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succès du grand Frédéric, ne doutait pas de la victoire. Elle se mit en mouvement la première. Le prince de Hohenlohe entra en Saxe à la tête de cinquante-cinq mille hommes; en même temps. les troupes russes se mirent en marche pour se rapprocher du territoire prussien.

L'empereur, parfaitement instruit de tous ces mouvemens, s'était mis en mesure : il avait réuni cent quatre-vingt-quinze mille hommes sur le Mein, et il résolut de déjouer par la rapidité de ses opérations, les projets des ennemis, d'attaquer les Prussiens avant qu'ils eussent été rejoints par les autres armées coalisées, et, après les avoir vaincus, de combattre, s'il était nécessaire, leurs alliés séparément. Il n'attendit pas l'ultimatum du roi de Prusse. Il quitta Paris le 25 septembre, pour aller veiller lui-même à la concentration de ses troupes qui accouraient de toutes les parties de l'empire, et se trouver en place pour agir aussitôt qu'il jugerait ses forces suffisantes. Ce fut du quartier-général de Bamberg (7 octobre 1806), qu'il envoya le message par lequel il donnait connaissance au sénat de la nécessité d'entrer en campagne. Parmi les pièces diplomatiques jointes à ce message était l'ultimatum du roi de Prusse, daté du 1er octobre 1806. En voici un extrait :

• Les agrandissemens et la prépondérance de l'empire français ont fait de S. M. prussienne, si long-temps alliée fidèle et loyale, un voisin alarmé sur sa propre existence, et nécessairement armé pour la défense de ses plus chers intérêts... Cet accroissement gigantesque d'une puissance essentiellement militaire et conquérante laisse sans aucune garantie S. M. prussienne au milieu des bouleversemens dont elle est entourée... Le roi de Prusse ne voit autour de lui que des troupes françaises ou des vassaux de la France prêts à marcher avec elle... Les déclarations et les mesures de l'empereur des Français annoncent que cette attitude ne changera point... Cependant cet état de choses ne peut durer; le danger croît chaque jour. Il faut s'entendre d'abord, ou l'on ne s'entendrait plus. En conséquence, S. M. prussienne demande : 1o que les troupes françaises, qu'aucun

titre fondé n'appelle en Allemagne, repassent incessamment le Rhin, toutes, sans exception, en commençant leur marche du jour même où le roi de Prusse se promet la réponse de l'empereur des Français, et en la poursuivant sans s'arrêter; et le ministre de S. M. prussienne est chargé d'insister avec instance pour que cette réponse de S. M. impériale arrive au quartier général du roi le 8 octobre...; 20 qu'il ne soit plus mis de la part de la France. aucun obstacle quelconque à la formation de la ligue du Nord, qui embrassera sans aucune exception tous les états non nommés dans l'acte fondamental de la confédération du Rhin. »

- Maréchal, avait dit l'empereur à Berthier en recevant cette pièce, on nous donne un rendez-vous d'honneur pour le 8; jamais un Français n'y a manqué. Mais il y a, dit-on, une belle reine qui veut être témoin des combats; soyons courtois, et marchons, sans nous coucher, pour la Saxe.

En effet, l'armée se mit en marche le 7 octobre. Les premiers engagemens eurent lieu à Schleitz le 9, et à Saalfield le 10, où les Prussiens furent vivement repoussés et perdirent beaucoup de monde. Enfin, l'armée de l'empereur atteignit Hohenlohe, en arrière d'Iena. Celui-ci avait sous ses ordres plus de soixante-dix mille hommes prussiens et saxons; mais il ne sut pas les tenir réunis. Attaqué à l'improviste le 14, il fut écrasé, et son armée mise dans une déroute telle qu'on en voit rarement de pareille. Pas un corps n'avait conservé ses rangs; toutes les armes étaient mêlées, chacun se hâtant de se dérober aux désastres du champ de bataille. Tous les canons furent abandonnés.

