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dessus. Des arbitres-négocians furent choisis; c'était en 1774. On décida que l'offre du fidejusseur était légitime. Elle fut acceptée, parce que telle était alors la manière de penser de la place de Marseille.

Dans la multitude de faillites qui arrivèrent en la même année, les porteurs des billets endossés se conformaient sans difficulté à cette pratique. Un seul s'y refusa.

Laurent D**. avait fait un billet de 2,421 liv., à l'ordre de Zacharie B**., qui l'endossa à l'ordre d'Antoine-Joseph et Georges A**. Ceux-ci passèrent leur ordre en faveur de Pierre V**.; et ce fut des mains de Pierre V**. qu'Antoine Bellon reçut ce billet. Le tireur et les trois endosseurs firent faillite. D., par son concordat, promit 40 pour 100.; Zacharie B**. promit 60 pour 100; les A**. 55 pour 100, et V**. 32 pour 100. Le 28 janvier 1775, Bellon présenta requête au tribunal consulaire de Marseille, contre le tireur et les trois endosseurs de ce billet, en condamnation solidaire de la somme à lui due, relativement à la totalité du billet, et jusqu'à entier paiement d'icelui.

Sentence du 16 mars suivant, qui condamna le tireur et les trois endosseurs au paiement des sommes portées par leurs concordats, et aux termes » d'iceux, sur ladite somme de 2,421 liv., avec intérêts, sous la déduction néanmoins de ce que ledit Bellon aura reçu respectivement desdits D**., B**.,

› A**. et V**., laquelle déduction sera faite successivement. »

Par cette sentence, il fut décidé qu'en vertu de l'action solidaire, Bellon était en droit de se présenter dans les quatre directions, et qu'en se présentant dans chaque direction, il ne pouvait pas prétendre être rangé relativement à la totalité de son titre, et jusqu'à entier paiement, mais qu'il ne devait être rangé que relativement à ce qui lui resterait dû, déduction successivement faite des sommes qu'il aurait reçues.

Bellon appela de cette sentence au Parlement d'Aix. Il disait que le tireur et les endosseurs étaient ses débiteurs solidaires; que tous ensemble, et chacun d'eux, étaient obligés de payer l'entière somme; que le billet devait exister dans son intégralité, jusqu'à ce qu'il eût été entièrement acquitté; que les sommes que chacun d'eux paierait scraient de simples à-comptes qu'il recevrait sans préjudice de ses droits; qu'en un mot, il avait la faculté de figurer dans chaque direction, pour le plein de sa créance primitive, laquelle subsisterait en l'état jusqu'à ce qu'il eût été entièrement satisfait. Il ajoutait que la question était neuve, qu'elle n'avait été approfondie par aucun auteur, qu'elle devait être décidée par les principes du droit.

Je fus chargé de la défense des intimés. Je dis d'abord que l'usage de la

place de Marseille avait toujours été de n'admettre le porteur du papier, dans chaque direction, que pour ce qui lui reste dû; de sorte que si, dans l'une des directions, il a reçu 50 pour 100, sa créance éteinte de la moitié ne peut plus figurer que pour la demie, dans la direction subséquente, et ainsi de l'une à l'autre. Par exemple, le billet dont je suis porteur est de 2,000 liv., et je suppose, pour la facilité du calcul, que le tireur et chacun des trois endosseurs donnent 50 pour 100. Je me présente dans la direction du tireur, qui me compte...

....

Je me présente ensuite dans celle du premier endosseur, qui me compte 50 pour 100 du reste de ma créance...

Je recevrai du second endosseur....

Enfin, du troisième......

Je serai donc en perte de........

1,000 liv.

500

250

125

1,875

125

2,000

Au lieu de m'adresser au tireur, ensuite au premier, au second et au troisième endosseur, je puis, en vertu de mon action solidaire, commencer par tel de mes codébiteurs qu'il me plaît de choisir. L'opération, devenue compliquée vis-à-vis de ceux-ci, restera toujours simple et une vis-à-vis de moi, sans être altérée à l'égard des débiteurs, lesquels, par le moyen de leurs garanties respectives, ne seront réellement tenus à rien de plus, qu'à la somme qu'ils eussent payée, si l'ordre naturel n'eût pas été interverti.

