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Cet arrêt du Conseil n'eut point de suite contre les assureurs. Ils n'avaient pas adhéré aux ordres donnés au capitaine Arpente. Ils avaient payé l'entière somme assurée; ils se trouvaient par conséquent déliés de toute obligation. Le sieur Cablat cessa de faire contre eux des poursuites, dont les frais seraient retombés sur lui.

Troisième exemple. Les sieurs Feris et Payan armèrent la pinque le Zéphir. Ils en donnèrent le commandement au capitaine Lebar, et se firent assurer, sur corps et facultés, 62,300 liv.

Le 2 février 1762, cette pinque partit de Marseille, pour se rendre aux Iles françaises de l'Amérique.

Le 27 avril suivant, elle fit naufrage sur les côtes de la Grande Inague, île déserte, éloignée de Saint-Domingue de vingt-cinq lieues.

L'équipage se réfugia à terre. On retira du naufrage tout ce qu'il fut possible de sauver. On campa sur le rivage, qui n'offrait aucune ressource.

On arma le canot, dont le commandement fut donné à Louis Fillastre, capitaine en second. On y chargea diverses marchandises et quelques provisions.

Fillastre ayant reçu par écrit ordre libre de son capitaine, choisit six compagnons de bonne volonté; il partit, et deux jours après il arriva au Port de Paix, île Saint-Domingue. Il s'adressa au sieur Ballue, négociant, qui avait une goëlette. On se hâta de l'armer. On la munit d'une commission de parlementaire. Il fut convenu, 1°. que « le sieur Fillastre, en vertu des ordres par » écrit du capitaine Lebar, affrétait ladite goëlette, appelée l'Aimable Rose, › commandée par le capitaine Saint-Germain, appartenant au sieur Ballue, » pour aller chercher sur Inague le capitaine Lebar et son équipage; 2°. que, » tant en vertu des susdits ordres que personnellement, ledit Fillastre s'obligeait , de payer au sieur Ballue la somme de 2,000 liv. ; 3°. en cas qu'à Inague, › on charge dans la goëlette quelques marchandises ou effets sauvés, il en reviendra un tiers audit sieur Ballue pour son fret, lesdites 2,000 liv. étant › seulement pour le transport du sieur Lebar et de son équipage; 4°. en cas de ‣ perte de la goëlette en allant ou en revenant, même si le capitaine Lebar » et son équipage ne se trouvaient plus sur ladite île d'Inague, ladite somme de 2,000 liv. sera payée au sieur Ballue; 5°. les frais d'armement, équipage >> et vivres, seront sur le compte dudit sicur Fillastre, audit nom. »

D

Fillastre et ses compagnons s'embarquèrent dans la goëlette. Ils abordèrent à Inague dans un lieu opposé à celui où le Zéphir avait naufragé. On envoya

deux hommes à la découverte. Ils rapportèrent que l'équipage français du Zéphir avait été mis à bord d'un corsaire anglais d'Antigue.

La goëlette parlementaire s'approcha du lieu du naufrage. Elle y trouva deux autres corsaires anglais, qui s'étaient saisis du reste des effets naufragés. Elle fut visitée. Elle remit à la voile pour retourner au Port de Paix.

Ayant rencontré un senaut de guerre anglais, sa patente de parlementaire ne fut pas respectée. La goëlette fut prise, et conduite à l'amiral Pocok, qui en fit disperser l'équipage sur les vaisseaux de sa flotte. Cet amiral allait faire le siége de la Havane.

Fillastre fut embarqué sur une frégate anglaise, qui le conduisit à la Jamaïque, d'où, par un parlementaire, il arriva à Saint-Domingue, au quartier appelé les Côteaux, jurisdiction de Saint-Louis. Il alla à Port-au-Prince, où il exigea certains fonds qui lui appartenaient. Il se rendit ensuite au Port de Paix, où il régla ses comptes avec le sieur Ballue, à qui il paya la somme de 2,073 liv. 3 s. 6 d.

