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» Comment n'a-t-on pas réfléchi que si la conscription, en multipliant ces mariages déplorables, avait pu accroître le nombre des naissances, elle enlevait annuellement à la France une grande partie de ces hommes déjà formés qui constituent la véritable force d'une nation? Les faits prouvent évidemment une conséquence si naturelle : la population au-dessous de vingt ans s'est accrue; au-delà de cette limite, la diminution est prodigieuse et incontestable.

» Ainsi, tandis que le gouvernement attaquait les sources de la prospérité nationale, il étalait avec orgueil les restes de cette prospérité qui ne cessait de lutter contre ses fatales mesures; il cherchait à déguiser le mal qu'il faisait sous le bien qui se soutenait encore et dont il n'était pas l'auteur. Maitre d'un pays où de longs travaux avaient amassé de grandes richesses, où la civilisation avait fait les plus heureux progrès, où l'industrie et le commerce avaient pris depuis soixante ans un essor prodigieux, il s'emparait de tous ces fruits de l'activité de tant de générations et de l'expérience de tant de siècles, tantôt pour les faire servir à ses funestes desseins, tantôt pour cacher les tristes effets de son influence. Le simple exposé de l'état actuel du royaume montrera constamment la prospérité nationale luttant contre un principe destructeur, sans cesse attaquée, souvent atteinte de coups terribles, et puisant toujours en elle-même des ressources toujours insuffisantes. »>

Le rapport évaluait les pertes en matériel militaire éprouvées dans les campagnes de 1812 et 1813, à 250,000,000 fr., et les dépenses faites dans les places qui n'appartenaient plus à la France à 115,000,000; enfin l'arriéré sur les dépenses de la guerre montait à 261,000,000.-Il évaluait les pertes faites par la marine à plus de 200,000,000, représentant la valeur de quarante-trois vaisseaux, quatre-vingt-deux frégates, soixante-seize corvettes et soixante-deux bâtimens de transport perdus en expéditions mal conçues. Les préparatifs pour le débarquement en Angleterre avaient coûté 150,000,000. Le déficit où l'arriéré des dépenses de la marine était de 61,000,000. Le rapport évaluait le total des anticipations ou des fonds consommés à l'avance à 805,469,000 francs, sans compter l'arriéré des divers ministères, qu'on n'évaluait pas à moins de 500,000,000, ce qui, ensemble, constituait un déficit à combler par l'avenir qui ne s'élevait pas à moins de 1,505,469,000 francs. Ce tableau était effrayant; mais le ministre avait eu le soin de rassurer ses auditeurs en leur parlant des progrès réels faits par l'agriculture et le commerce. La chambre des députés remercia le roi de cette communication.

Dans son rapport sur les finances, le baron Louis imita l'abbé

Montesquiou. Suivant lui, l'empire n'avait jamais présenté au corps législatif un budget sincère et complet. Pour solder l'arriéré il proposa de vendre trois cent mille hectares de forêts nationales, les biens des communes, et de lui ouvrir un crédit en rentes cinq pour cent, destinées à combler ce qui resterait de l'arriéré. Cette dernière proposition donna lieu à une discussion assez vive où l'on s'appuya de part et d'autre de l'exemple de l'Angleterre. Le projet passa à une majorité de cent quarante · voix contre soixante-huit. Le budget de 1815 fut arrêté pour les recettes à 618,000,000, et pour les dépenses à 545,700,000. On maintint l'impôt des droits réunis, malgré la promesse formelle que le comte d'Artois, à son entrée en France, avait faite de l'abolir; seulement on en changea le nom. L'administration des droits réunis fut appelée administration des contributions indi

rectes.

On reprocha à la restauration de nombreuses dilapidations en matière de finances. On assure que dans ses premiers mois, elle consomma en profusions des sommes considérables dont le versement au trésor eût de beaucoup réduit l'arriéré. D'après l'état présenté par la Bouillerie, le 1er avril 1814, le trésor du domaine extraordinaire contenait des valeurs pour la sommé de 553,512,483 francs. Qu'étaient-elles devenues? une partie formant, dit-on, 20,000,000 en or, avait été emportée à Blois par la régence. Elle tomba tout entière entre les mains du nouveau gouvernement qui n'en rendit aucun compte et en fit des générosités. Une autre partie consistait en 8,000,000 d'actions de la banque; elles furent négociées, et le produit en fut distribué de la même manière. Une autre portion, montant à plus de 140,000,000, consistant en obligations de la Prusse, de l'Autriche, de la Bavière, de la Saxe, de Westphalie, de Francfort, etc., fut remise aux débiteurs. Les pièces de cette volumineuse comptabilité, dont nous ignorons les autres détails, sont déposées dans les archives de la cour des comptes.

Outre le budget, auquel les hommes de l'empire reprochaient d'être motivé sans loyauté, les Chambres votèrent différentes

lois. Nous allons énumérer les principales, c'est-à-dire celles qui touchaient aux intérêts généraux.

1° Loi qui rend aux émigrés leurs biens non vendus; proposée le 13 septembre par M. le ministre d'état Ferrand; adoptée le 4 novembre par les députés, à la majorité de cent soixante-neuf voix contre vingt-trois.-Dans la discussion, MM. Lainé et Fourquevaux avaient inutilement demandé des indemnités pour les émigrés dont les biens étaient vendus. Lorsque, le 5 décembre, la Chambre des Pairs eut adopté la loi, M. le maréchal duc de Tarente renouvela cette demande, mais avec une addition qui lui assurait plus de succès. La proposition du maréchal tendait à » accorder, par une mesure générale, des indemnités : 1o aux émi› grés dont les biens avaient été vendus; 2° aux militaires qui › avaient reçu de l'ancien gouvernement des dotations de 500 à › 2,000 francs. Le 28 décembre, attendu sa prochaine séparation, la Chambre des Pairs ajourna celte proposition à la session suivante, suppliant le roi de faire préparer pour cette époque des renseignemens qui la missent à même de statuer sur lesdites indemnités.

