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Capitaine subrogé.

SECTION II.

En règle générale, l'exerciteur est tenu de tous les faits du

maître.

GODEFROY, sur la loi 1, ff de exercit. act., présume que l'édit du préteur, qui introduisit l'action exercitoire, était conçu à peu près en ces termes : Quod cum navis magistro gestum esse dicetur, in exercitorem qui eum præposuit, in solidum judicium dabo.

L'utilité de cet édit est évidente; car, la nécessité de la navigation nous obligeant à contracter avec des maîtres, dont nous ignorons l'état et la condition, il est équitable que l'exerciteur soit tenu des faits de son préposé, tout comme le propriétaire d'une boutique est tenu des faits de l'institeur qu'il y a établi.

Il y a même beaucoup de raison au sujet du commerce maritime; car celui qui contracte avec un institeur, a le moyen et le loisir de prendre les informations convenables; mais, à l'égard du maître de navire, le tems, le lieu, et autres circonstances, ne permettent souvent pas de délibérer : In navis magistro non ità; nam interdùm locus, tempus non patitur pleniùs deliberandi concilium. Loi 1, ff de exercit. act.

Voilà pourquoi l'exerciteur est tenu de tous les faits du maître, afin que ceux qui, de bonne foi, ont contracté avec ce dernier, ne soient pas trompés: Omnia facta magistri debet præstare qui eum præposuit; alioquin contrahentes deciperentur. Loi 1, § 5, ff eod. Un autre motif de l'édit du préteur, est que la navigation intéresse essentiellement la république : Quia ad summam rempublicam navium exercitio pertinet. Loi 1, § 20, ff eod.

Les propriétaires répondent non seulement des faits du maître choisi par eux-mêmes, mais encore des faits de celui qui, pendant le voyage, a été subrogé maître, quand même la subrogation cût été prohibée; le tiers qui est de bonne foi ne doit pas en souffrir, sauf aux propriétaires leur action contre qui de droit Magistrum accipimus, non solum quem exercitor praposuit, sed eum quem magister....... Quid tamen, si sic magistrum præposuit, ne alium ei liceret præponere? An adhuc Juliani sententiam admittimus, videndum est finge, enim et nominatim eum prohibuisse, ne Titio magistro utaris? Di

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cendum tamen erit eò usquè producendam utilitatem navigantium. Loi 1, § 5, ff de exercit. act. Telle est la doctrine générale. Duarenus, ibid., pag. 1297. Vinnius et Peckius, ibid., pag. 83. Stypmannus, part. 4, cap. 15, no. 118, pag. 543. Kuricke, quest. 15, pag. 869. Roccus, de navib., not. 5. Targa, cap. 12, no. 25, pag. 40. Cujas, Peresius et Corvinus, sur le titre du Code de institoria actione. On ne doit donc point s'arrêter aux distinctions faites par Casaregis, disc. 71, no. 17, et disc. 115. Vide mon Traité des assurances, ch. 7, sect. 3.

CONFÉRENCE.

XVIII. Le capitaine est nommé par le propriétaire, ou s'il y en a plusieurs, par la majorité formée comme il est dit par l'art. 220 du Code de commerce, eu égard à l'intérêt dans le navire. Mais il ne peut être choisi que dans le nombre de ceux qui ont les qualités requises par les lois des g vendémiaire an 2, 3 brumaire an 4, et par l'arrêté du Gouvernement, du-t1 thermidor an 10, et non pas parmi les premiers venus, comme l'ont pensé quelques auteurs.

La nomination du capitaine et son acceptation forment entre lui et le propriétaire ou l'armateur, un contrat de mandat qui produit entre eux des obligations respectives. Le capitaine contracte en outre des obligations personnelles envers ceux dont il reçoit les marchandises dans le bâtiment qu'il commande. Le capitaine a seul, en cours de voyage, les actions du navire qu'il commande; c'est un devoir rigoureux pour lui de les exercer et de veiller au salut de l'expédition.

De son côté, le propriétaire ou armateur, en donnant au capitaine le commandement du navire, est censé l'avoir autorisé à faire, en son absence, tout ce qu'il jugera convenable pour le salut du bâtiment et le succès de l'expédition, et avoir accédé d'avance à toutes les obligations qu'il contractera à ce sujet.

