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il est des malheurs qui ne sauraient les comprendre; il ne faut qu'un poignard à la douleur qui ne voit rien dans l'avenir, et celui qui n'y croit pas, en s'arrachant la vie, est conséquent avec lui-même sagesse humaine, voilà le fruit de tes leçons; tu ne saurais le désavouer.

Ainsi, quand la philosophie abjecte qui ne repose que sur la matière n'aurait pas publiquement enseigné le suicide, quand elle n'aurait pas semé ses livres de sentences cruelles et homicides, quand elle n'aurait pas fait retentir nos théâtres de ces doctrines de mort, on peut dire qu'elle porte naturellement l'homme à sa propre destruction, par les motifs de désespoir et d'éternelle désolation qu'elle jette dans son âme lorsqu'il est accablé par les malheurs de la vie. C'est là la principale cause des fréquens suicides que le monde a vu se renouveler si souvent dans les tems modernes. Toutes les causes qui se sont jointes à celle-là n'ont été qu'accidentelles : la première prédomine toujours dans ces fureurs extrêmes; car, quelle que soit la violence des passions humaines, elles ne conduisent guère toutes seules l'homme à s'arracher la vie, et la main, quelque assurée qu'elle pût être pour se déchirer les entrailles, s'arrêterait tout-à-coup si, au travers des voiles de la mort, son esprit apercevait un dernier rayon de la Divinité, et s'effrayait des vengeances d'une autre vie.

On s'étonne que la fureur du suicide soit descendue aujourd'hui surtout dans les derniers rangs de la société : pourquoi s'en étonner? Là sont les infortunes sans adoucissement; et si l'athéisme a pénétré dans les demeures de la misère, que restet-il aux malheureux, sinon d'échapper par la violence aux besoins de la faim et à tous les tourmens qui les oppressent? Or, il n'est que trop vrai qu'une trop longue habitude d'irréligion a laissé sans espérance et sans consolation les classes inférieures de la société.

Parcourez ces lieux désolés, qui semblent dévoués aux pleurs et aux gémissemens, à peine y trouverez-vous quelque souvenir de Dieu. Une profonde indifférence tient dans une sorte d'abrutissement ces êtres comme à demi dégradés par une longue infortune, et rarement un doux sentiment de piété vient tempérer les cruelles douleurs qui semblent avoir fait leur séjour de ces demeures hideuses, si j'ose ainsi parler. La pitié humaine va

bien quelquefois y apporter ses bienfaits, mais elle n'y paraît un instant que pour laisser après elle une désolation, en quelque sorte plus profonde, et un plus déchirant désespoir... Après cela, comment s'étonner que le suicide soit si souvent la ressource de ces infortunés! mais aussi, comment ne pas s'étonner que la philosophie les abandonne à leurs douleurs, et qu'elle veuille, ne craignons pas de le dire, empêcher les consolations religieuses. de parvenir jusqu'à eux! Elle écarte d'eux les douces pensées de l'immortalité, et semble les tenir ainsi comme enchaînés entre la misère et la mort.

Que veut-elle donc, cette cruelle sagesse? Condamner le malhe urà ne jamais recevoir sur la terre d'adoucissement; dévouer les infortunés au désespoir, et perpétuer les exemples de ces morts violentes qui font frémir la nature! Mais quoi! cruelle envers les malheureux qu'elle arme contre eux-mêmes, ne voitelle pas qu'elle menace aussi la société ? car enfin pourquoi le malheureux sans ressource se frappe-t-il, plutôt que de frapper son semblable? pourquoi ce triste choix, s'il est vrai que le choix de toute autre victime pourrait prolonger son existence et lui assurer, peut-être, une longue jouissance des fruits de son attentat? Les hommes qui repoussent la Religion et qui semblent vouloir l'empêcher de pénétrer jusqu'au cœur des infortunés, ne réfléchissent pas sur les horribles suites que devrait avoir l'impiété, sans cette main cachée de la Providence qui défend à l'homme d'être conséquent, et qui protège la société contre la perversité de ceux qui devraient à chaque instant être armés contre elle. C'est sans contredit cette Providence qui ne permet pas au suicide de porter ailleurs ses coups désespérés; mais ce ne saurait être pour nous un motif de sécurité, et le philosophe ami des hommes doit d'ailleurs compter aussi pour quelque chose la vie d'un être à qui il n'a manqué, peut-être, qu'une parole de douceur pour lui épargner un grand crime.

Aussi devons-nous encourager, et de nos vœux et de tous nos efforts, les instances réitérées que fait la Religion pour parvenir jusqu'à l'oreille de tant de malheureux, à qui depuis long-tems elle est comme inconnue, et, tandis que la philosophie croit faire assez pour les hommes en les abandonnant à leurs infortunes, il doit nous être permis d'encourager et de bénir le zèle TOME VI. N° 31. 1833.-2° édition 1836.

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religieux qui s'efforce de leur apporter des consolations, et de les attacher du moins à la vie par l'espérance, heureux asile du malheur.

