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SECTION XIII.

L'assureur qui excipe de la prescription de courte durée, doit-il prouver que l'accident est arrivé aux côtes d'un endroit dont la proximité donne ouverture à pareilles prescriptions?

L'ASSURÉ, pour être reçu à demander la perte, n'est obligé à rien de plus qu'à prouver le sinistre. Vous prétendez que la demande est prescrite, parce qu'elle n'a pas été intentée dans les six semaines, ou dans les trois mois, ou dans les quatre mois. C'est à vous à prouver votre exception: Reus excipiendo fit actor. Il faut que vous constatiez un commencement habile, depuis lequel on puisse compter le tems de la prescription (Dunod, ch. 4, pag. 19), sans quoi on présumera que la perte est arrivée aux côtes d'Italie, plutôt qu'à celles de Provence; à celles d'Espagne, plutôt qu'à celles du Roussillon; à celles d'Angleterre ou de Hollande, plutôt qu'à celles de France, etc. Les prescriptions de six semaines et de trois ou quatre mois, n'ont rien de favorable. Il faut, dans le doute, se rapprocher du droit commun, autant qu'il est possible.

Les sieurs Joseph et Georges Audibert avaient fait faire des assurances sur le navire la Minerve, capitaine Marché, de sortie de la Martinique jusqu'à Bordeaux. Ce navire fut pris par les Anglais et conduit en Angleterre, d'où le capitaine écrivit qu'il avait été pris dans les caps, à deux journées de Bordeaux. Le 18 octobre 1780, les sieurs Audibert firent leur déclaration à la chambre du commerce. Le 26 mars 1781, ils présentèrent requête contre leurs assureurs, en abandon et en paiement des sommes assurées. Ceux-ci opposèrent la prescription. Sentence du 4 septembre suivant, qui les condamna à payer la perte.

1o. La lettre du capitaine qui marquait que le navire avait été pris dans les caps, à deux journées de Bordeaux, signifiait que le navire avait été pris entre le cap Finistère et le cap Ouessant, c'est-à-dire sur la ligne qui forme le golfe de Gascogne.

2o. L'ignorance où l'on était de l'endroit précis du sinistre devait le faire placer vers les côtes de Galice, plutôt que vers celles de France. Par conséquent la durée de l'action était d'une année.

5°. Le lieu où le navire pris est conduit peut fixer l'esprit du juge pour

alonger la durée de l'action, mais non pas pour la restreindre. Il n'est permis d'argumenter que lorsqu'il s'agit de se rapprocher du droit commun.

CONFERENCE.

CCXXXIII. Une semblable question n'est plus guère dans le cas de se reproduire sous le nouveau Code, d'après les dispositions de l'art. 373. (Voyez la conférence précédente ). D’ailleurs, il n'y a pas de doute que l'assuré ne soit obligé à rien de plus qu'à prouver le sinistre.

SECTION XIV.

Le tems de la prescription court-il depuis la connaissance privée que l'assuré a eue du sinistre, ou seulement depuis que la nouvelle en est devenue publique?.

LE Guidon de la mer, ch. 7, art. 2, dit que si l'assuré est certioré, par » bon avis, de la perte ou naufrage, sans espoir de recouvrance, il ne doit > consulter s'il fera son délais ou non, mais le doit signifier, pour, deux mois » du jour de la signification, recouvrer les sommes assurées...

C'est ici un simple conseil donné à l'assuré, et qui n'a aucun trait à la prescription, dont il ne s'agit point dans ce ch. 7 du Guidon de la mer. Si, par bon avis, l'assuré est certioré de la perte, son intérêt l'engage à se hâter de faire le délaissement, afin de recouvrer le plus tôt possible ce qui lui est dû, et ce serait une vraie imprudence de sa part, de renoncer au bénéfice de la navigation, avant que d'être certain du sinistre.

Si, malgré l'avis certain qu'il en a reçu, il diffère volontairement de faire l'abandon, il alongera d'autant de l'échéance, et les assureurs ne seront tenus de payer l'assurance que trois mois après la signification à eux faite, suivant l'art. 44, titre des assurances.

