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mettrait dans la pénible nécessité de réclamer immédiatement nos passe-ports. M.ESMANGART vint nous voir le 31; et, après être convenu de nous répondre officiellement (ce que pourtant il n'a pas fait), il nous proposa une entrevue avec le ministre. Elle eut lieu le soir du même jour.

M. le marquis de CLERMONT-TONNERRE ouvrit la conférence en disant qu'il avait chargé M. le conseiller d'État ESMANGART de nous inviter à cette entrevue dans l'intention de nous faire part du projet d'ordonnance royale qui consacrait l'indépendance d'Haïti, comme nous l'avions désiré, et dans lequel Sa Majesté ne se réservait que la SOUVERAINETÉ EXTÉRIEURE. Vous pouvez juger de notre étonnement, Président, lorsque nous entendimes prononcer ce mot qui blesse au vif l'honneur national: aussi, malgré tous les efforts que M. le ministre de la marine fit pour nous persuader que cette réserve était autant dans l'intérêt d'Haïti que dans celui de la France, et que le roi n'exigeait cette garantie que pour nous protéger contre toute attaque, dans le cas où une puissance étrangère voudrait nous inquiéter, nous protestâmes contre cette clause qui reproduisait, sous une forme nouvelle, des prétentions que notre gouvernement avait déjà rejetées; lui faisant observer que si, dans des circonstances difficiles, nous avions conquis notre indépendance, et si nous l'avions maintenue depuis vingt ans, aujourd'hui que la République est florissante, nous pouvions, sans être taxés de témérité, la défendre envers et contre tous; déclarant d'ailleurs que la nation haïtienne s'ensevelirait sous ses propres ruines plutôt que de céder à aucune puissance le moindre droit qui portât atteinte à sa liberté politique. Le ministre, qui n'avait rien pu gagner sur ce point, nous fit, relativement à la partie de l'Est de notre territoire, la même observation que nous avait déjà faite M. ESMANGART, et il reçut de nous la même réponse. Il proposa alors que l'un de nous retournàt en Haïti pour soumettre à Votre Excellence ces difficultés. Comme le cas n'avait point été prévu, et qu'il nous paraissait même contraire à l'esprit de nos instructions, nous exposâmes à M. le marquis de CLERMONTTONNERRE que nous regrettions de ne pouvoir nous rendre à sa proposition. Le ministre ferma alors la conférence en nous promettant

> notre affaire toute la suite qu'il voudrait lui donner. Dans quelques jours » il sera plus libre, et nous nc perdrons pas un moment pour en finir. Je vous réitère, Messieurs, l'assurance de ma très-haute considération.

» Signé ESMANGART. »

qu'il prendrait l'avis du Conseil, et qu'il nous communiquerait la décision de son gouvernement.

Tel a été le résultat de notre entretien avec le ministre. La lettre que M. ESMANGART nous a écrite le 3 août nous a fait connaître le prétexte dont le gouvernement français a coloré la rupture de la négociation (*). Ce prétexte, c'est l'insuffisance de nos pouvoirs pour accepter les conditions établies dans le projet d'ordonnance. Mais était-on fondé à arguer de cette insuffisance, après avoir reçu, sans objection, nos propositions, et nous avoir flattés de l'espoir de les voir accueillies? Etait-ce faire preuve de cette disposition franche, si souvent manifestée, d'en venir à un arrangement définitif, que de nous présenter une clause non convenue, et à laquelle on savait bien que nous ne pouvions consentir?

Les choses ayant pris cette tournure inattendue, notre séjour en France devenait sans objet, et nous nous embarquâmes au Havre, le 15 août dernier, sur le Cosmopolite.

Voilà, Président, l'exposé vrai, et aussi succinct qu'il nous a été possible de le faire, de notre conduite et de celle du gouvernement français. Si nous n'avons point obtenu dans cette négociation le résultat que nous devions naturellement attendre, nous aurons du moins la consolation d'avoir conservé intacts les droits et la dignité du peuple haïtien ; et c'est avec ce sentiment que nous venons re

(*) Voici cette lettre :

« Paris, le 3 août 1824.

