au siége de la même ville, le 4 juillet 1714, d'une part; et capitaine Honoré Tassy, comman

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» dant le vaisseau la Couronne, de ladite ville de Marseille, intimé, d'autre.` Vu par la Cour l'extrait de la sentence rendue par le lieutenant entre lesdites parties, et dont est appel, dudit jour 4 juillet 1714, par laquelle, › ayant aucunement égard à la requête du capitaine Honoré Tassy, du 12 mars dernier, aurait condamné Guillaume Aillaud, Garoute et autres, assureurs » sur le corps et chargement de la keche appelée la Couronne - Bonaventure, » aux paiement et contribution de la perte du blé, et des dépenses faites au sujet du › relèvement de l'échouement quo ladite keche fit à l'île de la Méry, et dont il s'agit, chacun par rapport à la somme par eux assurée, suivant la police d'assurance close par Amoureux, notaire, le 5 juillet 1713, suivant la liqui»dation et répartition qui par nous en sera faite, en laquelle ne seront point compris les câbles coupés et ancres perdues; à l'effet de quoi aurait ordonné » que les pièces et les autres servant à ladite liquidation et répartition lui se› ront de nouveau portées, et condamné en outre les assureurs aux dépens lesquels entreraient dans la liquidation et répartition..... Ouï le rapport de M. Léon de Léotard, seigneur d'Entrages, conseiller du roi en la Cour, › commissaire, tout considéré : il sera dit que la Cour a mis et met l'appella» tion au néant; ordonne que ce dont est appel, tiendra et sortira son plein > et entier effet. Au moyen de ce, a renvoyé et renvoie les parties et matières » au lieutenant, pour faire exécuter sa sentence selon sa forme et teneur ; con› damne l'appelant à l'amende modérée à 12 liv. et aux dépens. Publié à la › barre du Parlement, le 27 juin 1716. »

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Par cet arrêt, il fut décidé que les assureurs qui étaient francs d'avaries, ne répondaient pas des câbles coupés et des ancres perdues avant l'époque de l'échouement; mais qu'ils devaient contribuer à la perte du blé qu'on avait jeté, et des dépenses qu'on avait faites pour relever le navire échoué.

Dans la sect. 22, § 2, j'ai cité l'arrêt du 30 juin 1751, rendu contre les assureurs de la pinque le Saint-Charles. Ils furent condamnés à contribuer aux dépenses faites au sujet de ce navire qui avait été pris par les Anglais, et que le nocher Bondy ramena à Marseille. Le délaissement ne leur avait pas

été fait. Ils excipaient de leur pacte franc d'avarie. Mais parce qu'il s'agissait d'un sinistre majeur, leur exception fut rejetée.

Autre arrêt. La pinque Notre-Dame-des-Carmes et Saint- François Xavier, capitaine Marquese, génois, arriva à Coron, en Morée, pour y prendre un chargement de blé. Le blé était presque tout chargé, lorsqu'un corsaire tripolitain survint, s'empara du bâtiment et de l'équipage, attendu leur qualité de génois, et permit, comme par grâce, qu'on remît le chargement de blé à terre. On y travaillait à la hâte, lorsqu'une caravelle turque parut. Le corsaire s'éclipsa, laissant en liberté la pinque et l'équipage. On fit un rapport du dommage. On rechargea le blé. La pinque mit à la voile et arriva à Gênes.

Le sieur Nicolas Cavagniero, propriétaire du chargement, se pourvut contre ses assureurs en paiement de l'avarie. Ceux-ci opposaient leur pacte de franchise. Sentence arbitrale, rendue le 15 juillet 1762, par M. Gignoux et moi, qui décida que malgré la clause franc d'avarie, les assureurs (à qui le dé› laissement n'avait pas été fait), devaient payer leur portion de tous les dom›mages, pertes, frais et dépenses occasionnés par cet événement, eu égard au › montant du blé qui se trouvait alors chargé dans la pinque; qu'en cet état, » il serait formé un réglement d'avarie, dans lequel on ferait entrer en articles › de dommage, 1°. la valeur de quatre-vingts pinasses de blé qui ont été pillées › ou perdues par la prise; 2°. les frais de débarquement et rembarquement du blé, à l'occasion de cette prise, ceux de magasinage et autres qui s'en sont ensuivis; 3°. toutes les autres pertes et dommages soufferts par le pillage et » pour en obtenir la restitution, ceux des consulats et autres formalités faites, › même ceux du réglement d'avarie qui sera fait. »

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Arrêt du mois de juin 1764, au rapport de M. de Moissac, qui confirma cette sentence, attendu qu'il s'agissait d'un sinistre majeur, et non d'une avarie proprement dite.

L'art. 9 de la déclaration du 17 août 1779, s'adapte très-bien sur ce point à notre jurisprudence. Après avoir dit que dans le cas où les marchandises ⚫ auraient été chargées sur un nouveau navire, les assureurs courront les › risques sur lesdites marchandises, jusqu'à leur débarquement dans le lieu › de leur destination, il ajoute : Et seront en outre tenus de supporter, à la décharge des assurés, les avaries des marchandises, les frais de sauvetage, déchar⚫gement, magasinage et rembarquement, ensemble, les frais qui pourraient avoir été payés, et le surcroît de fret, s'il y en a.

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En réprimant l'abus des délaissemens qu'on admettait parmi nous avec

T. II.

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MONTREAL

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