Page images
PDF
EPUB

inopine, puisque le capitaine s'était volontairement exposé à cet accident, auquel il devait s'attendre, et qui était une suite de son propre délit. Dans ce cas, le navire n'est pas arrêté pour un tems après lequel il doive recouvrer la liberté; mais on le saisit pour en faire prononcer la confiscation, et en priver les propriétaires, complices ou responsables du fait du capitaine, Ce n'est donc pas ici ce qu'on appelle arrêt de prince, qui est force majeure et cas fortuit. En effet, Carlo Targa, qui traite de l'arrêt de prince dans le ch. 66, parle de la contrebande et de la fraude des droits dans le ch. 71.

Il est vrai que le mot arrêt est un terme générique, qui peut s'appliquer à tout ce qui est arrêté. Il est encore vrai que toute saisie faite par autorité publique est une espèce d'arrêt de prince, puisque le prince autorise la saisie de la personne ou de la chose arrêtée; et c'est dans ce sens que le Guidon de la mer, pag. 294, et M. Valin, tom. 2, sur l'art. 48, des assurances, donnent le nom d'arrêt de prince à la saisie pour cause de contrebande civile,

Mais, dans ce dernier cas, c'est un arrêt de prince impropre, et nullement cet arrêt de prince parle dont notre Ordonnance, titre des assurances, art. 26, où elle met aux risques des assureurs toutes pertes et dommages qui arri> vent sur mer par tempêtes, naufrages, échouemens, abordages, changement de route, de voyage et de vaisseau, feu, prise, pillage, arrêt de prince, déclaration de guerre, réprésailles, et généralement toutes autres fortunes de mer. On ne doit donc entendre ici par arrêt de prince que cette espèce d'arrêt qui arrive par force majeure, sans le fait du capitaine, et par simple fortune de mer.

La saisie d'un navire, occasionnée par le transport de marchandises de contrebande ou par le défaut d'acquittement des droits, est une fortune de terre, qui ne procède pas directement et uniquement d'une fortune de mer, qu'on n'ait pu ni prévoir, ni empêcher.

3o. L'arrêt de prince, dans le sens qu'on doit l'entendre, opérant un simple retard dans la navigation, ne donne pas lieu par lui-même à l'ouverture de l'assurance. Mais comme cette demeure pourrait être fatale aux assurés, il leur est permis de faire abandon à leurs assureurs, si l'arrêt de prince dure plus de six mois, et que, pendant ce tems, la main-levée n'en ait pu être obtenue. Tout cela n'a aucune relation aux saisies faites pour cause de contrebande; matière qui se régit par les principes établis par M. Valin, tom. 2, sur l'art. 49, titre des assurances, et par M. Pothier, Traité des assurances, n°. 56.

Seconde question. Si la contrebande a été faite par le capitaine, sans la coopé

ration ni le consentement des assurés, doit-on compter les quatre mois prescrits pour l'abandon du jour de la saisie du navire, ou seulement du jour de la confiscation prononcée?

Je répondis que ce ne devait être que du jour qu'on avait eu nouvelle de la confiscation prononcée. La saisie était le prélude et l'annonce de la perte. La confiscation a été la perte même. On a donc pu et dû intenter la demande contre les assureurs, dans les quatre mois après la nouvelle de cette porte arrivée en Angleterre.

Jusqu'au moment de la confiscation prononcée, les choses étaient en l'état.` On ne pouvait pas argumenter du cas de l'arrêt de prince, parce que ce n'en était pas un; il fallait donc attendre le complément de la perte dont on était menacé, pour pouvoir agir contre les assureurs d'où il suit que si les assurés ont laissé écouler quatre mois depuis la nouvelle de la confiscation dont il s'agit, ils sont non recevables en leur action. Telle fut ma réponse,

CONFÉRENCE.

CCXXVII. La doctrine d'Emérigon est en général fondée sur les véritables principes. En effet, l'arrestation d'un navire pour cause de contrebande n'est point un arrêt de prince, et on ne peut y appliquer les délais prescrits pour le délaissement en cas d'arrêt de prince. Ce n'est pas non plus une prise qui donne lieu au délaissement du moment où elle est faite. C'est tout simplement un cas particulier non prévu par la loi comme sinistre majeur, et qui ne saurait être rangé dans cette classe que comme perte entière ou presqu'entière. Cette perte n'est vraiment déterminée que par le jugement de confiscation. Alors, ce n'est donc que du jour de ce jugement que date le droit de faire le délaissement, et ce droit est acquis aussitôt que le jugement est rendu.

