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CONFÉRENCE.

XXXV. Il est, en effet, de l'essence du contrat à la grosse, chez nous comme chez les Romains, que l'argent soit employé à un objet qui soit exposé aux risques de la mer, c'est-à-dire qu'il y ait un risque maritime; autrement, ce contrat serait nul dans son principe, et le change nautique ne serait pas dû.

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SECTION I.

Du Ristourne opéré par défaut de risque.

LE change maritime est le prix du risqué, periculi pretium. S'il n'y a point Point de risque, de risque, il est évident qu'il n'est dû au preneur aucun change maritime. point de change maritime. Voici comme parle M. Pothier, n°. 38, titre des contrats à la grosse : « Quid, › si le prêteur n'a eu aucuns risques, putà, parce que le voyage a été rompu?

$ 2.

Peu importe que

le preneur n'ait pu ger des effets.

ou n'ait voulu char

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› L'emprunteur sera bien obligé en ce cas de rendre la somme qui lui a été prêtée; mais il ne sera pas obligé de payer en outre la somme qu'il a promis de payer pour le profit maritime; car le profit maritime étant le prix des risques que le prêteur devait courir des effets sur lesquels le prêt » a été fait, il ne peut lui être dû de profit maritime, quand il n'a couru › aucuns risques, ne pouvant pas y avoir un prix des risques, s'il n'y a pas eu de risques. La condition qu'il y aura des risques à courir est une condi>tion qui est essentiellement renfermée dans l'obligation que l'emprunteur › a contractée de payer le prix des risques: Tacitè inest ex naturâ rei in obli> gationem deducta. »

Les auteurs italiens n'admettent le ristourne que dans le cas où, par force majeure, le voyage a été rompu avant que le risque ait commencé : Se per sorte il recevitore non potesse, per alcuno accidente forzoso, far impiego alcuno, overo navigare, non è dovuto l'utile accordato; perche si accordò à quelle contemplationi. Targa, cap. 33, not. 3, pag. 141.

Casaregis, disc. 62, no. 4, après avoir dit que le preneur, qui omet volontairement d'employer l'argent pris à la grosse, doit le change maritime stipulé, excepte le cas où, par un obstacle imprévu, l'utile emploi n'a pu être fait: Hoc non procedit in casu, quo cambiatarius propter aliquod justum impedimentum à se ipso minimè dependens, merces onerare non potuisset; tunc enim non

potest cogi ad solvendum cambia maritima. Cette jurisprudence est relative à la clause voto per pieno, dont j'ai parlé suprà, ch. 1, sect. 3, § 1.

Le preneur peut se repentir et ré

Il en est autrement parmi nous (sauf le cas de fraude, de quoi je parlerai dans la section suivante); et il est certain qu'à l'exemple de l'assuré, le pre- soudre le contrat neur peut se dédire et se dégager de son obligation, malgré le donneur, soit par son propre fait, en rompant le voyage avant le départ du vaisseau, soit en n'y chargeant rien. N'y ayant point de péril, le contrat de grosse ne saurait subsister comme tel. Le preneur est en droit de dire au donneur : J'avais dessein de faire partir mon vaisseau, ou d'y charger des marchandises; j'ai pris, à ce sujet, de vous une somme à la grosse. Je change d'avis; je ne fais point partir mon navire, ou je n'y charge rien; voilà votre argent. J'avais pris de vous une somme à la grosse pour une expédition maritime; cette expédition, pour laquelle votre argent a été employé, n'a plus lieu; je vous satisferai: Si eodem loco consumatur, non erit trajectitia. Loi 1, ff de naut. fæn. Suprà, ch. 1, sect. 3.

. On ne doit donc faire aucune différence entre le preneur à la grosse qui • aura eu le pouvoir de charger, et celui qui ne l'aura pas eu. Qu'on suppose » le prêteur en bonne foi tant qu'on voudra, il faut toujours, pour la solu⚫tion de la question, recourir au principe de la décision. Or, la nature du » contrat de grosse est telle, que le prêteur ne peut gagner le profit maritime, qu'autant qu'il a couru les risques auxquels ce contrat est sujet. Dans l'espèce, à défaut de chargement, il n'a couru aucun risque; le profit mari> time ne peut donc pas lui être acquis. Que l'emprunteur ait pu charger ou › non, il n'importe. Valin, art. 15, titre des contrats à la grosse.

