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sortit de Brest sous les ordres du vice-amiral Villaret-Joyeuse. Elle portait une armée de débarquement de vingt mille hommes commandée le général Leclerc, beau-frère de Bonaparte. Une partie de la flotte se porta le 12 pluviose (1er février 1801) vis-àvis du Cap. On demanda l'entrée du port; elle fut refusée. On alla débarquer à quelques lieues; le noir Christophe évacua la ville du Cap après l'avoir incendiée. Pendant ce temps d'autres débarquemens avaient lieu plus heureusement. Le général Boudet s'emparait du Port-au-Prince, dont les défenses lui étaient livrées par le mulâtre Bardet; le môle Saint-Nicolas et les Cayes se rendaient; le général Kerversan s'emparait sans résistance de la partie espagnole. Ainsi l'armée était en possession de tous les points militaires de la colonie. Elle reçut bientôt des renforts considérables qui en portèrent l'effectif à trente-quatre mille hommes. Alors elle se mit à agir. Les noirs furent battus partout où on les rencontra. La plupart des chefs se rendirent, et Toussaint-Louverture lui-même, après avoir tenté la fortune dans huit combats, se soumit au gouvernement et se retira dans une habitation qu'il s'était appropriée près des Gouaïves. Mais il s'agissait de rendre la pacification stable. Dans ce but, on essaya d'incorporer l'armée noire dans l'armée française; mais les préventions de couleur rendirent cette mesure impossible. D'un autre côté; la situation de notre armée était affreuse. La fièvre jaune y faisait des ravages terribles auxquels elle ne pouvait échapper. La mortalité était effrayante, chaque jour l'épidémie faisait une centaine de victimes. Elle frappait les généraux comme les soldats; les généraux Ledoyen, Hardy, Debelle, venaient de succomber. Sur ces entrefaites, on saisit des lettres de Toussaint qui apprirent qu'il n'attendait, pour reprendre les armes, que le moment où la maladie aurait suffisamment affaibli l'armée. On fit arrêter Toussaint et on l'envoya en France. On résolut de désarmer les noirs. Cette mesure reçut un commencement d'exécution; les noirs y répondirent bientôt par des insurrections partielles; enfin, le feu de la révolte gagnant de proche en proche s'étendit à toute la colonie. L'armée n'était plus en état de l'étein

dre; sur les trente-quatre mille hommes qui la composaient primitivement à la fin de l'an x, vingt-quatre mille étaient morts, sept mille étaient dans les hôpitaux ; il n'en restait que deux mille cinq cents sous les armes, qui eurent bien de la peine à se conserver quelques villes de la côte où ils s'étaient réfugiés. Ce fut dans cette situation affreuse que Leclerc lui-même succomba au Cap dans la nuit du 10 au 11 brumaire an xi (1 à 2 novembre 1802). Rochambeau lui succéda dans le commandement. Cependant, le premier consul, instruit de cette situation, s'empressa de faire partir des renforts. Environ quinze mille hommes furent encore sacrifiés. Rochambeau, se trouvant à la tête de ces nouvelles forces, tenta, une seconde campagne; il débarrassa d'abord le Cap des troupes noires qui l'assiégeaient; puis il s'avança dans le sud. Mais ses troupes n'étaient pas assez nombreuses; déjà les affreux effets du climat les avaient affaiblies. Il fut obligé, après des marches qui multiplièrent les maladies, et des engagemens désastreux, de rentrer au Cap avec trop peu de soldats pour en prolonger long-temps la défense.

Nous terminerons en quelques mots l'esquisse de cette désas-. treuse expédition. Au moment où le général désespérait de la défense, les hostilités recommençaient entre la France et l'Angleterre. La rupture du traité d'Amiens ne permettait plus de compter sur des secours; Rochambeau aima mieux remettre le Cap aux noirs que le rendre aux Anglais. Il traita avec Dessalines, et évacua la ville le 9 frimaire an xii (1er décembre 1803). La garnison s'embarqua avec un grand nombre de familles qui fuyaient la férocité des noirs. Mais pour comble de malheur, ce convoi tomba entre les mains des Anglais, et ceux-ci montrèrent dans cette occasion une rapacité qui a déshonoré pendant longtemps leur nom dans les Antilles. Parmi les généraux qui occupaient les autres points des côtes, Brunet se rendit aux Anglais, Sarrazin réussit à se retirer à Cuba, Noailles s'embarqua aussi pour se réfugier dans cette île; attaqué dans sa navigation par une corvette anglaise, il s'en empara à l'abordage, mais il fut tué. Ses troupes au moins furent sauvées. Il ne resta plus à Saint

Domingue que le général Ferrand, qui continua à occuper SanDomingo, capitale de la partie espagnole.

Nous avons considérablement anticipé sur la narration qui va suivre pour rendre compte en une seule fois d'une expédition impolitique qui coûta à la France près de cinquante mille hommes de ses meilleures troupes, et perdit pour toujours une riche colonie. Nous allons maintenant retourner en arrière pour reprendre notre récit au point où nous l'avions laissé lorsque nous avons entrepris de raconter le triste épisode des campagnes de SaintDomingue.