Mais il faut distinguer ici, relativement à la responsabilité des assureurs. Emérigon, ainsi qu'on vient de le voir, considère le sinistre comme naissant du jugement, et regarde, en conséquence, le risque comme un risque de terre dont l'assureur s'est chargé. C'est, selon nous, une erreur, et nous pensons, avec M. Estrangin, que le sinistre naît de la saisie même qui donne lieu au jugement. Si la saisie est faite en mer, les assureurs en sont responsables; si, au contraire, les marchandises de contrebande étaient saisies après qu'elles ont été débarquées, les assureurs n'en seraient pas tenus, quoiqu'un jugement en eût ordonné la confiscation.

Du reste, Emérigon ne parle que de la contrebande civile, car s'il s'agissait de la contrebande relative à l'état de guerre, qui fait considérer son auteur comme ennemi, l'arrêt est une véritable prise. (Voyez M. Estrangin sur Pothier, n°. 58 ).

SECTION VIII.

Prescription dans le cas de défaut de nouvelles.

Le délaissement à cause du défaut de nouvelles du navire, pendant un an pour les voyages ordinaires, et pendant deux ans pour un voyage de long cours, est-il sujet aux prescriptions dont on vient de parler?

[ocr errors]
[ocr errors]

L'art. 58, dit M. Valin, ibid., n'a point prévu la question; mais elle me paraît décidée par argument naturel et nécessaire de l'art. 48, qui fixe les › différens délais dans lesquels l'assuré doit former sa demande, sur peine de déchéance; le tout à compter du jour de la nouvelle de la perte. L'art. 58, › en permettant à l'assuré de faire son délaissement après un certain tems, , s'il n'y a eu aucune nouvelle du navire après le départ, suppose évidem>ment que ce laps de tems tient lieu de la nouvelle de la perte, ou pour mieux dire, vaut autant que l'entière certitude de la perte : donc qu'après ce l'assuré est tenu de se pourvoir contre ses assureurs, dans les mêmes » délais qu'il lui est enjoint de le faire, lorsqu'il y a nouvelle de la perte, et › cela sur la même peine de déchéance. »

[ocr errors]

⚫tems,

M. Pothier, no. 156, est du même avis. Ces deux auteurs introduisent donc, par argument, une prescription de courte durée, qui n'a pas été prononcée par la loi, et qui est contraire au droit commun. Il semble d'abord qu'une pareille extension n'est pas admissible, d'autant mieux qu'il s'agit ici d'une prescription qu'on a toujours regardée comme très-peu favorable. De exorbitanti ad exorbitans, non fit passiva interpretatio, dit Dumoulin, Coutume de Paris, § 13, gl. 3, v°. le fils aîné, n°. 48.

L'on sait que les nouvelles constitutions doivent toujours être entendues d'une manière étroite. Ce qu'elles ne décident point en termes exprès n'y est jamais compris pour raison de parité ni de majorité; il faut s'en tenir au droit ancien Nova constitutiones semper sunt accipienda restrictè, ut quod eis non est nominatim definitum, non definiatur argumento ex eis ducto à pari aut simili, sed secundùm jus vetus. C'est ainsi que parle Cujas sur le titre du Code de legitim. hæred. (in med.) Il atteste la même maxime sur le titre du Code ut action. et ab hæred. et contrà hæred. Toute loi nouvelle, dit-il, doit être reçue étroitement, c'est-à-dire dans ses propres termes : Semper est accipienda

strictè, id est, in propriis terminis. Ce qui y est omis est censé omis, et on ne saurait l'y comprendre par le secours d'aucune argumentation : Quod novæ constitutiones omittunt, pro omisso est habendum; nec potest suppleri nostris argumentationibus.

Mais, d'un autre côté, on peut dire que le défaut de nouvelles du navire étant considéré, après un certain tems, comme une attestation de la perte, l'art. 58 doit être regardé comme une dépendance nécessaire de l'art. 48, et par conséquent, les prescriptions dont il s'agit sont applicables au cas présent; car on peut argumenter et faire extension d'un cas à l'autre, aux lois » nouvelles qui dérogent au droit ancien, quand la raison est exprimée dans › le droit nouveau : » Hâc enim ratione in jure expressâ, arguere licet etiam in correctoriis. Dumoulin, conseil 11, no. 4. Duperier, liv. 4, no. 27, tom. 2, pag. 139 de la nouvelle édition.

