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Si l'argent est consommé à terre avant

tout risque.

Si le risque cesse.

Si le contrat était nul en lui-même.

D'où il suit que si le preneur consomme l'argent à terre, sans l'exposer aux risques de la mer, ce n'est plus un contrat à la grosse, quoiqu'il soit qualifié tel par l'écrite : Si eodem loco consumatur, non erit trajectitia. Loi 1, ff de naut. fan.

Dès que le risque cesse (discusso periculo), soit par l'heureuse arrivée du navire, soit par l'échéance du terme, le contrat cesse de produire des changes maritimes. Loi 4, ff de naut. fœn. Loi 1, Cod. eod.

Si le contrat était nul dans son principe, le change nautique ne serait pas dû, parce que le risque maritime n'aurait jamais été à la charge du prêteur.

CONFÉRENCE.

V. En dernière analyse, cinq choses, comme l'observent tous les auteurs, composent la substance du contrat à la grosse : 1o. une somme d'argent qui soit prêtée; 2o. une ou plusieurs choses sur lesquelles le prêt est fait; 3°. des risques auxquels ces choses soient exposées, dont le preneur se charge; 4°. une somme convenue, que l'emprunteur s'oblige de payer au prêteur, en cas d'heureuse arrivée, pour le prix des risques qu'il a courus, ce qui s'appelle le profit ou change maritime; 5°. le consentement des parties.

En effet, de même que pour la validité de tous contrats, il faut, pour celle des contrats à la grosse, que le consentement des parties intervienne sur les choses qui composent la substance de ce contrat. (Voyez Pothier, contrat à la grosse, no. 23, 24 et 25 ).

$ 1.

SECTION IV.

Différence entre le contrat à la grosse, et les contrats de prêt, de société et d'assurance.

Le contrat à la grosse est différent du contrat de prêt.

1°. Le péril de l'argent, simplement prêté, concerne l'emprunteur. Loi 11, Différence entre Cod. si certum petatur. Loccenius, lib. 3, cap. 2, no. 4, pag. 1012; au lieu que l'argent à la grosse est au risque du donneur,

le contrat à la grosse et le prêt,

2o. Dans le simple prêt, l'intérêt n'était dû qu'en vertu de la stipulation. Sententia Pauli, lib, a, tit. 14. Ibiq. Cujas. Loi 3, ff de usur. Loi 24, ff de præsc. verb.; au lieu que le change nautique courait en vertu du pacte nu. Loi 5, S1, ff de naut. fæn. Ibiq. Cujas.

3o. Dans le prêt simple, l'intérêt entre négocians ne peut pas excéder le taux du prince, ou tout au plus, celui qui est en usage sur la place; au lieu

que le contrat à la grosse est susceptible d'un change indéfini. Suprà, sect. 1. Pothier, no. 2, titre des contrats à la grosse.

4°. Les intérêts de terre se calculent tems pour tems, d'une manière successive, et séparément du sort principal, seorsim ab ipsâ sorte; au lieu que l'entier change nautique est dû conjointement avec le capital et à la même époque, simul et semel. Stypmannus, part. 4, cap. 2, no. 30,pag. 379. Targa, cap. 33, not. 18, pag. 148; et comme l'observe Dumoulin, contrats usur., n°. 102, le change maritime est un accroissement du capital, augmentum sortis. 5°. En règle générale, l'intérêt du prêt à jour est une usure prohibée par les lois; au lieu que le change maritime est licite, parce qu'il est le prix du péril. Pothier, no. 2, titre des contrats à la grosse.

la

$ 2. Différence entre

trat à la grosse.

On dit communément que le contrat à la grosse est une espèce de société qui se forme entre le donneur et le preneur. Dictionnaire de Savary, vo. contrats à la société et le congrosse. Encyclopédie, v. grosse aventure. Dénisart, tom. 1, pag. 581. Mais, pour que cela fût, il faudrait que le capital, la perte ou le profit, fussent communs aux parties. Or, rien n'est commun entre elles. Il n'y a donc point de société Non est contractus societatis, quia periculum non est commune; nec etiam lucrum commune. Dumoulin, contr. usur., no. 98.

En effet, la société est une convention entre deux ou plusieurs personnes, par laquelle ils mettent en commun entre eux, ou tous leurs biens, ou une partie, ou quelque commerce, quelque ouvrage, ou quelque autre affaire, pour partager tout ce qu'ils pourront avoir de gain, ou souffrir de perte, de ce qu'ils auront mis en société. Lois 1, 5, 52 et 67, ff pro socio.