Pendant que l'empereur attaquait Hohenlohe, le même jour, 14 octobre, Brunswick, à la tête d'une armée de soixante-cinq mille hommes des meilleures troupes de la Prusse, dont douze mille de cavalerie, marchait à Auerstadt contre le troisième corps, commandé par Davoust, fort à peine de trente-deux mille quatre cents hommes, croyant aller au-devant de l'armée impériale. Brunswick avait avec lui la garde royale prussienne, et le roi de Prusse fortifiait cette armée de sa présence.

Davoust, qui s'était assuré dès la veille des forces et des dispo

sitions de l'ennemi qu'il avait devant lui, se hata de faire prendre à ses troupes, composées presque entièrement d'infanterie, une position avantageuse. Il écrivit en outre à Bernadotte, qui commandait plusieurs divisions et operait sur ses flancs, de venir le joindre. Celui-ci refusa. Davoust envoya dans la nuit messages sur messages sans obtenir davantage; il écrivit aussi aux généraux Nansouty et Beaumont, commandant une réserve de cavalerie. Celui-ci déclara qu'il ne pouvait marcher sans un ordre de Bernadotte. Ainsi Davoust fut réduit à ses propres forces. Les soldats français furent admirables: assaillis avec acharnement par la cavalerie, ils la repoussèrent à la baïonnette et par un feu meurtrier; attaqués ensuite par l'infanterie, ils restèrent inébranlables, et bientôt ils commencèrent à gagner eux-mêmes du terrain. Le prince Guillaume de Prusse se mit lui-même à la tête d'un corps de cavalerie d'élite et vint charger la division Morant; il fut repoussé à la baïonnette; le prince prussien fut blessé lui-même. Les réserves d'infanterie prussienne furent à leur tour lancées contre les Français; elles furent repoussées, et ceux-ci continuèrent à gagner du terrain. Enfin les Prussiens se mirent en retraite; mais elle ne tarda pas à se convertir en déroute. Ils avaient en effet perdu presque tous leurs généraux; leur général en chef lui-même, le duc de Brunswick, avait été tué. Qu'on juge du désordre qui s'introduisit dans ces masses, lorsque la nuit elles furent choquées par les colonnes de fuyards qui se retiraient du champ d'Iéna! On ne savait plus où était l'ennemi. Une terreur panique s'empara des debris de l'armée prussienne. Les soldats jetèrent leurs armes et ne songèrent qu'à se tirer individuellement du danger. Cette armée, qui la veille ne doutait pas de la victoire, fut changée en un attroupement sans discipline, sans chef, sans but commun, n'ayant qu'une pensée, celle de la peur.

Bonaparte fut instruit le lendemain de la bataille d'Auerstadt et du succès de Davoust. Il demanda ce qu'avait fait Bernadotte; on répondit qu'il ne s'y était pas trouvé. Bernadotte s'est mal conduit, s'écria Bonaparte; il eût été enchanté que Davoust manquât cette affaire: ce Gascon n'en fera jamais d'autres! ›

