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raison, et ne rendrait pas le bien durable, car le bien lui-même veut être fait avec sagesse et avec tempérance.

Et, si vous n'adoptiez pas, Messieurs, l'opinion du renouvellement partiel de la Chambre, voyez dans quel embarras vous vous trouveriez !

Ne serait-il pas nécessaire alors de renouveler en entier, pour la prochaine session, la Chambre des députés ?

Car l'article 76 de la Charte, qui n'est point du nombre de ceux qui doivent être révisés, porte que le premier renouvellement de la Chambre des députés aura lieu, au plus tard, en l'année 1816, suivant l'ordre établi entre les séries.

Il ne peut d'ailleurs jamais dépendre des mandataires de changer la nature ni la durée de leurs pouvoirs; il ne peut appartenir au constitué de s'établir constituant, surtout dans ce qui lui est personnel. Nous n'avons été envoyés à la Chambre des députés qu'avec la condition d'un renouvellement partiel, qui commencerait en 1816, au plus tard. Nous ne pourrions, et nous ne voudrions pas nous soustraire à cette condition.

Les Assemblées législatives qui nous ont précédés ont trop souvent donné l'exemple de cette violation des principes. La Chambre des députés ne permettrait pas qu'on pût même la soupçonner d'avoir une pareille intention: elle détruirait la calomnie, avant que la calomnie eût pu s'attacher à elle; et si elle adoptait le mode du renouvellement en entier, elle proclamerait en même temps qu'il aurait lieu pour la prochaine ses

sion.

C'est à vous, Messieurs, qu'il appartient de peser tous les inconvénients qu'un tel changement pourrait entraîner dans les circonstances actuelles.

Je vote contre le changement de l'article 37 de la Charte proposé par la commission.

M. de Bouville est appelé à la tribune. L'orateur commence par établir l'importance de la représentation dans les gouvernements mixtes. C'est par le vice de son organisation qu'on a vu échouer ce gouvernement chez la plupart des peuples qui l'avaient adopté. Le succès le couronne chez nos voisins. En faisant autrement qu'eux, il ne faut pas désespérer de faire aussi bien. Nous n'avons encore fait qu'une épreuve de quelques mois. Tout est novice autour d'une constitution nouvelle ; si des fautes ont été commises, une indulgence réciproque doit les couvrir.

Trois articles de la Charte sont soumis à l'examen. Ils ne peuvent plus être discutés sous le point de vue de vaines théories; le temps est passé où l'on disait: Périssent les colonies plutôt qu'un principe! Les principes actuels doivent être ceux éprouvés par l'expérience, par la morale, par l'utilité publique; le premier de tous est d'être rallié autour du trône, centre commun, objet de respect et d'amour pour les Français.

Et d'abord se présente la question de l'âge. Si notre Chambre était, comme celle des Communes, le centre de toutes les délibérations et une partie active du gouvernement, il faudrait y admettre la jeunesse toujours prête à soutenir une lutte. On a prétendu que telle avait été l'intention du dernier ministre, qu'il avait désiré voir siéger ici des députés jeunes. Heureusement la nation, éclairée sur ses véritables intérêts, n'a pas abusé de cette faculté. Cette Chambre offre des exceptions honorables; mais, en général, au calme et à la sagesse de ses délibérations, on voit que l'âge mûr y domine.

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En Angleterre tout se rallie à la Chambre des communes le Roi n'y perd rien, l'unité n'en est point altérée. En France, en serait-il de même? Pour nous, le vrai point de ralliement c'est le trône, tout vient de lui, c'est à lui que tout doit se rapporter. C'est ce que la commission a eu en vue; elle a voulu une liberté toute française, reposant sur l'honneur, le pouvoir, la gloire du trône.

Quoi! parce que les Anglais ont naturalisé l'opposition, parce qu'une faction dangereuse est devenue chez eux seulement un parti, il faudrait que nous en ayons une! Ce qui chez eux est un abus, serait un principe chez nous! On pourrait difficilement croire à un tel délire; notre histoire répond avec éclat que jamais deux partis ne se sont montrés en France sans en venir aux mains, sans donner aux étrangers un prétexte de se mêler de nos affaires; ce n'est point à l'opposition qu'il faut tendre dans cette Chambre, c'est à l'unanimité. Espérons l'obtenir, tout y tend, l'impulsion est donnée. Les principes réorganisateurs existent. L'amour de l'ordre, de la justice, de la morale, se lient dans les cœurs à l'amour du Roi et au culte de la monarchie. Les derniers rangs des ennemis de notre repos s'éclaircissent, et pour étouffer le dernier germe des factions, il suffira peut-être bientôt de déclarer qu'il n'en existe plus. Mais le bien à espérer tient essentiellement à la composition de cette Chambre, surtout à sa maturité. A Rome on n'était vir qu'à quarante ans, et la nature humaine n'a point changé. J'ai peine à croire qu'un Français de vingt-cinq ans vaille mieux qu'un Romain de quarante; on dit qu'il faut ouvrir cette belle carrière à la jeunesse; mais pourquoi nos fonctions seraient-elles une carrière, pourquoi nous faudrait-il user de la jeunesse pour obtenir plus tard des hommes faits à nos dépens? Nous avons besoin d'hommes instruits et formés, et nous ne les trouverons que dans la maturité. C'est au-dessous de quarante ans que presque tous les révolutionnaires ont acquis leur malheureuse célébrité.

