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vêtir. A mesure que l'expérience et le temps découvrirent de nouvelles com modités, le superflu devint nécessaire. On reconnut alors l'usage des métaux. La vanité apprit à se parer d'or et d'argent. Leur éclat, leur ductilité les rendaient propres à orner les maisons et les habillemens.

Quand on dit d'une chose qu'elle est utile, ce mot est relatif. Dans l'état des sociétés florissantes, il a une étendue très-considérable et embrasse une grande quantité d'objets : l'or et l'argent sont utiles à la vanité; ils ornent les trônes des rois, les palais des grands; ils embellissent les dames, ils parent la table du riche, etc.; mais à leur rareté et à leur utilité ces métaux joignent encore plusieurs qualités physiques qui les rendent propres à servir de Monnaies. A la ductilité qui les rend propres à recevoir toutes sortes de formes et d'empreintes, ils joignent encore l'indestructibilité. Le feu le plus violent n'est pas capable d'en changer la substance métallique. Le plomb qui, exposé à un feu suffisant, calcine avec lui tous les autres métaux, ne sert qu'à purifier l'or et l'argent qu'il laisse entiers et à en séparer toutes substances métalliques étrangères. Voilà pourquoi l'or et l'argent ont reçu des Chymistes le nom de métaux parfaits. Ce n'est donc pas le caprice des hommes, ni la volonté arbitraire des princes, qui leur a assigné la destination qu'ils ont à servir comme Monnaies.

Quelque évidente que soit cette vérité, elle semble avoir échappé à des Ecrivains célèbres. Aristote, celui de tous les philosophes qui a eu le plus grand nombre de sectateurs, a avancé que la Monnaie s'est établie par convention, et qu'elle ne tient sa valeur que des lois de la Grèce, d'où elle a reçu le nom de Numisma; il ajoute encore qu'il dépend de la volonté des hommes de changer et même d'anéantir cette valeur. Cette erreur d'Aristote s'est perpétuée; les savans et les poëtes ont déclamé à l'envie contre l'or et l'argent, en confondant l'abus de la chose avec son véritable usage. Pardonnons à la veine d'Horace d'avoir apostrophé l'or:

Aurum irrepertum et sic meliùs situm, etc.

Mais Pline, le grand Pline, parlait plutôt en déclamateur qu'en philosophe, quand il disait : Ne Taprobane quidem, quamvis extra orbem à natura relagata, nostris vitiis caret; aurum argentunque et ibi in pretio; et ailleurs où il dit: Proximum scelus fecit, qui primus ex argento denarium signavit.

La fable du roi Midas, qui souhaita que tout ce qu'il toucherait se convertit en or, n'est qu'ingénieuse; mais pour la rétorquer à ceux qui en ont abusé, il n'y a qu'à supposer un autre souhait et substituer du pain à la place de l'or; il est évident que celui qui changerait en pain tout ce qu'il toucherait, ne serait pas moins embarrassé que le roi Midas.

C'est de l'Orient que l'usage des Monnaies est passé en Europe avec la plupart des connaissances humaines. Hérodote prétend que les Lydiens en furent les inventeurs. Vraisemblablement l'or, que plusieurs fleuves de l'Asie charient dans leurs sables, a donné lieu à la première découverte de l'or. L'argent, enterré dans les entrailles de la terre, ne dut être découvert que long-temps après.

Sans entrer dans les ténèbres de l'antiquité, disons que l'or et l'argent durent servir de Monnaies aussitôt qu'on eut connu leurs propriétés. Une once d'or est toujours égale à une once d'or, une once d'argent à une once d'argent, toutefois en supposant le titre égal; au lieu que le bétail ou toute autre denrée est sujette à des variétés presque incommensurables qui empêchent d'en fixer le prix. Un bœuf n'est pas égal à un autre bœuf, ni un mouton à un autre mouton; il fallait que le signe commun de toutes les valeurs fut invariable et exempt des diversités qui se présentent dans les autres choses.

Il est un troisième métal dont tous les peuples ont fait usage comme Mon naie; c'est le cuivre. Les Romains, qui furent très-long-temps pauvres et ne connurent l'or et l'argent que par leurs conquêtes, n'eurent, pendant près de cinq siècles, que de la Monnaie de cuivre.

