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d'hui. Elle a été octroyée à l'artilleric, qui a établi unc écurie dans la partie inférieure, et distribué le reste en greniers et en chambres. On ne peut juger de son ancienne forme que par l'extérieur qui est en briques, et notamment par son admirable clocher étagé, qui a été épargné jusqu'à présent, et qui est le plus beau de Toulouse. Je vous fais observer en passant qu'une sorte de fatalité toute particulière semble s'attacher aux églises construites par les Dominicains, toujours d'un goût si simple, si pur, si régulier: elles sont partout choisies en premier lieu par les destructeurs. A Avignon, la belle église de Saint Dominique, la plus célèbre de cette ville après la cathédrale, a été aussi métamorphosée en fonderie de canons.

Je n'ai pas le courage de parler des autres églises qui, comme Saint-Pierre, Saint-Exupère, ont été hideusement modernisées et rendues complètement méconnaissables. Cette contagion a gagné la Daurade, fameuse basilique qui a été fondée par les Visigoths, et qui tire son nom de la dorure des anciennes mosaïques de l'époque hiératique.

Malgré toutes les misères que je vous ai racontées, je ne veux pas terminer sans reconnaître comme un fait accompli l'existence d'une réaction en faveur de l'art historique et national, réaction timide et obscure, mais progressive et pleine d'avenir, Cette réaction, mon ami, c'est vous qui l'avez commencée, qui l'avez popularisée; je ne me lasse pas de le répéter, car j'aime à vous faire un patrimoine de cette gloire. Elle se manifeste aujourd'hui de deux manières : d'abord par des recherches approfondies sur les divers caractères et les développemens successifs des monumens locaux ; tels sont les excellens travaux de M. de Caumont et de la société archéologique de Normandie, à Caen; ceux de MM. Liquet et Langlois, à Rouen; de M. Jouannet, à Bordeaux; de M. du Mège ', à Toulouse....

;

Un jour peut-être surgira-t-il au sein de nos chambres un législateur asscz éclairé, asscz patriotique, pour demander des dispositions spéciales en faveur des monumens nationaux, comme on en demande chaque jour en faveur de l'industrie et

▲ Ce savant écrivain vient d'annoncer la publication d'un ouvrage qui sera du plus grand intérêt, intitulé, Archéologie Pyrénéenne.

du commerce. La loi sur l'expropriation offrait pour cela une excellente occasion: mais l'une de ces deux chambres l'a déjà laissé échapper, et l'autre n'en profitera certainement pas.

Il se peut du reste que nous voyions bientôt s'organiser à Paris une association centrale pour la défense de nos monumens historiques, association qui offrira un point de ralliement à tous les efforts individuels, un foyer d'unité pour toutes les recherches et toutes les dénonciations, qui sont en ce moment nos seules armes contre les dévastations des administrations et des propriétaires. Complètement indépendans du pouvoir, nous espérons peu à peu venir à bout d'engager tout ce qui est jeune, intelligent et patriotique dans une sorte de croisade contre le honteux servage du vandalisme, et purifier, par la force de la réprobation publique, notre sol antique de cette souillure trop long-temps endurée.

Toutefois je ne vous dissimule pas l'intime conviction où je suis, que cette réaction n'aura jamais rien de général, rien de puissant, rien de populaire, tant que le clergé n'y aura pas été associé, tant qu'il n'aura pas été persuadé qu'il y a pour lui un devoir et un intérêt à ce que les sanctuaires de la religion conservent ou recouvrent leur caractère primitif et chrétien. Le clergé seul, comme je l'ai dit plus haut, peut exercer une influence positive sur le sort des monumens ecclésiastiques qui sont incontestablement les plus nombreux et les plus précieux de tous ceux que nous a légués le moyen-âge. Lui seul peut donner quelque ensemble à des tentatives de restauration, et à un système de préservation; lui seul peut obtenir d'importans résultats avec de chétifs moyens; lui seul enfin peut attacher à cette œuvre un caractère de popularité réelle, en y intéressant la foi des masses. Or, point d'art sans foi; c'est un principe dont l'évidence ne nous est que trop douloureusement démontrée aujourd'hui. C'est la foi seule qui a pu peupler la France des innombrables richesses de notre architecture nationale; c'est elle seule qui pourra les défendre et les conserver.

