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Parallèlement aux épidémies qui ravageaient l'Europe et le bassin de la Méditerranée, s'en développaient de semblables en Asie, mais l'histoire de ces dernières est inconnue. Nous savons seulement que l'empereur mongol Ichangir, qui vivait vers 1615, décrivit la maladie et signala que les rats étaient très éprouvés par ses atteintes.

Pendant la première moitié du XIX° siècle, elle est en décroissance partout. Quelques cas isolés constatés à Bari (Italie), en 1814, et en Grèce, en 1828, ne suffisent pas à rallumer l'incondie. L'Égypte elle-même, considérée comme un foyer dangereux, en est débarrassée en 1844. La peste est définitivement sortie de l'actualité, et Littré ne la considère plus que comme une affection qu'il convient de reléguer dans la classe des maladies éteintes.

Depuis lors, des épidémies nouvelles ont éclaté, montrant qu'il existe des foyers permanents de la maladie, capables d'en disséminer les germes au loin et de les faire naître en des points extrêmement éloignés du foyer primitif.

Quels sont ces foyers qui font, à chaque instant, parler d'eux, et que leur proximité de l'Europe rend particulièrement dangereux ?

Ils existent à la fois en Afrique et en Asie. Dans le continent africain, la Cyrénaïque nous apparaît comme un centre suspect situé trop près du littoral pour qu'il ne devienne, à un moment donné, très redoutable. La peste y éclata en 1858, à la suite d'une disette; l'épidémie, dont l'origine resta toujours inconnue, dura deux ans et finit à Alexandrie; les tribus arabes furent presque exclusivement atteintes. Quinze ans plus tard, après une nouvelle famine, une seconde apparition de la maladie eut lieu et décima les campements de nomades voisins du village de Merdje, sur le plateau de Barka.

Un autre foyer de peste a été signalé, en 1898, par un médecin militaire allemand, le Dr Zupitza, entre les lacs Victoria et Albert, en pleines possessions anglaises de l'Ouganda. Les indigènes, qui ont observé que les rats sont toujours atteints au début des épidémies, s'empressent d'abandonner leurs cases

Dr Favre constatait son apparition dans la Chine septentrionale, sur les territoires russes du lac Baïkal.

Entre toutes les autres régions de l'Asie infestées d'une manière permanente par le fléau, l'Inde se distingue par le nombre et par la gravité des épidémies que les germes émis par elle ont déterminées au loin. Le massif de l'Himalaya et les districts montagneux qui l'entourent constituent des foyers d'infection pestilentielle très actifs. Mais le rayonnement de la maladie. autour de ces régions est en réalité très faible, car les relations entre les districts infectés et la plaine sont minimes, l'accès des premiers étant rendu extrêmement difficile par la nature même du sol et le pays accidenté qu'il faut traverser pour les atteindre. La récente épidémie de Bombay qui débuta au mois d'août 1896, fut le signal d'une formidable explosion de la peste sur tout le territoire hindou. Un exode général de la population commença en décembre et contribua pour beaucoup dans la dissémination du fléau. Les premiers cas furent d'abord nombreux dans la ville et dans les centres populeux qui l'entourent; puis, aux premiers jours de 1897, d'autres furent signalés dans le port de Kurrachee, aux bouches de l'Indus. Les voies ferrées servirent à la diffusion de la peste dans les villes du Nord: Surat, AhmedAbad, Palampour, Lahore; et dans celles du Sud Poona, Lattara, Karad, Belgoum et Houbli. Au mois de mai 1898, l'Inde était traversée par la maladie qui faisait ses premières victimes à Calcutta.

En raison des relations commerciales universelles de l'Inde, on pouvait craindre une extension de la peste en Europe, en Afrique et dans presque toutes les parties de l'Asie. Ces prévisions étaient justifiées. Kandahar et d'autres villes de l'Afghanistan, où des Hindous étaient venus chercher un refuge, sont visitées les premières par la maladie. Le Turkestan russe, à son tour, est envahi et toute la région de la mer Caspienne est menacée. Un instant, l'épidémie apparaît à Anzob, petit village du gouvernement de Samarcande, faisant craindre l'envahissement de la Russie. Mais une surveillance étroite, exercée à la fois autour de ce foyer, sur le Transcaspien et sur le transit de la mer Caspienne, conjure le danger.

Les voies de mer semblent se prêter d'une manière inquiétante à la diffusion du fléau. En septembre 1896, trois matelots, appartenant à deux navires arrivés la veille de Bombay,

entrent au lazaret de Londres et meurent de la peste. En même temps, tous les ports du golfe Persique sont envahis, et par eux plusieurs districts de la Perse en relations avec le littoral. Sur ces entrefaites, arrive le moment du pèlerinage musulman à la Mecque. Les pèlerins, venus d'Égypte, d'Arabie et même de certaines régions de l'Inde, dont quelques-unes sont ravagées par la peste, s'entassent dans tous les ports de la mer Rouge, et dès leur arrivée à la Mecque, la maladie éclate au milieu d'eux. Ceux qui sont indemnes se contaminent au contact des Hindous et des Arabes qui, en raison de la promiscuité dégoûtante dans laquelle végètent les croyants, disséminent la maladie autour d'eux. A Djeddah, une armée de pestiférés attend les navires qui doivent la rapatrier. Sur les représentations des puissances européennes, le Sultan consent à faire installer un cordon sanitaire autour de la ville; mais cette mesure soulève des émeutes et la peste éclate partout, à bord des navires de pèlerins et dans les ports de débarquement.

Depuis lors, l'arrivée annuelle des pèlerinages mahométans coïncide toujours avec une recrudescence de la maladie sur différents points du littoral de la mer Rouge et à Djeddah.