Il y a apparence que la première monnaie, chez tous les peuples, ne fut uniquement désignée que par le poids, et qu'on n'imagina que dans la suite de la distinguer au moyen d'une empreinte, qui n'est que le signe extérieur de la monnaie, dont la valeur consiste toujours dans la matière et le poids. L'As des Romains, qui a reçu son nom du métal Aes, dont il était fait, pesa d'abord une livre effective. Le mot d'As désigne dans la suite un tout composé de douze parties, que l'on continua d'appeler uncia, parce que la livre des Romains était composée de douze onces. Dans la suite des temps le poids de l'As fut réduit à deux onces, ensuite à une, et enfin l'As ne pesa qu'une demi-once, quoiqu'il continuât de porter le même nom. On ne frappa à Rome des deniers d'argent que l'an de Rome 485; ils eurent ce nom parce que leur valeur répondait à dix As de cuivre.On peut juger de la rareté de l'argent en ce temps-là, puisque le denier d'argent ne pesait qu'une dragme, ou la 96. partie d'une livre. Ainsi le rapport de prix de l'argent au cuivre, l'as pesant une livre, était comme 960 à 1. Les premières espèces d'or ne furent frappées que 62 ans après celles de l'argent.

Ces trois métaux ont entr'eux une valeur proportionnelle, qui doit nécessairement avoir varié d'un siècle et d'un pays à l'autre, à raison de leur plus ou moins grande rareté. Ces métaux, ainsi que toutes les autres valeurs, devant nécessairement être sujets à une variation de prix, comme marchandise, indépendamment de leur qualité de monnaie, il est impossible de bien connaître l'état des monnaies de différens États et de diverses époques, sans avoir recherché cette proportion qui a varié considérablement. Aujourd'hui une once d'or fin vaut en France environ quatorze onces et demie d'argent fin (443 grammes 614 milligrammes); en Angleterre et en Espagne la proportion est quinzième; en Allemagne l'argent est plus recherché et la proportion est plus petite qu'en France. Le prix d'une once d'argent fiu répond à près de 90 onces de cuivre. Ainsi une once d'or vaut environ 1350 onces de cuivre. Chez les Romains, la proportion de l'or et de l'argent fut tantôt dixième, tantôt douzième, tantôt quinzième. La découverte des mines de l'Amérique paraît avoir changé cette proportion qui, du temps de St. Louis, et long-temps auparavant, était douzième. Dans les Indes orientales, l'or

est plus commun en proportion que l'argent ; une once d'or se donne pour 10 onces d'argent, ce qui engage les Européens à y transporter ce dernier métal, puisqu'ils y gagnent toute la différence de la proportion d'Europe à celle d'Asie, qui est près de 45 pour cent. C'est sans doute ce transport de l'argent en Asie qui doit avoir contribué à le rendre relativement plus rare, et par conséquent a fait équilibre avec les mines de l'Amérique, et qui tendaient à diminuer le prix de l'argent, par la grande quantité qu'elles en ont versé en Europe. On sent bien que ces variétés, dans la proportion des métaux, font un objet de spéculation pour les commerçans et doivent également être mises en considération par les Souverains dans l'évaluation des monnaies. Il résulte de là une question très-intéressante: lequel de ces deux métaux doit servir de base à toutes les évaluations monétaires? On sait que, selon le langage des Algébristes, il faut, pour résoudre un problême, avoir des quantités connues, pour trouver les inconnues. Supposons que tous les Souverains d'Europe s'accordassent à fixer le prix du marc d'argent fin, du poids de 8 onces, poids de France ou de Troyes, à 50 livres numéraire, alors en abandonnant au commerce l'évaluation des espèces d'or et de cuivre, le public les apprécierait lui-même comme marchandises, et tous les marchés, les contrats, les ventes se stipuleraieut en argent fin, à 50 livres le marc. Si les Princes préféraient de fixer le prix de l'or, à 800 livres numéraire par exemple, le marc de fin, ou à 100 livres l'once, alors ce serait ce dernier métal qui servirait de base à tous les contrats et l'argent suivrait le prix que sa rareté ou son abondance lui donnerait ; au lieu que sur le pied où sont aujourd'hui les choses, il est très-difficile de réduire les monnaies d'un pays à celles d'un autre, et les banquiers seuls, ou ceux qui en ont approfondi le secret, profitent de l'ignorance publique (*).

