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pénible de nos finances, il ne fût point question | de leurs besoins. Ce désintéressement sans doute n'est point un motif pour les oublier, mais c'est par une disposition générale, par de grandes mesures qu'il faut pourvoir à l'établissement du clergé, quand la situation des finances le permettra. On ne peut affecter à sa première dotation moins de 50 millions de revenus. Les biens dont il a été dépouillé en produisaient 140, et la nation lui en a promis 153. Quel sera l'effet de la loi proposée en sa faveur? Dès qu'il aura reçu quelques donations, on le supposera dans l'opulence; on se croira dispensé de rien faire pour lui. Ce n'est point par des donations, mais par une administration sage, par le bienfait des temps, et surtout par un longue économie, que le clergé de France s'était enrichi. Beaucoup de propriétés sortirent de ses mains avec une grande valeur qui n'en n'avaient aucune lorsqu'elles y entrèrent. Il ne faut pourtant pas, en attendant des circonstances plus heureuses, exclure du droit de propriété ceux qui nous ont appris à le connaître, ceux à qui la France doit les premiers éléments, les premières notions de la société. L'opinant adopte en conséquence le principe qui sert de base à la résolution, et qu'il resserre, comme le préopinant, en un seul article: mais il ne veut pas que cette adoption, dont le clergé tirera peu d'avantages, serve de prétexte pour lui faire refuser, lorsque les circonstances le permettront, un établissement convenable. C'est à ce but qu'il faut tendre; le reste ne procurera que de faibles ressources, insuffisantes pour relever parmi nous la religion et ses ministres.

On demande et la Chambre ordonne l'impression de cette opinion.

Plusieurs membres proposent de fermer la discussion, et de nommer une commission spéciale de cinq membres.

Cette proposition est adoptée.

Avant d'ouvrir le scrutin pour la nomination des commissaires, M. le Président accorde la parole à l'un des secrétaires (M. le duc de Choiseul), qui s'exprime en ces termes :

a Messieurs, tel est l'empire que la loyauté, qu'un caractère noble et pur exercent sur nous, que nous tous, croyons avoir perdu un ami dans le noble pair que la mort nous a si rapidement enlevé. Nous venons de lui rendre les honneurs funèbres; les regrets d'une longue et inaltérable amitié ne peuvent vous être étrangers.

« M. le duc de Rohan réunissait au suprême degré tout ce qui attache et honore. Il emporte vos regrets...........; ceux de sa famille et de ses amis seront éternels. Fidèle à tous ses devoirs, honoré des bontés et des grâces du Roi, M. de Rohan a toujours désarmé l'envie, et aucun avantage ne lui a été reproché. Noble et loyal pair de France, il apportait dans nos discussions ce caractère de modération et de bienveillance qui concilie tous les suffrages. La bonté de son âme, les qualités de son esprit semblaient participer de toutes les vertus des nombreuses et antiques familles dont il était issu et environné. Sa tombe a été honorée du plus illustre cortége; mais sa plus digne louange se trouve dans les larmes de ses inférieurs, dans l'affreuse douleur de ses enfants et d'une épouse justement chérie, dans les regrets du public et dans les hommages de l'inconsolable amitié. »

On demande l'impression du discours qui vient d'être entendu et son insertion au procès-verbal. L'une et l'autre sont ordonnées.

L'Assemblée passe de suite à la nomination des

cinq membres de la commission spéciale dont elle vient d'arrêter la formation.

Deux scrutateurs, M. le duc de La Vauguyon et M. le comte de Richebourg, sont désignés pour assister au dépouillement des votes.

On procède au scrutin dans la forme accoutumée. Le nombre des votants au premier tour était de 137. M. l'abbé de Montesquiou, M. le vicomte de Châteaubriand, et M. le comte Garnier obtiennent sur ce nombre la majorité absolue des suffrages. La même majorité, sur un nombre de 129 votants, est acquise par le résultat du second tour à M. le marquis de Bonnay et à M. le comte de Pastoret. Ils sont proclamés par M. le président membres de la commission spéciale. La Chambre arrête qu'elle se réunira pour en tendre le rapport de la commission aussitôt qu'il pourra lui être présenté.

