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humain, se croyaient coupables. Sur cette doctrine fondamentale s'élevèrent les institutions religieuses, en sorte que les hommes de tous les tems ne cessèrent jamais d'avouer une déchéance originelle et générale, de répéter comme nous, quoique dans un sens moins rigoureux: Nos mères nous ont conçus dans le crime.

› L'idée d'un crime et de la punition qu'il mérite, est géné ralement la source des sacrifices.

3. Sacrifices sanglans.

Les anciens avaient coutume d'offrir non-seulement des présens, des dons, des prémices, mais encore la chair des animaux. S'ils n'avaient voulu par là que rendre hommage à la Divinité et reconnaître sa suprématie sur toutes les créatures, ils se seraient bornés à lui offrir cette chair, et à la placer sur ses autels. Toutefois les peuples ne se contentèrent point d'une offrande si simple; ils immolaient les animaux, ils répandaient leur sang en l'honneur des dieux et pour sceller la réconciliation. Le culte exigeait donc une victime choisie et l'effusion du sang. On croyait que c'était moins l'offrande de la chair que cette effusion, qui possédait la vertu expiatoire, indispensable aux hommes 1.

› Les anciens regardaient le sang comme un vivant fluide où

Comme l'a très-bien remarqué l'auteur de l'Essai sur l'indifférence, S. Paul, expliquant aux Hébreux le dogme de la Rédemption, fondement de tout le Christianisme : « Point de rémission, dit-il, sans l'effusion » du sang (Epit. aux Héb., 1x, 22.); » et en parlant ainsi, l'apôtre n'annonce point une doctrine nouvelle, il ne fait qu'exposer la croyance du genre humain depuis l'origine du monde. « C'était, comme le re» marque un célèbre orientaliste, Bryant, une opinion uniforme et qui » avait prévalu de toute part, que la rémission ne pouvait s'obtenir que par le sang, et que quelqu'un devait mourir pour le bonheur d'un autre.. (Mythology explaned, tom. 1, in-4°.)

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• Aucune nation n'a douté, dit M. le comte de Maistre, qu'il n'y eut » dans l'effusion du sang une vertu expiatoire.... L'histoire, sur ce point, » ne présente pas une seule dissonance dans l'univers. La théorie entière reposait sur le dogme de la réversibilité. On croyait, comme on a tou» jours cru, comme on croira toujours, que l'innocent pouvait payer » pour le coupable. ■ (Soirées de Saint-Pétersbourg; éclaircissement sur les sacrifices, tom. 1.)

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résidait l'âme; la vie et le sang se trouvaient, pour ainsi dire, les deux termes identiques d'une équation. De là vient aussi qu'ils pensaient que le ciel, irrité contre la chair et le sang, ne pouvait être apaisé que par son effusion, et aucun peuple n'a douté qu'elle n'eût la propriété d'expier le crime. Or, ni la raison ni la folie ne donnèrent naissance à cette idée, et, bien moins encore, ne la firent adopter si généralement. L'histoire ne nous montre pas dans l'univers une seule contrée qui lui soit restée inaccessible. C'était une opinion uniforme, dont le règne embrassait tous les pays, qu'on ne pouvait obtenir que par le sang la rémission du crime et le retour des faveurs célestes. Ce point une fois admis, la nature des sacrifices païens se dévoile à notre vue, autant, du moins, que la faiblesse de nos sens nous permet de l'apprécier.

4.- Universalité de la doctrine de la rédemption par l'effusion du sang.

> Rien ne frappe plus, dans les lois de Moïse, que ses constans efforts pour garantir les Juifs des pratiques du Paganisme, pour séparer le peuple Israélite du reste des peuples en lui imposant des rites particuliers; mais, relativement aux sacrifices, il abandonne son système général : il se règle d'après les rites fondamentaux des autres nations, et même, ne se contentant pas de s'y conformer, il ajoute à leur rigueur, exposant ainsi le caractère national à acquérir une dureté dont, à coup sûr, il n'avait pas besoin. De toutes les cérémonies prescrites par ce célèbre législateur, il n'en est pas une, il n'est surtout aucune purification, même physique, pour laquelle le sang ne soit nécessaire. Je signale principalement les purifications et les sacrifices expiatoires, fixés par les lois, et dont le but était de sanctifier et de réconcilier.