Je finis ici mon invective, rédigée d'après des notes bien incomplètes et des souvenirs bien confus. Vous-mêmes; peut-être trouverez-vous que j'y ai mis trop de passion et d'amertume;

mais c'est que, voyez-vous, mon ami, nous autres catholiques, nous avons un motif de plus que vous pour gémir de cette brutalité sacrilége et pour nous indigner contre elle. C'est que nous allons adorer et prier là où vous n'allez que rêver ou admirer;. c'est qu'il nous faut, pour y bien prier, nos vieilles églises, telles que la foi si féconde et la piété si ingénieuse de nos aïeux les ont conçues et créées, avec tout leûr symbolisme inépuisable et leur cortège d'inspirations célestes cachées sous un vêtement de pierre. C'est que là se dresse encore devant nous la vie toute entière de nos aïeux, cette vie si dominée par la religion, si absorbée en elle, leur imagination si riche et si intarissable, mais en même tems si réglée et si épurée par la foi, leur patience, leur activité, leur résignation, leur désintéressement; tout cela est là devant nous, leurs tièdes et faibles descendans, comme une pétrification de leur existence si exclusivement chrétienne. C'est que pas une de ces formes si gracieuses, pas une de ces pierres si fantastiquement brodées, pas un de ces ornemens qu'on appelle capricieux, n'est pour nous sans un sens profond, une poésie intime, une religion voilée. C'est qu'il nous est permis et presque commandé de voir dans cette croix alongée que reproduit le plan de toutes les églises anciennes, la croix sur laquelle mourut le Sauveur; dans cette triplicité perpétuelle de portails, de nefs et d'autels, un symbole de la trinité divine; dans la mystérieuse obscurité des bas-côtés, un asile offert à la confusion du repentir, à la souffrance solitaire ; dans ces vitraux qui interceptent en les tempérant les rayons du jour, une image des saintes pensées qui peuvent seules intercepter et adoucir les ennuis trop perçans de la vie ; dans l'éclatante lumière concentrée sur le sanctuaire, une lueur de la gloire céleste; dans le jubé, un voile abaissé entre notre faiblesse et la majesté d'un sacrifice où la victime est un Dieu. L'orgue, n'est-ce pas la double voix de l'humanité, le cri glorieux de son enthousiasme mêlé au cri plaintif de sa misère? Ces roses éclatantes de mille couleurs, cette vie végétale, ces feuilles de vigne, de chou, de lierre, moulées avec tant de finesse, n'indiquent-elles pas une sanctification de la nature, et de la nature humble et populaire, par la foi? Dans cette exclusion générale

des lignes horizontales et parallèles à la terre, dans le mouvement unanime et altier de toutes ces pierres vers le ciel, n'y a-t-il pas une sorte d'abdication de la servitude matérielle et un élancement de l'âme affranchie vers son créateur? Enfin, la vieille église tout entière, qu'est-elle si ce n'est un lieu sacré par ce qu'il y a de plus pur et de plus profond dans le cœur de vingt générations, sacré par des émotions, des larmes, des prières sans nombre, toutes concentrées comme un parfum sous ses voûtes séculaires, toutes montant vers Dieu avec la colonne,. toutes s'inclinant devant lui avec l'ogive, dans un commun amour et une commune espérance?

Fils du vieux catholicisme, nous sommes là au milieu de nos titres de noblesse : en être amoureux et fiers, c'est notre droit ; les défendre à outrance, c'est notre devoir. Voilà pourquoi nous demandons à répéter, au nom du culte antique, comme vous au nom de l'art et de la patrie, ce cri d'indignation et de honte qu'arrachait aux papes des grands siècles la dévastation de l'Italie: Expulsons les Barbares.

Le Comte CH. DE MONTALEMBERT.

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Philosophie.

DE L'ENSEIGNEMENT DE LA PHILOSOPHIE AU XIX SIÈCLE;

Par M. l'abbé BAUTAIN, supérieur du petit séminaire, et professeur de philosophie à la Faculté des lettres de Strasbourg '.

Ce n'est pas ici un simple aperçu, une esquisse historique de l'enseignement philosophique en France, mais bien un examen consciencieux, une appréciation motivée des différens systèmes qui de nos jours se partagent les écoles. C'est un livre d'une incalculable importance, par l'influence qu'il peut avoir sur les progrès de la science et les destinées de la Religion.

Toutefois, une œuvre toute catholique ne passera-t-elle pas inaperçue au milieu de nos préoccupations nationales et politiques ? Dans quel cœur restera-t-il assez de calme pour s'appliquer à cette nécessité de mettre d'accord la science avec la foi, et les appeler à se prêter un mutuel secours? je l'ignore. Et cependant, ou je m'abuse, ou le livre de M. Bautain est digne d'opérer une grande révolution dans les études de ce siècle. Sans doute le moment peut sembler peu favorable pour produire une nouvelle philosophie. L'auteur ne doit point compter sur un grand engouement. Il aura beau mettre de la simplicité dans l'élévation, de la clarté dans la profondeur : on ne l'écoutera guère, il se trouvera même de ces esprits frivoles ou incapables de détourner leurs pensées des soins de la terre, qui le prendront en pitié. Ce n'est point pour ceux-là qu'il écrit, mais bien pour ces âmes d'élite qui, sympathisant avec nos croyances et notre foi, partagent nos vœux, nos esperances; et aussi pour ces intelligences haletantes qui ont perdu Dieu, sans cependant avoir encore renoncé à le chercher.

Nous le savons, on s'occupe peu de philosophie en France.

1 In-8°, Paris, Dérivaux, rue Percée-S. -Andrée, n° 11.-Strasbourg, chez Février, libraire.

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