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rieur. Si je stipule le change maritime en considération de l'argent que je prête, je me rend coupable d'usure; mais si le change est stipulé en considération du péril auquel j'expose mon capital, je suis en sûreté de conscience. Voici comme parle Fagnan sur ce chapitre, n°. 21 et 24:

Ego ad conciliandas opiniones puto sic distinguendum: Aut quæritur an ejusmodi contractus censeatur usurarius in foro externo, et quantùm ad judicium ecclesiæ; aut quæritur an sit usurarius in foro animæ, et quoad Deum. In primo casu, existimo contractum judicari usurarium, et ità procedere opinionem canonistarum, quia, cùm creditor recipit in se periculum rei mutuata, et aliquid accipit ultra sortem, ecclesia judicat principale objectum illius esse lucrum ex mutuo, ità ut non sit audiendus si dicat se non recipere ratione mutui, sed solùm ratione periculi, quia cùm hoc consistat in intentione, non pertinet ad judicium ecclesiæ, quæ non judicat de occultis........

In secundo autem casu, id est in foro animæ, vera videtur theologorum distinctio. Nam si mutuans recipiat aliquid ultra sortem ratione mutui, seu eâ intentione ut lucretur ex mutuo, quamvis periculum in se suscipiat, absque dubio est usura, quæ solâ voluntate committitur; sed si verè non intendat lucrari ex mutuo, sed tantummodò accipere per mercedem, seu pretium periculi, in foro interiori, et quantum ad Deum non est usurarius. Itaque tota hæc res ab intentione distinguitur et specificatur.

In dubio autem, cùm non distinguit an lucrum recipiat ratione mutui, vel ratione periculi, censetur recipere ratione mutui, et ideò usura est; et sic arbitror posse conciliari dissidentes opiniones. Quod nota.

Troisième interprétation. Le contrat à la grosse est un composé de trois contrats différens: 1°. du contrat de société, au sujet des profits résultant de la navigation; 2°. du contrat de vente de la portion incertaine de ces mêmes profits, moyennant une portion déterminée; 3°. du contrat d'assurance, par lequel le donneur prend sur soi le risque, tant du capital que de la portion fixe qui lui est indiquée sur les profits. (Par ce détour multiplié, on vient à bout de légitimer le contrat à la grosse et d'éluder la décision pontificale ). De Luca, de credito, disc. 111, no. 9; de usur., disc. 3. Casaregis, disc. 14 et 62. Targa, cap. 32.

Quatrième interprétation. Quelques docteurs tranchent le noud, en ajoutant une négative au texte de la décrétale. Ils prétendent qu'il faut lire usurarius NON est censendus. En effet, la suite du texte paraît exiger cette particule négative Ille QUOQUE qui dat decem solidos, ut alio tempore totidem sibi grani, vini, vel olei mensura reddantur, quæ licèt tunc plùs valeant, utrùm plùs vel

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minus solutionis tempore fuerint valituræ, verisimiliter dubitatur: non debet ex hoc usurarius reputari. Ratione hujus dubii ETIAM excusatur, qui pannos, granum, vinum, oleum, vel alias merces vendit, ut ampliùs quàm tunc valeant, in certo termino recipiat pro eisdem, si tamen ea tempore contractûs non fuerat venditurus. Or, s'il n'y a également point d'usure dans le cas où je vous compte aujourd'hui dix écus, à condition que l'an prochain vous me livrerez du vin, de l'huile ou du froment, pour la valeur de dix écus au cours de la place; s'il n'y a également point d'usure dans le cas où je vous vends aujourd'hui telle quantité de drap, de grains, d'huile ou autres marchandises, moyennant le prix que pareils articles vaudront dans six mois; si, dans tous ces cas, l'incertitude de l'événement rend licite le contrat de vente, il faut en dire de même du contrat à la grosse. Ces mots du texte, ille quoque qui dat decem solidos....... non debet ex hoc usurarius reputari, supposent que le donneur à la grosse, dont il est parlé dans l'oraison qui précède, ne doit également point être réputé usurier. Puto igitur negationem omissam esse inserendam. Stypmannus, part. 4, cap. 2, n°. 181, pag. 399. Fachin, lib. 2, cap. 47. Cabassut, lib. 6, cap. 8. Gibalinus, de usur., lib. 2, cap. 4, art. 3, no. 25.

Cette opinion est vivement combattue par le cardinal de Luca, de usuris, disc. 3, n°. 7, 8 et 9. Il la traite d'erreur et d'indocte témérité, de errore, et indocta temeritate.

Molina, de just. et jur., disput. 318, tom. 2, pag. 283, après avoir réduit à trois conclusions principales les divers sentimens des docteurs sur le chapitre naviganti, finit par dire qu'on peut opter pour celle qu'on voudra : Ex his tribus expositionibus, elige quam malueris.