» A Messieurs les envoyés du gouvernement de SAINT-DOMINGUE.

>> Messieurs,

» Le gouvernement, d'après la conférence que vous avez eue avec Mon» seigneur le ministre de la marine, a décidé que, faute de pouvoirs >> suffisants pour accepter les conditions établies dans le projet d'ordon»nance dont il vous a été donné connaissance, la négociation ne pouvait » se suivre. Je regrette qu'elle n'ait pas eu un meilleur résultat; et je ⚫ saisis cette occasion pour vous offrir, Messieurs, l'assurance de ma très>> haute considération.

» Signé : ESMANGART. »

mettre entre les mains de Votre Excellence le précieux dépôt qu'elle nous avait confié.

Agréez, Président, l'hommage de notre respectueux dévouement.
Signé: LAROSE, P. Rouanez (*).

No 909.

CIRCULAIRE du Président d'Haïti, aux commandants d'arrondissement, à l'occasion de la rupture des négociations avec la France pour la reconnaissance de l'indépendance de la République (4).

Port-au-Prince, le 6 octobre 1824.

Les envoyés que, sur l'appel qui m'avait été fait, j'avais expédiés pour traiter en France de la reconnaissance de l'indépendance d'Haïti, sont de retour ici. Leur mission n'a pas obtenu le résultat que l'on était en droit d'espérer, parce que le gouvernement français, chose incroyable! prétend encore un droit chimérique de suzeraineté sur ce pays. Cette prétention, à laquelle il paraissait avoir renoncé, est à jamais inadmissible; elle est une nouvelle preuve, comme je l'ai

(*) Toutes les pièces relatives à cette négociation ont été imprimées par ordre du Président d'Haïti, à l'imprimerie du gouvernement, en octobre 1824. Elle forme une brochure petit in-4° de 84 pages, qui se termine par le RÉSUMÉ Suivant :

«En 1814, on voulait nous imposer la SOUVERAINETE ABSOLUE de la » France; en 1846, on se contentait d'une soUVERAINETE CONSTITUTION» NELLE; en 1821, on ne demandait plus qu'une SIMPLE SUZERAINETĖ; en » 4823, lors de la négociation du général Boyé, on se bornait à réclamer, » comme le sine quâ non, L'INDEMNITÉ que nous avions offerte précédem»ment par quel retour à un esprit de domination, veut-on, en 1824, » nous assujettir à une SOUVERAINETÉ EXTÉRIEURE? Qu'est-ce donc qué cette >> souveraineté extérieure? Elle se compose, selon nous, de deux espèces » de droits l'un qui se restreint au PROTECTORAT; et c'est celui qu'on »> nous présente; l'autre, qui s'étend sur les relations du dehors, soit politiques, soit commerciales, et que par la suite on ne manquerait pas de » faire valoir. Mais de quelque côté que nous envisagions cetle SOUVE » RAINETÉ, elle nous paraît injurieuse ou contraire à notre sécurité : voilà » pourquoi nous la rejetons. »>

(1) Voy. no 908. Rapport fait le 5 oct. 1824, au Présid. d'Haïti, par .MM. Laroze et P. Bmanez.

déjà proclamé, que notre véritable garantie est dans notre inébranlable résolution, et combien nos défiances et les mesures que j'ai prises étaient fondées.

Dans ces circonstances, vous devez, plus que jamais, vous rappeler les dispositions de ma Proclamation du 6 janvier dernier, et les instructions particulières qui l'ont suivie (1). Pressez activement tous les travaux nécessaires; l'entretien en ordre des armes, la mise en bon état de l'artillerie, des munitions de toute espèce, etc.: rien ne doit être négligé. Mettez en réquisition les ouvriers des corps, et même, au besoin, les particuliers, pour la prompte exécution des affûts de canon qui pourraient ne pas être encore achevés. Faites en sorte, enfin, en cas d'invasion de l'ennemi, de n'être en retard sur aucun point; songez sans cesse à vos devoirs, à votre responsabilité, et agissez en conséquence.

