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intelligence et son obscurité, rendaient très-propre à achever, sans porter ombrage aux naturels du pays, une exploration qu'un corps nombreux n'aurait pas continué impunément. M. Salt laissa donc en Abyssinie Nathaniel Pearce, en lui recommandant de tenir un registre exact des événemens dont il serait le témoin pendant tout le tems de son séjour, Cette recommandation fut fidèlement suivie pendant une période de neuf ans, après laquelle notre voyageur parvint à s'esquiver, et reparut au Caire, où il s'occupa de mettre en ordre le récit de ses aventures et de ses observations. En 1820, Pearce mourut à Alexandrie des suites d'un rhume, au moment même où il se disposait à revenir en Angleterre. Il légua ses papiers à M. Salt, qui, à son tour, les légua au comte de Montmorris, par les soins de qui ils viennent d'être publiés. Un commerçant, nommé Coffin, qui se trouva souvent en relation avec Pearce, a donné aussi un récit de ses voyages, c'est à cette double source qu'ont été puisés les documens qui suivent. »

Le nom d'Abyssin, dit M. Eyriès, vient d'Abbas-chi, terme par lequel les Arabes désignent ce peuple, pour indiquer qu'il est d'une origine mélangée; les Abyssins ne s'en servent pas volontiers. Ils sont d'une taille élancée et bien prise; ils ont les cheveux longs et les traits du visage assez semblables à ceux des Européens; leur teint est bronzé ou d'un brun foncé ; quelquesuns l'ont d'un brun olivâtre, d'autres de la couleur de l'encre pâle. On aperçoit dans leur physionomie quelques vestiges de celle des nègres. Les Énaréens, qui habitent dans le sud-ouest, ont le teint le plus clair; les Chihos, qui vivent sur les côtes de la mer Rouge, sont les plus noirs; les Hazortas, leurs voisins,

sont cuivrés.

Au milieu de l'Abyssinie vivent des peuples barbares prèsque semblables aux nègres : ils demeurent dans les cavernes et dans les bois. Ce sont les Agôs, les Founghis, les Gougas, les Gafates et les Gallas qui occupent actuellement plusieurs provinces de ce pays. Les Falashas' sont une tribu juive qui formait autrefois un état à peu près indépendant.

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Nous devons signaler ici, dit M. Balbi dans l'ouvrage qu'il vient de publier, un des faits les plus curieux de l'ethnographie: nous voulons

Les Abyssins s'appellent eux-mêmes dans leurs livres Itiopiavans, ou Ethiopiens; ils se désignent aussi par le nom de leurs provinces, par exemple Amharéens, Tigréens, etc., ou bien se donnent celui de Cachtams, c'est-à-dire Chrétiens : c'est un titre dont ils sont très-fiers. Le nom de leur pays est Manghesta Itiopia (royaume d'Ethiopie), ou en ghéez, Ag-azi Agazian (pays des hommes libres) Les Grecs les ont nommés Axumites,

parler de l'existence d'une colonie de Juifs au milieu de l'Abyssinie, depuis près de 3,000 ans. Il paraît qu'à l'époque de la conquête de la Judée et des provinces voisines par Nabuchodonosor, un grand nombre d'habitans se refugièrent en Egypte et en Arabie, d'où ils allèrent en Ethiopie. C'est l'opinion de M. Marcus, qui a publié il y a quelque tems un savant mémoire sur ce sujet. Ce qu'il y a de certain, c'est que dès le tems d'Alexandre-le-Grand, ces Juifs sont appelés, dans le pays, Falasjan ou oxilés, et qu'ils y étaient solidement établis; ils ont jusqu'à ces derniers tems conservé leur indépendanee, leur langue, leur religion et leurs institutious nationales. Ils occupent la contrée située sur la rive occiden tale du Tacazzé, rendue d'un accès difficile par de hautes montagnes. Ces Juifs dominèrent pendant long-tems sur les régions voisines entre le Samen et la mer, et du côté du lac Dembea. Quoique réduits successivement à des limites plus étroites, ils pouvaient encore du tems de Bruce, mettre 50.000 hommes sur pied. Mais en 1800, la race royale s'étant éteinte, cette partie du Samen est tombée sous la dépendance du souverain chrétien du pays, et paraît maintenant être dépendante du Tigré. » Abrégé de géograp., p. 845. Paris, 1833.

