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CONFÉRENCE.

CCXLI. Il n'y a plus de doute aujourd'hui que les polices d'assurances n'ont point exécution parée, ni, par conséquent, que les assureurs ne doivent pas payer le montant de l'assurancé pour avoir le droit d'être écoutés en justice, et d'y proposer des exceptions. La manière de procéder et de prononcer sur les réclamations relatives au paiement des sommes assurées, est établie par les art. 382, 383 et 384 du Code de commerce. Les exceptions de l'assureur, n'importe de quelle nature elles soient, ne l'empêchent pas d'être condamné au paiement provisoire de la somme assurée, à la charge par l'assuré de donner caution.

D'ailleurs, il faut dire avec Emérigon que le provisoire doit être prononcé en matière d'ava ries, qui sont à la charge des assureurs, puisque ce qu'ils doivent à ce sujet fait incontestablement partie des sommes assurées. Mais le provisoire ne peut avoir lieu, ni en matière de prime, ni en matière de ristourne, parce que la loi nouvelle, qui est de droit étroit, ne parle pas plus de ces cas que l'Ordonnance. Il en est de même pour les dépens, parce que les articles ci-dessus cités sont taxatifs aux sommes assurées. Le provisoire n'est accordé que pour le capital, sous l'empire du Code comme sous l'empire de l'Ordonnance.

SECTION V.

Règles générales au sujet des jugemens.

LE Consulat de la mer, ch. 40, dit que dans les affaires maritimes, les juges doivent prononcer leurs sentences en conformité des coutumes et statuts de la mer : Le sentenzie si damno, secundò li costumi e statuti del mare. Dans le jugement des procès entre assurés et assureurs, il-faut s'en tenir aux usages établis dans le commerce: Illa quæ inter mercatores usu, et consuetudine invaluerunt circa assecurationum negotia, eatenùs attendenda sunt, ut præcisè secundùm ea judicari debeat. Marquardus, lib. 2, cap. 13, no. 16.

Si les juges ont des doutes à ce sujet, ils peuvent s'en éclaircir, soit en s'adressant à la chambre du commerce, soit en consultant les négocians les plus éclairés, et les gens de l'art : Consuetudo mercatorum inspicienda est in assecurationibus maris; et quandò stylus et observantia est notoria inter mercatores, non indiget aliquâ probatione justa. Imò, de prædictâ consuetudine judices possunt se informare in camerâ........ et in nauticis negotiis ad peritos, et valentes nautas confugere debemus, ex regulâ generali: peritis in arte standum esse. Roccus, not. 68.

L'usage en pareille matière a force de loi. Rote de Gênes, déc. 7, n°. 11;

§ 1. Usages

Comment constater l'usage des places de commerce ?

déc. 84, n°. 3; déc. 181, no. 6. Straccha, de navigat., n°. 24, et de assecur., gl. 38, no. 4. Roccus, de navib., not. 48. Targa, cap. 101. Casaregis, disc. 191, n°. 42, disc, 212, n°. 25. Gibalinus, lib. 4, cap. 11, art. 2, n°. 2. Cette règle est conforme au droit commun. Lois 32, 33, 34 et 35, ff de legib. Loi 1, Cod. quæ sit longa consuetudo. Dumoulin, Coutume de Paris, tit. 1, art. 45, gl. 1, no. 11, pag. 547. Dunod, part. 1, ch. 13, pag. 103.

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« Personne n'ignore que l'usage ne soit le plus sûr guide que nous puis>sions suivre. C'est une douce habitude, une loi naturelle, formée de nos » mœurs, et par un consentement universel des peuples. Journal du Palais, tom. 2, pag. 663. L'usage est le meilleur interprète des lois : Optima est legum interpres, consuetudo. Loi 37, ff de legib. C'est par la pratique que l'on digère les lois, et qu'on en discerne le véritable sens : Leges in scholis deglutiuntur, sed in palatio digeruntur. Dumoulin, d. loco. La théorie sans la pratique ne sert quelquefois qu'à égarer l'esprit. La réunion de l'une et de l'autre forme le véritable jurisconsulte: Hoc munus est et opus veri jurisconsulti. Dumoulin, Traité de eo quod interest, n°. 38.

Mais, quelques égards qu'on doive à la coutume, son pouvoir ne s'étend point jusqu'à vaincre la raison et la loi : Non usque adeò sui valitura momento, ut rationem vincat aut legem. Loi 2, Cod. quæ sit longa consuet. Je parle ici de la loi véritable et proprement dite, qui prend sa source dans la sagesse éternelle, qui est aussi immuable qu'elle, et qui existait avant que d'avoir été gravée sur la pierre, ou tracée sur la toile. Cicéron, de legib., lib. 2, cap. 4.