S'il nous était permis de dépasser les bornes que nous nous sommes prescrites dans cet article, il nous resterait à considérer quelques causes secondaires qui depuis longues années sont venues se joindre à l'impiété pour multiplier parmi nous les suicides. Nous dirions, sans craindre d'être démentis, que les révolutions font naître au fond des âmes cette férocité et ce triste ennui de la vie, qui, le plus souvent, produit ces morts violentes : oui, certes, le spectacle habituel des meurtres et de la destruction finit par endurcir l'homme contre lui-même ; l'aspect du sang abrutit les cœurs les plus doux, et c'est pourquoi l'on a vu de grands coupables appeler leurs complices à d'horribles sermens sur le cadavre palpitant de quelque victime, ou même les faire boire dans une coupe de sang humain, comme pour les fortifier contre la mort, et pour leur inspirer une résolution plus forte de se servir du poignard dont ils étaient armés. Joignez à ces tristes causes, qui font que l'homme le moins pervers se familiarise avec la mort, les causes non moins funestes qui font que l'homme le plus humain, tourmenté par l'aspect du crime et par la continuelle terreur de ses cruautés, cherche à échapper à ses propres alarmes, et finit par ne voir d'autre remède à la crainte de la mort qui l'agite sans cesse, que cette mort même qu'il trouve dans son pouvoir : c'est le propre des révolutions d'enfanter ces sortes de suicides.

Oui, certes, et l'expérience est là pour le prouver, oui, plus les violences se multiplient dans une société, plus les âmes y prennent un certain dégoût de la vie, qui favorise naturellement la terrible fureur du suicide. Après cela, si nous considérons les sujets d'ennui et de cruelle misanthropie qui se pressent dans les cours, si nous tenons compte des haines profondes qui se nourrissent dans une société long-tems divisée par mille intérêts opposés, si nous apprécions les brûlantes ambitions qui vivent au fond des cœurs, les espérances trompées, les regrets amers, les humiliations mortelles de l'amour-propre, tant d'autres passions déchaînées, les ravages du jeu, les fureurs de la volupté, les amours cruelles, les noires jalousies, le désespoir, la misère,

souvent la lassitude même des plaisirs, et, par-dessus tout, la froide indifférence de l'avenir, l'ignorance formelle ou l'oubli complet de tous principes religieux, alors nous verrons aisément que tout semble multiplier sous nos regards les causes de ces violences tragiques qui semblent se présenter à l'homme malheureux comme l'unique dénouement de ses fureurs et le terme naturel de ses longs ennuis.

Dans cet ordre de choses, qui remettra la société dans un état plus calme? Il faut de longs efforts de sagesse de la part de ceux qui gouvernent les hommes ; mais ces efforts, louables sous tous les rapports, et que nous appelons de tous nos désirs, seront toujours impuissans pour mettre à couvert l'esprit des générations qui passent ou qui naissent, de ces impressions violentes qui perpétueraient sans fin nos calamités et nos crimes, si la Religion par sa salutaire influence ne reprend sur les cœurs son puissant empire, et ne les ouvre aux enseignemens de la vertu... Je m'arrête sur ces consolantes pensées: mon but est atteint, j'ai indiqué le mal et le remède.

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Philosophie religiense..

DE L'HOMME, DE SES FACULTÉS ET DE SA FIN.

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Guerre intestine dans l'homInfluence de l'éducation sur son esprit. me; l'esprit et la chair. - Négligence de l'homme à s'occuper de son âme.-Preuves de sou immortalité. — La raison doit être éclairée et soutenue par la religion. La pensée de la mort et de la vie future doit entrer dans les méditations d'un vrai philosophe.

L'homme se présente sous tant d'aspects différens, il réunit tant de contrariétés, qu'il a dû nécessairement paraître une créature toute céleste, ou un être tout animal. Par son âme, il tient à Dieu de la manière la plus glorieuse et la plus intime; par son corps, il participe au néant de la façon la plus humiliante et la plus sensible. Ici, c'est un jour qui réjouit par sa pureté; là, une nuit qui effraie par ses ténèbres.

De ces divers points de vue, il résulte que l'homme de Lucrèce n'est point celui de Descartes, ni l'homme de Spinosa celui de Pascal; et que, si l'on veut nous définir d'après nos qualités et nos imperfections, il faut interroger la Religion pour savoir précisément qui nous sommes.

Le Christianisme, à l'abri de tous les écueils, comme tenant toujours un juste milieu, nous montre l'homme sur la terre, et dans le sein de Dieu, comme dans un double centre d'où nous sommes tous sortis, et où nous devons tous rentrer.

Les regards que tout enfant jette vers le Ciel dès le moment qu'il naît, les pleurs dont il arrose son berceau, prouvent d'une manière frappante que son origine est tout à la fois charnelle et divine. Si son âme, semblable à une fleur qui ne s'épanouit que par succession, ne se développe qu'insensiblement, c'est qu'elle dépend d'un corps paresseux dans ses progressions.

Enfin, l'instant vient où la raison perce; et alors ce n'est qu'une étincelle qui produit un incendie ou une lumière vive

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