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vis-à-vis les uns des autres, les jeunes gens, ces transfuges de l'ignorance et du néant, et les vieillards, ces invalides de la vie, qui, après avoir usé leur corps au travail de ce monde, sont sur le point de commencer, dans un autre, ces travaux mystérieux qui se feront dans un repos éternel.

Mais, pour pouvoir juger avec plus de sagesse du tems présent, reculons les barrières étroites de ce siècle, étendons notre vue, et voyons ce qui se faisait dans les tems anciens.

Celui qui connaît l'histoire, sait que, dans ces tems antiques, la vieillesse recevait une espèce de culte religieux, de manière que vieillard et sage étaient deux termes ayant même signification. Aussi chez les Hebreux comme chez les Egyptiens, en Perse comme en Grèce, à Rome comme à Pékin, parmi les Gaulois comme parmi les Germains, les vieillards sont instituteurs et juges. Partout, dans Homère comme dans Virgile, dans les Védas comme dans le Coran, dans la Bible comme dans l'Invariable-Milieu, nous trouvons écrit ce précepte du sage Parle, vieillard, la parole te convient; car la première paro le est à celui qui a la science 1.

D'autre part, l'on voit que les jeunes gens sont d'autant plus estimés, plus dignes d'éloges, qu'ils rendent plus d'honneur aux vieillards, ont plus de respect pour leurs paroles, plus d'amour pour leurs enseignemens. Aussi, dans les conseils et dans les temples, dans la salle de festin et sur les places publiques les jeunes gens reconnaissent aux vieillards le droit d'une présidence naturelle; et si, dans Athènes, une jeunesse livrée aux sophistes, ne pratiquait plus ces vertus antiques, au moins conservait-elle encore profondément le sentiment de la convenance, comme le prouvent les applaudissemens unanimes donnés aux ambassadeurs lacédémoniens, qui, au théâtre, s'étaient levés de leur place pour la céder à un pauvre vieillard.

Après le respect dû à la vieillesse, la qualité que l'on recherchait le plus dans les jeunes gens, était de savoir garder le silence et d'écouter. « Ecoutez mes avis, dit Nestor au roi des >> Grecs et au bouillant Achille, car vous êtes tous deux plus

'Loquere, major natu: decet enim te; primum verbum diligenti scientiam. Eccl. ch. xxx11, v. 4.

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» jeunes que moi 1. « Ecoute en silence, dit l'auteur inspiré >> qui faisait profession d'avoir recueilli les paroles antiques dites

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» dès le commencement, et à cette qualité, l'on dira que tu as » de la bonne grâce. Parle à peine, même dans ta propre cause; » que ta réponse ne commence que lorsque tu auras été inter»rogé deux fois; sois en beaucoup de choses comme les igno»rans: garde le silence, pour ainsi dire, en interrogeant. Ne pré»sume point de toi-même au milieu des grands; ne parle pas »beaucoup là où il y a des vieillards; et, semblable à l'éclair » qui précède la tempête, la bonne grâce apparaîtra dans ta » retenue *.)

Or, ce qu'il est important de remarquer ici, c'est que ces hommages rendus à la vieillesse, n'étaient pas une condescendance accordée à la faiblesse, ou un égard concédé à la vanité, ou une pitié excitée par une tête chauve, respect insultant, pire que le mépris et l'injure; ces devoirs étaient fondés sur tout ce qui peut émouvoir le cœur d'un jeune homme, c'est-à-dire, la nécessité de connaître, le besoin de former son esprit et de recevoir les règles de ses actions.

En effet, on lui disait : « Ne méprise point les discours des »sages vieillards, nourris-toi de leurs sentences; car c'est d'eux » que tu apprendras la sagesse et la science de l'intelligence... Ne » perds rien de leurs narrations, car ils ont appris de leurs » pères, et c'est d'eux que tu recevras l'intelligence, et que tu » apprendras à répondre, quand tu y seras obligé 3. Tiens-toi du

· Αλλὰ πίθεσθ ̓ ἄμφω δὲ νεωτέρω ἐστὸν ἐμεῖο. Iliad. liv. 1, ν. 259.

