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CHAPITRE QUATRIÈME.

Voyage de la famille royale de Maintenon à Cherbourg.

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Passage à Dreux, Laigle, le Melleraut, Falaise, Condé. Arrestation de MM. de Polide Peyronnet, Chantelauze, de Guernon-Ranville. Charles X et sa famille à Vire, Saint-Lô, Carentan, Valognes et Cherbourg. · Son embarquement. Sa traversée et son débarquement à Cowes en Angleterre. Enthousiasme que la Révolution de juillet excite dans la Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. — Effet qu'elle produit à Alger.

TANDIS que tous les prestiges, toutes les illusions du rang suprême se pressaient comme à l'envi aùtour du trône du nouveau monarque, la famille déchue s'acheminait lentement vers la terre d'exil.

A son arrivée à Maintenon, Charles X composa son escorte de ses gardes du corps à cheval, de la gendarmerie d'élite et de deux pièces d'artillerie. Tout le reste de l'armée fut congédié et cantonné par le maréchal Maison à Chartres et dans les environs. Quelques officiers de la cavalerie de la garde obtinrent toutefois la faveur d'accompagner le roi

jusqu'à son embarquement. Les adieux furent touchants. Tous les officiers de l'armée y furent successivement admis. Charles X garda une noble dignité au milieu de cette pénible scène. La Dauphine laissa éclater une affliction profonde, et embrassa avec effusion plusieurs officiers : « Croyez bien, Messieurs, s'écria-t-elle à plusieurs reprises dans l'abandon de sa douleur, croyez bien que je n'ai été pour rien dans ce qui s'est fait. » Quelques-uns de ces fidèles militaires brisèrent leurs épées sur des bornes, en déclarant qu'ils ne serviraient point un autre gouvernement. Dans un ordre du jour adressé aux troupes, le roi les remercia de leur belle conduite et du dévoûment avec lequel elles avaient supporté les fatigues et les privations qui les avaient accablées. Il exhorta les soldats de sa garde à se rendre à Paris pour y faire leur soumission au lieutenant-général du royaume, «qui avait pris, dit-il, toutes les mesures nécessaires pour leur sûreté et leur bien-être à venir. »

Après avoir séjourné huit heures à Maintenon, Charles X se mit en route pour Dreux, sous l'escorte de dix-huit cents chevaux environ. Le comte de Geslin, grand-maréchal du palais, qui précédait le cortége, vint prévenir les commissaires que les habitants de cette ville ne paraissaient point disposés à recevoir le roi. MM. de Schonen et Barrot

prirent les devants, et persuadèrent au peuple de se départir de la résistance qu'il témoignait. Les habitants cédèrent, sous la condition de garder les couleurs nationales. Il fallut y consentir. La voiture des commissaires ne cessa depuis lors de précéder celles de la famille royale.

La marche du roi s'accomplissait avec une lenteur calculée, soit sur l'espoir qu'un soulèvement pourrait se déclarer en sa faveur, soit sur l'intention de tenir toujours une escorte suffisante à portée du duc de Bordeaux. Les commissaires essayèrent plusieurs fois, mais sans succès, de presser les dispositions du monarque. Un escadron de gardesdu-corps bivouaquait chaque nuit devant la demeure du roi; le reste était réparti dans les prairies environnantes: quelques-uns recevaient des billets de logement. Cet ordre fut invariablement observé dans tout le cours du voyage. Chaque jour les commissaires recevaient les journaux par estafette; ils les faisaient passer au roi qui les lisait sans distinction de la nuance politique à laquelle ils appartenaient. Le mouvement de Paris avait été tellement imprévu que l'argent manquait à la famille royale. A Rambouillet, comme on l'a vu, Charles X avait fait vendre de l'argenterie pour payer le peu de vivres qu'on avait pu procurer aux troupes. A Dreux, le receveur ne put remettre aux

commissaires que quatre mille francs. Ce fut au Melleraut, où le roi vint coucher le 7 août, que la duchesse de Berri, qui était en costume d'homme depuis Rambouillet, reprit les vêtements de son sexe. Ces vêtements étaient, de même que ceux de la Dauphine, d'une extrême simplicité. Deux voitures, qui avaient été retenues à Tonnerre, furent renvoyées à cette dernière princesse par ordre du gouvernement: Au moins à présent j'aurai des chemises! s'écria la fille de tant de rois.

Charles X arriva le 8 août à Argentan; il entendit la messe à la cathédrale, et passa toute la journée du 9 dans cette ville, où l'avait précédé une proclamation du maire, pleine de sentiments généreux. Ce fut le 10, à Condé-sur-Noireau, que la famille royale apprit l'avénement de Louis-Philippe au trône. A cette nouvelle, la duchesse de Berri ne put retenir une exclamation douloureuse qui s'adressait à la nouvelle reine des Français: Ma tante! ma tante!

Les commissaires voyaient avec déplaisir l'escorte de cavalerie et d'artillerie qui accompagnait le roi. Ils lui représentèrent que c'était trop pour une escorte et trop peu pour une armée. Charles X reçut ces observations avec amertume. « C'était, dit-il, une satisfaction pour lui d'avoir à sa suite une députation de tous les corps de l'armée. Le »

maréchal Maison ordonna vainement à l'officier qui commandait l'artillerie de rejoindre son corps:

l'honneur militaire lui défendit de céder. Mais le duc de Raguse obtint enfin ce nouveau sacrifice de la condescendance du monarque.

Le gouvernement craignait que le roi ne voulût se diriger sur la Vendée. Dans cette appréhension, il fit adjoindre aux commissaires M. de la Pommeraye, député du Calvados, pour inviter ce prince à passer par Caen au lieu de Condé et de Vire. Mais Charles X, malgré ses instances, ne voulut rien changer à son itinéraire. Il coucha chez un riche protestant à Condé-sur-Noireau, petite ville dont la population, composée en grande partie d'ouvriers, était fort exaspérée. La garde nationale, de même que dans plusieurs autres localités, ne rendit au roi aucun honneur militaire. La vue du duc de Raguse excita surtout une vive fermentation. Un rassemblement de plusieurs centaines de gardes nationaux des communes voisines s'était formé dans le dessein de l'enlever. Le maréchal Maison sauva son collègue en dispersant ce rassemblement. Depuis ce jour, le duc de Raguse s'abstint de porter ses décorations, et logea chaque soir dans la maison qu'occupait le roi.

Les bruits les plus alarmants se répandaient chaque jour parmi l'escorte du monarque sur les

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