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INTRODUCTION

Le spectacle éclatant de la grandeur triomphante ct prospère a toujours éveillé la méfiance, suscité l'envie; presque toujours, la méfiance et l'envie ont enfanté les coalitions. Le faible hait le fort, parce qu'il le redoute. L'instinct de la conservation unit, naturellement et nécessairement, les faibles contre le fort. Quand la nation ou l'individu que les coalitions menacent est pacifique et débonnaire, elles peuvent montrer quelque modération, user de conciliation et de ménagements, ne fût-ce que par respect d'elles-mêmes et de l'opinion publique; si, au contraire, leur commun ennemi est, lui-même, dédaigneux, arrogant, agressif, si non-seulement la jalousie les a formées, mais si encore la peur et la colère les aiguillonnent, alors elles sont cruelles, haineuses, et deviennent volontiers inexorables jusqu'au moment où cet ennemi, lorsque ses propres forces ne suffisent plus à le sauver, échappe à la destruction par l'excès même des passions qui les agitent. C'est la loi de justice éternelle qui le veut ainsi, afin que toute violence ait un châtiment et que l'équilibre des choses de ce monde, laborieusement

J.

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établi par les efforts des peuples, ne soit pas trop quemment ou trop complétement rompu.

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Parmi les nations modernes de l'Europe, la France a eu ce privilége qu'étant tout particulièrement riche et prospère, en vertu des dons magnifiques que la Providence lui a départis, ambitieuse et entreprenante en vertu de son génie naturel, elle a été, plus que toutes les autres, exposée aux coalitions implacables.

Elle en a triomphé par la vaillante énergie de ses défenseurs, par les manoeuvres habiles des hommes qui la gouvernaient, par les divisions mêmes des adversaires qui avaient conjuré sa perte, et les admirables ressources de sa vitalité puissante ont toujours réparé ses désastres.

Lorsque Philippe-Auguste eut confisqué, sur Jean Sans terre, meurtrier de son jeune neveu, Arthur de Bretagne, l'Anjou, le Poitou, la Touraine, le Maine et la Normandie, lorsqu'il eut, en outre, réuni à son royaume les fiefs des comtes d'Auvergne et de Boulogne, tous ses voisins prirent ombrage de ce rapide et formidable accroissement de puissance. Les grands seigneurs tremblèrent pour leurs droits féodaux. Le pape Innocent III, cet indomptable champion des prérogatives et de l'Orthodoxie romaines, crut voir en lui un rival. Il abandonna son alliance au moment même où une armée française, rassemblée à l'instigation du Saint-Siége, allait envahir l'Angleterre. Bientôt Jean Sans terre, l'empereur Othon IV, son neveu Ferrand, le puissant duc de Flandre, le comte de Boulogne

dépossédé, unirent leurs armes contre la France. Ils s'étaient partagé, en espérances, son territoire et ne doutaient pas de leur triomphe. Cette ligue formidable que favorisaient, en secret, les voeux des grands vassaux, fut écrasée, le 27 août 1214, après une lutte héroïque, dans les plaines de Bouvines. Cette fois la royauté française combattit, et se sauva toute seule.

Trois siècles plus tard, une autre coalition la menace. A la ligue de Cambray, dont le pape Jules II est l'âme, dont Louis XII est le bras, dont l'humiliation de Venise est le but, succède la Sainte Ligue que le turbulent pontife organise et dirige contre Louis victorieux. L'empereur Maximilien, qui devait partager avec celui-ci les dépouilles vénitiennes, mais qui, n'ayant pu s'associer à ses triomphes, est devenu méfiant et jaloux, Ferdinand V, le prince le plus avide et le plus astucieux de son temps, que le Pape gagne à sa cause par l'appât de faciles conquêtes, Henri VIII qui vient d'épouser sa fille, les Suisses qui se donnent au plus offrant, Venise, délivrée par la crainte même qu'inspirent ses ennemis, conspirent, entre eux, la ruine de la France. Nos armées, que commandent des chevaliers plus vaillants qu'habiles, Lautrec, la Palisse, Trivulce, Bayard, sous les ordres d'un héros, Gaston de Foix, luttent sur le sol italien, tandis que le concile de Pise, où sont réunis les représentants du clergé français, bataille contre celui de Latran où siégent les prélats dévoués à Jules. Mais Gaston de Foix est tué à Ravenne, nous sommes vaincus à Guinegate et à Novare, la Bourgogne est

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envahie par les Suisses, la Navarre conquise par Ferdinand. Louis XII va succomber sous de si puissants efforts. Les divisions des alliés lui viennent en aide. Au fougueux Julien de la Rovère a succédé, sous le nom de Léon X, un homme dont l'intelligence égale la sienne, mais qui est passionné pour les arts et dont l'ambition, mieux réglée, a des visées pacifiques. Élu le cardinal Jean de Médicis s'empresse de traiter avec Louis XII, qui n'hésite pas à lui sacrifier le concile de Pise. Plus ou moins satisfaits, les alliés délaissent, l'un après l'autre, la cause commune. La Sainte Ligue se dissout d'elle-même, et l'équilibre politique est rétabli.

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Il sera bientôt rompu. A peine monté sur le trône, François I veut reprendre le Milanais, malgré l'empereur Maximilien, le roi Ferdinand, le Pape et les Suisses. Il s'en rend maître par l'immortelle victoire de Marignan; mais son ambition aspire à une plus illustre conquête. Il dispute le sceptre impérial à l'archiduc Charles, héritier des couronnes d'Autriche et d'Espagne, et de là naît une rivalité qui ensanglantera, pendant vingt-cinq ans, la France et l'Italie. L'Archiduc l'emporte. L'orgueil blessé de François Ier ne pardonnera jamais le triomphe de Charles-Quint. D'abord, l'Empereur, soutenu par Henri VIII et Léon X, remporte des succès éclatants. Pendant que la France combat péniblement trois invasions qui l'étreignent au nord, au sud, à l'est, Lautrec et Bonnivet sont battus en Italie, et François, terrassé à Pavie, est prisonnier de guerre

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en Espagne. Le traité de Madrid, dont les clauses humiliantes abaissent la France devant l'Empire, le délivre de sa captivité. Alors Charles-Quint paraît trop grand à son tour. La loi des coalitions s'est retournée contre lui. Les faibles s'ameutent contre le fort. François a pour alliés, contre Charles, le roi d'Angleterre, pape Clément VII, tous les États d'Italie, les princes protestants d'Allemagne, le sultan Soliman. Trois guerres se succèdent de 1527 à 1544 avec des fortunes diverses. La dernière, au début de laquelle Henri VIII est revenu à son ancien ami, l'Empereur, se termine par le traité de Crespy qui réconcilie, pour un instant, les deux couronnes. Ce traité rend à la France les frontières qu'elle possédait à la mort de Louis XII. La balance a repris, encore une fois, son niveau. C'est en vain que l'ambition démesurée et les aveugles rancunes d'un prince qui aimait éperdument la gloire, mais auquel manquait le sens politique, ont fait couler tant de sang français.

Il faut, si l'on parcourt nos annales historiques depuis le règne de François Ier, arriver jusqu'à celui de Louis XIV, pour retrouver la France en face d'une coalition armée.

Sous Henri II, elle donne la main aux protestants d'Allemagne, les pires ennemis de Charles-Quint; elle guerroie, tour à tour, contre le grand Empereur, après lui, contre son fils, Philippe II d'Espagne; puis, en signant la paix de Cateau-Cambrésis, elle renonce à ses prétentions italiennes et s'annexe les Trois-Évêchés.

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