[ocr errors]

D'après ces dernières considérations, j'adopte la doctrine de MM. Valin et Pothier. Si, dans le cas de défaut de nouvelles du navire, la prescription de courte durée n'était pas admise, l'Ordonnance ne serait pas relative à ellemême. En combinant donc l'art. 58 avec l'art. 48, l'action durera pendant deux ans pour les voyages ordinaires, et pendant quatre ans pour ceux de long cours. Ibiq. Valin.

CONFÉRENCE.

CCXXVIII. D'après les dispositions des art. 1373 et 1375, il ne peut plus y avoir de difficultés sur la question proposée par Emérigon. L'art. 1375 dispose qu'après l'expiration de l'an ou de deux ans, l'assuré a pour agir les délais établis par l'art. 1373, et cet art. 1373 porte que ces délais passés, les assurés ne seront plus recevables à faire le délaissement.

SECTION IX.

Le litige sur la légitimité de la prise suspend-il la prescription?

D

LE Guidon de la mer, ch. 7, art. 2 et 4, dit que « si l'assuré est certioré, » par bon avis, de la perte ou prise, sans espoir de recouvrance, il ne doit › consulter s'il fera son délais ou non, mais le doit signifier. Donc, s'il y a espoir de recouvrance, il semble qu'il doit consulter s'il fera son délais ou non, et que, pendant cette consultation sage, où il s'agit de se déterminer à perdre les profits de la navigation, la prescription doit être suspendue.

[ocr errors]

En matière de retrait, la prescription est suspendue pendant le litige élevé entre le vendeur et l'acheteur, au sujet de l'immeuble vendu. Dumoulin, Coutume de Paris, § 20, gl. 12, vo. et exhibé, no. 8. Ferrière, sur Guipape, quest. 257. Ferrière, Coutume de Paris, tom. 2, col. 658, n. 30. Et telle est notre jurisprudence. Duperier, nouvelle édition, tom. 2, pag. 373.

Cependant, en matière de délaissement pour cause de prise, notre jurispru dence fait courir la prescription, dès qu'on a eu nouvelle de ce sinistre, quoique la prise soit litigieuse, et qu'il y ait espoir de recouvrer le navire; car, d'après l'art. 46, titre des assurances, l'action d'abandon se trouvant ouverte dès le moment de la prise, on a cru que la prescription établie par l'art. 48 devait avoir son cours indéfiniment, afin que la position de l'assuré et celle de l'assureur fussent égales.

On connaît l'arrêt rapporté par M. Valin, sur l'art. 48, titre des assurances. En juin 1757, le vaisseau hollandais l'America fut pris à la hauteur des côtes d'Amsterdam et conduit en Angleterre. Les États-Généraux le réclamèrent. Le 6 juillet, cet accident fut mis en notice aux assureurs de Marseille, avec interpellation d'agir pour obtenir la restitution du navire pris contre les lois de la neutralité. Le 21 octobre, un jugement de l'amirauté d'Angleterre confisqua le vaisseau et les marchandises.

Le 16 décembre, les sieurs Anglés, d'Anthoine et Castagne, assurés, firent leur déclaration à la chambre du commerce; mais en même tems on poursuivait à Londres la réformation du jugement prononcé. Le 2 mars 1758, requête contre les assureurs, en contribution aux dépenses qu'on faisait en Angleterre pour obtenir main-levée du navire. Sentence rendue par notre amirauté, le 10 du même mois de mars, qui autorisa les assurés à poursuivre la réclamation, si bon leur semble, pour compte et aux frais et risques de qui il appartiendra.

Enfin, les démarches faites à Londres n'ayant eu aucun succès, les sieurs Anglés, d'Anthoine et Castagne, présentèrent requête le 12 avril suivant, contre leurs assureurs, en abandon et en paiement des sommes assurées. Les assureurs opposèrent la prescription de quatre mois. Sentence du 11 juillet d'après, qui déclara les assurés non recevables en leur requête, attendu la prescription de l'action. Arrêt du Parlement d'Aix, rendu le 28 juin 1759, au rapport de M. de Corriolis, qui confirma cette sentence.

Les sieurs Anglés, d'Anthoine et Castagne, se pourvurent au Conseil du roi. Ils exposaient, 1°. qu'on avait été fondé à croire que le vaisseau l'America avait été simplement arrêté, et non hostilement pris, puisqu'il n'y avait point

« PreviousContinue »