Mais l'argent fourni à la grosse devient propre à celui qui l'a reçu. Le profit de la navigation lui appartient en total (sauf le change maritime qu'il est obligé de payer). Les risques maritimes concernent le donneur. Il est donc certain que le contrat à la grosse n'est pas une société; et l'on ne doit s'arrêter, ni à la doctrine des auteurs que je viens de citer, ni à celle de Casaregis, disc. 7, n°. 2, qui croit apercevoir dans le contrat de grosse une espèce de société : Modernus contractus cambii maritimi, dit-il, redolet speciem societatis navigationis cum navarcho. Mais ce systême est une suite des subtilités imaginées par les ultramontains, pour éluder la prétendue décision du chapitre naviganti.

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Rien n'empêche cependant de réunir le contrat de grosse à celui de société, ainsi qu'on le verra infrà, ch. 5, sect. 4. Vous armez un vaisseau pour la pêche, pour la course, ou pour la marchandise. Je vous fournis telle somme à condition que si le navire périt, mon argent sera perdu pour moi, et que si lẹ navire arrive à bon port, mon capital me sera rendu, et que j'aurai en

outre une telle part aux profits de la navigation; Est species cambii maritimi, quòd contrahatur per quamdam speciem societatis, quòd scilicet super navi pisca, toria, vel piratied, seu etiam mercantili ineatur societas, in quâ unus ponat pecuniam, et alter navim et industriam, sub mutuo periculo. De Luca, de credito, cap. 111, no. 8. Mais c'est alors une société plutôt qu'un contrat de grosse. Fagnan, ad cap. naviganti, n°, 28. Vide infrà, ch. 2, sect. 2, § 3, et ch. 12, sect. 9. Le contrat à la grosse approche beaucoup de celui d'assurance. Hy a entre Affinité du con- eux une grande analogie. Ils dépendent, par leurs effets, des mêmes principes. Cleirac, sur le Guidon de la mer, ch. 18, art. 2, pag. 331 Valin, sur l'art. 11, titre des contrats à la grosse, et art. 6, des assurances. Pothier, no. 6.

$ 3.

trat à la grosse avec

l'assurance.

$4.

Disparité entre ces deux contrats.

Dans l'un, le donneur est chargé des risques maritimes, et dans l'autre, c'est l'assureur.

Dans l'un, le change nautique est le prix du péril, et dans l'autre, la prime est le prix des risques maritimes.

Le taux de ce change ou de cette prime est plus ou moins haut, suivant la durée et la nature des risques..

Dans l'un et dans l'autre, c'est au demandeur à prouver que la condition a été accomplie. En cas de contestation et de négative, c'est au créancier de » faire apparoir en justice, pour rendre le contrat à la grosse exécutoire, que » le navire est parvenu à port de salut; et aux polices d'assurance, c'est à ⚫ l'assuré de justifier la perte, prise ou naufrage du navire. » Cleirac, sur le Guidon de la mer, ch. 18, art. 2, pag. 331.

L'un et l'autre contrat n'acquièrent une existence légale, qu'au moment que le risque est commencé. Si l'argent pris à la grosse n'est pas employé à l'expédition maritime, non erit trajectitia, et il doit être rendu avec intérêts de terre; si l'assuré ne charge rien, l'assurance s'évanouit, defectu materiæ, et il en est quitte en payant un demi pour cent.

Dans l'un et l'autre contrat, il suffit, en règle générale, que lors de l'aceident, l'aliment du risque se soit trouvé dans le navire.

En règle générale, l'assureur et le donneur sont exposés aux mêmes risques maritimes pendant le tems, et dans les lieux déterminés par les parties.

En règle générale, l'assureur et le donneur ne sont responsables, ni de la baraterie du patron, ni des pertes arrivées par le fait du preneur ou de l'assuré. On ne peut ni assurer, ni prendre deniers à la grosse sur le fret à faire, ni sur le profit espéré, etc.

Il y a plusieurs disparités entre l'assurance et le contrat à la grosse.
1o. En cas de naufrage, le donneur a un privilége réel sur la totalité des

effets sauvés, sans admettre le preneur en concours avec lui; au lieu que lassuré, pour son découvert, vient en concours sur le sauvé, avec ses propres

assureurs.

2°. Le donneur ne contribue pas aux avaries particulières; au lieu que l'assureur y contribue (sauf le pacte contraire). Infrà, ch. 5, sect. 2, et ch.. 7,

sect. 1.