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M. Pothier, no. 39, tient le même langage. Le profit maritime, dit-il, » n'est pas dû au prêteur, quand même ce serait par le fait de l'emprunteur que » le voyage aurait été rompu. Car, de quelque manière qu'il l'ait été, il suffit qu'il l'ait été, et qu'en conséquence, le prêteur n'ait couru aucun risque, » pour qu'il ne puisse pas y avoir de profit maritime, ne pouvant pas y avoir » un prix des risques, lorsqu'il n'y a pas eu de risques.

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L'art. 15, titre des contrats à la grosse, parle du preneur qui n'a pu charger des effets pour la valeur des sommes prises à la grosse, et laisse dans la disposition du droit commun le cas où le preneur, changeant d'avis, n'a plus voulu faire l'expédition projetée. M. Valin, d. loco, considère cet article comme s'il disait: Si toutefois celui qui a pris à la grosse n'a pas chargé des effets, etc. Il suit de ce principe que si le preneur n'a pu (ou n'a voulu) « charger › des effets pour la valeur des sommes prises à la grosse, le contrat, en cas ⚫ de perte, sera diminué à proportion des effets chargés, et ne subsistera que portion du charge.

§ 3.

Le contrat n'est la grosse qu'à pro

Change de terre.

Droit de signature

des assureurs.

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pour le surplus, dont le preneur paiera le change, suivant le cours de la place où le contrat aura été passé, jusqu'à l'actuel paiement du principal; et si le navire arrive à bon port, ne sera aussi dû que le change, et non › le profit maritime de ce qui excédera la valeur des effets chargés. » Ce sont les termes de l'art. 15, titre des contrats à la grosse. Ils signifient que le contrat ne sera à la grosse que relativement à l'intérêt mis en risque. Par exemple, j'ai pris à la grosse 6,000 liv., moyennant le change maritime de dix pour cent. Je ne charge des effets que pour la demie. Si le navire périt, le donneur sera en perte de 3,000 liv., valeur des effets chargés, et je dois lui rendre, avec change de terre, les 3,000 liv. restant. Si le navire arrive à bon port, je serai obligé de payer au donneur l'entier principal... 6,000 liv. Le change maritime, pour la demie........

Et si le prêt avait été fait depuis un an, je serais obligé de payer le change de terre au cours de la place, pour l'autre demie..

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M. Pothier, n°. 39, prétend que si le voyage a été rompu avant le risque commencé, sans le fait du preneur, celui-ci ne doit le change de terre que depuis la demande judiciaire; mais ce sentiment est contraire au texte de l'art. 15, qui parle nommément du cas où le preneur justifie n'avoir pu charger, et qui, nonobstant cette circonstance, le soumet à payer le change au cours de la place.

D

A ce change de terre, M. Valin, d. loco, « ajoute le demi pour cent de la prime, contre l'emprunteur qui aurait manqué de charger par sa faute, au ▶ cas que le prêteur ait fait assurer son capital. . Cela est juste. Mais si le défaut de chargement procédait de force majeure, c'est assez que le preneur restitue le capital avec le change de terre, à compter du jour que les deniers lui avaient été prêtés.

CONFÉRENCE.

XXXVI. Nous avons vu qu'il est de l'essence du contrat à la grosse qu'il y ait des risques maritimes auxquels soient exposées les choses sur lesquelles le prêt est affecté. La nature de ce contrat est telle, que le prêteur ne peut gagner le profit maritime qu'autant qu'il a couru les risques auxquels ce contrat est sujet. A défaut de chargement, il n'a couru aucuns risques; le profit maritime ne peut donc pas lui être acquis; que l'emprunteur ait pu charger, ou non, il n'importe. Le chargement ne s'étant pas fait, observe Valin, le contrat de grosse demeure résolu de plein droit, ob causam finalem non secutam, sauf l'intérêt au cours de la place, du capital, qui doit être remboursé.

Ainsi, point de risque, point de change maritime : peu importe que le preneur n'ait pu, ou n'ait voulu charger des effets. Le preneur peut se repentir et résoudre le contrat par son

propre fait. A l'exemple de l'assuré, le preneur à la grosse peut se dédire et se dégager de son obligation, malgré le donneur, soit en rompant le voyage avant le départ du navire, soit en n'y chargeant rien. La doctrine d'Emérigon, de Pothier et de Valin, aux endroits cités, est conforme aux principes. — ( Argument, d'ailleurs, de l'art. 317 du Code de commerce; voyez la section suivante).

SECTION II.

Du Preneur frauduleux.

