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Tel était l'esprit de l'élite des docteurs de l'Université de Paris, qui étaient à Constance; il faut ajouter que toutes ces propositions ne furent pas approuvées par les autres membres du concile, qui les trouvèrent beaucoup trop dures et trop obs

cures.

Ces nouvelles doctrines furent encore mises en pratique dans le concile de Bâle. A la suite des procédures, des citations et de nombreux mémoires, Eugène IV fut déposé, et Félix élu en sa place.

Il faut encore remarquer ici que tandis que le roi de France et les évêques assemblés en concile, décidaient que l'on ne reconnaîtrait qu'Eugène IV, l'Université de Paris se déclara assez ouvertement pour l'anti-pape Félix, ainsi que les universités de Cologne, de Vienne, d'Erford et de Cracovie '.

Il est curieux de comparer le langage des évêques avec celui des docteurs; les évêques de France écrivaient en 1432 aux Pères de ce concile, réduits à 14, « qu'il fallait toujours procé » der à l'égard du pape d'une manière douce et modeste, parce » que c'était le chef de l'Église, et que si le chef est dégradé, les membres deviendront arides et infructueux 2. » Les docteurs de l'Université, la plupart simples prêtres ou laïques, écrivaient au contraire «qu'il n'y avait que des enfans d'iniquité qui eussent pu songer à la translation du concile; que › c'était l'ennemi du genre humain qui avait inspiré cette pen»sée pleine de malice, et que si le pape voulait dissiper ou dissoudre l'assemblée avant sa conclusion, on ne devait pas lui ▸ obéir,.»

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Nous n'avons pas ici à juger le fonds de toutes ces grandes disputes théologiques de ce siècle, non plus que de celles du

La raison en est tonte naturelle, dit un historien; le concile de Bâle n'était guère alors qu'une assemblée de docteurs, tous membres de quelquesunes de ces académies. Ces députés faisaient passer à leurs confrères les sentimens du concile, et l'on avait soin, dans les disputes, dans les écrits, de les fortifier d'argumens théologiques... Cela faisait une occupa tion de controverse, un excrcice contentieux qui est l'aliment des Ecotes. (Hist. de l'église gallicane, liv. 48.)

⚫ Lettre d'Amédée de Talaru, archevêque de Lyon.

Lettre de l'Université au concile. Voir Du Boulay, tom. v, p. 412.

tyrannicide, du droit d'enseigner, du droit d'empêcher la prédication dans Paris, que l'Université s'attribuait; mais il nous est permis d'en signaler les tristes résultats, et l'influence que durent avoir dans les esprits des peuples ces querelles si longtems débattues, contre l'autorité des papes et des rois.

Une autre action infàme, que l'on peut à bon droit reprocher à une partie de l'Université de Paris, c'est la part qu'elle prit au procès et à la mort tragique d'une femme, de l'héroïne de ce siècle, Jeanne d'Arc. Achetée d'abord à Jean de Bourgogne par l'évêque de Beauvais, Pierre Cauchon, cette fille fut livrée par lui aux Anglais, qui l'enfermèrent, comme on sait, dans le château de Rouen. Les membres de l'Université, présens à Paris, tous dévoués au roi d'Angleterre, pressèrent ce prince et le duc de Bourgogne de faire travailler à son procès. Les docteurs de cette université dressèrent eux-mêmes l'acte d'accusation, qui contenait l'énumération de toutes sortes de crimes, excepté pourtant le libertinage dans ses mœurs '.

Pierre Cauchon, son ennemi, fut chargé des procédures contre la célèbre pucelle. Nous avons encore les actes de ce procès. Quoique l'on ait prouvé qu'ils ont été falsifiés par les commissaires, on ne peut s'empêcher d'être indigné en voyant quelles questions sottes, futiles, extravagantes, lui furent faites par ces fameux docteurs. Toute la scholastique se trouvait là avec l'appareil des tortures et le bûcher. Malgré les plus longs et les plus minutieux interrogatoires, ils ne trouvèrent pourtant à lui reprocher que d'avoir porté des habits d'homme pendant deux ans, et de soutenir qu'elle avait eu des apparitions fréquentes.

Cette procédure fut envoyée à l'Université, qui était comme le tribunal suprême et l'oracle de ce parti. Les docteurs et maltres-ès-arts examinèrent les réponses de l'accusée, et dans une assemblée générale du 14 mai, ils eurent le courage de décider que Jeanne d'Arc était atteinte et convaincue de superstition, de divination, d'invocation du démon, d'impiété, d'hérésie, de schisme et de blasphème. Ainsi, au lieu d'une guerrière, ce fut une mauvaise théologienne scholastique que l'on condamna dans l'héroïne de la France.

Voir Du Boulay, Belleforet, Guyon, etc.

On connaît la catastrophe honteuse pour les Anglais et encore plus pour les Français qui tenaient le parti de ces étrangers, par laquelle se termina cette procédure. Jeanne, condamnée une première fois, et produite sur un échafaud, rétracta toutes ses prétendues erreurs, et fut condamnée à une prison perpétuelle, au pain et à l'eau.

Mais les juges ne furent pas satisfaits encore. Ayant appris que contre sa promesse elle avait repris ses habits d'homme, ils recommençèrent une nouvelle procédure. En vain Jeanne allégua que ces habits lui étaient bien plus convenables dans une prison, au milieu de soldats brutaux, et que d'ailleurs on lui avait enlevé ses habits de femme, le terrible Pierre Cauchon poursuivit de nouveau. Jeanne reprit son caractère altier, ré tracta sa précédente rétractation, et elle fut condamnée au supplice du feu, comine hérétique, opiniâtre, relapse, endurcie.