3. Par le pacte franc d'avarie, les assureurs sont à couvert même des avaries grosses; il n'en est pas ainsi vis-à-vis des donneurs. Infrà, ch. 7, sect. 1. 4. Par la police, l'assureur peut ne se rendre responsable que de certains risques maritimes; mais vis-à-vis des donneurs, une pareille restriction serait nulle. Infrà, ch. 7, sect. 1.

5°. On peut faire assurer la chose qui est déjà en risque; mais il n'est pas permis de prendre des deniers à la grosse sur un navire déjà parti, à moins que ce ne soit en cours de voyage, et pour les nécessités intermédiaires. Infrà, ch. 5, sect. 4, et ch. 6, sect. 4.

6°. Les matelots ne peuvent jamais faire assurer leurs loyers futurs. Il leur est cependant permis, sauf certaines modifications, de prendre à la grosse sur les loyers qu'ils se flattent de gagner. Infrà, ch. 5, sect. 3.

7°. La forme du délaissement qui se pratique envers les assureurs, est inconnue à l'égard du donneur. Infrà, ch. 11.

8. Les prescriptions établies au sujet des assurances, ne l'ont pas été en matière de contrats à la grosse. Infrà, ch. 9, seet. 3.

9°. L'assureur à prime liée rend le tiers de la prime, si le navire ne fait point de retour; au lieu que l'entier change est dû au donneur, quoique le navire ne revienne pas. Infrà, ch. 3, sect. 3.

10. Dans les assurances, on a égard aux dates des polices pour régler le ristourne; mais les dates ne sont d'aucune considération vis-à-vis des contrats à la grosse faits pour le même objet et dans le même lieu.

11°. L'assuré peut stipuler qu'en cas de délaissement, il sera dispensé de rapporter le fret. La même faveur n'est pas accordée au preneur sur le corps. Infrà, ch 12, sect. 2, § 2.

1.2°. Les polices d'assurance en feuilles volantes portent hypothèque, pourvu qu'elles soient reçues par courtiers ou notaires; au lieu que les contrats à la grosse ne produisent hypothèque, qu'autant qu'ils sont rédigés par notaire, dans le registre public où sont contenus les contrats ordinaires. Infrà, ch. 2, sect..

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13°. L'assuré doit courir le risque du dixième. Mais la même loi n'est pas

imposée au preneur, lequel peut emprunter sur l'entier intérêt qu'il met en risque. Infrà, ch. 6, sect. 3, S1, etc.

CONFÉRENCE.

VI. La différence qui existe entre le contrat à la grosse et les contrats de prêt, de société et d'assurance, est développée avec les connaissances profondes et la sagacité ordinaire de notre auteur. Au reste, nous examinerons les principes que professe ici Emérigon, au fur et à mesure que nous nous occuperons ci-après des sections auxquelles il renvoie.

mement.

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SECTION V.

Notice de certaines sociétés nautiques.

On ne doit pas confondre les contrats à la grosse avec certaines sociétés nautiques, dont il est bon de dire un mot.

On distinguait anciennement le bourgeois du navire et le victuailleur. Le Société pour l'ar- premier fournissait le corps du bâtiment, et le second les victuailles. Ils étaient associés au profit et à la perte, relativement à la part dont ils étaient convenus. Guidon de la mer, ch. 18, art. 1 et 3, et ch. 19. Ordonnance de 1589, art. 59. On trouve des traces de cette société nautique dans l'Ordonnance de la marine, art. 2, titre des contrats à la grosse, et art. 7, titre des assu

$ 2.

Pacotille à profit

commun.

rances.

Targa, ch. 36 et 37, traite du contrat di colonna. Ce contrat s'opère entre le propriétaire du navire, le capitaine et les mariniers, qui conviennent que la navigation sera à profit commun. Vide mon Traité d'assurance, ch. 13, sect. 3, où je parle des matelots engagés au profit.

Lorsque je confie à un capitaine une pacotille pour la vendre à profit commun, il s'opère deux contrats: le contrat de mandat, par lequel je lui donne pouvoir de vendre la marchandise pour mon compte, et le contrat de société, en vertu duquel le profit devient commun. C'est ce qu'on appelle en Italie accomenda. Le donneur court le risque du capital, et le preneur court risque de perdre sa peine. Si le capital ne produit rien de plus que ce qu'il a coûté, ce produit sera rendu au donneur, sans que le preneur puisse réclamer aucun salaire. Le seul profit, s'il y en a, sera partagé entre les deux associés, relativement à leurs accords. Consulat de la mer, ch. 207, 218.

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