› Remarquons surtout la fête de l'expiation solennelle, à laquelle tout le peuple se purifiait et rentrait en grâce avec le Seigneur. La purification s'opérait par l'immolation de certaines victimes 1, du sang desquelles on arrosait la terre et l'on faisait des aspersions; voici quelques circonstances de la fête

1 M. de Maistre observe que les animaux carnassiers, ou stupides, ⚫ ou étrangers à l'homme, comme les bêtes fauves, les serpens, les pois» sons, les oiseaux de proie, etc., n'étaient point immolés. On choisissait

solennelle : Purifié déjà par le sacrifice d'une victime, le grandprêtre apporte le sang du bouc, tué pour le péché du peuple, audedans du voile; il en arrose la terre devant l'oracle, et purifie le sanctuaire des impuretés des enfans d'Israël, de leurs prévarications, de tous leurs péchés. Offrant alors le bouc vivant, il met ses deux mains sur sa tête, confesse toutes les iniquités des enfans d'Israël, en charge avec imprécation la tête du bouc, et l'envoie au désert par un homme destiné à cette mission 1.

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› A la suite se trouve le commandement fait aux enfans d'Israël: Au 10 jour du septième mois, vous affligerez › vos âmes; c'est en ce jour que se fera votre expiation et › la purification de tous vos péchés; vous serez purifiés devant le › Seigneur. Car c'est le sabbat et le grand jour du repos 2. ›

Cette expiation, ordonnée par Moïse, inséparable de l'effusion du sang des victimes, était l'image de l'expiation générale des crimes du genre humain, par le sacrifice de la croix et par le sang de Jésus-Christ.

› De même que chez les Juifs, d'après les lois mosaïques, l'immolation des victimes et l'effusion de leur sang, dans le but d'apaiser les dieux, étaient universellement en usage chez les Païens. Une maladie contagieuse exerçait ses ravages dans le camp des Grecs; Achille veut connaître la cause de ce grand › courroux d'Apollon; s'il punit la transgression d'un vœu ou › le refus de quelque hécatombe; et si, daignant agréer un sa› crifice de victimes choisies, il veut écarter loin des Grecs la › contagion et la mort. ›

D'après la réponse de l'oracle, Agamennon ordonne > aussitôt aux peuples de se purifier : ils se purifient et jettent › l'eau lustrale dans la mer. Ils immolent au dieu du jour des ⚫ hécatombes choisies, de taureaux et de chèvres, près la rive

⚫ toujours parmi les animaux les plus précieux par leur utilité, les plus » doux, les plus innocens, les plus en rapport avec l'homme par leur instinct et leurs habitudes. Ne pouvant enfin immoler l'homme pour » sauver l'homme, on choisissait, dans l'espèce animale, les victimes ⚫ les plus humaines, s'il est permis de s'exprimer ainsi. » (Eclaircissemens sur les sacrifices; tom. 11.)

1 Lévit. XVI, 15, 16, 21.

2 Ibid. xvi, 29-31.

⚫ de l'indomptable Océan : la graisse des victimes s'élève jus▸ qu'au ciel en tourbillons de fumée. »

Et lorsque Chrysès eut reçu sa fille chérie, ils rangent aus› sitôt l'hecatombe autour du superbe autel; ils versent sur leurs › mains une eau pure, et prennent l'orge sacrée 1.