En usant d'une entière liberté, je crois qu'on doit mettre à l'écart le chapitre naviganti, et toutes les interprétations qui l'accompagnent. Les décrétales insérées dans le corps du droit canonique n'ayant point été publiées en France, ni acceptées par nos souverains, elles n'ont pas par elles-mêmes force de loi. On peut les citer comme des décisions qui émanent d'une autorité infiniment respectable, mais elles ne peuvent prévaloir sur le droit civil. Édit du mois de mars 1769, concernant l'administration de la justice dans l'État d'Avignon et le comté Vénaissin, tit. 3, art. 1. Héricourt, Lois ecclésiastiques, tom. 1, pag. 13 et 107.

Le contrat à la grosse est adopté dans toutes les places maritimes. Il n'est ni une vente, ni une société, ni un prêt proprement dit, ni une assurance, ni un composé monstrueux de divers contrats, undiquè collatis membris; mais c'est ici un contrat nommé. Il a un caractère et des attributs à lui propres. Il

a été introduit dans le commerce pour l'avantage de la société. Il est tel qu'on l'a défini ci-dessus. Il est différent de tous les autres contrats. Il en forme une espèce particulière. Pothier, n°. 6, titre des assurances.

La légitimité de ce contrat n'est plus

La légitimité de ce contrat est reconnue par tous nos jurisconsultes. Kuricke, quest. 24. Loccenius, lib. 2, cap. 6, no. 3, pag. 988. Roccus, n°. 50. Ca- équivoque. saregis, disc. 14, no. 1. Targa, cap. 32. Daix, sur le Statut de Marseille, pag. 377. Covarruvias, variar. resolut., lib. 3, cap. 2, no. 5. Stypmannus, part. 4, cup. 2,

no. 108, pag. 385. Valin, tom. 2

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Fagnan (loco citato), qui soutient que le contrat à la grosse est présumé usu

raire dans le for externe, est forcé d'avouer (n°. 12) que l'opinion contraire est embrassée par la plupart des théologiens: Contrariam opinionem, videlicet nauticum fænus nullo jure improbari, amplectuntur communiter theologi; quia quod in hac specie altra sortem accipitur, non datur ratione mutui, nec propter nudum interesse interusurii temporis, sed propter justissimam causam, id est propter periculum quod in se suscipit creditor, contra naturam mutui. Il cite Saint-Thomas, Saint-Antonin, et une foule d'autres.

D'après tous ces graves docteurs, le contrat de grosse a été autorisé par l'Ordonnance de la marine, et il ne présente en soi rien qui blesse la justice, pourvu qu'il n'y ait aucune fraude; car, comme l'observe Pothier, n°. 2, titre des assurances, «l'usure qui est défendue par les lois civiles et ecclésiastiques, consiste à exiger quelque chose au-delà de la somme prêtée, pour » la récompense du prêt, vi mutui; mais dans ce contrat, le profit maritime

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qui est stipulé outre la somme prêtée, n'est pas la récompense du prêt, » mais le prix des risques, dont le prêteur s'est chargé à la décharge de l'em• prunteur !»

En considérant l'essence du contrat à la grosse, on trouve qu'il est beaucoup plus réel que personnel. La navigation forme son objet unique. Le change maritime, qui est le prix du péril, est considéré en quelque manière comme une portion des profits du voyage. Si le navire périt, le donneur n'a rien à demander, et si rien n'a été exposé aux flots de la mer, le contrat n'a jamais été à la grosse.

M. Pothier, no. 3, dit que ce contrat est unilateral; car le prêteur ne con› tracte aucune obligation envers l'emprunteur par ce contrat ; il n'y a que l'emprunteur qui contracte l'obligation de rendre la somme prêtée, avec le profit maritime, sous la condition qu'il n'arrive pas quelque accident de › force majeure qui causât la perte des effets sur lesquels le prêt a été fait. › Ce contrat est intéressé de part et d'autre, et il diffère en cela du prêt or

$ 4.

Le contrat à la grosse est plus réel que personnel.

Est-il synallagmatique ?

Il est intéressé de

part et d'autre.

Aléatoire.

Conditionnel.

D

D

dinaire, qui est un contrat de bienfaisance qui ne concerne que l'intérêt du ⚫ seul emprunteur, et ne renferme, de la part du prêteur, qu'un pur service qu'il rend à l'emprunteur, en lui accordant l'usage gratuit de la somme » qu'il lui prête; au lieu que le contrat à la grosse se fait pour l'intérêt du prêteur, aussi bien que pour celui de l'emprunteur. Le prêteur ne se pro› pose pas, par ce contrat, de rendre service à l'emprunteur; mais il se proD pose de recueillir le profit maritime qu'il y stipule, s'il n'en est empêché > par quelque accident. Pothier, n°. 4.