Sur la question du renouvellement, M. de Bouville pense que le rapporteur n'a rien laissé à désirer. La Chambre renouvelée par cinquième serait une Chambre permanente, et ce mot décide la question. Nous en avons vu de factieuses, d'esclaves; mais toutes celles qui ont voulu faire le mal ont commencé par constituer leur permanence. Nous en avons vu de factieuses dont le but était de tout détruire, et qui ont tout détruit; nous en avons vu d'autres au sein desquelles lá cupidité, l'espoir de la faveur ont fait trouver de nombreux complices de la tyrannie, jusqu'au moment où la voix courageuse et éloquente de celui que nous avons à notre tête, vint interrompre le silence de l'esclavage. Aujourd'hui il faut que la Chambre, interprète sage de l'opinion, en reçoive et en transmette la salutaire influence, éclaire le pouvoir sans l'alarmer, et maintienne l'équilibre dans l'Etat.

L'orateur aborde ici la question qui résulte de ses principes. Il examine qu'elle sera l'influence du gouvernement sur la Chambre dans l'un ou dans l'autre système de renouvellement, en supposant les élections et la Chambre également bonnes. La première qualité de la chambre est son indépendance, c'est son premier besoin pour servir le Roi. Dans quel système sera-t-elle plus indépendante ? C'est sans doute lorsque, par un appel à la nation, elle aura été élue en entier et apportera incontestablement l'expression du vœu public. Celle renouvelée partiellement prendra par force l'esprit du gouvernement. Sera-ce un bien? Non; le

gouvernement se reposera du soin des affaires ; il s'endormira sur le bord du précipice, faute d'être averti; il s'abandonnera à cette mollesse, à cette imprévoyance qui finissent par tout perdre; il oubliera qu'un gouvernement doit être fort, actif, vigilant, parce qu'il n'y aura personne qui le lui dise avec énergie; ainsi nous ne pouvons exister qu'avec un gouvernement fort et actif, un gouvernement fort et actif ne peut exister qu'avec une Chambre indépendante, une Chambre renouvelée en entier est plus indépendante que celle renouvelée par cinquième. Il faut donc choisir le renouvellement entier.

avoir ordonné son arrestation le 7 février dernier.

La commission considérant,que le ministre de la police générale à usé, dans cette circonstance, des pouvoirs dont il est investi par la loi sur les mesures de sûreté générale, et qu'en outre le pétitionnaire est traduit devant les tribunaux compétents où il pourra faire valoir ses moyens de justification, propose de passer à l'ordre du jour.

M.Ie comte de La Bourdonnaye. Messieurs, lorsque, il y a peu de jours, je disais à cette tribune que votre plus beau titre à la reconnaissance nationale était d'être le recours des opprimés, je ne m'attendais pas à y monter sitôt pour invoquer ce principe.

Sur la question du nombre, M. Bouville pense que ce qui existe, c'est-à-dire le nombre de 402, est préférable à celui de la Charte, trop peu en harmonie avec la population et avec le caractère que la Chambre doit déployer. La Chambre doit être assez nombreuse pour être forte et puis-jet de finances qui vous a été présenté. sante, pour exercer une salutaire influence sur l'opinion. Au 20 mars, une Assemblée pareille à celle-ci eût sauvé le trône. La nation a paru rester neutre; mais elle ne l'était pas, elle attendait impatiemment le signal pour agir. Mais tout périt sans effort et sans résistance.

Le sieur Delorme se plaint d'avoir été arrêté sous le prétexte qu'il a remis aux membres de la Chambre des mémoires confidentiels sur le pro

Il n'en serait pas ainsi si de nouveaux ennemis, quels qu'ils fussent, se présentaient aujourd'hui. Ils verraient ce que peut une nation ralliée autour du trône, appelée à sa défense par des hommes dignes de sa confiance et librement élus par elle. Le Roi peut difficilement calculer tout ce qu'il peut avec une institution nouvelle telle que cette Chambre qui met sans cesse en contact le trône avec la nation, ou plutôt le Roi est seul dans le secret de la force que cette institution lui donne, lui qui l'a créée dans sa sagesse et dans son expérience.

