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dans ces circonstances, lui faire perdre une somme de 5,150 liv., pour une simple demeure de cinq jours. Nota. Il n'eut pas l'idée d'ajouter que la prescription de l'Ordonnance n'avait pu courir pendant le délai de trois mois stipulé dans la police. Cette question ne fut du tout point élevée en première instance.

Sentence du 31 janvier 1758, qui déclara l'assuré non recevable en son action. En cause d'appel, la question fut élevée. M. Pazery, avocat de l'appelant, n'oublia rien pour prouver que le tems de la prescription dont il s'agit ne courait et ne pouvait courir que depuis l'échéance du terme conventionnel; que, par conséquent, l'action avait été introduite dans le tems de droit. Tous ses efforts furent inutiles. Arrêt du 30 juin 1759, qui confirma la sentence. M. Pothier, n°. 156, parle de cet arrêt. Il en approuve la décision, sans toucher le point dont il s'agit.

Depuis lors, notre jurisprudence a toujours été la même. En juin 1778, les sieurs Samatan frères firent assurer 50,000 liv. sur les facultés du vaisseau les Quatre Frères, capitaine André Muller, danois, destinées pour Saint-Valery sur Somme. Ce navire fut pris par un corsaire anglais, et conduit dans la rivière de Londres. Le 11 septembre d'après, les sieurs Samatan eurent nouvelle de ce sinistre. Par exploit du même jour, ils le firent notifier à leurs assureurs, et leur firent abandon. Le 30 janvier 1779, ils présentèrent requête en paiement des sommes assurées. Les assureurs soutinrent que la prescription était acquise depuis le 11 du même mois. Les assurés répondirent que la prescription n'avait commencé à courir qu'après le délai de trois mois slipulé dans la police, et qu'ainsi, leur requête avait été présentée dans un tems utile.

Sentence du 2 mars 1780, qui déclara les sieurs Samatan non recevables en leur requête.

Je crois que cette jurisprudence n'est pas légale; car si, dans le cas d'arrêt de prince, la fin de non-recevoir né court contre les assurés que du jour qu'ils auront pu agir (art. 49, titre des assurances), il doit en être de même dans le cas présent, où les assurés ne peuvent agir qu'après l'échéance des trois mois déterminés par le pacte de la police. Cependant, par arrêt du 20 juillet 1782, au rapport de M. de Perier, le Parlement d'Aix confirma la sentence rendue contre les sieurs Samatan. M. Guieu écrivait pour les assureurs. M. Estrivier écrivait au contraire.

Je dois observer, à l'honneur de notre place, qu'en pareilles circonstances, il est peu d'assureurs qui osent opposer la prescription. Il est juste qu'ils pro

fitent du délai de trois mois stipulé dans leur contrat. Ils trouveraient trèsmauvais qu'on les actionnât avant le terme; mais ils auraient honte d'abuser de ce même délai conventionnel, pour se dispenser de payer les pertes qu'on est en droit de leur demander.

Vous apprenez que votre navire a fait naufrage sur les côtes du Languedoc. Vous vous présentez chez moi, tenant à la main votre police d'assurance. Je vous réponds Lisez votre contrat. Il m'accorde un délai de trois mois. Mon obligation n'est pas encore échue: Cessit dies, sed nondùm venit.

Le lendemain de l'échéance, vous paraissez de nouveau. Je vous dis : Je ne vous dois rien. Le même délai qui avait suspendu l'exercice de votre action l'a éteinte. Elle est prescrite. Je gagne cependant la prime, laquelle n'est soumise ni à répétition, ni à prescription! Il n'est pas possible que le législateur ait autorisé pareilles idées. La loi est sage: Ratio est anima legis; lex autem sine ratione, est sine animâ et corpus fœtidum.

CONFÉRENCE.

CCXXXI. Toutes les difficultés dont parle Emérigon et tous les doutes qu'elles ont fait naître, étaient assez naturels sous l'empire des lois anciennes, où chaque place maritime avait ses usages particuliers, et chaque Cour souveraine sa jurisprudence. Mais, comme nous l'avons déjà fait observer à la conférence précédente, l'émission du nouveau Code de commerce a dû être le moment de renoncer à ces usages, qui ne doivent plus exister, pour ne suivre qu'une législation uniforme.