Il n'en est pas de même des lois arbitraires et de police. L'usage contraire les abroge: Per desuetudinem abrogantur. Loi 32, ff de legib. Elles vieillissent par le tems; elles s'évanouissent avec le motif qui les avait fait naître : Tempore senescunt, et evanescunt. Cujas, sur la loi première, ff de justitiâ et jure. Journal du Palais, tom. 1, pag. 663. Basset, tom. 1, pag. 313. Dunod, pag. 102. M. d'Aguesseau, tom. 9, pag. 446.

Lorsqu'il s'agit de vérifier l'usage des négocians, on a tel égard que de raison aux parères et certificats qui sont communiqués. Casaregis, disc. 142, n°. 40; disc. 173, no. 12; disc. 211, no. 1. Journal du Palais, tom. 1, pag. 260. Savary, parère 16, pag. 144. On fait beaucoup plus d'attention aux actes de notoriété expédiés par les chambres de commerce. Gibalinus, tit. de assecur., part. 3, no. 1. Santerna, part. 3, no. 6. Un arrêt rendu le 30 juin 1750, par le Parlement d'Aix, au rapport de M. de Beauval, réforma une sentence de notre amirauté, qui ne s'était pas conformée au certificat que la chambre du

commerce avait donné, en interprétation du tarif concernant le nolis des Échelles du Levant.

Les Parlemens ordonnent même quelquefois que les partics se retireront pardevers la chambre du commerce, ou pardevers tels et tels négocians, pour avoir leur avis sur des questions de fait qui sont en usage dans le commerce, et: dont les juges ne savent pas la pratique. Savary, en l'endroit cité. Bornier, sur l'édit du commerce, tit. 5, art. 4, 18 et 33. Le Praticien des juge et consuls, pag. 356. On trouve dans Bezieux, pag. 572, un arrêt du Parlement d'Aix', du 1er avril 1694, qui ordonna à ce sujet une enquête.

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Mais lorsqu'il s'agit d'un véritable point de droit, les juges ne renvoient jamais les parties pardevers des négocians, parce que ceux-ci n'entendent › point les lois. Savary, parère 16, pag. 144. Des négocians avaient attesté l'assurance d'entrée et de sortie formait deux voyages. Casaregis, disc. 67. que n°. 34, s'éleva contre une pareille assertion, et soutint qu'on ne devait y avoir aucun égard, quia eorum opinio vel stylus minimè curandus est in iis, quæ secum trahunt juris articulos, ab eorum quippè grossitie non attigendos; et ridicu lum sanè esset, ubi habemus doctrinas, et materias in jure benè digestas, eorum judicium investigare. Cet auteur répète la même chose, disc. 28, no. 8; disc. 56, no. 2, et disc. 173, no. 20.

Le Statut de Provence, rapporté par Mourgues, pag. 21, dit que lorsqu'il s'agit des différends de marchandises, il n'est pas besoin de disputer des subtilités du droit. Charles IX, par son édit de 1563, enjoint aux juges de décider sommairement tous procès et différends entre marchands, sans s'attendre aux subtilités des lois et ordonnances.

La bonne foi doit présider aux opérations du commerce, et l'équité, à la décision des procès des négocians. Straccha, en son Traité, quomodò in causâ mercatorum procedendum sit, part. 1, n°. 1. Casaregis, disc. 1, no. 5; disc. 10, n°. 31; disc. 32, no. 8; disc. 76, no. 12; disc. 114, n°. 5. Santerna, part. 3, n°. 2 et 28. Stypmannus, part. 4, cap. 9, n° 18, pag. 498. L'équité est la véritable justice, la vraie philosophie, la sage application des lois aux cas particuliers; en un mot, c'est cette droiture de jugement que la raison naturelle, éclairée et dirigée par l'esprit des lois, inspire aux juges préposés pour rendre à chacun ce qui lui appartient.

Mais, sous prétexte d'équité, les juges des marchands ne doivent jamais. s'écarter des lois et des ordonnances. Il leur est seulement enjoint de ne pas s'arrêter aux subtilités du droit, ni à ce qu'on appelle summum jus, summa injuria. Godefroi, ad leg. 8, Cod. de judiciis. Si la loi est claire et précise,

T. II.

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$ 2. Équité.