Quelques jours après, l'empereur alla passer la revue du troisième corps. Il le trouva bien diminué, car il avait laissé sept mille hommes sur le champ de bataille d'Auerstadt. Là il apprit dans tous les détails la coupable conduite de Bernadotte ; il en parut indigné. Cela est si odieux, dit-il, que si je le remets à un conseil de guerre, c'est comme si je le faisais fusiller. Il vaut mieux n'en pas parler! » Ainsi, Bonaparte donna une seconde fois à l'armée la preuve qu'il n'osait punir ses officiers supérieurs, que la loi n'était pas la même pour les grands et pour les petits. Cet exemple, qui se répéta encore par la suite, porta de fortes atteintes à la discipline militaire dans les grades supérieurs. L'empereur plus tard en recueillit les fruits: un grand nombre d'opérations militaires furent manquées; le sang français fut nombre de fois versé sans utilité, particulièrement en Espagne, par le seul fait de la désobéissance des généraux. N'étant plus maintenus dans le sentiment de l'intérêt commun, ils devinrent incapables de concourir à un résultat unique toutes les fois qu'il eût fallu sacrifier dans ce but les intérêts de leur vanité ou de quelque égoïsme moins noble encore. Bonaparte prévit-il cette conséquence de son indulgence? Bonaparte craignait-il de punir ceux qui avaient été ses égaux? ne se sentait-il pas assez d'autorité pour cela, ou redoutait-il de rendre précaire sa position personnelle en attentant à celle de ses lieutenans? Nous l'ignorons; mais, quoi qu'il en soit, sa conduite en ces circonstances affaiblit, et finit par détruire ce zèle de l'intérêt commun que l'inflexibilité de la Convention avait inspiré à tous les officiers supérieurs.

Pour effacer les mauvais effets de sa faiblesse envers Bernadotte, Bonaparte honora le troisième corps de toutes les récompenses militaires dont il pouvait disposer. Entre autres il ordonna qu'il entrerait le premier à Berlin, précédé d'un héraut d'armes qui proclamerait incessamment à haute voix un ordre du jour rédigé en son honneur. Cette cérémonie, qui enthousiasmait les soldats, eut lieu le 25 octobre; car après les deux batailles d'Iéna et d'Auerstadt, la monarchie prussienne tomba en moins d'un mois tout entière aux mains du vainqueur. L'empe

reur sut profiter de la victoire et de la terreur qu'il avait inspirée. Il lança toutes ses troupes à la poursuite de l'ennemi, les poussant dans diverses directions, mais combinant leurs mouvemens de telle sorte que la dispersion des Prussiens fût complétée, et qu'ils ne pussent se rassembler nulle part. La cavalerie rendit particulièrement service: lancée par masses dans diverses directions, elle se trouvait en quelque sorte partout. Ses mouvemens furent si rapides qu'on fut obligé de la remonter trois fois, aux dépens de l'ennemi, il est vrai. C'est dans cette campagne que l'on vit une ville fortifiée, Stettin, se rendre à quelques escadrons de hussards. En moins d'un mois le Hanovre, la Hesse électorale, la Saxe, étaient occupés par nos armées. On traita avec l'électeur de Saxe, et on rendit la liberté aux prisonniers saxons. Cet électeur prit le titre de roi, et accéda à la confédération du Rhin. Cinq autres petits princes suivirent son exemple. Cela augmenta les forces de la confédération d'environ vingt-cinq mille hommes. Cependant, le 16 novembre, la conquête de toutes les possessions prussiennes jusqu'à la Vistule était achevée. L'empereur consentit alors à accepter un armistice, par lequel il fut convenu que le roi de Prusse se retirerait avec ce qui lui restait de troupes à Koenisberg, entre le Niémen et la Vistule; que l'armée française occuperait tout le pays et toutes les places jusqu'à la Vistule, depuis le confluent du Bug jusqu'à Dantzig, la Silésie et les places de Glogau et de Breslau; que l'espace intermédiaire, savoir, la Nouvelle-Prusse orientale et la Pologne prussienne, serait neutre et ne serait occupé ni par les Prussiens ou les Russes, ni par les Français; enfin, que des négociations pour la paix auraient lieu à Charlottenbourg. Chose singulière! ce fut le roi de Prusse qui refusa cet armistice. Après avoir fait attendre quelque temps sa signature, il répondit par une proclamation dans laquelle, rappelant la conduite de ses ancêtres dans

guerre de sept ans, il annonçait qu'il ne désespérait point de la victoire; que l'armée russe accourait à son secours, et que la Prusse et la Russie avaient juré de vaincre ou de tomber ensemble. Ainsi, l'armée française allait avoir à faire une nouvelle cam

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