L'art. 382 de la loi nouvelle porte : « Si l'époque du paiement n'est point fixée par le con» trat, l'assureur est tenu de payer l'assurance trois mois après la signification du délaisse

>> ment. >>

Ainsi, dès que le délaissement est fait, l'assureur devenant propriétaire des objets délaissés et débiteur du montant de l'assurance, doit effectuer ce paiement sur-le-champ, si la convention l'y oblige, ou dans le délai fixé par cette convention, si elle lui en accorde un. La convention est la loi des parties; les parties se sont soumises aux délais qu'elle prescrit, et ce paiement doit s'effectuer à l'époque fixée. A défaut de convention, la loi donne à l'assureur un délai de trois mois.

Pour éviter toute difficulté à cet égard, il y a une marche simple à suivre, ainsi que nous l'indique M. Estrangin; c'est, en signifiant le délaissement, d'interpeller l'assureur de l'accepter pour payer à l'échéance, et à défaut d'acceptation, de le citer au délai ordinaire, non pour se voir condamner au paiement, mais pour venir voir déclarer le délaissement valable, et, au moyen de ce, l'assureur être reconnu obligé au paiement de la perte dans le délai stipulé dans la police d'assurance.

Du reste, il faut bien faire attention que ces délais, soit le délai conventionnel, soit le délai de la loi, ne courraient pas du jour de la signification du délaissement, si cette signification ne

contenait pas la déclaration de toutes les assurances et de tous les emprunts, exigée par l'article 379 du Code de commerce. Faute de cette déclaration, le délai du paiement est suspendu jusqu'au jour où elle aura lieu, sans qu'il en résulte aucune prorogation du délai établi pour former l'action en délaissement.

SECTION XII.

Que doit-on entendre par les côtes du lieu où la perte est arrivée ?.

1o. J'AI dit ci-dessus, sect. 2, qu'on se dispute souvent pour savoir si le navire a été pris sur les côtes de France, ou sur celles d'Angleterre, sur les côtes de Provence, ou sur celles d'Italie. 2°. A quelle distance des côtes faut-il que le sinistre soit arrivé, pour placer le cas dans telle ou telle autre classe de prescription? 3°. Si l'accident arrive en pleine mer, quelle est la règle qu'on doit suivre ?

Voilà de grandes difficultés qui n'ont pas été prévues par l'Ordonnance; voilà un vaste champ pour exercer les esprits les plus subtils. Mais, comme l'observe M. de Montesquieu, liv. 29, ch. 16, « les lois ne doivent point être » subtiles; elles sont faites pour des gens de médiocre entendement; elles ne » sont point un art de logique, mais la raison simple d'un père de famille. » Par police du 5 mai 1744, les sieurs Audibert frères se firent assurer 3,000 liv. sur les facultés de la tartane Saint-Pierre, capitaine Pierre Brun, de sortie de Tunis jusqu'à Marseille, avec pacte qu'en cas de perte, la somme assurée serait payée trois mois après la déclaration qui en serait faite à la chambre du commerce. La police renfermait la clause banale, sur bonne ou mauvaise nouvelle, avec renonciation à la lieue et demie pour heure. Le 26 avril précédent, la tartane avait été prise près des tles d'Hières, par un vaisseau de guerre anglais, qui l'avait conduite à Gênes. Le 27 mai, la déclaration du sinistre fut faite à la chambre du commerce. Le 16 juillet d'après, le délaissement fut signifié aux assureurs, qui étaient le sieur Emeric et les sieurs Besson père et fils. Le 22 septembre même année, les assureurs furent actionnés en justice, Ils opposèrent que le délaissement n'avait pas été fait dans les six semaines. Les assurés répondaient qu'on n'était pas au cas de l'art. 48, soit parce qu'on devait considérer la perte comme arrivée sur les côtes de Gênes, où la tartane prise avait été conduite, soit parce que les six semaines ne devaient compter qu'après les trois mois du délai conventionnel.

Les premiers juges considérèrent le sinistre comme réellement arrivé aux côtes de Provence. Ils furent d'avis qu'il fallait distinguer l'abandon d'avec la demande; qu'à l'égard de la demande judiciaire, on avait peut-être pu différer de l'intenter jusqu'à l'échéance du délai conventionnel; mais que l'abandon aurait dû être fait dans les six semaines après la nouvelle. Sentence du 19 novembre 1748, rendue par notre amirauté, qui déclara les sieurs Audibert non recevables en leur action.