Une seconde difficulté dans l'estimation des monnaies résulte de la diversité de l'alliage ou du cuivre qu'on mêle dans les monnaies avec les espèces d'or et d'argent. On se contentera d'observer ici que, si tous les Souverains s'accordaient à fabriquer les espèces d'or et d'argent à 22 carats (917 millièmes), c'est-à-dire à vingt-deux parties d'or fin et deux parties de cuivre, et l'argent à onze deniers (917 millièmes), c'est-à-dire à onze parties de fin et un douzième de cuivre, les espèces, dans les deux métaux', se trouveraient au même titre, c'est-à-dire que dans toute espèce d'or et d'argent il y aurait un douzième de cuivre ou d'alliage; alors la proportion entre les espèces d'or monnayées et celles d'argent serait partout la même qu'entre les métaux; au lieu qu'il n'en est pas ainsi. Les sequins ou ducats d'or, par exemple, sont généralement au titre de 23 carats (979 millièmes),

(*) Ces considérations n'ont pas peu contribuées à nous déterminer de réunir tous les renseignemens que nous avons pu nous procurer, afin d'être à portée de rédiger des tables de conversion de toutes les pièces d'or et d'argent, ainsi que des monnaies de compte des quatre parties du monde ; à leur inspection, chacun pourra se rendre compte à lui-même de la valeur des monnaies d'un pays à un autre, et faciliter ainsi les opérations qu'il jugerait convenable de faire relativement aux monnaies étrangères. (Voyez ces tables à la suite de cette analyse, )

c'est-à-dire

c'est-à-dire qu'ils ne contiennent qu'un quarante-huitième ou un quatrevingt-seizième d'alliage. Les guinées anglaises sont précisément à 22 carats (917 millièmes), ainsi un marc pesant de guinées vaut plus qu'un marc pesant de ducats. Il en est de même des espèces d'argent.

Quelques écrivains politiques se sont donné la peine de former des conjectures sur la quantité d'argent monnoyé qu'il y a dans divers États de l'Europe Cette recherche est d'autant plus inutile, que la masse de l'argent monnoyé n'est que la moindre partie de la masse réelle des métaux, à laquelle il faut ajouter la vaisselle et les bijoux, tout ce qui est renfermé dans les temples et dans les trésors des maisons religieuses, etc. Comment jugera-ton de la valeur du mobilier des particuliers, qui monte à une masse prodigieuse d'or et d'argent? Qui sait à combien se monte les sommes renfermées dans les coffres de quelques Princes? Les consommations du luxe détruisent annuellement une certaine quantité d'or et d'argent; les Indes orientales en absorbent une portion plus considérable encore. Peut-on savoir si les mines de l'Amérique et celles des autres pays balancent ces pertes, ou si elles les surpassent et si la masse des richesses augmente graduellement, ou si peut être elle diminue? Sait-on ce que les mers engloutissent par les naufrages! qui se sont malheureusement trop multipliés depuis quelques années ?

On voit que ces problêmes sont impossible à résoudre. L'intérêt de l'argent semble cependant être en quelque sorte la mesure de son abondance dans un pays. L'histoire de tous les temps et de tous les peuples parait nous indiquer que l'intérêt de l'argent baisse à mesure que sa masse augmente.