2 Audi tacens, et pro reverentià accedet tibi bona gratia: adolescens, loquere in tuâ causâ vix; si bis interrogatus fueris, habeat caput responsum tuum. In multis esto quasi inscius, et audi tacens simul et quærens. In medio magnatorum non præsumas, et ubi sunt senes non multùm loquaris: ante grandinem præibit corruscatio, el ante verecundiam præibit gratia; et pro reverentiâ accidet tibi bona gratia. Eccl., ch. xxxn, V. 9. et suiv.

Ne despicias narrationem præsbyterorum sapientium, et in proverbiis eorum conversare; ab ipsis enim disces sapientiam, et doctrinam intellectûs.... Non te prætereat narratio seniorum; ipsi enim didicerunt à patribus suis; quoniam ab ipsis disces intellectum, et in tempore necessitatis dare responsum. Eccl., ch. vin, v. 9 et suiv.

»côté du grand nombre des vieillards, et embrasse leur sagesse » du fond de ton cœur, afin que tu puisses apprendre tous les discours de Dieu, et que tu ne perdes point les paroles de sa »louange '; car je le répète, la sagesse est dans les anciens, et » la prudence dans les longues années'. »

Après toutes ces raisons, on ne s'étonne plus de lire dans les Ecritures, que s'il faut humilier sa tête dvant ses chefs et « son » souverain, devant les vieillards, il faut humilier son âme 3. » C'est aussi pour cela que le prince des Apôtres, le dépositaire du pouvoir du Christ, a fait ce commandement : « Jeunes gens, soyez » soumis aux vieillards 4; » et que l'apôtre des nations, allant encore plus loin, defend à son disciple de leur faire même des reproches Seniorem ne increpaveris, sed obsecra ut patrem3.

La jeunesse, de son côté, n'était pas rebelle à des devoirs si bien prouvés, à des respects si bien mérités. Partout nous voyons les enfans, quel que soit leur âge, suivre la voix du chef le plus ancien de la famille ou de l'assemblée, soit que cette voix fût un ordre ou un conseil. Chez les Hébreux, c'étaient les vieillards, c'étaient les pères qui assignaient les places,qui faisaient les parts, qui jugeaient les causes et mettaient fin aux contestations. Chez les Egyptiens, c'étaient les vieillards qui présidaient à l'éducation de la jeunesse, réglaient les états, décidaient les vocations, de manière que le fils ne pouvait en avoir une autre que celle que lui léguait son père. Chez les Germains et la plupart des peuples du nord, les enfans et les jeunes gens devaient être toujours debout devant les pères et les vieillards, comme pour montrer qu'ils étaient prêts à exécuter leur volonté. On connaît ce gou

1 In multitudine præsbyterorum prudentium sta, et sapientiæ illorum ex corde conjungere, ut omnem narrationem Dei possis audire, et proverbia laudis non effugiant à te. Eccl., ch. vi, v. 35.

In antiquis est sapientia, et in multo tempore prudentia. Job. ch. xn,

V. 12.

› Præsbytero humi ia animam tuam, et Magnato humilia caput tuum. Eccl., ch. IV. v. 7.

4 Similiter adolescentes estole subditi senioribus. I. S. Pierre, ch. v, V. 5

'Ne fais point de reproche au vieillard, mais conjure-le comme ton père. I Timoth. ch. v V. 1.

vernement de la Grèce, dans lequel tout vieillard avait droit de châtiment et de punition sur quelque jeune homme que ce fût, et dans l'histoire duquel se trouve la plus belle page qui ait été écrite à la louange des vieillards et des jeunes gens. Elle est digne d'être citée en exemple.

