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à l'exclusion de la masse et à l'exclusion des fournisseurs et des ouvriers. Il est vrai que, pendant le cours du risque, l'assurance est l'accessoire de la chose assurée, ainsi que je l'ai observé dans le présent volume. Mais, 1°. après la perte du navire, l'assurance devient un droit existant par lui-même, et produit une action directe personnelle en faveur de l'assuré, ou de la masse de ses créanciers, ou du porteur de la police; 2°. pendant que le navire est encore en risque, l'assurance, malgré sa dépendance de la chose assurée, est une créance conditionnelle susceptible de cession, et qui n'appartient ni aux fournisseurs ni aux ouvriers.

Ceux-ci auraient un moyen facile de pourvoir à leur intérêt; ce serait de se procurer des fidejusseurs, qui, moyennant un certain bénéfice, se rendissent garans de leur créance, dans le cas de perte du navire; car on peut cautionner sous condition, et il n'est pas absolument de l'essence de l'intercession d'être gratuite: Fidejubendi causâ pecuniam accipere possumus. Godefroy, ad leg. 19, S1, ff de donat., et ad leg. 6, S7, ff mandati. Heringius, de fidejus., part. 1, cap. 27, no. 119, pag. 352. Corvinus, Cod. de fidejus., pag. 661. Roccus, de assecur., not. 76. Duperier, tom. 2, liv. 2, n°. 86, pag. 94. Le cautionnement est différent de l'assurance, et ceci n'a rien de contraire à ce que j'ai dit dans le premier volume. Les ouvriers et les fournisseurs ne sont pas copropriétaires du navire. S'ils faisaient faire des assurances pour compte de leur privilége, ce seraient des assurances impropres, qu'on regarderait comme de véritables fidejussions, et qu'on autoriserait sous ce titre. Du moins je le pense; car faut-il bien, en pareille occurrence, laisser aux fournisseurs et aux ouvriers une ressource qui soit capable de remplir leur intérêt, et de concilier la sévérité des règles avec l'équité naturelle.

Au reste, on aurait tort de conclure de là qu'il soit permis aux matelots de faire cautionner leurs salaires; au donneur, le change maritime; au marchand, le profit espéré de la marchandise; et au capitaine, le fret à faire. Les raisons tirées du droit public ne permettent de faire ni cautionner, ni assurer pareils objets. Les naufrages deviendraient trop fréquens, si l'intérêt personnel ne veillait pas à la conservation des navires. D'ailleurs, les salaires, le profit, le fret à faire, et le change à gagner, dépendent d'un événement incertain, et forment une créance conditionnelle qui n'a aucune assiette positive, et qui est aussi peu susceptible de cautionnement que d'assurance maritime; au lieu que le privilége des fournisseurs et des ouvriers est un droit acquis, auquel les considérations susdites ne peuvent point s'appliquer.

Toutes ces questions furent discutées à l'occasion d'un arbitrage dont voici

les circonstances: Jean Chauvin était créancier dans la faillite des frères L**, de 2,020 liv., pour fournitures faites à la barque l'Aimable Louise, capitaine Bauzan. Etienne Jourdan, maître constructeur, était créancier dans la même faillite, de 4,138 liv., pour reste du prix du navire les Deux Frères, capitaine Guérin. Les frères L** firent faillite.

Le sieur Chauvin se pourvut contre eux et la masse de leurs créanciers, au tribunal consulaire de Marseille, en condamnation des 2,020 liv. à lui dues; pour raison de quoi il requit d'être déclaré privilégié sur les assurances faites sur le corps de la barque l'Aimable Louise, qui avait été prise par les Anglais. Le sieur Jourdan se pourvut aussi contre les faillis et la masse des créanciers, en condamnation des 4,138 liv. à lui dues, et requit d'être déclaré privilégié et préférable sur le produit des assurances faites sur le corps du navire les Deux Frères, également pris par les Anglais. Sentence arbitrale, rendue par MM. Brés, Gignoux et moi, le 31 mai 1783, qui rejeta le privilége que Jourdan et Chauvin réclamaient sur les sommes assurées, parce que leur droit de gage s'était évanoui par la perte des navires qui leur étaient affectés.

Il suit du même principe, que le droit de gage qui compète au donneur sur l'universalité des effets que le preneur a mis en risque, n'est jamais transmis sur les assurances que celui-ci avait faites sur son découvert. Il est vrai que pour le capital, le donneur est préféré aux assureurs, sur les effets sauvés du naufrage. Art. 18, titre des contrats à la grosse; mais voilà tout. Le bénéfice des assurances concernant le découvert du preneur reste propre à ce dernier. Il faudrait cependant l'en priver, si la doctrine de M. Valin était adoptée. Vide mon Traité des assurances, ch. 17, sect. 12.

Dans mon Traité des assurances, ch. 17, sect. 11, 12, 13 et 14, j'ai parlé du concours des assureurs avec les matelots, de celui des assureurs avec les donneurs, et de celui des assureurs entre eux. Dans le présent Traité, ch. 11, sect. 2, j'ai parlé du concours du donneur avec le preneur, et dans le présent chapitre, sect. 4 et 5, j'ai parlé du concours des donneurs entre eux, etc.