La première loi qui fixa l'intérêt de l'argent chez les Romains, fut celle des douze tables, qui l'établit à 1 pour cent par mois; c'est ce qu'on appelait usura centisima. Dans la suite, il fut réduit à 6 pour cent par an, ou à pour cent par mois; c'est ce que Pline appelle usura civilis et modica. Sous l'Empereur Auguste, l'argent abonda si fort, qu'on prêtait à 4 pour cent par an. L'Empereur Justinien établit le même intérêt, par la Loi 26 du Code. Chez les Auglais, l'intérêt de l'argent fut long-temps, comme dans le reste de l'Europe, au-dessus de 10 pour cent, où il fut fixé en Angleterre l'an 1546. Cela n'empêcha pas que la Reine Marguerite n'empruntât, douze ans après, à 12 pour cent. En 1624, l'intérêt légal fut réduit à 8 pour cent; en 1651, il fut mis à 6; en 1714, à 5; en 1727, à 4. Par un acte de 1749 la nation réduisit l'intérêt des dettes nationales à 3, et enfin à 3 pour cent. Un auteur ingénieux a cherché à prouver, par des calculs très-vraisemblables, que la masse de l'argent monnoyé s'est augmentée, en Angleterre, en raison inverse de l'intérêt, c'est-à-dire qu'à l'époque où l'intérêt fut réduit à 4, il y avait deux fois autant d'argent dans le royaume qu'à l'époque où l'on payait 8 pour cent; mais on voit aisément que l'intérêt de l'argent doit dépendre encore de plusieurs autres circonstances, outre celle de la masse de l'argent; le crédit national, la sûreté intérieure, la circulation de l'argent, les besoins momentanés, etc., influent sur ce problême. Ce qu'on peut avan cer de plus raisonnable, c'est que l'intérêt doit être ordinairement en raison de la sûreté du débiteur, de celle de l'administration civile de la jus

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tice et de l'abondance de la matière. C'est de ce principe que découle le prix. Plus un état a d'activité et d'industrie, plus il y règne d'ordre et de sûreté, plus aussi il attirera d'or et d'argent; ces métaux suivent toujours le travail, l'industrie, l'activité et surtout la confiance.

La richesse d'un État dépend moins de la masse des métaux, que de la rapidité avec laquelle ils circulent, parce que la richesse réelle d'un peuple dépend de la quantité des productions de la terre et la quantité de travail des habitans.

Les Princes doivent bien se garder d'accumuler et de renfermer l'or et l'argent dans leurs coffres, ils arrêteraient la circulation si nécessaire et ils appauvriraient leurs pays. Les Princes pourraient devenir riches et leurs Etats deviendraient pauvres; mais alors la richesse des Souverains serait fictive et purement relative.

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Les Souverains ne doivent pas regarder les monnaies comme un objet de spéculation et de luxe; mais comme des valeurs, où il faut faire aussi peu de changement que possible.

Tout changement avantageux au Prince, pour le moment, lui cause de plus grands dommages par la suite.

L'altération dans les titres des espèces cause encore toujours une perte réelle à l'État, par le discrédit qu'elle fait naître chez l'étranger, et parce qu'elle donne occasion de contrefaire la nouvelle monnaie, sur laquelle il y a beaucoup à gagner, en refondant la bonne et l'ancienne. Par la même raison, un Souverain ne doit faire fabriquer que la quantité de billon ou d'espèces à bas titre nécessaire aux petits détails du commerce, d'autant plus que dans les monnaies où il entre de l'argent, le cuivre ou l'alliage est compté pour rien; ensorte que le Prince qui fait fabriquer du billon n'a que le choix, ou de donner ces espèces au public à trop haut prix, ou de perdre sur les frais de fabrication. Il résulte du même principe qu'il convient à un Souverain d'exclure de ses États tout billon étranger et de tenir les espèces d'or et d'argent au plus haut titre possible.

Les Rois de France, dans la troisième race, ont toujours eu à cœur de faire battre quantité de bonne monnaie; ils savaient que l'abondance d'argent dans un royaume en est la vraie substance; que la grande quantité d'espèces de bas billon étouffe les bonnes espèces d'or et d'argent; que la petite quantité équivaut les bonnes espèces et ne doivent servir que pour l'échanger et faciliter le peuple et le commerce à débiter ou à acheter. Que les espèces d'or doivent acheter celles d'argent, et celles-ci celles d'or; qu'une espèce ne doit jamais valoir plus par estimation que par la loi qui lui assigne sa véritable valeur. Ce qui diminue considérablement la masse du numéraire, est la quantité immense qui s'emploie dans les objets de luxe. Cette manière d'employer les métaux précieux nuit singulièrement à la circulation du numéraire et augmente sa rareté; car tout l'or et l'argent qu'on emploie à la fabrication des objets de luxe doit être compté en moins de la masse destinée à la circulation,

Revenons au sujet qui nous occupe et portons nos regards sur les pro

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