Ces Falasjas sont presque tous couvreurs et forgerous; ils prétendent, dit M. Salt, être entrés en Abyssinie au tems de Meuilek. Ils ont conservé leur Bible, et dans leurs synagogues ils chantent les psaumes en hébreu. C'est ce que dit Tellez, historien portugais, dont voici les paroles : ■ Estes ainda suas biblias hebreas, et em suas synagogas dizem os psalmes, bem mal cantados. » Hist. de Ethiop. lib. 1, cap. 16, p. 38. Et ce qui est très-remarquable, c'est que le caractère de cet hébreu est le samaritain, et que l'alphabet amharique, seul d'usage en Ethiopie, n'a de rapport qu'avec le samaritain, comme l'ont reconnu Ludolf entre autres et Deshauteraies; d'où il résulte aux yeux des critiques une preuve insigne en faveur des traditions abyssiniennes, parce qu'à l'époque où cet empire (selon la chronique d'Axum) einbrassa le judaisme, c'était le caractère dont se servaient les Juifs, qui n'ont adopté le chaldaique qu'après la captivité.

d'après la ville d'Axum ', dans la province de Tigré; c'est l'ancienne métropole. On les a même appelés Indiens.

La langue ghéez, qui se parle dans le Tigré, et dans laquelle les livres abyssins sont écrits, est regardée comme un idiôme dérivé de l'Arabe '. Son alphabet a de la ressemblance avec celui des Coptes; il n'est plus en usage que comme langue classique. Le ghéez est difficile à prononcer, mais moins encore que la langue amharique, usitée à la cour depuis le quator

C'est dans cette ville, dit M. Balbi, que la culture éthiopienne fleurit, réunie à la civilisation et aux arts de la Grèce, comme le démontrent encore des ruines magnifiques, des inscriptions en caractères grecs, et des obélisques sans hiéroglyphes; parmi ces derniers, deux sont encore debout; le plus grand est d'un seul bloc de granit, de 60 pieds de haut, il est couvert de sculptures d'un travail parfait; plusieurs autres obélisques sont renversés à une petite distance; un de ces derniers est encore plus grand que le précédent... C'est dans on temple de la ville moderne d'Axun que l'on conserve et que l'on continue l'histoire authentique de l'Abyssinie, dite Chronique d'Axum, dont un exemplaire a été apporté en Europe par Bruce. Dans le voisinage d'Axum, on trouve le monastère de Abba-Pantaleon, remarquable par le petit obélisque situé au pied d'une colline, et par la grande inscription grecque sculptée sur une pierre; elle remonte à l'an 330 de J.-C., et se rapporte à un exploit de l'empercur Acizanas.. Géograp., p. 845.

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- Un savant orientaliste anglais, le docteur Murray, sur la ressemblance qu'il avait remarquée entre les langues ghéez et arabe, pensait que les Abyssiniens étaient d'extraction arabe. M. Salt ne partage point cette opinion. J'avoue, dit-il, que j'ai beaucoup de regret de différer d'opinion avec ce savant, relativement à un point sur lequel ses connaissances extraordinaires dans la littérature orientale lui donnaient, à certain égard, le droit de prononcer. Le principal, et je dirai presque le seul argument sur lequel il s'est appuyé, est la ressemblance entre les langues ghéez et arabe; inais elle s'explique suffisamment par la supposition que ces deux langues ont une origine commune, nommément l'hébreu, que M. Murray lui-même paraît avoir prouvé d'une manière satisfaisante, être la langue la plus ancienne qui existe, tandis que la teneur générale de l'histoire des Abyssiuiens, leurs édifices, les caractères de leur écriture, leurs vêtemens, et le portrait qu'en fout les plus anciens anteurs arabes et bysantins, démontrent qu'ils forment une race distincte do celle des peuples de l'Arabic, Voyage en Abyssinic, tom. 11, p. 242.

zième siècle, et parlée dans la plupart des provinces. Ces deux langues ont surtout deux consonnes dont un organe européen ne saurait rendre la rudesse. L'amharique offre aussi beaucoup de racines arabiques; mais on reconnaît dans la syntaxe des traces d'une origine particulière; il n'a pas cette variété de formes grammaticales qui est un des caractères des langues asiatiques. Enfin les Gallas et d'autres peuples ont des dialectes particuliers.

Ces faits semblent indiquer que l'Abyssinie, peuplée d'abord d'habitans indigènes, en reçut ensuite qui lui vinrent de l'Arabie. La chronique des rois d'Axum commence, comme celle de la plupart des peuples, par des fables. A une époque difficile à déterminer, une tribu d'Arabes Couchites, dont il est question dans les livres des Hébreux, s'établit dans les parties septentrionales et maritimes de l'Abyssinie. Les rois de ce pays font remonter leur origine à Menileheek, fils de Salomon et de la reine de Saba : il portait aussi le nom de David'. Ses descen