CONFÉRENCE,

LXVI. Voyez les art. 261 et 381 du Code de commerce. Il faut, avec Emérigon, rejeter l'avis de Valin, qui prétend que si le navire périt, mais qu'il ait été assuré, le privilége des fournisseurs et ouvriers sera transféré de droit sur le recouvrement d'assurance, sauf à tenir compte de la prime, si elle n'a pas été payée. L'axiôme subrogatum tenet locum subrogati, doit s'entendre du cas où la chose a été transmise à un autre par le propriétaire, qui a reçu une autre chose à la place; comme si le propriétaire du navire l'avait vendu, il est certain que le

T. II.

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$ 3. Concours de divers créanciers.

privilége sur le navire se transférerait de plein droit sur le prix. Mais quand la chose est périe dans la main du débiteur, certainement tout privilége est éteint. (Loi 8, ff quibus modis pignus vel hypotheca solvitur). Est-il possible de supposer qu'une assurance, qui est une convention étrangère aux créanciers privilégiés, qui est passée entre le propriétaire et un tiers, ait l'effet de faire revivre le privilége sur le navire ? Ne peut-on pas dire, d'ailleurs, qu'il en est ici comme dans l'espèce de la loi 18, § 3, ff de pigneratitiâ actione, qui décide que le créancier qui a une hypothèque sur des bois, n'en a aucune sur le navire construit avec ces mêmes bois, parce que, dit la loi, autre chose est le navire, autre chose est la matière qui a servi à le construire: Aliud est materia, aliud est navis? Il y a incontestablement plus d'affinité entre un navire et les pièces de bois employées à sa construction, qu'entre ce même navire et une somme d'argent due par les assureurs. Il faut donc décider, avec Emérigon, que, dans notre hypothèse, le montant de l'assurance appartient à la masse des créanciers.

Il faut également décider, avec Emérigon, la négative sur la question de savoir si les fournisseurs et ouvriers peuvent sommer le propriétaire du navire qui a mis à la voile, de déclarer s'il l'a fait assurer, et jusqu'à quelle somme; et, en cas de non assurance, s'ils peuvent le faire assurer jusqu'à concurrence de leur dû. Ils auraient sans doute pu faire saisir le navire avant le départ; mais l'ayant laissé partir, il ne leur reste plus que l'action personnelle contre l'armateur, et l'action de privilége sur le vaisseau. Le soin de faire des assurances regarde le propriétaire, et s'il est en faillite, ce soin regarde la masse générale des créanciers.

Néanmoins, les fournisseurs et ouvriers peuvent se procurer des fidéjusseurs, qui, moyennant un certain bénéfice, se rendraient garans de leur créance dans le cas de perte du navire, car on peut cautionner sous condition.

Mais, comme l'observe Emérigon, il ne suit pas de là qu'il soit permis aux matelots de faire cautionner leurs salaires; au donneur à la grosse, le change maritime; au marchand chargeur, le profit espéré de la marchandise, et au capitaine, le fret à faire.

L'art. 18, contrat à la grosse, de l'Ordonnance, a éprouvé une modification par la loi nouvelle. Le donneur n'est plus préféré aux assureurs pour son capital sur les effets sauvés du naufrage. L'art. 331 du Code de commerce porte: S'il y a contrat à la grosse et assurance » sur le même navire ou sur le même chargement, le produit des effets sauvés du naufrage » est partagé entre le prêteur à la grosse, pour son capital seulement, et l'assureur, pour les » sommes assurées, au marc le franc de leur intérêt respectif, sans préjudice des priviléges » établis à l'art. 191. »

$ 1.

SECTION VIII.

Privilége en matière de cession d'intérêt.

LES Cessions d'intérêt sur corps et facultés, ou sur pacotille, sont fréquentes Observations gé parmi nous. Elles forment une espèce de société anonyme. L'expédition se

nérales.

fait au nom du cédant seul, qui en est le directeur, et qui s'oblige de faire part à son participe du net produit de la chose commune, relativement à l'intérêt cédé. Je dis le net produit; ce qui signifie qu'on déduit toutes les dépenses et toutes les dettes sociales. Si le cédant avait fourni l'entier capital, il le prélèverait avant le partage, et serait préféré à cet égard aux créanciers particuliers de son consort.

Il est prudent de faire enregistrer la cession au greffe de l'amirauté, avant le départ du navire; car autrement, l'intérêt cédé sur le corps continuerait d'être affecté à toutes les dettes du vendeur, en conformité de l'art. 3, titre des navires.