M. le Président lève la séance après avoir prévenu l'assemblée que dans sa prochaine réunion les bureaux seront renouvelés conformément à l'article 69 de son règlement.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. FAGET DE BAURE, VICE-PRÉSI

DENT.

Séance du 12 février 1816.

A une heure la séance est ouverte sous la présidence de M. Faget de Baure, l'un des vice-présidents de la Chambre.

M. Hyde de Neuville donne lecture du procès-verbal de la séance publique du 6 de ce mois, et après son adoption présente la nomenclature des nouvelles pétitions qui sont renvoyées à la commission compétente.

Sur la présentation du même secrétaire, la Chambre agrée l'hommage qui lui est fait : 1° par M. de Gontard, ancien membre de cour souveraine, propriétaire-éditeur du Journal du Palais, de 43 volumes et trois tables composant la collection entière de ce journal jusqu'à ce jour;

2o Par M. Gourju, contrôleur des contributions à Meaux, d'un ouvrage imprimé et d'un ouvrage manuscrit, tous deux concernant les finances.

M. Becquey soumet à la Chambre une proposition tendante à ajouter au règlement une disposition portant que toute pétition par laquelle on dénoncerait des individus dont les crimes ou délits ont été remis par la loi d'amnistie, ne pourra être comprise dans les rapports faits au nom de la commission des pétitions; et que si des pétitions de ce genre contenaient d'autres faits dont il fût utile de donner communication, ces faits seulement soient exprimés dans les rapports, sans faire aucune mention des délits ou crimes couverts par la loi d'amnistie.

Plusieurs membres appuient cette proposition, dont l'auteur obtient de présenter les développements dans la prochaine séance.

M. Lallart, rapporteur de la commission des pétitions, monte à la tribune.

La Chambre passe à l'ordre du jour sur les pétitions des sieurs :

Le juge de paix du canton de Fère-Champenoise (Marne)

Dupery, prêtre (Creuse).

Potrieux, de Rembriout (Meuse).

Personne, de Chalex, maire de Meilhard (Corrèze).

Plumard de Rieux, de Rouen.

Madame de Saint-Légiez, de Montpezat.

Et sur trois pétitions tendantes à faire payer les frais de la guerre à ceux qui en ont été les auteurs.

La pétition de M. Tassard est renvoyée au ministre de l'intérieur.

Diverses pétitions sont renvoyées aux commissions chargées d'examiner les projets relatifs : à la tenue des registres de l'état civil, au divorce, à la dotation du clergé et au budget.

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi concernant les élections.

M. de Serre. C'est toujours avec un sentiment religieux que nous approchons des moments de la formation d'une loi; mais ce sentiment redouble quand cette loi se rattache aux bases du gouvernement qui nous régit telle est une loi sur les élections; c'est ici qu'il faut s'attacher surtout à ces formes sacramentelles de la formation de la loi qui en garantissent la bonté, qui sont une sauvegarde pour le gouvernement. C'est dans cette idée que je ferai quelques observations préliminaires non sur le fond de la question, mais sur la manière dont elle est présentée.

Je ne me rends pas compte des motifs qui ont animé votre commission et de la marche qu'elle a suivie. Une loi étant préparée par le gouvernement, elle avait à faire un rapport sur cette loi; au lieu de cela elle fait une proposition toute nouvelle, elle présente trois articles nouveaux. Comme les articles détachés par elle du projet ont pour objet de modifier la Charte et que la commission vous en présente d'autres, elle a cru pouvoir les présenter isolément : c'est une erreur; son travail ne repose sur aucune base; elle me semble avoir tiré des conséquences avant d'avoir posé des principes.