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Le contrat de grosse est du nombre des contrats aléatoires. Le risque de › la perte des effets sur lesquels le prêt a été fait, dont le prêteur se charge › par ce contrat, y est évalué à un prix qui est le profit maritime, que l'em» prunteur s'oblige de lui payer en cas d'heureuse arrivée.» Pothier, n°. 5. L'emprunteur contracte par ce contrat envers le prêteur, l'obligation de lui rendre la somme prêtée, et de lui payer en outre le profit maritime convenu; mais il ne la contracte, même pour la restitution de la somme principale, que sous une condition : s'il ne survient pas quelque accident de force majeure, qui cause la perte des effets sur lesquels le prêt est fait. Pothier, no. 33. Targa, cap. 33, not. 4, pag. 141.

CONFÉRENCE.

IV. Parmi nous, le contrat à la grosse est appelé à la grosse aventure, ou simplement à la grosse, par abréviation, parce que le prêteur ou le donneur expose son argent à l'aventure de la mer, et qu'il contribue aux grosses avaries. Il est encore appelé à retour de voyage, parce que, pour l'ordinaire, le prêteur ou donneur court les risques maritimes jusqu'à l'heureux retour du navire, et que la somme n'est payable, avec le profit maritime, qu'au retour du navire sur lequel le prêt est fait.

Dans le droit romain, le donneur d'argent est appelé créancier; dans notre législation, celui qui fournit l'argent est appelé prêteur ou donneur, et celui qui le reçoit est appelé preneur ou emprunteur.

Le contrat à la grosse est du nombre des contrats aléatoires définis par l'art. 1964 du Code civil. Or, « le contrat aléatoire est une convention réciproque dont les effets, quant aux avan»> tages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l'une ou plusieurs d'entre elles, » dépendent d'un événement incertain. »>

Le Code civil, après avoir fixé le caractère du contrat à la grosse, n'a pas été plus loin, et a renvoyé la matière, pour le surplus, aux lois maritimes. Mais pour se faire une juste idée de cette sorte de contrat, il faut adopter la définition que nous en donne Pothier, et qui est rapportée par Emérigon à la tête de cette section. (Voyez d'ailleurs Pothier, contrat à la grosse, no. I ).

Par cette définition, on voit qu'en effet le contrat à la grosse est beaucoup plus réel que

personnel. La navigation forme son objet unique. Le change maritime, c'est-à-dire le prix du péril, est considéré, en quelque manière, comme une portion des profits du voyage. Si le navire périt, le donneur n'a rien à demander; et si rien n'a été exposé, aux flots de la mer, le contrat n'a jamais été à la grosse.

Outre qu'il est aléatoire, le contrat à la grosse est unilateral, parce que le prêteur ne contracte aucune obligation avec l'emprunteur. Il est intéressé de part et d'autre; il est conditionnel. (Voyez Pothier, contrat à la grosse, no. 1, 2, 3, 4, 5 et 6).

Enfin, le contrat à la grosse, tel qu'il est adopté parmi nous, n'est ni une vente, ni une société, ni un prêt proprement dit, ni une assurance, ni un composé de divers contrats, 'undiquè collatis membris, mais c'est un contrat nommé. Il a un caractère qui lui est propre. « II » est différent de tous les autres contrats, dit Pothier, n°. 6; il en forme une espèce particu

» lière. »

SECTION III.

Il est de l'essence de ce contrat qu'il y ait un risque, et que le risque soit à la charge du donneur.

SI.

Contrat à la grosse

par forme de ga

A Livourne, et en d'autres endroits de l'Italie, il est permis de donner des deniers à la grosse par forme de gageure. Si le navire indiqué arrive heureusement, le capital et le change maritime, sont dus au donneur; et si le na- geure. vire périt, tout est perdu pour lui, quoique le preneur n'ait point employé aux besoins de la navigation l'argent reçu, et qu'il n'ait rien mis en risque. Casaregis, disc. 14 et 15.

Le pacte voto per pieno est une vraie gageure. J'en ai parlé dans mon Traité des assurances, ch. 8, sect. 11, § 4. Vide Casaregis, disc. 62, no. 27 et seq. Tout cela est prohibé parmi nous. Il est de l'essence du contrat à la grosse que l'argent soit employé à un objet qui soit exposé aux risques de la mer, et il faut qu'en cas de perte, le preneur justifie qu'il y avait pour son compte des effets jusqu'à concurrence de la somme empruntée. Art. 3 et 14, titre des contrats à la grosse.

Il n'est pas moins de l'essence de ce contrat que le risque maritime soit pour le compte du donneur, periculo creditoris. Lois 1, 3, 4 et 5, ff de naut. fan. Lois 1, 2, 4, Cod. eod. Pothier, n°. 16, titré des contrats à la grosse. Stypmannus, part. 4, cap. 2, no. 14, pag. 378.

*

Clause volo per

pieno.

5 2.

Le péril doit être à la charge du don

neur.

Le contrat n'est

Le contrat n'est véritablement contrat à la grosse, que depuis le jour que le péril a commencé d'avoir son cours: Ex ea die, periculum spectat credito- proprement contrat rem. Loi 3, ff de nàut. fœn.

T. H.

53

moment où le risque

commence.

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