Le lendemain, Fillastre se présenta au magistrat du lieu, et fit l'histoire de ses nouvelles aventures. Il fut ensuite au Cap-Français. Il s'embarqua pour la France. Il fut de nouveau pris par un anglais, et conduit à la Jamaïque, d'où enfin il eut le bonheur de se repatrier.

Le capitaine Lebar, enlevé de l'île d'Inague, avait été transporté à SaintMarc, île Saint-Domingue, d'où il revint en France.

Le 4 juillet 1763, Fillastre présenta requête à notre amirauté contre le capitaine Lebar, et contre les sieurs Feris et Payan, en condamnation de 4,963 liv., à quoi il faisait monter son compte des dépenses.

Il disait qu'il n'avait agi que comme mandataire; que puisqu'il n'avait pas excédé son mandat, tout ce qu'il avait fait était pour le compte de ceux pour qui il avait agi, lesquels devaient lui rembourser les dépenses faites, et le relever des engagemens personnels contractés dans son administration. (Loi 27, S4; loi 10, S9; loi 12, § 9; loi 26, § 8, ff mandati. Lois 1 et 20, Cod. eod.) Peu importe que le succès n'ait pas été heureux : Eventum non spectamus. (Loi 10, S 2; loi 12, S 2; loi 22, ff de negot. gest.; loi 22, Cod eod. ; loi 37; loi 56, § 4, ff mandati; loi 4, Cod. eod. Vide suprà, ch. 12, sect. 21, S12, tom. 1).

Les sieurs Feris et Payan, armateurs, alléguaient l'art. 2, titre des propriétaires. Ils disaient qu'ils avaient fait abandon du navire, de la cargaison et du fret. Cet abandon a un effet rétroactif au moment même du naufrage. Dès lors, le contrat qui les liait avec le capitaine et l'équipage, a été rompu.

Si l'on cût sauvé quelques effets, les débris du navire et le fret des mar

chandises sauvées auraient été affectés aux salaires de l'équipage, et l'universalité des effets sauvés l'aurait été aux frais de sauvetage. Mais ce privilége eût été réel. C'est la chose même qui eût payé les salaires et les frais, plutôt que la personne, suivant l'art. 45, titre des assurances.

Ils ajoutaient qu'ils n'étaient pas obligés d'abandonner les assurances, lesquelles forment un objet étranger à ce qu'ils avaient mis en risque. Ils alléguaient à ce sujet la jurisprudence du Parlement d'Aix. (Vide mon Traité des contrats à la grosse, ch. 4, sect. 9).

Sentence du 5 avril 1770, qui, ayant tel égard que de raison à la requête de Fillastre, condamna le capitaine Lebar au paiement des 2,073 liv. 3 s. 6 d., argent des îles, comptées par Fillastre au sieur Ballue, et qui débouta Fillastre du surplus des fins de sa requête; et sur la demande en commune exécution, requise par la même requête contre les sieurs Feris et Payan, ceux-ci furent mis hors de Cour et de procès. Cette sentence fut acquiescée par toutes les parties.

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Il résulte de cette jurisprudence, 1°. qu'en règle générale, on n'est tenu des frais de sauvetage, que jusqu'à concurrence de la valeur des effets assurés. Art. 45. 2°. Que le surplus des frais est à la charge de celui qui les a ordonnés;

Il fut bien triste pour le capitaine Lebar d'être forcé à payer lui-même la dépense qui avait été faite pour sauver les gens de son équipage. Depuis lors, le réglement du 3 mars 1781, tit. 3, art. 43, a pourvu à ce cas.