› Horace nous dit :

› Que mon encens, que les sons de ma lyre, que le sang de › la victime promise, acquittent ma reconnaissance envers les › Dieux qui ont veillé sur les jours de Numide 2.,

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⚫ Quiconque a étudié l'antiquité connaît les Tauroboles et les Crioboles, auxquels donna lieu en Orient le culte de Mithra. L'effet de ces sacrifices consistait dans une parfaite purification, dans la disparition de tous les crimes, dans une régénération morale et complète. Afin de renaître ainsi pour l'éternité (résultat qu'attribuaient les prêtres à ce genre de sacrifices, quoiqu'ils recommandassent de les renouveler après un laps de vingt ans), on descendait nu dans une fosse profonde, recouverte avec une planche percée d'une foule d'ouvertures. Sur cette planche on égorgeait un taureau ou un bélier, de manière à ce que leur sang, encore tiède, jaillit sur toutes les parties du corps du pénitent. Quand on immolait un taureau, le sacri. fice s'appelait Taurobole; il se nommait au contraire, Criobole, lorsqu'on employait un bélier.

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› Au témoignage de Grégoire de Nazianze, Julien l'Apostat se soumit lui-même à cette bizarre superstition. Ce fut donc la croyance constante de tous les hommes et de tous les tems, que l'effusion du sang avait la vertu de sanctifier et de racheter. Dans sa forme extérieure, cette croyance se modifia suivant le caractère et le culte des différeas peuples; mais partout le principe est visible. Comment, dès lors, prétendre avec quelque droit, que le paganisme s'est fait illusion sur cette idée fondamentale et universelle, c'est-à-dire la rédemption au moyen du sang? S'appuierait-on sur l'impossibilité où était le genre humain de deviner la vertu de ce sang, nécessaire à sa régénération? sur ce que l'homme, abandonné à lui-même, ne pouvait con1 Iliade d'Homère, chant 1.

2 Et thure et fid:bus juvat

Placare, et vituli sanguine debito
Custodes Numidæ deos.

(Odes. Liv. 1, 36, 3.)

naître ni la grandeur de sa chûte, ni l'immensité de l'amour dont il devenait l'objet.

› Nonobstant ces objections, toujours est-il que chaque peuple, quelques notions qu'il possédât sur la déchéance originelle, connaissait et le besoin et la nature du moyen de salut. Assurément les racines d'une croyance si extraordinaire, si générale, doivent être profondes. Si elle n'avait pas eu un fondement réel et mystérieux, pourquoi Dieu même l'aurait-il consignée dans les lois Mosaïques? Où les anciens auraient-ils puisé l'idée d'une régénération morale? Pourquoi, dans tous les lieux et à toutes les époques, afin d'honorer la Divinité, de se concilier ses faveurs, de détourner sa colère, aurait-on choisi une cérémonie dont l'esprit, isolé de tout secours étranger, ne saurait donner l'idée ? La nécessité nous force de reconnaître l'existence de quelque cause cachée, et cette cause était bien puissante.

5.Sacrifices humains.

› Dès les temps les plus éloignés où l'histoire nous permette de porter nos recherches, nous voyons tous les peuples, barbares ou civilisés, malgré la tranchante différence de leurs opinions religieuses, se réunir et se confondre en un point, convaincus de l'utilité d'un Médiateur, persuadés qu'on adoucit la colère divine par des sacrifices, c'est-à-dire, par la substitution des souffrances des autres créatures à celles du vrai coupable. Cette croyance, raisonnable dans son principe, mais soumise à l'action de la puissance qui s'est partout manifestée par de déplorables résultats, produisit, outre les sacrifices d'animaux, la superstition horrible et trop généralement répandue des sacrifices humains. Vainement la raison disait-elle à l'homme qu'il n'avait aucun droit sur son semblable, que tous les jours il convenait lui-même solennellement de cette vérité, en répandant le sang des animaux pour racheter celui de l'homme; vainement la douce humanité, le sentiment si naturel de la compassion prêtaient-ils de nouvelles forces à l'autorité de la raison : l'esprit et le cœur se trouvaient impuissans contre les progrès de cette abominable superstition. On serait tenté de récuser le témoignage de l'histoire, lorsqu'elle nous montre le triomphe de cette coutume révoltante dans tous les pays de la terre: malheu

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