C'est au Roi, et au Roi seul qu'appartient l'initiative de la loi. Vous n'avez ici que le droit de proposition. Si, par une extension de ce droit, vous permettiez à une commission de sortir de ses attributions, d'examiner un projet et d'en présenter un autre, il est clair que vous déplacez l'initiative, que vous l'ôtez au Roi pour la donner à la commission et à la Chambre. Je sais que dans un pays voisin on procède de cette manière. L'initiative en Angleterre appartient à la Chambre des communes; parmi nous il n'en est point ainsi, la Charte en a disposé autrement. En Angleterre l'aristocratie, fortement liée à la couronne, lui donne un constant appui, le ministère est en quelque sorte le fondé de pouvoir des trois branches de la législation; il y a ainsi unité de marche vers un but certain.

Cependant ces formes se rapprochent de la démocratie, et Montesquieu a défini l'Angleterre une république sous les formes de la monarchie. En Angleterre, les Chambres prennent l'initiative, mais les choses sont arrangées de manière que les Chambres étant en majorité pour le ministère, ce sont les propres intentions des ministres qu'elles expriment aussi bien que les leurs. Parmi nous, la position est différente. L'expérience a prouvé qu'il n'existait pas une majorité constante, inmobile, déterminée; il n'est qu'un moyen de la fixer, c'est de laisser au Roi l'initiative qui lui appartient; car donner des lois, c'est gouverner, c'est un premier pas d'usurpation le plus dangereux, c'est un écart vers la démocratie que vous ne pouvez envisager sans effroi.

Si la commission a cru que les articles de la Charte devaient être pris en considération préalablement, elle eût dû comprendre tous ceux qui sont mentionnés au projet, et elle n'en a compris que deux; mais elle a été plus loin. Le Roi ne

propose pas la rectification de l'article 37 sur le cinquième sortant, et la commission propose de son propre mouvement de séparer cet article du projet, et de renverser cet article de fond en comble. Je n'examine pas sa théorie, mais je crois qu'elle a au fond excédé les bornes de ses attributions.

Si l'article dont il s'agit devait être modifié, ce serait sur la propositioù du Roi sans doute. Votre commission n'a pu se permettre de proposer directement l'abrogation d'un article de la Charte. L'orateur rappelle et rapproche ici les termes du projet de loi présenté par les ministres et ceux de la commission.

Vous voyez, ajoute-t-il, que la commission tire ici des conséquences de príncipes qui ne sont pas fixés.

Relativement à l'âge des députés, avant de le déterminer n'est-il pas nécessaire d'examiner la garantie qu'il offre concurremment avec celle qu'on cherche dans le choix des électeurs? n'estil pas clair que si les électeurs offrent toutes les garanties désirables, il y en a moins à exiger de la part des députés ?

Il en est de même du nombre des députés. La commission propose le nombre de 402, le Roi a proposé celui de 407 la Charte a dit 262. Il y a donc lieu à examiner le système nouveau qu'on vous propose: c'est donc une vue nouvelle sur laquelle il importe de connaître les motifs de la commission.

Il en est de même du renouvellement par cinquième. La commission vous propose le renouvellement en totalité. Mais cette idée ne peut faire partie que de l'ensemble du système et se coordonner avec lui; pourquoi la présenter isolément?

La proposition faite par la commission ne peut donc être admise; elle porte atteinte aux principes monarchiques; adoptez ses conclusions, vous n'aurez pas rendu une loi, et vous n'aurez pas admis une résolution.

Je vote pour que la commission fasse le rapport dont elle a été chargée sur le projet de loi relatif aux élections, présenté par les ministres, et cela aux termes du règlement. Je demande en conséquence que toute discussion soit suspendue sur le projet présenté.

le sys

M. de Villèle. La commission, organe de la Chambre, fera ce que la Chambre lui ordonnera; mais elle est attaquée, et son rapporteur doit la défendre avec empressement. C'est par respect pour la Charte, et en reconnaissant l'influence des articles dont il est question sur le système entier de la loi, qu'elle n'a pas cru devoir prendre sur elle de se prononcer sur ces articles. To tème repose sur ces articles comme sur des bases fondamentales; il a fallu vous consulter sur ces bases, connaître votre opinion, et poser des principes avant d'en tirer des conséquences. Précisément ce qu'on lui reproche d'avoir fait, la commission l'a évité; elle n'a rien voulu prendre sur elle. C'est ici un appel qu'elle fait à votre sagesse; quand vous aurez prononcé sur les bases dont il s'agit, elle examinera le projet présenté, d'après les indications qu'elle aura reçues par l'expression

