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sades, qu'ils ont copié le récit de Flavius Josephe lorsqu'il parie de cent mille Juifs massacrés dans l'enceinte du temple, et dont les cris retentissaient jusqu'aux montagnes voisines. Abulfeda porte à soixante mille le nombre des Musulmans qui périrent dans la mosquée d'Omar. « Voulez-vous savoir, dit Godefroy de Bouillon dans une lettre au pape, ce qu'on a fait des ennemis? sachez que dans le portique de Salomon et dans le temple, les nôtres ont eu du vil sang sarrasin jusqu'au frein de leurs che

vaux..

Du haut du parvis nous pûmes distinguer, malgré l'obscurité, l'ensemble des bâtimens entremêlés d'arbres et de plateformes, et au milieu d'eux la fameuse mosquée de la Roche, dont le dôme élevé domine le parvis et toute la ville de Jérusalem. Avant d'y pénétrer, notre conducteur nous fit ôter nos babouches; et cet homme qui exposait sa vie et la nôtre, était surtout occupé de l'idée de ne point manquer au respect qu'il portait à ce lieu. Nous passâmes entre la mosquée et un bâtiment fort élégant à l'est; c'est un oratoire octogone et non point circulaire comme le porte le plan d'Ali-Bey: il est soutenu par douze colonnes d'une seule pièce de marbre rougeâtre. Entre les deux colonnes, vers le sud, est un renfoncement où on fait la prière. Ce lieu est nommé le Mekkemet-Daoud ou tribunal de David, et est en grande vénération; de là nous pa sâmes au côté sud du temple, et nous entrâmes sous un péristyle qui fait face à la maison du gouverneur. Ce péristyle est soutenu par huit colonnes, tant de vert antique que de marbre mélangé.

La mosquée est un édifice octogone, dont chaque côté a soixante pieds de long. L'intérieur est composé de deux nefs et d'un dôme majestueux. La première nef est soutenue par seize colonnes et huit piliers du plus beau marbre brun; la seconde nef est composée de douze colonnes avec des chapiteaux variés, provenant sans doute de l'ancien temple d'Hérode. Cette enceinte renferme la roche sacrée, qui occupe vraisemblablement la partie principale de l'ancien temple; car il paraît que, détruit par Adrien, l'édifice célèbre de Salomon et d'Hérode ne fut jamais reconstruit. Sous les empereurs d'Orient, le terrain qu'il comprenait était une dépendance de plusieurs églises. II semble

même, d'après le témoignage d'Eutichius, patriarche d'Alexandrie, qui était abandonné et couvert d'immondices au moment de la prise de Jérusalem par les Sarrasins. A son entrée dans la ville, le calife Omar fit venir le patriarche Sophonibe, et lui demanda où était jadis le temple de Salomon et la roche sacrée dont Mahomet avait parlé; il s'y transporta avec les grands de sa cour. On fouilla le terrain, on écarta le fumier qui couvrait la roche, et Omar la nettoya avec son manteau; ses officiers l'imitèrent, et le jour même il jeta les fondemens de la mosquée actuelle. C'était, suivant les traditions arabes, sur cette roche que Jacob avait appuyé sa tête lorsqu'il vit l'échelle mystérieuse, et que Mahomet laissa l'empreinte de son pied lorsqu'il fut transporté par l'ange Gabriel de la Mecque à Jérusalem.

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C'est sur cette même roche, dit Guillaume de Tyr, que s'assit l'ange exterminateur lorsqu'il prononça l'anathème en punition du démembrement du peuple, et cette double tradition en a fait un objet de vénération pour tous les cultes. Pendant le tems de l'occupation de Jérusalem par les Croisés, les pélerins enlevaient des morceaux de la roche pour les placer sur l'autel de leur paroisse. A la prise de Jérusalem, Saladin la fit laver avec de l'eau rose, et rétablit la mosquée dans l'état où elle se trouve aujourd'hui. Les Musulmans croient que c'est le lieu où les prières sont le plus agréables à Dieu, et que tous les prophètes, depuis la création du monde jusqu'à Mahomet, y sont venus prier.

Cette roche sort de terre sur un diamètre moyen d'environ trente pieds, en forme de segment de sphère. Sa surface est inégale, raboteuse, et dans sa forme naturelle; elle est entourée d'une grille, et à six pieds au-dessus flotte un large voile de satin vert et rouge. Notre guide, après nous avoir fait toucher l'empreinte du pied de Mahomet, qui se trouve à la porte du sud-ouest, ouvrit à quelques pas de là une grille de fer, et nous fit descendre par onze degrés dans un caveau qui passe pour

1. On nous montra, dit M, Bankės, dans la relation de son voyage, le lieu où fut trouvé le crâne d'Adam, celui où Caîn tua Abel; suivant Ja tradition, le rocher du milieu passe pour celui sur lequel s'assit l'Ange lorsqu'il arrêta la peste aux jours du roi David. (Journ, des voyages. )·

être plus sacré encore que le reste de la mosquée. C'est une sorte de crypte comme dans les anciennes basiliques, mais plus resserrée et plus mystérieuse. « Lorsque je voulus pénétrer dans ce sanctuaire, dit un ancien auteur arabe, je craignis que la roche ne s'affaissât sous le poids de mes péchés, mais voyant que d'autres pèlerins couverts d'iniquité y entraient et en sortaient sains et saufs, je risquai d'y pénétrer, et il ne m'arriva rien. » La tradition de ce bon arabe nous encouragea, et en effet nous pûmes comme lui, et malgré nos péchés, examiner tranquillement ce caveau.