Le 30 mai 1431, on la vit monter sur l'échafaud, où elle eut encore le déplaisir d'entendre un docteur, maître en théologie, qui l'échafauda et la prêcha. Elle fut ensuite brûlée vive.

Sur la demande du pape et du roi, toute cette procédure fut cassée et annulée, comme injuste et calomnieuse, le 7 juillet 1456.

Enfin, pour finir par quelque chose de moins sérieux, et qui pourtant nous peint encore au naturel cette triste époque de nos annales, nous allons citer un trait de crédulité et de bonhomie de ces tant célèbres docteurs de l'Université de Paris.

Vers l'an 1445, un jeune homme de 20 ans, nommé Ferdinand de Cordoue, vint à Paris, et étonna tout le monde par la science qu'il possédait. On assure en effet qu'il était versé dans toutes les langues, l'hébreu, l'arabe, le syriaque, le grec et le latin. Il savait en outre par cœur la Bible et les principaux ouvrages des saints Pères, le droit canon et le droit civil, les maitres de l'école, saint Thomas, saint Bonaventure, Alexandre de Halles, Scot, Albert-le-Grand, Aristote et tous ses commentateurs arabes, et en outre la plupart des arts d'agrément. Ce jeune homme disputa au collège de Navarre et au parlement contre plus de cinquante docteurs qui ne purent le trouver en défaut

sur rien.

On devait conclure de là que Ferdinand avait beaucoup lu,

et que, grâce à une excellente mémoire, et à une rare facilité de s'exprimer, il pouvait ainsi parler de tout dans un tems où le cercle des sciences n'était pas très-étendu. Mais ce ne fut pas là le jugement porté par ces fameux docteurs. Qui le croirait ? Ils reconnurent en lui tous les traits de l'Anté-Christ. Et il y eut de grandes disputes et de solennelles délibérations dans l'Université pour savoir ce qu'il fallait en faire. Il y avait des sages, dit un historien, qui faisaient grand doute qu'il n'eût acquis la science par art magique, et que ce ne fût l'Anté-Christ ou quelqu'un de ses disciples, Heureusement que ce jeune homme sortit de France, et, entendant sans doute parler des délibérations de l'Université, cessa ses disputes publiques, et rentra dans le silence de la vie privée. Il fit bien. Avec les docteurs auxquels il avait affaire, il y avait de quoi se faire brûler vif.

Nous avons cru ces réflexions générales nécessaires pour se faire une idée juste des erreurs de ce siècle; dans le prochain numéro nous traiterons, comme pour les autres siècles, de chaque erreur en particulier.

A. BONNETTY.

Nouvelles et Mélanges.

ASIE.

RUSSIE ASIATIQUE. Histoire de la découverte d'un éléphant diluvien. Les innombrables débris de quadrupèdes et de corps marins qu'on trouve dans la terre à toutes les latitudes, prouvent sans nul

Les belles recherches de M. Cuvier établissent que ce ne sont pas seulement les productions de la terre qui ont changé lors des révolutions du globe (1), mais que les animaux marins même n'ont pas été plus épargnés que les autres, et que leur race entière a été renouvelée. Voyez le tom. 1er de son grand ouvrage, page 399 et suivantes.

Les grandes couches de Mantfels, dit M. Demerson, renferment un grand nombre de poissons ou d'empreintes de poissons, convertis en une espèce de houille ou de bitume. Plusieurs de ces poissons paraissent avoir été ployés dans une position forcée et déterminée par quelque violence. On reconnaît dans cet amas des poissons de mer et des poissons d'eaux douces. M. de Blainville y a reconnu des brochets, des harengs, des esturgeons, et beaucoup de reptiles d'eau douce. Le dépôt le plus célèbre de ces poissons fossiles est celui du Mont-Bolca ou Vesterna, près de Vérone. La pierre dans laquelle on trouve les poissons fossiles du Véronais est un calcaire bitumineux qui se divise par feuillets: elle renferme des milliers d'empreintes de poissons qui ont depuis un pouce jusqu'à trois pieds et demi de long; ils sont tous couchés sur le flanc, dans une situation qui indique qu'ils ont été saisis tout-à-coup par une matière molle qui s'est ensuite durcie; sans doute l'effet de quelque eruption boueuse ce que paraît indiquer la nature du sol qui renferme ces ichthyolites. Le fait d'une mort très-prompte, qui a surpris ces poissons dans la matière où ils sont pour ainsi dire momifies, est confirmé, dit un des naturalistes qui a le mieux observé ces monumens géologiques (Faujas-Saint-Fond, Essai de géologie, tom. Ier) par une circonstance aussi étonnante que inexplicable, celle de plusieurs de ces poissons, dont les uns, tels que certains élox, poissons voraces, ont été frappés de mort dans un mo»ment où un de ces poissons avait déjà avalé la tête de son adversaire ; d'autres paraissent conduire leurs petits; d'autres enfin ont succombé ayant dans leur estomac de petits poissons qu'il avaient avalés, et qui n'avaient pas encore été digérés, puisqu'on en retrouve dans quelques ⚫morceaux assez heureusement séparés en deux parties pour permettre

(1) Quelques naturalistes ont prétendu conclure de la multiplicité des couches qu'on découvre dans le sein de la terre, que notre globe a es suyé plusieurs révolutions. Un grand observateur, de Saussure, ne demande pour produire l'arrangement de la terre tel qu'il est, qu'une cause unique ( une seule iavasion de la mer), dont l'action aurait été modifiée par une foule de circonstances locales. Voyez son Voyage dans les Alpes, tom. III, pag. 107, édit. in-4°. M. André de Gy, pour lequel l'Institut, en 1806, témoigné authentiquement son estime, soutient le même avis. Voir l'anaIvse de ses travaux dans notre No 18, t. 1, p. 369.

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