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des articles constitutionnels et à en consolider d'autres; je dis consolider, car l'ordonnance du 13 juillet désigne quatorze articles susceptibles d'être revus. La commission n'a donc en rien excédé ses pouvoirs. Deux articles sont modifiés par le projet des ministres, deux par celui de la commission; un est maintenu par le projet, un par la commission. Son travail ne tend qu'à un amendement, et avant de le proposer, la commission a cru devoir connaître votre opinion; elle n'a pas voulu trancher, mais vous consulter; prendre une décision, mais un avis pour son travail ultérieur. Au surplus, si la Chambre l'exigeait, la commission est prête à faire son rapport sur l'ensemble de la loi.

M. Pasquier. Messieurs, la question qui vous occupe est grave, difficile, ardue. Je rends hommage a la commission: la pureté de ses intentions est évidente, elle a été partout guidée par son respect pour la Charte; la commission a dù voir que le projet jugeait ou préjugeait des changements à la Charte, et alors elle s'est dit : Est-ce incidemment qu'il faut opérer ces changements? Elle s'est reportée à l'ordonnance du Roi qui énumère les articles qui pourront être revus, elle s'est cru suffisamment autorisée à vous entretenir de ces articles.

Il faut ici appeler votre attention sur cette ordonnance, c'est une occasion heureuse et naturelle de reporter votre attention sur ce Roi si juste, si clément, qui, après tant de malheurs, veut signaler son retour par un nouveau bienfait, et donner en quelque sorte un gage qu'il ne se refusera pas à des améliorations qu'on pouvait croire alors désirées.

Le Roi alors était sous l'empire des plus graves circonstances, et l'on a pu ne pas bien connaître la véritable opinion qui semblait éclater sur certaine matière. Le Roi a pris alors une sorte d'engagement de consentir à la révision de quelques articles de la Charte, et de soumettre les changements aux Chambres si leur utilité était recon

nue.

Ainsi, il eût été possible que Sa Majesté eût proposé une loi portant les modifications annoncées; elle ne l'a point fait. J'ai cherché à me rendre compte des motifs du gouvernement; le ministère me paraît avoir pensé que cette modification n'était pas possible, systématiquement parlant, que les modifications pourraient être successives et selon les besoins de l'expérience.

Dans cette position, votre commission a vu quelques articles de la Charte soumis à la discussion dans le projet présenté, elle a vu des conséquences, elle a voulu remonter aux principes, à la Charte elle-même, et vous propose de vous prononcer sur quelques idées fondamentales du système d'élection. Je crois qu'il est sans inconvénient d'ouvrir la discussion sur ces idées; cette discussion ne vous engage à rien, elle ne s'ouvrira pas dans une Assemblée telle que celle-ci sans répandre beaucoup de lumières sur l'ensemble de ces importantes questions, sans pour cela, je le répète, que la Chambre s'engage à rien. On demande à aller aux voix.

M. le vice-président rappelle la proposition de M. de Serre.

Plusieurs voix. Elle n'est pas appuyée.
D'autres. Ouvrez la discussion....

M. le Président. On demande que la discussion soit ouverte sans que la Chambre prétende s'engager.

Beaucoup de membres. Ce n'est pas cela..... Cla est inutile.

M. de Bouville. La proposition de M. Pasquier est d'un genre tout à fait nouveau, elle tendrait à nous faire discuter sans qu'il dût en résulter rien or, vous ne devez pas discuter, ou votre discussion doit avoir un résultat.

M. Pasquier Je demande à rétablir ma proposition je demande que la discussion s'ouvre, ou plutôt continue. J'ajoute que cela n'engage nullement la Chambre, mais ceci est une observation, et ne peut pas être l'objet d'une délibération.

M. de Villèle. Je renouvelle à la Chambre l'observation que sa cominission se prête à faire son rapport sur le projet de loi, si elle ne veut pas s'occuper de sa proposition préalable.