<< Tout propriétaire de navire, porte l'art. 216 du Code de commerce, est civilement responsable des faits du capitaine, pour ce qui est relatif au navire et à l'expédition. La res»ponsabilité cesse par l'abandon du navire et du fret. »

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En expliquant cet article comme il doit l'être, par le sens étendu du mot faits ou engagemens du capitaine, il faut dire : « Tout propriétaire de navire est civilement responsable des fautes et des engagemens du capitaine, pour ce qui est relatif au navire et à l'expédition. » En effet, dans la loi romaine, le mot faits est une expression générique qui comprend toutes les actions du mandataire. Il embrasse les engagemens comme les fautes du capitaine, puisqu'il parle de ceux qui ont contracté : Omnia enim facta magistri præstare debet, qui eum præposuit; alioquin contrahentes deciperentur. — ( Loi 1, ff exercitoriâ actione; voyez la sect. 1 du tit. 3, tom. 1, pag. 270 et suivantes de notre Cours de droit maritime ).

S'il y a plusieurs propriétaires, tous les propriétaires sont tenus solidairement des faits du capitaine.

Les propriétaires, d'ailleurs, répondent encore des faits de celui qui, pendant le voyage, a été subrogé capitaine, quand même il aurait été expressément convenu entre les propriétaires et le capitaine que ce dernier ne pourrait se faire remplacer. Le tiers de bonne foi ne doit pas 57

T. II.

souffrir du droit de celui qui commande. Mais dans le cas où le capitaine en subrogerait un autre sans nécessité et sans l'aveu des propriétaires, le capitaine répondrait des faits du subrogé envers les armateurs.

JURISPRUDENCE.

La Cour royale de Rennes, dans l'importante affaire du sieur Dessaulx, armateur du navire le Francis, de Nantes, contre les sieurs Lesourd et Clavenson, chargeurs, a consacré nos principes sur les faits du capitaine. « Prétendre, dit-elle, que le mot faits ne comprend pas les en»gagemens et les obligations du capitaine, ce serait détruire à la fois la généralité de cette » expression, limiter la pensée et la volonté du législateur, et anéantir la doctrine de presque >> tous les auteurs, etc. »> − ( Arrêt du 16 janvier 1821 ).

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SECTION III.

Les Propriétaires répondent-ils des engagemens que le capitaine contracte dans le lieu de leur domicile ?

M. Pothier, no. 55, titre du contrat à la grosse, observe que les propriétaires sont censés n'avoir préposé le maître, pour les affaires du vaisseau, qu'en cas d'absence, et pour ce qu'ils ne pourraient faire commodément >> par eux-mêmes. En effet, le capitaine n'est véritablement maître, qu'après avoir mis à la voile. Jusqu'alors il est soumis à l'ordre des armateurs, qui ont même le pouvoir de le destituer à volonté. Art. 4, titre des propriétaires. Il ne peut donc rien faire d'essentiel, que de concert avec les propriétaires, lorsqu'il est dans le lieu de leur demeure. Art. 5, titre du capitaine.

Le Consulat de la mer, ch. 236, décide que, dans le lieu de la demeure des propriétaires, le capitaine doit avoir leur consentement pour acheter les agrès nécessaires au navire: Se il patrone della nave sara in loco chevi siano compagni, li debba dimandare di quella exarcia, innanzi che la compri.

L'ancienne Ordonnance de la Hanse teutonique, art. 58, s'explique en ces termes : Le maître étant, en son pays, ne pourra prendre plus de bomerie, » que jusque et à proportion seulement de ce que vaut la part qu'il a dans » le navire; et faisant le contraire, les autres portions n'en seront pas tenues › ni obligées, comme aussi il ne pourra prendre aucun fret au déçu et sans ⚫ le consentement de ses bourgeois.

Nouvelle Ordonnance de la Hanse, tit. 6, art. 1. Naucleri non debebunt, illo in loco ubi exercitores illorum præstò sunt, pecuniam sub fænore nautico accipere.

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L'ordonnance de 1584, art. 95, renferme à peu près la même disposition. Ordonnance de 1681, art. 17, titre du capitaine. Ne pourra, dans le lieu » de la demeure des propriétaires, faire travailler au radoub du navire, acheter voiles, cordages, ou autres choses pour le bâtiment, ni prendre pour cet effet argent sur le corps du vaisseau, si ce n'est de leur consentement, à peine » de payer en son nom. ›

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Art. 8, titre du contrat à la grosse. Ceux qui donneront deniers à la grosse › au maître, dans le lieu de la demeure des propriétaires, sans leur consen» tement, n'auront hypothèque ni privilége, que sur la portion que le maître » pourra avoir au vaisseau et au fret, quoique les contrats fussent causés pour radoub ou victuailles du bâtiment. »

Il résulte de tous ces textes, que les contrats de grosse, passés par le capitaine, dans le lieu de la demeure des propriétaires, sans leur consentement, n'ont aucune force contre ceux-ci. Le donneur n'aura hypothèque et privilége que sur la portion du maître, qui seul restera obligé. Pothier, no. 55, titre du contrat à la grosse. Casaregis, disc. 71, no. 24 et 27. Vinnius, ad leg. 1, S7, ff de exercit. act., pag. 94. Stypmannus, part. 4, tit. 5, no. 95, pag. 416. Kuricke, tit. 6, art. 1, pag. 764. Loccenius, lib. 2, cap. 6, no. 8, pag. 993. Cependant, si on justifie que l'argent a été utilement employé aux besoins du navire et à la décharge des armateurs, on aura contre eux l'action de in rem verso. Vinnius, ad d. legem, pag. 98. Roccus, de navib., not. 17. Casaregis, disc. 71, no. 10. Vide Boniface, tom. 4, pag. 501.