Mais il n'est aucun texte qui décide que l'action de l'assuré sera prescrite, par cela seul qu'il aura plus ou moins différé de l'intenter, depuis qu'en son particulier il avait eu connaissance du sinistre. La bonne foi et la nature du contrat ne permettent pas de faire assurer la chose dont on savait la perte (art. 40, titre des assurances); mais il n'est dit nulle part que l'assuré qui savait la perte, soit obligé d'intenter son action dans un tems préfix.

Les délais dont il est parlé dans l'art. 48 ne courent que depuis la nouvelle

TOM. II.

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de la perte; c'est-à-dire, depuis que la nouvelle certaine du sinistre est devenue publique et notoire dans le lieu où l'assurance avait été faite, ou depuis que, par ses significations, l'assuré a publié lui-même la connaissance qu'il en avait en son particulier. Telle est la doctrine de M. Valin, sur l'art. 48, titre des assurances, et de M. Pothier, no. 156.

Les sieurs Testar et Guérin avaient fait assurer pour compte du sieur le Cresp, de Caen, 1,700 liv. sur les facultés du navire le Neptune, capitaine Syemons, danois, de sortie de Menton jusqu'au Havre-de-Grâce; et de là, à Caen par bateaux ou gabares. Ce navire fut pris par un corsaire anglais, à sept lieues au sud du cap Lézard, ét conduit à Falmouth. Le 19 juillet 1779, les sieurs Testar et Guérin reçurent une lettre de la femme du sicur le Cresp : Vous comprendrez dans le compte, leur disait-elle, le retour du navire le Neptune. Ils exhibèrent cette lettre à l'assureur, qui observa qu'on ne pouvait rien en con clure de précis sur le sort du navire. Le 18 septembre suivant, ayant reçu une attestation judiciaire de la prise du Neptune, les sieurs Testar et Guérin firent leur déclaration à la chambre du commerce. Le 4 janvier 1780, ils présentérent requête contre l'assureur en paiement de l'assurance.

Celui-ci opposa la prescription de quatre mois, et soutint que le délai devait être compté, non du jour de la déclaration à la chambre du commerce, mais du jour que les assurés avaient eu connaissance de la prise.

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Sentence rendue par notre amirauté, le 14 août 1781, qui condamna l'assureur à payer la somme assurée, en jurant néanmoins, par Testar et Guérin, » qu'ils n'ont eu connaissance de la prise qu'à l'époque de la déclaration par eux faite à la chambre du commerce. ▸

En exécution de cette sentence, ils offrirent de jurer qu'ils n'avaient eu connaissance positive de la perte qu'à l'époque indiquée. L'assureur soutint que le serment devait être prêté en la forme prescrite par la sentence.

On vint me consulter. Je répondis, 1°. que l'Ordonnance ne fait courir le tems de la prescription que depuis la nouvelle du sinistre, et nullement depuis la connaissance particulière et secrète que l'assuré pouvait en avoir eue; que la prise du Neptune, parti de Menton, n'ayant été rendue publique à Marseille que le 18 septembre 1779, les quatre mois n'avaient couru que depuis cette dernière époque; que par conséquent la sentence était irrégulière; car il n'est pas au pouvoir du juge d'imaginer des prescriptions de courte durée, non établies par la loi; 2°. que du moins le serment de n'avoir eu aucune connaissance positive devait être admis; et que si le serment, ainsi modifié par pure délicatesse, était rejeté, on devait appeler de la sentence déjà rendue,

aussi bien que de celle qui serait prononcée. Cette affaire n'eut point de suite, et l'assureur paya la perte.

CONFÉRENCE.

CCXXXIV. Il faut effectivement dire avec Pothier, Valin et Emérigon, que la loi ne fait courir le tems de la prescription que depuis la nouvelle publique du sinistre, et nullement depuis la connaissance particulière et secrète que l'assuré peut en avoir. L'assuré peut toujours dire qu'il lui restait quelque doute sur l'événement, à moins que, d'après cette connaissance, il ne dût regarder le sinistre comme bien positif; par exemple, s'il avait fait lui-même des actes qui annonçassent qu'il l'a considéré comme certain, ou s'il avait reçu la nouvelle par des avis directs du capitaine, ou par des pièces authentiques.

SECTION XV.

Prescription au sujet des avaries.