En cause d'appel, les sieurs Audibert disaient, 1°. que l'art. 48 déterminant un même délai pour l'abandon et pour la demande judiciaire, suppose que l'un et l'autre pourront être faits dans le même espace de tems; car, puisque la forme est individuelle de sa nature, s'il n'est pas possible de la remplir en entier dans un certain terme, peu importe qu'on ait commencé de la remplir plus tôt ou plus tard, pourvu qu'elle ait reçu son complément dans une époque utile. Il n'est pas dit que, le tems passé, les assurés ne seront plus recevables à faire le délaissement; mais l'article se borne à dire qu'ils ne seront plus recevables en leur demande. Or, si je suis reçu à former ma demande, je puis faire le délaissement, sans lequel ma demande ne serait pas écoutée. 2o. Ils soutenaient qu'en cette matière, on devait considérer, non les côtes du lieu où la prise est faite, mais celles du lieu où le navire a été conduit. Les assureurs persistaient à opposer la fin de non-recevoir, et subsidiairement ils offrirent de prouver qu'avant la signature de la police, les assurés savaient la prise de la tartane.

Arrêt du 1. mars 1751, rendu par le Parlement d'Aix, conçu en ces termes: La Cour a mis et met l'appellation, et ce dont est appel, au néant, › et par nouveau jugement, sans s'arrêter à la fin de non-recevoir proposée par » lesdits Besson et Emeric, avant dire droit à la requête desdits Audibert, du » 22 septembre 1744, sans préjudice du droit des parties et des preuves résultant des pièces du procès, a ordonné et ordonne que lesdits Besson et » ledit Emeric prouveront dans le mois, par toute sorte et manière de preuves, que lesdits Audibert connaissaient et savaient la prise de la tartane Saint» Pierre dont il s'agit, avant la signature de la police d'assurance, du 5 mai 1744, et partie au contraire, etc. »

Cet arrêt décida que les sieurs Audibert n'étaient pas au cas de l'art. 48. J'appris dans le tems que le motif qui porta le Parlement à rejeter la fin de non-recevoir, fut qu'en pareils cas, on doit considérer les côtes du lieu où le navire pris a été conduit. Cela est bon lorsqu'il s'agit de mettre à l'écart la prescription; mais si la tartane Saint-Pierre eût fait naufrage aux îles d'Hières,

aurait-il fallu intenter, dans les six semaines, une action qui ne devait naître. que trois mois après la nouvelle du sinistre? Oui, sans doute, suivant la jurisprudence actuelle. C'est ici une nouvelle preuve que la matière aurait besoin d'un réglement qui développât les vrais principes, et qui établît des règles générales, claires et de facile exécution.

CONFÉRENCE.

CCXXXII. La question que présente Emérigon et les difficultés qu'elle fait naître, disparaissent devant les dispositions de l'art. 373 du nouveau Code de commerce.

En effet, quand le délaissement doit-il être fait aux assureurs ? Dans les délais prescrits par l'art. 373, qui sont calculés de manière que les assurés aient le tems de vérifier le sinistre, d'apprendre l'étendue des pertes souffertes, afin de pouvoir se décider en connaissance de cause. Plus les lieux où la perte est arrivée sont éloignés, plus le délai accordé à l'assuré est long.

Mais à compter de quel jour courent ces délais ? Le délaissement doit être fait « dans le terme de six mois, à partir du jour de la réception de la nouvelle de la perte arrivée aux ports ou côtes de l'Europe, ou sur celles d'Asie et d'Afrique, dans la Méditerranée; ou bien, en cas de prise, de la réception de celle de la conduite du navire dans l'un des ports ou lieux situés aux côtes ci-dessus mentionnées.

» Dans le délai d'un an après la réception de la nouvelle ou de la perte arrivée, ou de la prise conduite aux colonies des Indes occidentales, aux îles Açores, Canaries, Madère et autres îles et côtes occidentales d'Afrique et orientales d'Amérique.

» Dans le délai de deux ans après la nouvelle des pertes arrivées ou des prises conduites dans toutes les autres parties du Monde. » — - (Art. 373).

Ces dispositions sont claires et précises; il n'y a plus lieu à aucunes ambiguïtés, à aucunes difficultés sur les endroits ni sur les distances. Les délais fixés par cet art. 373 s'appliquent généralement à tous les cas où le délaissement peut avoir lieu. Il ne peut y avoir de différence que sur le jour à partir duquel les délais doivent courir.

En cas de perte survenue par naufrage, échouement avec bris, prise, détérioration des trois quarts, le délai, aux termes de cet article, court du jour de la nouvelle. Dans le cas d'arrêt, le délai ne commence à courir qu'après le tems donné par l'art. 387 pour faire les démarches convenables, afin d'obtenir main-levée de l'arrêt. Dans le cas d'innavigabilité, il faut distinguer entre le délaissement du navire et celui des marchandises. Pour le navire, le délai court du jour de la nouvelle; pour les marchandises, du jour seulement où le tems donné par l'art. 394, pour les recharger, est expiré.

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