La discussion est fermée sur l'incident, et la Chambre l'ouvre sur le projet de sa commission. M. Clausel de Coussergues. Messieurs, membre de la commission, je suivrai le plan tracé dans le rapport pour défendre une opinion que nous avons adoptée à l'unanimité, celle du renouvellement intégral de la Chambre. Je la considérerai dans ses rapports avec l'ensemble des formes du gouvernement établi par la Charte.

Toutes les propositions de lois relatives aux contributions publiques doivent d'abord être adressées à la Chambre des députés, et l'impôt foncier ne peut être consenti que pour un an. La condition première et continuelle de la vie du corps social se trouve donc ainsi principalement confiée aux mandataires de la nation. C'est avec cet unique droit que les Communes d'Angleterre sont successivement parvenues à former une branche plus importante de la puissance législative; c'est avec ce même droit que les Etats généraux donnaient un grand poids à leurs doléances, et ce droit national, dont l'exercice avait flotté pour ainsi dire pendant six siècles entre les Etats généraux, les assemblées des notables et les parlements, ce droit a été enfin défini et fixé de la manière la plus précise par la haute sagesse de Louis XVIII, qui, donnant ainsi un fondement inébranlable à nos libertés, a garanti le trône des secousses qui suivent toujours le désordre des finances, et a déchargé le cœur des rois de la fonction si pénible de prescrire des sacrifices aux peuples.

Mais il résulte de cette forme de gouvernement, que les ministres du Roi ne peuvent faire prospérer l'Etat qu'en se concertant avec la majorité du corps représentatif, qui seul peut remplir les trésors de l'Etat. La nécessité de cette union a été démontrée chez nos voisins par un siècle de malheurs et par un siècle de prospérités. La manière de composer la Chambre, la plus propre à garantir cette union et à la rendre plus constante, est donc celle qui doit être adoptée, et il est aisé de montrer qu'elle se trouve dans le renouvellement intégral.

Supposez le renouvellement partiel, vous verrez les ministres sans cesse occupés des assemblées électorales qui, à chaque session, peuvent leur enlever la majorité. Ces soins qui prendraient une si grande partie de leur attention, puisque leur pouvoir personnel en serait l'objet, ces soins seraient souvent infructueux, et l'on pourrait voir la majorité des Chambres et le ministère changer chaque année. Ainsi aucun plan d'administration intérieure ou de haute politique ne pourrait être suivi nous serions pour toujours sans prospérité au dedans et sans considération au dehors.

Le renouvellement partiel n'est bon que pour les tyrans aussi, comme l'a remarqué le rap

porteur de la commission, a-t-il été introduit par la Convention, et conservé par Buonaparte. Les tyrans redoutent l'opinion publique, et tout leur art est d'en éviter l'expression simultanée. Mais j'ose dire que toute la sagesse d'un roi légitime consiste à laisser manifester l'opinion de ses peuples. Au second retour du Roi, des conseils perfides avaient voulu élever une barrière entre le fils de Henri IV et sa capitale : mais la grande âme du Roi méprisa ces vaines craintes, et Sa Majesté entra dans Paris au milieu des acclamations universelles. Que le Roi rompe de même toute barrière entre lui et son peuple; dans le moindre doute sur l'opinion publique, qu'il renouvelle en entier ce corps intermédiaire, et qu'il consulte le vœu de ses sujets exprimé par le choix qu'ils feront en même temps dans toutes les parties du royaume. Toujours il en sortira une nouvelle preuve du dévouement national à nos souverains légitimes.

Et quant aux ministres mêmes, ceux qui n'ont d'autre objet dans leurs grandes fonctions que la gloire de servir leur Roi et de faire le bonheur du peuple, de tels ministres n'ambitionneraient pas une majorité produite par l'art des élections successivement combinées: ils veulent avoir l'opinion générale d'une grande nation, et pour récompense et pour guide.