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ON a vu ci-dessus, sect. 1, que le Guidon de la mer ne soumettait à la scription de courte durée que l'action d'avarie, et non celle de délaissement. L'art. 48, titre des assurances, ne soumet au contraire à la prescription de courte durée que l'action du délaissement, et non celle d'avarie.

1o. Il est de règle et d'usage que le réglement des avaries se fait dans le lieu du déchargement. Art. 6, titre du jet. Casaregis, disc. 46, n°. 64. Roccus, n°. 96. Kuricke, Jus hans., tit. 8, art. 1, pag. 773. Suprà, ch. 12, sect. 43. Le réglement général ainsi dressé, à la diligence du maître, vis-à-vis des consignataires, par le juge du lieu du déchargement ou désarmement, l'extrait en est envoyé dans les diverses places où les assurances ont été faites, et où les assurés font procéder vis-à-vis de leurs assureurs respectifs, au réglement particulier des mêmes avaries, pour déterminer la portion qui concerne chaque partie intéressée. D'après cette forme, on sent d'abord combien les prescriptions de l'art. 48 sont peu applicables au fait des avaries. L'assuré ignore si l'avarie dont il a eu notice excédera ou non un pour cent. Il ignore à quoi elle se montera. Il a bien pu faire signifier l'accident à ses assureurs; mais l'article 42, titre des assurances, ne prononce ni peine ni déchéance.

2o. Au titre des prescriptions, il est dit en l'art. 5, que le marchand ne sera > recevable à former aucune demande contre le maître ni contre ses assureurs, ⚫ pour dommage arrivé à sa marchandise, après l'avoir reçue sans protesta

» tion. Et l'article d'après ajoute que les protestations n'auront aucun ef

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» fet si, dans le mois, elles ne sont suivies d'une demande en justice . Mais tout cela est étranger à la question présente.

3°. Nos polices ne renferment aucun terme de paiement pour les avaries, et les trois mois déterminés par l'art. 44, titre des assurances, ne concernent que le cas de délaissement.

4°. Le mot perte qu'on trouve dans l'art. 48, détermine la disposition de la loi au cas du délaissement, dont la demande doit être faite en exécution de la police, dans les délais spécifiés par cet article; car, dans le langage de l'Ordonnance, la perte est autre chose que l'avarie, et signifie un accident qui, par lui-même, donne ouverture à l'abandon. La perte est déterminée par un événement absolu, tel que la prise, le naufrage, le bris, et défère à l'assuré la faculté de demander l'entier paiement de l'assurance; au lieu que l'avarie a besoin d'être réglée, avant qu'on sache à quoi les assureurs seront

tenus.

Mais après que l'avarie est réglée, et que le réglement est connu des assurés, ceux-ci doivent-ils se pourvoir contre leurs assureurs, dans le tems déterminé par l'art. 48?

En 1745, les armateurs du corsaire l'Aventurier, de la Rochelle, firent assurer à Marseille, par le ministère des sieurs Jean-Baptiste Besson et fils, 58,600 liv. sur le corps de ce navire. Diverses avaries furent occasionnées par tempête. Les armateurs en donnèrent avis à Besson et fils, leurs correspondans, par une lettre du 25 mai même année. Le réglement d'avarie ne fut achevé à la Rochelle que dans le mois de mars 1749. Le 4 octobre suivant, les assurés se pourvurent contre les assureurs, en paiement de l'avarie. Ceuxci opposèrent la prescription.

Sentence du 21 février 1752, rendue par notre amirauté, qui déclara les assurés non recevables en leur demande, parce qu'ils avaient laissé écouler plus de trois mois depuis que l'avarie avait été réglée à la Rochelle. Arrêt du Parlement d'Aix, en juin 1753, qui confirma cette sentence.

On peut observer ici que les tribunaux n'ont pas l'autorité d'étendre d'un cas à l'autre les prescriptions de courte durée. Il suffit qu'on ne se trouve pas dans la disposition précise qui les a établies, pour qu'on retombe dans le droit commun. Le Guidon de la mer et les Réglemens d'Anvers et d'Amsterdam n'ont pas force de loi parmi nous. Les prescriptions de la nature de celle-ci n'ont pas été reçues dans notre province avec assez de faveur, pour qu'elles soient susceptibles d'une extension arbitraire.

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