Si les effets et agrès du bâtiment naufragé, est-il dit, ne suffisent pas › pour survenir aux dépenses de nourriture, et autres indispensables pour la » conservation des équipages, ou que le tout soit entièrement perdu, le consul pourvoira à la subsistance et autres dépenses desdits équipages. Il en dres> sera un état qu'il enverra au secrétaire d'État ayant le département de la marine. Sa Majesté l'autorise en même tems à tirer des lettres de change » pour le montant desdites dépenses, sur le trésorier général de la marine. » 3. Si les propriétaires ont donné eux-mêmes des ordres au sujet du sauvetage, ils sont tenus des frais en entier, par l'action de mandat. (Arrêt du Conseil contre Cablat).

4. M. Valin, art. 45, dit que si les assureurs ont donné un pouvoir spécial de › travailler au sauvement, cela emporte de droit l'obligation de payer tous les › frais, sans égard à la valeur des effets. » De quoi je doute fort, à moins que la formule ne porte quelque clause pareille à celles rapportées ci-dessus. La permission indéfinie donnée aux assurés de faire travailler au sauvetage, doit

s'entendre prout juris est. Elle suspend le cours de la prescription, et ne soumet les assureurs à rien payer au-delà des sommes assurées.

5. Les assurés ne sont pas obligés de faire abandon de leurs assurances, pour compléter les frais de sauvetage. (Ainsi jugé en faveur de Feris et Payan. Vide mon Traité des contrats à la grosse, ch. 4, sect. 9).

6°. Jusqu'au délaissement des effets perdus, les propriétaires sont-ils tenus des dépens vis-à-vis du demandeur en frais de sauvetage? La sentence rendue en la cause de Cablat et d'Estienne, confirmée par arrêt du Parlement d'Aix, décida qu'oui; mais si Cablat et d'Estienne eussent appelé de la sentence au chef des dépens, je crois qu'elle eût été réformée: Ubi actus non est necessarius, nihil refert an malè, vel benè sit factus. Scaccia, de commercio, S7, gl. 5, n°. 109; et comme l'observe Duplessis (consult. 11, tom. 1, pag. 668) « il ne » faut point ajouter aux formes. Elles sont de rigueur. Il les faut observer dans > leur individu; mais il ne les faut pas étendre; autrement, ce ne serait plus » la forme légale, mais une autre, du pur fait de l'homme. »

CONFÉRENCE.

CCVI. D'abord, la loi a imposé au capitaine l'obligation de constater, sans aucun retard, les accidens qui lui surviennent dans le cours de la navigation, et d'en faire le rapport au moment du naufrage, au premier endroit où l'on aborde, et devant la première autorité.—(Voyez art. 242, 243, 244, 245, 246 et 247 du Code de commerce).

En second lieu, et dans quelque danger que ce soit, le capitaine qui est forcé d'abandonner son navire, est tenu de sauver, et, par conséquent, de recouvrer tout ce qu'il pourra des marchandises les plus précieuses de son chargement, sous peine d'en répondre en son propre nom. - ( Art. 241 du Code de commerce),

Les matelots et gens d'équipage sont également tenus de sauver et conserver les effets naufragės. La loi nouvelle a rendu leur condition telle, que le sort de leur loyer dépend de la conservation du navire et de sa cargaison. (Art. 258 et 259; voyez ce que nous avons dit à cet égard sur les devoirs du capitaine et des gens de l'équipage, dans notre Cours de droit maritime, tom. 2, tit. 4, sect. 20, pag. 108, et tit. 5, sect. 8, pag. 221).

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Quant à l'assuré, le Code de commerce lui fait maintenant la rigoureuse obligation de travailler au recouvrement des effets naufragés. Nous disons maintenant, parce que l'art. 45, des assurances, de l'Ordonnance, ne donnait à l'assuré qu'une simple faculté, l'assuré pourra travailler; au licu que l'art. 381 du Code de commerce porte l'assuré doit.

Ainsi, comme l'observe Valin sur l'art. 45 de l'Ordonnance, l'assuré doit, en rigueur, travailler au sauvement, si la chose est en son pouvoir, comme s'il est sur le navire, surtout s'il en est le capitaine, à peine de tous dépens, dommages et intérêts, parce que l'inaction, en pareil cas, serait frauduleuse, et pourrait être imputée à délit. — (Voyez Valin, loco citato).