Les Abyssins conservent une tradition, dit Bruce, qu'ils prétendent avoir ene de tems immémorial, et qui est également reçue par les Juifs et par les Chrétiens. Cette tradition porte que, peu de tems après le déInge, Cush, petit fils de Noé, passa avec sa famille par la Basse-Egypte, alors inhabitée, qu'il traversa l'Atbara, et vint jusqu'aux terres élevées qui séparent des hautes montagnes d'Abyssinie, la partie enfoncée de ce même pays d'Albara... Les Abyssins discut encore que les enfans de Cush bâtirent la ville d'Axum, quelque tems avant la naissance d'Abraham ̧ Bientôt après ils étendirent leur colonie jusqu'à Atbara, où, d'après le témoignage d'Hérodote, liv. n, chap. 29, ils cultivèrent les sciences avec beaucoup de succès (Voyage de Bruce, tom. 1, page 173 et 177 de la traduction française, Paris 1790.)

• Le Tarik Negushti, ou la chronique des rois d'Abyssinie, commence par une liste des empereurs de ce pays, depuis Arwê, ou le serpent, jusqu'à Menilek, qu'ils disent fils de Salomon. Quelques-uns de ces princes ont, comme les souverains de l'antiquité, régné, dit-on, plusieurs centaines d'annés. La liste, paraît avoir, depuis Menilek, une plus grande apparence de vérité. • Voyage de M. Salt, tom. 11, p. 244.

⚫ On lui donnait aussi sur ces listes le nom d'Ebn Hakim. « Il y a quelqu'apparence, dit Ludolf, qu'il était fils de Salomon, car le surnom de Ebn Hakim, que lui donnent les Arabes, signifie enfant du Sage. ▾ Nouv. Hist. d'Abyssinie et d'Ethiopie. Paris, 1684, in-12, p. 94.

dans régnèrent sans interruption jusqu'en 960 de J.-C. Cette période fut la plus brillante de l'Abyssinie; les rois avaient porté leurs conquêtes jusque dans une partie de l'Arabie. Axum, leur capitale, était une ville magnifique, et faisait un commerce très-étendu. Ils reçurent des ambassadeurs des empereurs de Constantinople; leur puissance dans la mer Rouge les faisait

Les annales d'Abyssinie sont remplies de détails sur le voyage de la reine de Saba; et il en résulte une opinion moyenne, dit Bruce, qui n'est nullement improbable. Elles disent que cette reine était paienne, lorsqu'elle partit d'Azab; mais que, remplie d'admiration à la vue des ouvrages de Salomon, elle se convertit au Judaisme dans Jérusalem, et qu'elle eut du roi des Hébreux un fils, à qui elle donna le nom de Menilek et qui devint le premier roi des Abyssins. Voyez Bruce, tome 11, p. 370.

L'emblême des rois Abyssins, descendans de Salomon, est un lion, passant dans un champ de gueules, et ayant pour légende : « Mo Anbasa am Nizilet Salomon am Negardé Judé; ce qui signifie, le lion de la race de Salomon, et de la tribu de Juda, a triomphé. Bruce, 11, 375.

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Après avoir exposé ce que la chronique d'Axum dit de la reine de Saba, nous devons ajouter que cette tradition semble réfutée par une inscription grecque, découverte et expliquée par M. Salt, il y a quelques années, et dans laquelle on donne le titre de fils de Mars à des rois axumites, et où l'on parle de sacrifices offerts à Mars, à Jupiter et à Neptune. Cette inscription date, selon M. Salt, de l'an 330 de notre ère. On y voit que les dieux de la Grèce avaient pénétré dans l'Abyssinie, et que l'idolâtrie s'est assise pendant quelque tems sur le trône du Lion de Juda.

Voyez le voyage de M. Salt et la dissertation de M. Sylvestre de Sacy sur l'inscription d'Axum, insérée dans le x11 vol. des Annales des voyages, page 330-355.

Nous avons dit que Bruce avait apporté en Europe un exemplaire de la Chronique d'Axum. Ge voyageur nous a fait connaître encore les Prophéties d'Enoch, un des livres les plus vénérés en Abyssinie. Pour gage public de ma reconnaissance envers une nation savante et polie, et principalement envers le roi Louis XV (dit M. Bruce), j'ai fait présent à son cabinet d'une partie des choses curieuses que j'ai rapportées des pays lointains; hommage qui a été accueilli avec une honnêteté et une attention, dignes d'engager tous les voyageurs dont l'âme est généreuse, à suivre mon exemple. Parmi les ouvrages que j'ai déposés à Paris, dans la bibliothèque du roi, se trouve une copic magnifique des prophéties d'Enoch, en grand in-4°. Il serait à désirer que quelqu'un de MM. les bibliothécaires nous en fissent connaître le contenu, (11, 416.)

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