il ne leur est pas permis de la violer, quelque dure qu'elle leur paraisse : Hoc quidem perquàm durum est, sed ità lex scripta est. Loi 12, ff qui et à quib. manum, La conscience de la loi vaut mieux que celle de l'homme : Conscientia legis vincit conscientiam hominis. Straccha, dicto tract., pag. 541, n°. 6. On doit suivre l'équité de la loi, et non celle de sa propre tête : Homo debet sequi æquitatem legis, non proprii capitis. Dumoulin, Coutume de Paris, tit. 1, § 51, gl. 2, no. 86, 87. Les juges des marchands rendent des sentences iniques, lorsqu'ils s'imaginent être les maîtres de l'équité : Qui se æquitatis magistros esse credunt. Straccha, pag. 541, no. 1. Ils doivent avoir devant les yeux ce que disait M. Pussort, lors de la rédaction de l'ordonnance de 1667. Procèsverbal, tom. 1, pag. 497. Il n'y a personne qui ne sache que le juge ne fait pas droit, mais seulement qu'il le déclare. Il en est le dispensateur, et non > le maître. La puissance et la souveraineté sont en la loi, et non pas en lui. › Et si le juge pouvait impunément contrevenir à la loi, il serait, par une conséquence infaillible, maître des biens, de l'honneur et de la vie des sujets du roi, puisque, sans crainte d'aucune peine, il pourrait les donner › à qui bon lui semblerait, malgré la disposition de la loi.

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⚫ Compagne inséparable de la loi, l'équité ne peut jamais être contraire à » la loi même. Tout ce qui blesse cette équité, véritable source de toutes les › lois, ne résiste pas moins à la justice. Le législateur l'aurait condamné, s'il » l'avait pu prévoir; et si le magistrat, qui est la loi vivante, peut suppléer › alors au silence de la loi morte, ce n'est pas pour combattre la règle, c'est > au contraire pour l'accomplir plus parfaitement. » M. d'Aguesseaŭ, tom. 1, pag. 127.

L'injustice d'une sentence arbitraire est un attentat contre la loi, plus fort que tous les faits des particuliers qui la violent; c'est corrompre les propres sources de la justice; c'est le crime des faux-monnayeurs, qui attaque le prince et le peuple.

Omnia sunt incerta, cùm à jure discessum est. Nec præstari quidquam potest, quale futurum sit, quod positum est in alterius voluntate, ne dicam libidine. Cicéron, ad familiares, lib. 9, epist. 16. Vide suprà, ch. 12, sect. 24.

CONFÉRENCE.

CCXLII. Emérigon trace ici avec sagesse des règles de droit, de justice et d'équité, qui doivent être profondément méditées par ceux qui sont appelés à prononcer sur les grands intérêts du commerce et de la navigation. Ce sont les réflexions profondes d'un homme de bien, d'un savant jurisconsulte et d'un magistrat intègre.

SECTION VI.

Observations sur la forme de prononcer les sentences.

EN Angleterre, les juges n'oublient rien pour convaincre les parties et le public de la sagesse de leurs jugemens. Suprà, ch. 13, sect. 16. Chez les Romains, les sentences désignaient les motifs qui les avaient dictées. Sigonius, de judiciis, lib. 1, cap. 29; lib, 2, cap. 22. Terrasson, pag. 101. En Italie, les juges développent toutes les raisons du fait et du droit qui ont déterminé leurs sentences.

Pourquoi la même pratique ne s'observe-t-elle pas dans nos tribunaux subalternes, et sur-tout dans nos amirautés, dont les décisions sont si souvent énigmatiques pour ceux qui ne sont point initiés dans les affaires maritimes?

Je crois apercevoir la raison de notre usage dans la barbarie du tems passé. Un juge était obligé de défendre en champ clos la justice de la sentence. Dans la suite, on se borna à faire ajourner les juges, pour venir soutenir leur jugé à leurs périls et fortunes (Pasquier, liv. 2, ch. 6), et on les condamnait à l'amende toutes les fois que leurs sentences étaient réformées. Ordonnance de Charles V, régent du royaume, en mars 1350, art. 53. Ordonnance de François 1er., faite en 1535, pour la Provence, ch. 1, art. 31, et ch. 12, art. 10. Ordonnance du Roussillon, en 1563, art. 27.

Des juges ainsi exposés à se voir flétris par des amendes aussi ruineuses qu'humiliantes, étaient dans une crainte servile, et de peur de fournir des armes contre eux-mêmes, ils se gardaient bien d'insérer dans les sentences le motif de leur décision: Fatuus est judex qui causam in sententiâ expresserit, ut potè quia eam exprimendo, viam aperiat suæ impugnanda sententiæ. Xammar, de officio judicis, part. 1, quest. 15, no. 1.

On ne comprend pas comment en ce tems-là on trouvait des hommes jugeurs! Car quel est le juge qui puisse se flatter de ne point se tromper, ou que sa sentence ne sera pas réformée?

Cette pratique tomba peu à peu en désuétude. Mais les juges subalternes n'en ont pas moins persisté dans l'usage ancien de ne point insérer dans leurs sentences le motif de la décision, et l'on peut avancer que cette réticence est un grand mal pour la justice. 1°. Un juge, obligé d'expliquer les motifs de son jugement, y apporterait la plus grande attention. Il étudierait les lois, et

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