Après avoir ainsi posé l'état de la question, j'observais qu'anciennement on obligeait le porteur du titre à opter pour l'une des directions (Savary, parères 4, 48 et 90); que cette erreur avait été réfutée par Dupuy, article des lettres de change, ch. 16, et corrigée par un arrêt du Parlement de Paris, du 18 mai 1706, rapporté dans le Journal des audiences. J'avouais que, lors de cet arrêt, la question actuelle n'avait pas été agitée; mais je disais qu'elle n'avait échappé ni à Dupuy, en l'endroit cité, ni à Boutaric, sur l'art. 12, titre des lettres de change; ni à Jousse, sur l'art. 33 du même titre; ni à Pothier, en son Traité du contrat de change, ch. 5, no. 159, tom. 2, qui décident tous que lorsqu'on est entré dans une direction, on ne peut entrer dans les autres que successivement pour ce qui est dû du reste. Je convenais encore que la question n'est discutée par aucun de ces auteurs; à quoi je tâchais de suppléer par les ob-. servations suivantes :

1°. Les concordats des faillis, souscrits par les trois quarts de leurs créanciers respectifs, forment une loi à laquelle les réfractaires sont forcés de se soumettre. L'Ordonnance, dirigée par les vues du bien public, le veut ainsi. Il faut qu'en cette matière, le petit nombre subisse le sort dicté par le plus grand, et que chaque créancier chirographaire supporte la perte déterminée par la généralité de la masse. Le porteur du billet est légalement présumé renoncer à partie de sa créance vis-à-vis de chaque débiteur corrée. Cette renonciation est implicite. Elle est opérée par la force des concordats, auxquels il est obligé d'adhérer.

2o. Je ne suis véritablement créancier que de ce qui m'est dû, et nullement de ce qui m'a déjà été payé. Porteur de plusieurs signatures, j'ai le droit de me présenter dans chaque direction, en vertu de l'action solidaire qui me compète; mais dans chaque direction, je suis nécessairement soumis à deux lois l'une prescrite par la nature des choses, et l'autre dictée par le prince. Relativement à ces deux lois, je me présente, et ne puis me présenter dans chaque direction que pour la somme qui m'est réellement due. Mon billet est de 2,000 liv. J'aborde la première direction, dont le concordat est à cinquante pour cent, et je reçois 1,000 liv., parce qu'alors il m'en était dù 2,000. Mais après ce paiement reçu, mon billet n'est plus que de 1,000 liv. Je ne puis donc me présenter à la seconde direction, en vertu de mon action solidaire, que pour les 1,000 liv. qui me restent dues. Je m'y présente. Le concordat est également à cinquante pour cent : je ne puis donc prétendre que 500 liv., qui sont la moitié de ce qui m'était dû. Il reste encore 500 liv., dont la troisième direction, qui se trouve dans la même hypothèse, ne me paiera que la demie. Mon action solidaire aura, par ce moyen, produit tout l'effet dont elle était susceptible, d'après la nature des choses et la loi du prince. J'ai figuré dans chaque direction, parce que j'étais créancier solidaire de chacun des faillis. Mais chacun des faillis n'est obligé de me payer ce qui m'est dù, ou ce qui me reste dû, que relativement à son concordat.

Ce systême était réfuté avec autant de force que d'énergie, par une consultation de MM. Siméon père et Pascalis, avocats de Bellon, et par des consultations de MM. Aubry, Trouchet et le Gouvé, avocats au Parlement de Paris.

M. de Castillon, procureur général, se détermina en faveur de Bellon, et conclut à la réformation de la sentence. Mais par arrêt du 18 juin 1776, au rapport de M. de Ballon, en grand'chambre, la sentence fut confirmée, avec dépens.

La même question était alors agitée au Parlement de Paris, au sujet de certaines lettres de change tirées par M**. et endossées par L**. Ils avaient fait faillite, et obtenu une remise de la part de leurs créanciers respectifs.