« Le maître est tenu de suivre l'avis des propriétaires du vaisseau, quand il › l'affrète (en tout ou en partie) dans le lieu de leur demeure. Mais le tiers qui, de bonne foi, contracte à ce sujet avec le capitaine, n'est pas obligé de s'enquérir si celui-ci s'est conformé ou non à l'avis des propriétaires. Il suffit que la charte-partie soit rédigée par écrit, et passée entre le marchand et le maître. Art. 1, titre des chartes-parties. Il suffit que le connaissement soit signé par le maître, ou par l'écrivain du bâtiment, pour que le tout soit présumé avoir été fait du consentement des propriétaires. Art. 1, titre des connaissemens.

Le maître demeurera responsable de toutes les marchandises chargées » dans son bâtiment, dont il sera tenu de rendre compte sur le pied des con› naissemens. » Art. 9, titre du capitaine.

Les propriétaires en sont également tenus, à moins qu'ils n'abandonnent le navire et le fret. Ils seraient non recevables à dire que le connaissement avait été dressé à leur insu. L'ordre des choses, le bien du commerce et la foi publique, s'opposent vis-à-vis du tiers à une pareille exception.

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Les sieurs Saisset avaient chargé une caisse de chapeaux dans la tartane Sainte-Anne, capitaine Meynete, destinée pour les Iles françaises. Un connaissement, au nolis de 5 s., avait été signé par ce capitaine. La tartane relâcha à Malaga, où le capitaine, ayant eu besoin d'argent pour les nécessités de sa navigation, vendit cette caisse de chapeaux. Le navire arriva à la Martinique, et revint ensuite à Marseille.

Le 27 juin 1780, les sieurs Saisset obtinrent de notre amirauté, contre le capitaine Meynete, une sentence qui le condamna à leur payer la caisse de chapeaux, au prix qu'elle eût produit à la Martinique. Des experts furent nommés. Ils estimèrent la caisse 1,561 liv., argent de France. Le rapport d'estimation fut déclaré exécutoire contre le capitaine, par autre sentence du 24 novembre suivant.

Troisième sentence, rendue le 6 février 1781, en faveur des sieurs Saisset, qui ordonna la commune exécution contre le sieur Toussaint Paul, armateur de la tartane. Arrêt du 15 juillet 1782, au rapport de M. de Thorame fils, qui confirma cette dernière sentence, avec dépens.

Le sieur Paul disait que la caisse de chapeaux avait été chargée à son insu; que les deux premières sentences n'avaient pas été prononcées contre lui, etc. Mais, 1°. les deux premières sentences ayant été rendues contre le capitaine en nom qualifié, étaient, de droit, exécutoires contre l'armateur. 2°. Le connaissement signé par le capitaine était un titre légal en faveur des sieurs Saisset. M. Verdet neveu et mon frère étaient les avocats respectifs des parties. Vide infrà, sect. 8.

CONFÉRENCE.

XIX. Le capitaine est bien le mandataire des propriétaires; mais dès que les propriétaires se trouvent sur les lieux, ou dès qu'ils y ont un fondé de pouvoirs qui les représente, le ca. pitaine ne doit plus acheter, emprunter, faire des dépenses pour le navire, sans leur autorisation. (Art. 232 du Code de commerce). Si cependant le capitaine n'avait fait que le nécessaire, et qu'il l'eût fait pour le bien du bâtiment, il n'en aurait pas moins engagé les propriétaires envers les tiers qui auraient traité avec lui, d'après l'art. 216 du même Code. - (Voyez Valin sur l'art. 17, titre du capitaine).

Néanmoins, s'il s'agissait d'un emprunt à la grosse, les propriétaires ne seraient pas engagés même envers les tiers, d'après l'art. 321 du Code de commerce. Le droit d'emprunter à la grosse ne saurait appartenir qu'aux propriétaires, dans le lieu de leur demeure, parce que les objets affectés au prêt sont en quelque sorte aliénés. Si le capitaine a quelquefois cette faculté (art. 234 et 236), ce n'est qu'en cas d'absolue nécessité, et jamais aux lieux où se trouvent les propriétaires.

Quant à l'affrétement du navire fait par le capitaine dans le lieu de la demeure des proprié

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