Je ne puis ici, Messieurs, m'empêcher d'exprimer une pensée qui a souvent occupé mon esprit. La succession légitime de la couronne est la propriété la plus précieuse des Français. C'est cette succession qui garantit à nos enfants leur tranquillité, la jouissance assurée de leur patrimoine, l'exercice de leur religion, enfin leur bonheur et leurs vertus. J'ai pensé que s'il était possible que cette succession légitime fût jamais interrompue, elle ne pourrait l'être que par une oligarchie, qui se placerait entre le trône et le peuple; et cette oligarchie ne pourrait se former que de ministres qui se perpétueraient dans le conseil des rois, et des députés qui, par l'influence de ces ministres, se perpétueraient dans la Chambre élective. L'administration des provinces, les grandes et les petites places dans le militaire, la magistrature, dans la police, dans les finances, seraient successivement confiées à des agents de cette faction. Le Roi et le peuple seraient sous le joug à l'époque de chaque succession, cette faction disposerait du trône à son gré, toute la volonté nationale serait impuissante contre des liens si forts et si multipliés; et ce serait en vain que la loi salique, principe de toute notre gloire, serait gravée depuis tant de siècles dans le cœur des Français.

La composition d'une Chambre qui pourrait perpétuer une telle faction, serait donc également contraire à l'indépendance des rois et à la liberté du peuple; et convaincu que ces deux intérêts se confondent, je réclamerai ici particulièrement pour la liberté du peuple évidemment lésée par le renouvellement partiel. Le droit le plus précieux, le plus nécessaire à un monarque dans le gouvernement représentatif, est le droit de casser la Chambre élective. Privé de cette prérogative, le Roi pourra bien encore être roi de nom, mais il ne le serait plus de fait; c'est toute l'histoire de Charles ler et de Louis XVI. Mais sous un tel gouvernement, le peuple aussi doit avoir le droit, à des époques déterminées, de renouveler la Chambre d'une manière intégrale, sans quoi il ne pourrait manifester son opinion tout entière, sans quoi il ne pourrait jamais ouvrir les yeux du monarque sur des ministres qui conspire

raient contre la prérogative royale, la succession au trone ou contre la liberté du peuple.

A de telles raisons, on peut joindre la preuve tirée d'une longue expérience, et en citant l'histoire d'Angleterre, je ne croirai pas m'appuyer d'un exemple qui nous soit étranger. Toutes les monarchies modernes ont la même origine et ont eu les mêmes lois, ainsi que la même constitution politique. Ces lois ont été modifiées par les diverses circonstances où se sont trouvées ces nations. Et qu'il sont permis à un Français de remarquer ici que les plus heureuses de ces nations furent celles où on ne chercha pas à fixer avec précision les limites entre le pouvoir du monarque et les droits des magistrats populaires. Lorsque saint Louis était pris pour arbitre entre le peuple anglais et son roi, les Français étaient loin d'envier les sujets de Jean sans Terre et de son fils Henri III, qui avaient signé ou confirmé la grande Charte; et les Français du temps de notre Henri IV ne portaient point envie aux sujets de Jacques Ier sous lequel fut rétablie l'indépendance du parlement d'Angleterre. Ce n'est pas dans une maison où règnent l'union et le bonheur que l'on voit le père de famille forcé par des actes légaux à remplir envers ses enfants les devoirs que lui prescrivent aussi bien et la nature et la morale. Mais enfin notre siècle de crimes et de malheurs est venu; pour finir tant d'agitations le Roi nous a donné Ta Charte, remède nécessaire à nos maux, planche précieuse dans le naufrage. Mais si nous avons été forcés à notre tour d'échanger le gouvernement paternel de nos rois contre un gouvernement constitutionnel, prolitons du moins des avantages de ce dernier gouvernement; et si nous avons imité les Anglais d'une manière si funeste, continuons à les imiter aussi dans ce qui fait leur prospérité; consacrons comme eux l'alliance perpétuelle de la majorité des Chambres avec le ministère; revenons ainsi, comme eux, à l'unité du pouvoir, seul principe de la force de l'Etat; reconnaissons, à leur exemple, que cette alliance ne peut être durable qu'autant qu'il y aura une majorité fixe dans la Chambre élective, et que cette majorité ne sera point altérée chaque année par des renouvellements successifs.