En 1898, un navire chargé de riz et venant de Bombay apporte la peste à Tamatave où se produisent 197 décès. De Madagascar, le fléau passe à la Réunion et à l'île Maurice. Des cordons sanitaires établis autour du port de Tamatave et des deux îles font temporairement cesser l'épidémie, qui se rallume l'année suivante. Depuis lors, de nouveaux cas de peste ont été signalés dans ces régions.

Du mois de mai au mois de septembre 1899, Alexandrie est le théâtre d'une épidémie qui fait une cinquantaine de victimes, mais ne s'étend pas.

L'Europe est atteinte une seconde fois en juillet 1899; un navire, venant des Indes, apporte la peste à Oporto où le sérum antipesteux du Dr Yersin est employé avec un grand succès. Quelques mois auparavant, une épidémie de laboratoire s'était déclarée à Vienne. Des médecins autrichiens, revenus depuis peu des foyers pestilentiels de l'Inde, poursuivaient leurs recherches dans un laboratoire où les animaux d'expérience étaient confiés aux soins d'un garçon nommé Barisch. Celui-ci, atteint d'une pneumonie pesteuse le 15 octobre 1898, succombait trois jours plus tard. Le Dr Müller, qui l'avait soigné, meurt

de la peste le 21 octobre et sa mort est suivie de près par celle d'une garde-malade qui avait veillé Barisch. L'épidémie ne s'étendit pas.

Plus près de nous, les cas de peste signalés à Magude, en Mozambique, à Lourenço-Marquez, à Delagoa, dans l'Afrique du Sud, au Cap, et une fois encore à Londres, se rapportent tous à la guerre du Transvaal pour laquelle l'Angleterre mobilisa une grande partie de son armée des Indes. L'ile de Cuba, ruinée par la guerre et visitée par la disette, a vu le fléau s'ajouter aux maladies qui décimaient déjà ses malheureux habitants.

Enfin, les relations commerciales expliquent seules les cas de peste observés au Paraguay, dans la ville d'Assomption, au Brésil, à Santos, et dans quelques centres de la Guyane.

Demandons-nous maintenant de quelle manière se manifeste la maladie.

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Je serai bref sur ce point, qui relève surtout de la médecine. Dans une première période très courte dans les atteintes graves; un peu plus longue, durant de 24 à 48 heures, dans les atteintes moyennes le malade est abattu et plongé dans un grand état de prostration. Il a des vertiges; son visage est très pâle, sa démarche est titubante comme celle d'un homme ivre. Puis la période fébrile commence, accompagnée de frissons et de douleurs aux aines et aux aisselles qui se tuméfient vers le troisième jour. Ces tuméfactions constituent les « bubons », d'où le nom de peste à bubons donné à cette forme de la maladie, la plus commune de toutes. Les bubons suppurent, tandis que l'état général du malade s'aggrave, et la mort survient du huitième au quinzième jour.

Ce tableau ne correspond pas à tous les cas, mais seulement au plus grand nombre. Parfois les sujets atteints sont terrassés en quelques heures, au milieu d'un grand état d'agitation ou dans un abattement et une indifférence extraordinaires. Dans d'autres cas, la maladie revêt une forme si bénigne que les malades ne s'alitent même pas. Quelquefois les symptômes pulmonaires prédominent et la peste a toutes les allures d'une pneumonie; enfin, la peste noire est caractérisée par les hémor

ragies répétées qui, se faisant sous la peau, donnent à tout le corps un aspect violacé bien fait pour impressionner le populaire.

Quelle est la cause de ces manifestations morbides? Un bacille découvert par les docteurs Yersin et Kitasato. Il est représenté par un bâtonnet très court, mesurant de 3 à 5 millièmes de millimètre de longueur et 2 millièmes de millimètre de largeur. Ses formes varient suivant les milieux dans lesquels on le cultive. Les rongeurs sont des animaux d'expérience qui manifestent une grande sensibilité à ses atteintes et servent de réactifs pour mesurer sa virulence. Il se trouve dans les bubons, dans les urines, dans les matières fécales, dans les vomissements, dans la salive et dans les crachats des pestiférés. Il persiste même assez longtemps dans la bouche du malade après sa guérison, de sorte que les convalescents de peste, porteurs du germe, doivent être considérés comme dangereux pour leur entourage.

Ce bacille n'est pas très résistant aux causes ordinaires de destruction. Une exposition de quatre heures au soleil, de quelques jours dans un endroit sec, un séjour d'une demiheure dans une étuve portée à 80° C., de quelques minutes. dans la même étuve portée à 100°, suffisent à le tuer et à le rendre inactif. Le sublimé, l'acide phénique, le lait de chaux produisent des effets analogues.

Comment se fait sa pénétration dans l'organisme humain? La peau présente une vaste surface capable d'offrir une porte d'entrée au virus qui franchit habituellement cette barrière, sans laisser derrière lui aucune trace de son passage. L'infection des voies digestives, grâce aux aliments, est également admise. Le Dr Hankin a donné la peste à des rats en leur faisant absorber des cultures de bacilles pesteux. Enfin, l'existence des accidents pulmonaires démontre la possibilité de l'infection de l'organisme par la pénétration du germe dans les poumons.

Comment le bacille de la peste arrive-t-il jusqu'à l'homme? On sait depuis longtemps que les sujets atteints de la maladie ne la transmettent qu'exceptionnellement à leurs semblables. La contagion d'homme à homme est une rareté si on la compare aux autres modes de propagation de la maladie. Les cadavres des pestiférés sont dangereux et susceptibles de renfermer des germes actifs de la peste pendant vingt-cinq à trente jours.

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