Depuis les tems les plus reculés, et d'après des traditions, qui remontaient jusqu'à Hercule même, Sparte avait toujours été en possession de la prééminence sur toutes les cités de la Grèce, et lorsque plusieurs populations étaient réunies en armes, elle avait le privilége de fournir le général qui devait les commander. Eh bien ! il vint une époque où une nation rivale, ivre de la multitude de ses vaisseaux, de la prospérité de son commerce, de l'immensité de ses esclaves et de ses richesses, prétendit lui enlever cette prééminence. Il s'agit d'une guerre où il faudra que les Spartiates obéissent, eux qui ont toujours commandé..... Oh! des cris d'indignation et de fureur retentissent sous la voûte des Leschès. On attaque leur honneur et leur gloire ; les jeunes Spartiates sont en armes, et la patrie sera promptement vengée. Mais un Vieillard intervient, ce vainqueur de la fureur de la jeunesse se nommait Hétémaridas,

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il leur représente le danger de la désunion; leur remontre que l'orgueil est le plus grand des fléaux d'une nation, et qu'il est bien plus glorieux de commander à ses passions qu'à tous les Grecs réunis. Sur-le-champ la fougue de la jeunesse tombe, et elle décide qu'il vaut mieux renoncer aux prérogatives qu'aux

vertus.

Tels étaient les rapports ordinaires entre les jeunes gens et les vieillards. Déférence, respect, soumission dans les uns; prééminence, direction, science, autorité dans les autres. C'est ainsi que la famille se continuait, et avec elle les traditions. Le chef de la famille mourait, mais ne changeait pas ; car il laissait toujours un autre lui-même. C'est ce que nous dit encore le Sage avec sa naïveté sublime:

Le père est mort, et presque il n'est pas mort, et quasi non est › mortuus, car il laisse après lui un semblable à lui-même. Il a »vu son fils dans sa voie, et s'est déjà réjoui en lui. Aussi il n'a » point été triste au moment de sa mort, et n'a point eu de » confusion à cause de ses ennemis ; car il laisse contre eux un

» défenseur de sa maison; et, pour ses amis, quelqu'un qui >> leur continuera sa reconnaissance '.>

Que si maintenant, de ces hauteurs de l'antiquité, nous ramenons notre vue sur le siècle présent, pour examiner aussi quels rapports existent entre les jeunes gens et les vieillards, qu'y apercevons-nous ? Hélas! la plupart de ces rapports sont détruits. Une jeunesse inquiète, entreprenante, malheureuse, s'y remue, pleine de mépris pour la croyance de ses pères, pleine de dérision pour leur crédulité. Les vieillards sont pour elle des esprits affaiblis, dont les organes usés ne peuvent plus donner à l'âme le secours nécessaire pour remplir les plus belles fonctions de l'intelligence. Aussi on la voit se rire de ces anciens du jour, mépriser leurs opinions surannées, leur opposer avec jactance les espérances de leurs théories nouvelles. Les Vieillards de notre siècle sont rejetés hors de la sociéte humaine; car il est décidé, dans l'esprit de la jeune génération, que, dénaturés par de longs préjugés, ils ne sont plus même capables de voir et de comprendre la beauté des inventions récentes.

Une fois déjà, dans le siècle dernier, s'est montrée au monde une jeunesse, laquelle devenue homme, s'est levée et a brisé tous les ouvrages de ses pères. Cette génération a été abîmée en grande partie dans la tempête qu'elle avait excitée. Mais des enfans, semblables à elle, sont nés et remplissent nos colléges, nos écoles et nos académies. Qu'avons-nous à attendre ou à redouter d'eux ? Je ne sais. Toujours est-il que cette jeunesse renie puissamment l'autorité et la croyance des siècles passés. Toujours est-il qu'elle n'a point, je ne dirai pas, du respect, car elle tient à être polie et de bon ton, cette jeunesse, mais qu'elle n'a point de confiance dans la sagesse des vieillards, et qu'elle ne s'attache pas à leurs croyances, qu'elle ne les consulte pas, qu'elle n'est disposée à se fier ni à leur science, ni à leur expérience.

Aussi, j'oserai le dire, il existe bien encore des aggrégations

1 Mortuus est pater ejus, et quasi non est mortuus: similem enim reliquit sibi post se. In vià sua vidit, et lætatus est in illo; in obitu sco noa est contristatus, nec confusus est coram inimicis. Reliquit enim defensorem domûs contra inimicos, et amicis reddentem gratiam. Eccl., ch. XXX, V. 4.

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