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gardes-du-corps, avait servi avec honneur dans les armées impériales. Membre de la Chambre des pairs, il s'était fait remarquer dans le parti constitutionnel par des opinions sages et modérées. Son caractère était plus estimé que sa capacité. On a vu plus haut que son retour en France avait été motivé par l'affaiblissement de sa santé. Ce dernier incident était, dans les circonstances où l'on se trouvait, le contre-temps le plus funeste que la fortune de Charles X eût à redouter. Nous verrons bientôt quelle influence il devait exercer sur le sort d'une négociation qui, déjà en arrière des événements, réclamait une activité et une énergie proportionnées à l'importance de ce désavantage.

M. de Mortemart partit le 30, à huit heures du matin, accompagné de M. d'Argout; l'un et l'autre mirent pied à terre à la porte du bois de Boulogne; ils ne pénétrèrent dans Paris qu'avec d'extrêmes difficultés. Un silence affreux régnait dans cette vaste cité. La consternation était peinte sur tous les visages. Chacun interrogeait l'avenir avec l'impression accablante du présent, et l'avenir, ainsi consulté, ne répondait que par de sinistres images. Partout le génie de la guerre civile avait semé de profondes et sanglantes traces de son action. Les pouvoirs publics, partout absents, semblaient ensevelis dans un bouleversement absolu. Telle était

la société qu'allait entreprendre de raffermir un homme faible et maladif, sans autre titre qu'un mandat incertain, émané de cette monarchie dont la dissolution semblait une conséquence inséparable de la victoire populaire.

Le dessein de M. de Mortemart était de se présenter directement à l'assemblée des députés, qui se tenait dans ce moment chez M. Laffitte; mais il en fut détourné par M. Bérard, qui l'assura que cette démarche serait inutile et peut-être dangereuse. Il prit alors le parti de se rendre au Luxembourg, où dix-huit pairs environ se trouvaient réunis chez M. de Sémonville. De cette assemblée, toute composée dans les intérêts de Charles X, il sortit des conseils et point de détermination. On fut d'avis que M. de Mortemart devait s'établir en permanence au Luxembourg, et y déployer, le plus ostensiblement possible, le caractère officiel dont il était revêtu. Le grand-référendaire mit à sa disposition tous les secrétaires de la Chambre des pairs. Mais les bureaux du Moniteur étaient gardés par des gens armés qui, au nom de la Commission municipale, s'opposèrent à la publication de tout acte du pouvoir royal. Il devint impossible de faire connaître par cette voie les dernières ordonnances. Les autres imprimeurs auxquels on s'adressa, refusèrent leurs presses, dans la crainte qu'elles ne fussent

brisées par le peuple. II fallut donc se borner à des actes d'administration intérieure, pour lesquels le concours de la publicité n'était point indispensable. M. de Mortemart leva l'état de siége, se mit en rapport avec le corps diplomatique, et s'occupa de rétablir le cours de la justice. Mais le peuple, excité par des agitateurs, força les magistrats à se retirer. Ces obstacles indiquaient assez quelle infirmité l'insurrection attachait à un caractère qui ne procédait que de la royauté vaincue par elle. C'était pour l'envoyé de Charles X, une nécessité pénible mais inévitable, de demander à la Révolution ellemême la confirmation de ses pouvoirs. L'état de faiblesse de M. de Mortemart ne lui permettant point de remplir cette périlleuse mission, un de ses collègues, M. Collin de Sussy, s'offrit pour le remplacer. Le duc de Mortemart lui remit les originaux des ordonnances du 29, contre-signées par lui, et des lettres pour les généraux Lafayette et Gérard et pour C. Périer.

Pendant la conférence de M. de Mortemart avec les pairs, il s'était passé un incident également remarquable par la singularité de son caractère et par la célébrité de celui qui en était le héros. M. de Châteaubriand, ramené en hâte de Dieppe à Paris par la nouvelle des ordonnances, avait été reconnu aux environ du Louvre et porté en triomphe jusqu'au

Luxembourg par un grand nombre de jeunes gens, aux cris de Vive le défenseur de la liberté de la presse! L'éloquent écrivain de la légitimité se présenta à l'assemblée, vivement ému de cette ovation populaire, et parut long-temps indifférent à l'objet de la discussion. On le pressa de donner un avis: «Messieurs, dit-il, sauvez la liberté de la presse, et je ne vous demande qu'une plume et deux mois pour relever le trône ! »

Avant de rendre compte du succès des démarches que M. de Sussy s'était chargé d'entreprendre, il importe d'observer quels progrès avait faits, depuis la veille, la lutte établie entre les partis qui aspiraient à profiter de la victoire du peuple de Paris.

La faction républicaine, dont le quartier-général était à l'Hôtel-de-Ville, se distribuait en un grand nombre d'assemblées peuplées de jeunes gens ardents et qui n'épargnaient aucune démarche, aucune menée, aucune démonstration pour faire prévaloir leur utopie favorite. Le poète Béranger, l'un des hommes qui, par ses ouvrages, avait le plus contribué à la diffusion des idées libérales et irréligieuses, fut maltraité dans une de ces réunions, pour avoir essayé de faire comprendre les dangers de cette forme de gouvernement. De fré

quentes députations se succédaient auprès du général Lafayette, pour lui persuader de doter enfin la France de cet établissement démocratique, objet et récompense des efforts du peuple qui avait combattu. Ce sujet de Charles X, qu'une imprudente agression avait fait assez puissant pour disposer d'un trône, inclinait personnellement à essayer en France la constitution américaine; mais il hésitait en présence des souvenirs de 1793 et devant la crainte d'une guerre étrangère. Il se disait que la majorité des citoyens n'était point portée pour la république, et que la première condition du sentiment républicain était de respecter la volonté générale. Une députation lui ayant offert la couronne à lui-même, il avait refusé en disant « que cela lui irait comme une bague à un chat». Un véhément orateur du parti démocratique lui reprocha de compromettre sa popularité par ces refus : « La popularité, répondit-il, est un trésor extrêmement précieux; mais, comme tous les trésors, il faut savoir le dépenser pour l'intérêt du pays. » Quelques insinuations timides lui furent faites, dit-on, par des légitimistes maladroits pour qu'il se fit déclarer régent de Henri V; il les repoussa.

Les partisans du duc d'Orléans, de leur côté, préparaient avec activité le succès de leur plan. Quelques-uns d'entr'eux avaient, dès le matin, ré

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