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2o Loi qui reconnaît comme dettes de l'état, jusqu'à concurrence de trente millions, les dettes contractées par le roi en pays étranger. Sur la proposition de M. Fornier de Saint-Lary, faite le 22 juillet, la Chambre, par une résolution du 5 septembre, avait supplié le roi de présenter l'état de ses dettes en pays étranger. M. de Blacas-d'Aulps, ministre de la maison du roi, proposa une loi en conséquence le 29 novembre. Adoptée le 15 du mois suivant, cette loi a réuni cent cinquante-neuf suffrages sur cent soixante votans..

3° Loi relative à la liste civile. Dès le 27 juin M. Delhorme avait demandé que le roi fût supplié de fixer så liste civile. Le 27 août, sur l'avis d'une commission, la chambre prit une résolution contenant tous les articles de la loi projetée. Le 15 septembre la Chambre des Pairs amenda cette résolution d'une manière encore plus favorable à la couronne. Le roi, sensible à la sollicitude de sa Chambre des Députés, renvoya son projet,

rédigé en loi le 26 octobre par le ministre de sa maison, M. dé Blacas; et le 28, à la majorité de cent quatre-vingt-cinq voix contre quatre, la Chambre sanctionna son propre vœu. La loi donnait annuellement au roi 25,000,000, et 8,000,000 aux membres de sa famille; elle désignait en outre les nombreux domaines composant la dotation de la couronne, conformément à loi du 1er juin 1791, et aux sénatus-consultes qui réglaient la dotation de la couronne impériale.

40 Loi qui prescrit l'observation extérieure des jours de repos et des fêtes reconnues par le gouvernement. C'est encore sur la proposition d'un de ses membres, M. Bouvier, que la Chambre supplia le roi de présenter cet acte. La proposition est du 30 juin; la résolution de la Chambre du 27 juillet; la présentation du projet dans les formes dites constitutionnelles, faite par M. de Montesquiou, du 8 octobre; l'adoption définitive par la Cham- . bre, du 14 du même mois, à la majorité de cent trente-neuf voix contre cinq. Dès le 7 juin une ordonnance du directeur de police Beugnot, motivée sur des règlemens de l'ancien régime, avait exigé la fermeture des boutiques et la suppression de tout étalage public les jours de dimanche et de fête. Cette mesure avait provoqué des plaintes; la réformation en était sollicitée par des pétitions à la Chambre, lorsque les députés confirmèrent par une loi l'ordonnance de police.

Cette ques

5o La loi sur la liberté et la police de la presse. tion est celle que la Chambre de 1814 a traitée avec le plus de franchise et de développement. Le 50 juin, M. Durbach, frappé des actes arbitraires que se permettaient les ministres, avait développé une proposition tendant « à supplier le roi de vouloir bien faire présenter une loi qui concilie les droits garantis par la Charte aux citoyens avec la répression des délits que la presse peut servir à commettre. Cette proposition fut ajournée par la Chambre. Le 5 juillet M. de Montesquiou, ministre de l'inté rieur, présenta un projet au nom du roi. Ce projet avait été, dit-on, rédigé par MM. Guizot et Royer-Collard, amis et conseiller du ministre. Le 1er août, M. Raynouard, organe de la commission

centrale, fit un rapport sur ce travail ministériel, dont il demanda le rejet. La discussion s'ouvrit le 6, et se continua jusqu'au 10 inclusivement. La Chambre intendit vingt-deux orateurs, moitié pour, moitié contre. Le 11, M. de Montesquiou défendit son ouvrage, et admit quelques modifications; M. Raynouard réfuta le ministre, en persistant dans les conclusions de son rapport; néanmoins, dans la même séance, la Chambre adopta le projet du gouvernement à la majorité de cent trentesept voix contre quatre-vingts. La Chambre des Pairs fit encore quelques amendemens ; le roi les consentit, et ils furent adoptés le 8 octobre par les députés. La discussion avait été vive et prolongée. Selon l'article 8 de la Charte, la loi devait réprimer les abus de la presse. Le ministre et les ministériels s'efforcèrent de prouver que réprimer était synonyme de prévenir, et, en conséquence, ils soutenaient la censure préalable. Cette dispute de grammaire, où la mauvaise foi était évidente de la part du gouvernement, amusa beaucoup le public, et le mécontenta. La loi néanmoins fut votée, comme si en effet prévenir et réprimer eussent été synonymes. Tous les écrits au-dessous de vingt feuilles d'impression, c'est-à-dire trois cent vingt pages in-8°, étaient soumis à la censure, et par conséquent tous les journaux. On plaçait dans la catégorie des écrits au-dessus de vingt feuilles ceux rédigés en langues mortes ou étrangères, les mandemens des évêques, les catéchismes, les mémoires sur procès, les mémoires des sociétés savantes et les opinions des deux chambres. Le ministre avait proposé trente feuilles ; on les réduisit à vingt. Voilà tout ce qu'obtint légalement l'opposition. La plupart de ces exceptions furent vivement disputées. Mais cette discussion eut un résultat très-utile: ce fut de rappeler l'attention publique sur l'importance des questions constitutionnelles, et en particulier sur celle de la liberté de la presse. Enfin, malgré les difficultés imposées par la loi, la liberté trouva le moyen de se faire jour. MM. Comte et Dunoyer publièrent un écrit périodique, le Censeur européen, qu'ils purent soustraire à la censure en composant chaque numéro de plus de vingt feuilles.

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