Le recouvrement des effets naufragés se fait au compte de qui il appartient, sans besoin d'aucun mandat de la part des personnes intéressées. L'action negotiorum gestorum défère tous les pouvoirs que l'urgence du cas exige, et supplée à l'action du mandat. Ce qui se fait pour le recouvrement n'est censé fait qu'au nom des assureurs, jusqu'à la concurrence et à proportion des effets assurés.

L'assuré n'étant ici que le procureur-né de l'assureur, il en résulte que ce dernier doit lui rembourser ses frais et dépenses, conformément à l'art. 1999 du Code civil, et c'est ce que porte la seconde disposition de l'art. 381 du Code de commerce. « Sur son affirmation, dit-il, » les frais de recouvrement lui sont alloués jusqu'à concurrence de la valeur des effets recouvrés.» Il suit, en second lieu, qu'on ne saurait conclure de ce que l'assuré a travaillé à sauver les effets, qu'il a voulu renoncer au droit d'en faire le délaissement.

Les frais de sauvetage sont privilégiés sur les effets sauvés, et celui qui les a faits est cru sur sa simple affirmation: le cas de fraude est toujours excepté. Mais l'assureur n'est tenu de ces frais que jusqu'à concurrence de la valeur des effets sauvés; le surplus de ces frais est à la charge de celui qui les a ordonnés, à moins que l'assureur n'ait donné un pouvoir spécial et indéfini de travailler au sauvement, comme le portent certaines polices d'assurance. - (Voyez ci-après la sect. 11, à la conférence).

L'assuré ou le capitaine qui est parvenu à recouvrer en tout ou en partie la chose assurée, doit rendre compte des effets sauvés, aussitôt le sauvetage terminé. C'est ici un compte particulier qui n'a rien de commun avec le délaissement et le paiement de l'assurance. Chaque action a ses caractères et ses attributs distincts. L'assurance doit être payée au terme porté par la police, ou trois mois après la signification du délaissement. (Art. 382 du Code de commerce). En général, l'état des frais et dépenses du sauvetage est réglé par l'autorité publique, sous la surveillance de laquelle ce sauvetage a eu lieu.

Non seulement le capitaine, les gens de l'équipage et l'assuré doivent veiller au recouvrement des débris du navire et du chargement, en cas de sinistre majeur, mais les autorités locales doivent aussi y concourir, si les intéressés ne se présentent pas, et même elles doivent faire procéder au sauvetage, à défaut du capitaine et de l'assuré. ( Loi du 13 août 1791, articles 3 et suivans du tit. 1, et arrêté du 7 mai 1801 (17 floréal an 9 ); voyez Bulletin des tois, troisième série, no. 665 ).

Dans les pays étrangers, les consúls de la nation remplissent les fonctions des autorités publiques en France, et à défaut des consuls, c'est le juge territorial qui préside au sauvetage. Les produits du sauvetage sont déposés à la douane ou autre lieu de sûreté le plus prochain, avec l'inventaire des effets sauvés.

Lorsque l'administration s'occupe du sauvetage en pays étranger, à défaut des propriétaires, des assurés et des capitaines, qui doit, en ce cas, payer l'excédant des dépenses, et des besoins, de la nourriture des équipages? Le sauvetage intéressant l'ordre public, le réglement du 3 mai 1781, pour les consulats français, et dont parle Emérigon au texte, charge les consuls de veiller à cette opération. — (Voyez d'ailleurs, sur cette matière, notre Cours de droit commercial maritime, tom. 4, tit. 11, sect. 5; voyez aussi M. Estrangin sur Pothier, assurances, n°. 118).

Enfin, en cas d'arrêt de prince, l'assuré est tenu de faire toutes les diligences qui peuvent

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