L'honneur national prescrit (vous ne perdrez pas non plus cet objet de vue), d'assurer la tranquillité et la sûreté aux étrangers qui, sur la foi publique, garantie par la Constitution, se trouvent dans le pays. Couvrez-les, ainsi que leurs propriétés, de votre protection, de manière qu'ils soient en pleine sécurité. Il suffit de réfléchir pour sentir l'infamie qui rejaillirait sur la nation, si, dans n'importe quelle circonstance, nous agissions différemment. Guerre à mort aux implacables ennemis qui porteraient un pied sacrilége sur notre territoire; mais ne souillons jamais notre cause par aucune action déshonorante. En envoyant des députés pour régler la formalité de la reconnaissance de notre indépendance, j'ai cédé à l'invitation qui m'a été faite par des agents du gouvernement du roi de France. J'ai dû faire cette démarche pour ôter à la malveillance tout prétexte de me taxer d'obstination: j'ai dû la faire pour l'acquit de ma conscience et pour enfin fixer l'opinion de la nation sur ce point important. Je crois avoir rempli, à cet égard, mon devoir; mais j'ai la satisfaction de pouvoir déclarer que je n'ai point été abusé.

La République est libre, elle est à jamais indépendante, puisque nous sommes déterminés à nous ensevelir sous ses ruines plutôt que de nous soumettre à l'étranger. Cependant les ennemis d'Haïti comptent encore sur la chimère d'une division parmi nous. Quelle erreur et en même temps quelle duplicité!... Soyons éternellement

(4) Voy, no 873. Proclam. du Présid, d'Haïti,du 6 janv. 1824, pour l'organisation, etc.

unis, fidèles à nos devoirs, nous serons, avec l'aide du Tout-Puissant, à jamais invincibles.

Signé : BOYER.

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CIRCULAIRE du même aux mêmes, relative à un nouveau relevé des propriétés appartenant à l'Etat (1).

Port-au-Prince, le 8 octobre 1824.

Les réclamations d'un grand nombre de personnes qui prétendent avoir travaillé sans titre sur des terres de l'État, et qui cependant ne se trouvent pas portées dans le relevé que vous m'avez adressé, conformément à ma circulaire du 2 décembre 1822, m'ayant prouvé que ce relevé était inexact, et qu'il ne pouvait remplir en conséquence le but que je m'étais proposé, je vous invite, dès la présente reçue, à vous occuper sérieusement de faire un nouvel état de tous ceux qui ont fait des établissements sur des habitations appartenant au domaine national, sans avoir aucun titre légal, vous prévenant que vous ne devrez y comprendre que les personnes qui cultivent des denrées susceptibles de payer un droit, telles que coton, café, cacao, etc. Je vous invite, en outre, à tenir rigoureusement la main à ce que qui que ce soit ne puisse, à partir de la présente date, faire des établissements, ni abattre des bois sur les terrains de l'État.

Vous m'accuserez réception de cette circulaire de l'exécution de laquelle vous êtes responsable.

Signé : BOYER.

No 944. Avis de la Secrétairerie générale, qui fixe les jours et heures d'audience du Président d'Haïti (2).

Port-au-Prince, le 14 octobre 4824.

Le public est prévenu que l'importance et la multiplicité des affaires d'État dont s'occcupe le gouvernement, ne permettent pas à

(1) Voy. no 810. Circul. du 22 nov. 1822, du Présid. d'Haïti, aux gén. BONNET, etc., concernant les individus, etc. No 986. Arrêté du 28 nov. 1825, qui accorde des concessions, etc.

(2) Voy. no 525. Avis du 7 avril 1818, du Sec. gen. relatif aux jours d'audience, etc.

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