Je sais qu'on peut tirer un argument de la composition de l'Assemblée dite constituante contre la convocation simultanée de toutes les assemblées électorales; mais on peut répondre d'abord qu'un corps législatif formé d'une chambre unique est une composition monstrueuse dont on ne peut tirer aucune conséquence contre un corps législatif sagement balancé. D'ailleurs, en 1789, des opinions nouvelles exerçaicut une grande et funeste influence sur presque tous les esprits, et Dieu même, dit Bossuet, parlant de la « révolution d'Angleterre et décrivant d'avance la << Révolution française, Dieu même menace les peuples qui altèrent la religion qu'il a établie, « de se retirer du milieu d'eux, et par là de les « livrer aux guerres civiles.

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Mais vous, Messieurs, en même temps que vous Vous occupez de la composition de la Chambre élective, vous proposez des projets de loi qui ont pour objet de faire fleurir la religion et de rendre à la génération qui nous suit le bienfait de l'éducation que recevaient nos pères. Les esprits irréfléchis vous accusent d'un zèle inconsidéré, et cependant la plus profonde politique ne pouvait pas vous inspirer de meilleurs conseils. Vous appliquez au gouvernement intérieur de votre pays ces maximes éternelles que de grands princes

viennent de reconnaître comme la seule base du droit des gens.

L'Europe aura tiré un avantage inappréciable de nos vingt-cinq ans de malheurs; elle a appris que la civilisation moderne devait tout à la religion chrétienne; elle sait qu'il n'y a pas en France un seul hommé fidèle à Dieu qui ne soit fidèle à son Roi; et nous, Messieurs, en travaillant au rétablissement de la religion dans notre patrie, nous prévenons tous les inconvénients d'une forme de gouvernement devenu nécessaire. Nous aurons de bonnes élections quand la religion présidera à nos assemblées électorales.

Je n'ajouterai rien aux raisons qu'a si bien exposées M. de Villèle sur les autres parties du rapport. Je vote pour le projet de la commission.

M. le baron d'Haussez (1). Messieurs, votre commission a pensé qu'avant d'entrer dans la discussion du projet de loi sur les élections, vous deviez vous occuper de régler les articles de la Charte, relatifs à cet objet, et soumis à la révision des Chambres, par l'ordonnance du Roi du 13 juillet 1815.

Ce n'est pas sans un sentiment d'inquiétude que les esprits sages s'arrêtent à l'idée d'un changement dans nos lois constitutives; mais lorsque ces changements sont reconnus nécessaires, et sont provoqués par le législateur auguste qui avait donné une constitution à la France; lorsqu'ils sont discutés froidement et avec impartialité; enfin, lorsqu'ils n'ont pour objet que des articles purement réglementaires, les inconvénients perdent de leur gravité, et toute hésitation disparaît devant l'intérêt général.

Ces conditions, Messieurs, se réunissent dans cette circonstance, et les propositions qui nous ont été faites tendent à donner à la nation de nouvelles garanties de l'exercice de ses droits.

La modification de l'article 36 de la Charte, relatif à la fixation du nombre des députés, parait avoir l'assentiment général. Les peuples jugent du mérite de leurs institutions, par comparaison avec les institutions analogues des peuples voisins. Le système du gouvernement anglais est devenu classique, parce qu'une longue suite de siècles en a justifié le mécanisme. C'est donc vers lui que les regards se tournent, dès qu'en politique on veut étayer des raisonnements par des exemples. Nous voyons qu'en Angleterre, la reprétation se compose de 858 membres de la Chambre des communes pour un population de 12 millions d'habitants, tandis que la nôtre ne serait, aux termes de la Charte, que de 240 députés pour une population double de celle d'Angleterre. Comme elle, cependant, nous avons des intérêts agricoles,des intérêts maritimes, des intérêts commerciaux et indusdriels; comme elle nous avons besoin d'entourer le trône d'un nombre de représentants assez considérable, pour être certains qu'aucun de ces intérêts ne sera négligé; mais, profitant de l'expérience qui nous fait connaître les inconvénients d'une représentation trop nombreuse nous donnons à la nôtre des proportions plus sages, en la fixant à 402 députés. Aucune réclamation ne s'est élevée, ni contre l'augmentation de députés, déterminée dans l'ordonnance du Roi, ni contre leur répartition entre les départements. On doit donc penser, comme la commission, que l'article 12 du projet de loi doit être adopté,sauf la disposition renfermée dans cet article, qui tendrait à accroître le nombre des députés du département