Après les rudes secousses qui avaient ébranlé l'Europe et les changemens qu'avaient apportés les conquêtes de la République, il restait un ébranlement que la paix entre les grandes puissances n'avait pas fait cesser. Les princes allemands dépossédés par nos acquisitions sur les bords du Rhin demandaient des indemnités. Ils en discutaient entre eux le réglement. Cette affaire fut terminée dans le commencement de l'an xi. On reprocha en cette circonstance à la France d'avoir appelé l'intervention de la diplomatie russe pour régler les intérêts germaniques. Mais ce que le premier consul voulait par-dessus tout, c'était arriver à un état stable et arrêté, qui lui semblait une des meilleures garanties de la paix. Il réussit dans ses désirs en employant la médiation du czar. Le succès justifia les moyens dont il s'était servi en cette occasion.

En même temps, le premier consul cherchait à rétablir des relations amicales avec l'Orient. La paix signée avec la Porte n'avait pas suffi pour rouvrir à notre commerce les voies que la guerre avait fermées de ce côté. D'une autre part, les troupes anglaises tenaient encore garnison à Alexandrie. Il s'agissait de connaître le but et les chances de cette occupation prolongée. Ce fut l'objet d'une mission dont fut chargé Sébastiani. Celui-ci, qui n'était alors que colonel, s'embarqua à Toulon le 29 fructidor an x (29 août 1802). Il se rendit d'abord à Tripoli, sur la côte d'Afrique; de là il alla à Alexandrie, au Caire, à Saint-Jeand'Acre. Partout il fut magnifiquement accueilli. Mais, les jour

naux anglais firent mille commentaires sur ce voyage; ils en inférèrent que le cabinet des Tuileries n'avait pas renoncé à ses projets sur l'Égypte.

Il s'agissait enfin de ramener la paix en Helvétie, que la guerre civile désolait. Les fédéralistes étaient aux mains avec les militaires; ils voulaient rétablir les choses sur l'ancien pied en détruisant tout ce qu'avait fait le directoire. On se souvient que celui-ci, en envahissant la Suisse, avait forcé les anciens cantons à renoncer à leurs droits de souveraineté féodale sur les cantons qui étaient auparavant leurs tributaires, et à les admettre comme leurs égaux; enfin le directoire avait établi en Suisse un gouvernement unitaire. Or, après le traité de Lunéville, à peine les troupes françaises eurent-elles évacué le territoire des cantons, que les fédéralistes et l'aristocratie commencèrent à remuer; ils prirent enfin les armes, attaquèrent et chassèrent le gouvernement fédéral.

Le premier consul ordonna à Ney d'entrer en Suisse à la tête d'une armée, d'occuper le pays et de faire mettre bas les armes aux deux partis. Cette opération ne coûta pas une goutte de sang; elle eut lieu dans le commencement de brumaire an x1 (octobre et novembre 1802). Cinquante-six députés notables se rendirent à Paris, et vinrent y former un congrès. On comptait parmi eux trente-deux unitaires et quinze fédéralistes. Une commission de sénateurs composée de Barthelemy, Fouché, Roederer et Desmeuniers fut chargée de les écouter et de convenir avec eux d'un réglement qui terminât les différends. Ce fut de ce congrès que sortit la constitution qui régit la Suisse jus. qu'en 1814. Le premier consul la sanctionna, ou plutôt lui donna force de loi, par un acte qui fut appelé acte de médiation, et qui le constituait en réalité médiateur de la confédération suisse, titre qu'il prit en effet lorsqu'il se fut revêtu de la couronne impériale.

Il y avait dix-neuf cantons de reconnus, et trois espèces de constitutions : les constitutions démocratiques, les constitutions aristocratiques et les constitutions des nouveaux cantons. Les

premières n'étaient que la réintegration des anciennes coutumes qui gouvernaient ces cantons; les secondes étaient fondées encore sur la réintégration des lois anciennes, mais modifiées par la doctrine de l'égalité des droits. Quant aux cantons nouveaux, l'acte de médiation y créait le système que chacun d'eux avait paru désirer. On voit que le premier consul entendait un peu mieux que le directoire l'intérêt français. Il comprenait très-bien que cet intérêt commandait à la France de s'entourer autant que possible de fédérations, parce que celles-ci ne peuvent jamais présenter à notre activité les obstacles et la force de résistance que pourraient lui opposer des gouvernemens unitaires. Quoi qu'il en soit, voici l'Acte de médiation tel qu'il fut signé par Bonaparte, le 30 pluviose an x1 (19 février 1803). Il fut publié dans les journaux du temps le 3 ventose suivant.

« Acte de médiation fait par le premier consul de la République française entre les partis qui divisent la Suisse.

› Bonaparte, premier consul de la République, président de la république italienne, aux Suisses.

"

› L'Helvétie, en proie aux dissensions, était menacée de sa dissolution; elle ne pouvait trouver en elle-même les moyens de se reconstituer. L'ancienne affection de la nation française pour ce peuple recommandable, qu'elle a récemment défendu par ses armes et fait reconnaître comme puissance par ses traités ; l'inté rêt de la France et de la république italienne, dont la Suisse couvre les frontières; la demande du sénat, celle des cantons démocratiques, le vœu du peuple helvétique tout entier, nous ont fait un devoir d'interposer notre médiation entre les partis qui le divisent. Les sénateurs Barthélemy, Roederer, Fouché et Desmeunier ont été par nous chargés de conférer avec, cinquante-six députés du sénat helvétique, et des villes et cantons, réunis à Paris. Déterminer si la Suisse, constituée fédérale par la nature, pouvait être retenue sous un gouvernement central autrement que par la force; reconnaître le genre de constitution qui était le plus conforme au von de chaque canton; distinguer ce qui ré

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