Voici comme parle le Guidon de la mer, ch. 19, art. 10: Le trop d'ar› gent pris à profit fait une véhémente présomption contre le maître du na› vire, qu'il est consentant ou participant de la perte ou prise de son navire; › car, comme en toute traite, soit maritime ou terrestre, le but et fin des trafiquemens est de gagner et profiter, celui-ci ne peut avoir entrepris son

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» voyage en intention de gagner, qui, auparavant que de commencer, est déjà au restor. Partant, il est à inférer de nécessité qu'il se soit imaginé » quelque malheureuse fin en sa navigation, pour, par sinistre moyen, s'acquitter de ses dettes, lesquelles loyalement il ne peut payer, sa navigation › étant accomplie; car l'abus y étant tel, on considérera la ruine et perte des › navires, marchandises perdues, pillées ou prises, plus par la défaute sus› dite que par l'impétuosité et tormente de la mer, dont cette prescription » ou présomption, avec la moindre preuve que l'on pourra faire, les rendra coupables de la mort.

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Cùm capitaneus ad cambium receperit longè majorem pecuniæ summam, quàm fuerit risicum super navi existens, præsumi debet, sinistrum fuisse dolosum, Casaregis, disc. 62, no. 7.

Notre Ordonnance est précise là-dessus. L'art. 15, titre des contrats à la grosse, veut que « celui qui a pris à la grosse, justifie n'avoir pu charger des effets pour la valeur des sommes prises à la grosse, etc. Il faut donc que le preneur qui a emprunté des deniers au-delà de son intérêt, écarte la présomption de fraude qui s'élève contre lui, et qu'il prouve son innocence.

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M. Pothier, n°. 12, dit que la fraude ne se présume pas; qu'ainsi, l'emprunteur doit être facilement écouté à justifier sa bonne intention, et qu'on

› doit se contenter qu'il allègue, pour se justifier, quelque chose de plausible. » Il est vrai qu'en règle générale, la fraude ne se présume point; mais en cette 66

T. II.

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$2.

Peine du preneur frauduleux.

Il doit restituer l'argent, malgré la perte du navire.

Doit-il le change maritime ?

matière, la présomption de fraude est établie par l'Ordonnance même, laquelle exige que le preneur se justifie.

Il est justifié si, dans le lieu de l'armement, et avant le départ du vaisseau, il déclare au donneur que l'expédition projetée n'a pas lieu (en tout ou en partie); mais si, pour proposer le ristourne, il attend que le navire soit de retour, il est difficile qu'on l'écoute, à moins que sa justification ne soit entière.

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L'art. 3, titre des contrats à la grosse, fait défenses de prendre deniers à la grosse sur le corps et quille du navire, ou sur les marchandises de son chargement, au-delà de leur valeur, à peine d'être contraint, en cas de fraude, › au paiement des sommes entières, nonobstant la perte ou prise du vais

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» seau. »

D'après ce texte, celui qui frauduleusement a pris des deniers à la grosse, au-delà de l'intérêt mis en risque, doit subir la peine d'être contraint au paiement des sommes entières, nonobstant le sinistre arrivé.

L'action du donneur se réduit, en ce cas, à réclamer l'entière somme qu'il avait prêtée, sans qu'il puisse prétendre le change maritime, parce que la perte lui est devenue étrangère, et qu'il n'a pas couru le péril dont le change maritime était le prix. Telle est la doctrine de M. Valin, ibid.

Cet auteur soutient que s'agissant ici d'une matière pénale qu'il n'est jamais Doit-il le change permis d'étendre, il suffit que le preneur frauduleux restitue l'entière somme

de terre ?

Si le navire revient à bon port, le preneur frauduleux doit-il payer le change maritime?

principale, sans même être soumis à payer le change de terre, attendu qu'il est assez puni par la perte des effets au-delà de la valeur desquels il avait pris de l'argent à la grosse. Je crois le contraire. Le contrat étant déclaré nul à cause de la fraude du preneur, on retombe dès lors nécessairement dans la disposition du droit commun, qui donne cours à l'intérêt de terre. Vide les décisions rapportées ci-dessus, ch. 3, sect. 3, et mon Traité des assurances, ch. 18, sect. 5.

Le patron François, de Goa, était propriétaire de six quirats de la tartane le Saint-Jean-Baptiste. Il prit 3,500 liv. sur le corps, dans le lieu de la demeure des autres propriétaires. Il fit ensuite naufrage. Les donneurs redemandèrent leur argent, attendu que le patron avait pris des deniers pour au-delà de son intérêt. Sentence du 31 janvier 1755, qui condamna le patron de Goa à rembourser lesdites 3,300 liv., avec intérêts de terre depuis le jour de la fourniture, et dépens.

Si le navire arrive heureusement, le preneur coupable de fraude ne peut pas se dispenser de payer le change maritime. L'exception de dol lui impose

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