(1) Le Moniteur ne donne qu'une courte analyse de l'opinion de M. le baron d'Haussez.

de la Seine. En effet, aux considérations présentées par le rapporteur, on pourrait ajouter celleci que ce nombre est en rapport exact avec la population réelle de ce département, qui ne se compose que de la portion de citoyens ayant le droit d'être représentés, et qu'il faut en distraire cette multitude immense de gens sans propriétés, sans industrie positive, sans asile même, de ces prolétaires enfin, qui ne se trouvent qu'à Paris, et qui n'ont ni le droit ni même la pensée d'être représentés.

La commission vous propose de ne rien changer à l'article 38 de la Charte, qui fixe à quarante ans l'âge auquel on pourra siéger à la Chambre. Compris dans cette catégorie, je serai peut-être accusé de ne combattre cette disposition que par un motif d'intérêt personnel. Je ne chercherai pas à éviter ce reproche, et j'avouerai franchement que le désir de partager vos travaux, de répondre à la confiance dont mes commettants m'ont honoré, me fait sentir plus vivement encore les inconvénients, l'injustice même de la mesure proposée.

Ces inconvénients avaient frappé l'attention du Roi lorsqu'il rendit l'ordonnance en vertu de laquelle nous avons été convoqués. Il avait senti que, pour s'occuper des grands intérêts de l'Etat, il n'était pas nécessaire d'essayer, pendant vingt ans, l'usage que l'on pouvait faire de la plénitude de ses droits. Il avait jugé qu'une expérience de quelques années, suffisait pour fixer l'opinion publique sur la moralité, les talents et les priucipes de ceux qui doivent être appelés aux fonetions éminentes de la législature; il avait considéré enfin que c'est dans les années qui suivent immédiatement la première jeunesse que les grands talents se développent, et qu'ils se confirment par l'habitude de les exercer.

Sur la première ligne des considérations d'un ordre supérieur, se placent le zèle et l'ardeur pour les intérêts de l'Etat, qui conviennent si éminemment à la Chambre des députés. Là, ne doivent pas s'effrayer ces vertus politiques, poussées jusqu'à une sorte d'exaltation, parce que le plus grand danger se trouverait dans l'excès contraire.

Pour tempérer ce zèle, cette chaleur dont un pays voisin nous offre tant d'exemples, la constitution a placé au-dessus de nous la Chambre des pairs, quí, armée par l'esprit de propriété, par le besoin de la stabilité, par ses hautes prérogatives, surveille avec soin nos démarches, partage notre ardeur lorsqu'elle est utile, la modère lorsqu'elle est trop vive, l'anéantit lorsqu'elle devient dangereuse. Enfin, le pouvoir suprême du Roi est toujours là, pour juger la marche des deux Chambres, et préserver le trône et la nation de l'impétuosité de l'une et de la lenteur de l'autre. Mais comment trouver dans la Chambre des députés cette ardeur qui lui est nécessaire, si vous en fermez l'accès à cet âge où l'amour du bien public a une teinte de passion, où l'homme, qui n'est pas encore désabusé, veut toujours faire le bien, parce qu'il le croit facile, et suivre les inspirations de la vertu, parce qu'il la croit sans dangers?

Et quels inconvenients viennent combattre ces considérations? Craint-on que le nombre des députés élus, avant qu'ils aient atteint leur quarantième année, soit assez considérable pour compromettre la sagesse des délibérations de la Chambre? L'expérience des dernières élections prouve que cette crainte serait peu fondée, puisque les choix de ce genre sont tellement rares, qu'ils peu

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