Par un événement singulier, le Parlement de Paris rendit le même jour, 18 juin 1776, un arrêt diamétralement opposé à celui du Parlement d'Aix. Il fut décidé que le porteur du billet avait droit de figurer dans chaque direction, pour la totalité du titre, jusqu'à extinction de créance.

Bellon se pourvut au Conseil, et obtint du roi un arrêt, dont voici la teneur: Oui le rapport du sieur Moreau de Beaumont, conseiller ordinaire, › et au Conseil royal de commerce, le roi étant en son Conseil, ayant égard » à ladite requête, a cassé et casse ledit arrêt du Parlement d'Aix, dudit jour , 18 juin 1776, et tout ce qui s'en est ensuivi : ce faisant, a évoqué et évoque les demandes et contestations sur lesquelles ledit arrêt est intervenu, ‣ circonstances et dépendances; a ordonné et ordonne que les parties procé› deront en son Conseil, sur leurs demandes et contestations, en la forme por› tée par le réglement, pour être statué ainsi qu'il appartiendra. Fait au Con› seil d'état du roi, tenu à Versailles, le 24 février 1778. Signé Huguet de . Montaran..

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Autre arrêt du Conseil, rendu le 23 octobre 1781, qui débouta Zacharie B** et consorts de la requête qu'ils avaient présentée en opposition.

Voilà donc la question préjugée en faveur du porteur du papier. Les débiteurs corrées doivent chacun la même somme. Le titre est indivisible visà-vis de chacun d'eux : Promittentes singuli in solidum tenentur; in utrâque enim obligatione una res vertitur. § 1, inst. de duobus reis. La faillite des débiteurs corrées n'altère en rien l'individuité de la créance, qui ne cesse d'être la même dans chaque direction, et qui conserve toute sa force jusqu'à ce qu'elle soit éteinte par un entier paiement.

CONFÉRENCE.

LIV. Le Code de commerce a mis fin à ces longues controverses des auteurs, sur la question présentée. « Le créancier porteur d'engagemens solidaires entre le failli et d'autres coobligés » qui sont en faillite, participera aux distributions dans toutes les masses, jusqu'à son parfait » et entier paiement. » — »-(Art. 534 ).

Ces principes dérivent de celui de la solidarité, car il y a solidarité de la part des débiteurs, lorsqu'ils sont obligés de manière que chacun puisse être contraint pour la totalité. Le titre est indivisible à l'égard de chacun d'eux.-(Voyez d'ailleurs les art. 1200, 1201, 1202 et 120 j du Code civil, et l'art. 140 du Code de commerce; voyez notre Trailé des faillites, tom. 2′, chapitre 1, sect. 13, no. 379 ).

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CHAPITRE XI.

DE L'EXTINCTION ET NULLITÉ DES CONTRATS DE GROSSE.

SOMMAIRE.

SECT. I. Conférence des art. 11, 16 et 17,

titre des contrats à la grosse.

S1. S'il y a perte entière. $ 2. S'il y a avarie grosse. S'il y a avarie simple.

§ 3. Si l'on se trouve dans le cas d'un sinistre majeur.

Doctrine de MM. Valin et Pothier.

$ 4. Si, lors du naufrage, les effets du pre-
neur avaient déjà été déchargés à terre.
$ 5. Cas d'innavigabilité ou d'échouement.
SECT. II. Droits du donneur sur les effets
sauvés.

Sr. Nature de l'action qui compète au don-
neur sur les effets sauvés.

Le change est-il dû à proportion du sauvé ?

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En matière de contrats à la grosse, on distingue deux sortes de nullités : l'une, lorsque le contrat se trouve infecté de quelque vice ou de quelque défaut qui, dès le principe, s'oppose à son existence légale, et l'autre, lorsque le contrat s'éteint et devient nul par la perte des effets sur lesquels on avait prêté.

Cette dernière nullité n'altère point la substance du contrat considéré en lui-même. Elle délie le preneur de son obligation personnelle, en réduisant le contrat à la valeur des effets sauvés. C'est une condition résolutoire de l'engagement du preneur, qui ne s'est soumis à payer le principal et le change maritime que dans le cas d'heureuse navigation. On peut dire qu'à certains

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