Les inconvénients de la force de la Chambre sont nuls, puisque le Roi a toujours le droit de la dissoudre. L'orateur, après avoir prévu cette objection, se livre à des considérations générales sur l'in stitution. Au moment de la Restauration, dit-il en terminant,je n'ai vu que le Roi et son trône;aujourd'hui je ne vois plus que le Roi et les Chambres : une bonne loi sur les élections appropriée au caractère national, éclairée par les leçons de l'expérience, doit nous garantir que, constamment unis, le Roi et les Chambres parviendront à fixer les destinées de l'Etat, et à rendre à notre patrie cette prospérité, cette tranquillité qui sera toujours la récompense de la fidélité des peuples aux principes de la morale, de la religion et de la légitimité.

La séance est levée et indiquée au lendemain à midi.

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Séance du 14 février 1816.

A une heure, M. Faget de Baure occupe le fauteuil et ouvre la séance.

La lecture du procès-verbal est faite par M. de Kergorlay.

Avant la reprise de la discussion sur les élections, la parole est accordée à la commission centrale des pétitions pour un rapport.

M. Raudot, député de l'Yonne, organe de cette commission, expose le résultat de son examen sur plusieurs pétitions, dont nous ne pouvons aujourd'hui mentionner que la suivante :

M. Delorme réclame contre l'arbitraire qu'il dit

Si ce fait était constaté, s'il était vrai que ce fût par ce motif que le sieur Delorme fùt détenu, il ne s'agirait pas seulement ici d'une violation de la liberté individuelle, il s'agirait de la violation de l'indépendance de la Chambre, d'un abus de pouvoir qui tendrait à l'isoler de tous les citoyens, en lui ôtant le seul moyen qu'ils aient de communiquer avec elle, de l'éclairer sur les matières soumises à sa discussion, et de lui éviter des surprises dangereuses dans les objets de délibération les plus importants.

Mais il résulte de la lettre du ministre de la police que le sieur Delorme est accusé d'avoir fait circuler ces écrits dans le public.

Le ministre a donné ordre de mettre le sieur Delorme en jugement.

La marche constitutionnelle est suivie. C'est aux tribunaux à juger si effectivement les torts reprochés à M. Delorme existent, et à prononcer.

Nous devons croire qu'ils connaissent trop les principes de la Charte et l'indépendance de la Chambre pour admettre qu'aucun pouvoir légal puisse s'interposer entre elle et les citoyens, et s'établir juge des relations qui existeraient entre eux.

Par ces motifs, je vote pour que la Chambre passe à l'ordre du jour.

On crie de tous côtés: Appuyé !
La Chambre passe à l'ordre du jour.
La Chambre reprend la suite de la discussion
sur le projet de loi relatif aux élections.

M. le chevalier Figarol prend la parole, moins pour émettre une opinion qu'un vou, non pour ajouter aux raisonnements déjà émis de part et d'autre, mais pour saisir l'occasion de prouver son profond respect pour la Charte donnée par le Roi, et à laquelle, en présence du Roi, il a promis d'être fidèle. La Charte a prononcé sur les questions soumises; c'est elle qui doit être écoutée; où elle a parlé clairement et positivement, il ne peut y avoir de doute; l'expérience seule pourrait en faire naître, mais l'expérience n'a pas encore pu faire connaître sa voix. L'orateur combat donc le projet de la commission; son projet de renouvellement entier, la faculté d'être élu à vingt-cinq ans, et l'augmentation du nombre des députés. Une Chambre nombreuse, dit-on, sera forte; mais elle pourra devenir plus facilement factieuse si elle est corruptible, et que le gouvernement soit corrupteur; il ne faudra que quelques moyens de corruption de plus, et un gouvernement qui dispose de toutes les places, de tous les honneurs n'en manque jamais. La Chambre des communes en Angleterre est bien plus nombreuse que la Chambre des députés; la

majorité est toujours acquise au gouvernement. Je termine mes observations par ces paroles remarquable que notre vertueux monarque fit entendre dans cette enceinte : « A côté de l'avantage d'améliorer est le danger d'innover. » Gardons-nous de la manie des innovations, et soyons constitutionnels quand nous ne pouvons cesser de l'être sans être parjures.

M. Hyde de Neuville. Quelle ligne devonsnous suivre? quels devoirs avons-nous à remplir?

Notre marche, Messieurs, nous est tracée et par la sagesse du monarque et par les besoins et les vœux de ses peuples.

Qui de nous n'a pas gardé le souvenir des paroles solennelles prononcées dans cette enceinte par notre auguste législateur!