Il est entièrement creusé dans la roche, dont on a laissé les pans coupés irrégulièrement et sans autre jour qu'une ouverture au sommet qui aboutit à la place où Mahomet, dit-on, fit sa prière. Il a seize pieds de long sur huit de large. A droite est un petit autel en marbre, couvert d'ornemens arabes, appelé le Makan Souleiman ou station de Salomon; un autre semblable sur la gauche, sculpté différemment, appelé la station de David; enfin un renfoncement au nord forme une sorte de table qui s'appelle la station d'Elie. Une lampe éclaire ce sanctuaire, dont nous prîmes le plan; nous en fîmes autant pour l'intérieur de la mosquée, à dix pieds de hauteur, car l'obscurité nous empêchait de distinguer la voûte du dôme.

L'intérieur de cet édifice, comme celui des mosquées en général, réunit lạ grandeur à la simplicité; il inspire le recueillement, si propre à la nature du culte musulman, qui est grave, silencieux et sans ostentation. La prière, chez ces peuples, paraît être plutôt l'expression d'un sentiment que l'accomplissement d'un devoir. L'Arabe descend de son chameau au milieu du désert; le Turc s'arrête sur la place publique pour prier, sans attirer l'attention ni la curiosité; l'impiété, dans ce pays, serait un scandale, sans que la ferveur y devînt pour cela un mérite; il suffit d'avoir passé quelques heures dans une mosquée pour s'en convaincre. Le silence y règne ainsi que le recueillement; quelques versets du Koran sur la puissance de Dieu, sur la résignation dans le malheur ou les devoirs de charité, sont les seuls ornemens des murs. Mais de toutes les mosquées que nous avons vues il n'en est aucune d'aussi intéressante que celle-ci il y a quelque chose de singulier, de mystérieux dans

:

cette roche grossière entourée de portiques de marbre, de grilles dorées, de tapis de soie, et vénérée depuis tant de siècles; richesse, élégance, grandeur, tout est réuni dans ce glorieux monument. Lorsque nous en sortîmes, la lune apparaissant au milieu des nuages éclaira toute l'enceinte, et nous fit voir l'ensemble des bâtimens de la mosquée, les arcades des oratoires mêlés à des groupes d'arbres, et projetant de larges ombres sur les marbres des parvis. On aurait pu se croire au milieu de ces demeures enchantées décrites dans les contes arabes. Ce prestige ne dura pour nous qu'un moment, car notre guide, saisi de frayeur, nous entraînait vers la porte de l'enceinte. Sitôt que nous l'eûmes franchie et que nous nous trouvâmes hors de tout danger, nous nous arrêtâmes un moment pour recueillir nos idées, heureux d'avoir pu pénétrer dans ce lieu si redoutable, plus heureux encore d'en être sortis.

ALEXANDRE DELABORDE. (Voyage au Levant.)

Voyages.

LE MONT SAINT-BERNARD.

Villages que l'on rencontre.-Anecdote sur Bonaparte.—Les momies des voyageurs qui ont péri. - Hospitalité des religieux. - Hommage d'an protestant.—Le réfectoire. — L'église. — Tómbeau du général Desaix.

-Retour.

Une foule de voyageurs ont fait le tour de l'Europe sans rassembler autant de sensations. diverses que deux jours de ma vie m'en ont procuré. La puissance des impressions résulte surtout de la variété des objets, de la succession d'effets opposés que leur rapprochement rend extraordinaires. On peut parcourir une partie de la circonférence de la terre dans des circonstances données, et avec une habile combinaison de précautions, sans s'imaginer qu'on change de climat. Il est mille fois plus piquant de se précipiter de minute en minute dans tous les accidens d'une autre nature, d'un autre univers. C'est ce qui arrive au voyageur des montagnes.

Nous partimes de Martigny le 19 août, à cinq heures du matin. A peine a-t-on quitté la grande vallée du Rhône, qu'on dominent s'élève par une route très-large et très-bien faite, que des rochers frappés de larges feuillets de mica, comme d'une décoration spéculaire préparée pour les fêtes publiques, au premier degré du Mont-Géant. Le hameau de la Valette conserve quelques fourneaux construits autrefois, et dès long-tems abandonnés pour l'exploitation du cuivre et du plomb. Le premier monument qu'offre le mont Saint-Bernard, est celui

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