Puisque le cédant est le directeur de l'expédition commune et le chef de la société, ceux qui lui ont fourni des deniers à la grosse, sont préférés au cessionnaire, quoique celui-ci eût fourni son contingent. Le sieur *** commandant le navire l'Aigle, intéressé au corps et cargaison de ce navire, céda 6,000 liv. de son intérêt au sieur Bodington, et 4,000 liv. au sieur Stamma. Il emprunta en même tems à la grosse diverses sommes des sieurs Orgeas, Soria et Pauquet. Le navire partit pour les Indes. Il retourna. Procès entre les cessionnaires et les donneurs. Sentence de l'amirauté, qui adjugea la préférence à ceux-ci, et c'est ainsi que la question fut encore décidée par l'arrêt du 6 juin 1778, rapporté dans la sect. 6 du présent chapitre.

Si le cessionnaire prend de son côté des deniers à la grosse, et qu'il reste en arrière de sa mise en fonds, le cédant sera en droit de se remplir de ses avances, à l'exclusion des donneurs. Les effets communs n'ont jamais cessé d'être sous la main du cédant; ils forment son gage spécial: Venditor, pignoris loco, quod vendidit retinet, quoad emptor satisfaciat. Loi 51, § 8, ff de ædil. edict. Loi 13, §8, ff de act. empt. Loi 22, ff de hæred. vendit. Loi 14, § 1, ff de furtis. Je cède un intérêt sur corps et cargaison de mon navire à mon capitaine ou à mon supercargue, lequel, dans la crainte de rester, en cas de naufrage, débiteur personnel de l'intérêt cédé, déclare ne le prendre qu'à retour de voyage. L'objet principal des parties a été d'établir une espèce de société, qui, en excitant le zèle du préposé, ne porte aucun préjudice à l'armateur. Cette société ne change pas de nature par l'accession du pacte de grosse, qui n'en est qu'un incident et une suite; car, pour juger de la nature d'un contrat, il faut examiner ce qui prépondère, à præponderante naturâ, contractus judicatur. Duplessis, tom. 1, pag. 370. Vide l'arrêt de Floret, rapporté ci-dessus, ch. 5, sect. 4, § 2. Vide encore le ch. 1, sect. 4, § 2.

S'il était permis à un capitaine ou à un supercargue d'abuser de la con

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Quid, si pour prix de l'intérêt cédé, le

cessionnaire fait ses billets de grosse au cédant?

fiance qu'on a eue en lui, et d'aggraver, par des contrats de grosse particuliers, la portion à lui cédée, l'usage de pareilles sociétés nautiques s'évanouirait bientôt. Les mariniers industrieux seraient privés de cette ressource, et les armateurs ne voudraient plus risquer leur bien, par des cessions qui pourraient leur devenir fatales.

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Celui qui, dans le lieu de la demeure des armateurs, et sans leur consentement, fournit des deniers au capitaine ou au supercargue, doit savoir que le preneur ne peut engager que la part réelle et libre qu'il a sur le navire. Si cette part se réduit à la participation indivise d'un intérêt cédé et non payé, il est juste que l'armateur, qui n'a jamais cessé d'avoir sous sa main le total du navire et de la cargaison, se récompense lui-même de sa mise en fonds sur les effets sociaux, dont la qualité n'a pas été altérée par un pacte de grosse accessoirement annexé à l'opération principale: Illud adnotandum est, quòd quandò unus contractus incidit in alium per modum pacti, talis contractus dicitur accessorius, et pars ipsius contractûs principalis : et ideò illa actio, quæ proficiscitur ex contractu principali, oritur etiam ex incidenti. Et ità ille contractus semper inspicitur, qui est principalis, non accessorius. Mantica, de tacitis, lib. 1, tit. 14, no. 12, pag. 35.

Ce que je viens de dire n'a pas lieu, si, pour prix de l'intérêt cédé, le cessionnaire a fait ses billets de grosse au cédant. Il est vrai que le vendeur à crédit n'innove pas sa créance, en recevant des billets à ordre valeur reçue en marchandises; car pareils billets sont la nue réitération du titre, et ne sont donnés que comme une suite et une espèce de cautionnement de l'obligation principale, laquelle reste toujours la même : Cedula bancaria datur pro cautelâ et cautione. Merlinus, de pignor., lib. 5, quest. 30, n°. 33, pag. 601. Mais le cédant qui convertit en billets de grosse l'intérêt cédé, devient donneur ; il acquiert une créance nouvelle, et de nature différente. Il s'opère alors novation Sine dubio locum habet novatio, quandò ultimus contractus, cum primo non compatitur. Tunc enim posteriora derogant prioribus. Mantica, de tacitis, lib. 17, tit. 3, no. 13, pag. 292. Casaregis, disc. 21, no. 4 et seq.

Le sieur Louis Aycard était propriétaire du corps et de la cargaison du senaut l'Actif. Il en céda à Honoré B** la demie, se montant à 70,078 liv. 5 s. 4 d. B** prit à la grosse, de divers, 29,871 liv. sur les facultés. Il restait devoir à Aycard 34,007 liv.; pour raison de quoi, le 23 octobre 1773, il fit à Aycard trois billets à la grosse de 12,000, 9,007, et 13,000 liv., conçus en ces termes : Je soussigné Honoré B**, intéressé pour la demie au corps, armement et › cargaison du señaut l'Actif, capitaine Pierre Guichard, ancré dans ce port

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