« Vous devez, nous dit-il, faire refleurir la religion, épurer les mœurs, fonder la liberté sur le respect des lois, guérir des blessures qui n'ont que trop déchiré le sein de notre patrie, assurer la tranquillité intérieure et par là faire respecter la France au-dehors. »

Oui, sans doute, Messieurs, nous voulons épurer les mœurs, sans lesquelles il n'y a que désordre dans la société; nous voulons faire refleurir la religion, sans laquelle il n'y a que désordre dans les mœurs; enfin, Messieurs, nous voulons tous assurer la tranquillité de la France et la faire respecter au-dehors. Ces devoirs que la patrie et le souverain nous imposent, ces obligations sacrées que nous avons pour but de remplir, donpent à la question qui vous est soumise une telle importance, qu'on ne saurait sans doute la traiter avec trop de calme, de probité et de franchise... Malheur à nous, si l'esprit de parti, si l'amour-propre, si la crainte de ces misérables calomnies qui n'expriment que l'impuissance des méchants, pouvaient avoir la moindre influence sur une discussion aussi grave! Non, Messieurs, vous êtes tous supérieurs à des considérations vulgaires, qui peuvent inquiéter des âmes timides, effaroucher des hommes médiocres, mais qui pour vous disparaîtront devant les grands intérêts de l'Etat.

Votre devoir est de discuter avec sagesse, de rechercher avec patriotisme, de vouloir avec force et constance tout ce que le monarque et la patrie attendent et réclament de vous. Votre devoir est de proposer la mesure utile, la mesure salutaire, celle que vos consciences vous indiqueront comme pouvant affermir la monarchie, faire triompher la religion, consolider la Charte et détruire pour les factieux jusqu'à l'espoir coupable de troubler, d'agiter et de bouleverser encore notre patrie.

Ce dont il s'agit enfin, ce n'est pas de savoir si vous voulez, mais si vous devez achever votre ouvrage... Législateurs, vous qui depuis vingt ans n'avez eu qu'un seul désir, qu'une seule pensée, vous qui n'avez cessé d'opposer aux novateurs du siècle, les vieilles leçons de la fidélité et de l'expérience; vous qui n'avez cessé de vouloir ce que la France entière veut aujourd'hui; peutêtre, vous est-il permis de répondre avec un illustre consul aux hommes qui ont eu le malheur de se tromper: Tacete, quæso, Quirites. - Silence, Romains, nous savons mieux que vous ce qui convient à la patrie.

Législateurs, vous êtes les députés élus par la nation libre pour la première fois depuis vingtcinq années, c'est vous qu'elle a chargés non-seulement de la défendre, mais de la sauver. Législateurs, vous êtes cette Assemblée de 1815 dont le

plus sage des rois a daigné dire (et pourquoi craindrais-je de rappeler des paroles augustes qui font votre gloire et votre plus douce récompense?)

Oui, Messieurs, le Roi a dit, en parlant de la Chambre des députés, que dans l'état des choses présentes, une pareille Chambre paraissait introuvable et que la Providence s'était plue à la former des éléments les plus purs.

C'est ainsi que le monarque vous honore, c'est ainsi que la France et l'Europe entière vous jugent. Faites que la postérité ratifie le jugement. Je n'examinerai point ce que la Constitution prescrit relativement à l'élection des députés; Sa Majesté, par son ordonnance du 13 juillet 1815, veut que plusieurs articles de la Charte soient soumis à votre révision, et que le Corps législatif statue sur la loi des élections.

Par suite de cette ordonnance, les ministres nous ont présenté une loi, et c'est avec raison que votre commission a pensé qu'il était nécessaire que le rapport sur ce projet de loi fût précédé de votre décision sur les articles 36 et 37 de la Charte dont la loi proposée demande la réforme.

Voilà, Messieurs, la première question à résoudre; il est de la saine logique qu'on ne discute la conséquence qu'après avoir consacré le principe.

Vainement objecte-t-on que votre commission n'avait autre chose à faire qu'un rapport sur la proposition du gouvernement; que si la Charte a besoin d'être corrigée, modifiée, ce ne doit être que par le Roi; que lui seul doit avoir en pareil cas l'initiative, et qu'enfin donner des lois, c'est gouverner, c'est régner; en rappelant ici quelques objections de l'un de nos honorables collègues, je répondrai que votre commission ne fait que se montrer conséquente dans la marche qu'elle suit et qu'elle vous propose d'adopter; en effet, notre respect profond pour la Charte ne nous oblige-t-il pas (avant de rendre une loi dont les dispositions sont contraires à quelques-uns de ses articles) d'examiner préalablement avec la plus scrupuleuse attention si ces articles doivent être ou abrogés ou modifiés?

Mais c'est, dit-on, le Roi qui doit prendre l'initiative. Jusqu'à ce jour l'autorité royale ne s'est point prononcée sur cette grande question : que la voix du législateur se fasse entendre, et nul ne contestera l'arrêt de sa sagesse.

Mais, Messieurs, la Charte s'explique d'une manière précise le monarque propose la loi, et chaque Chambre, conformément à l'article 29, a le droit de le supplier de la présenter, et d'indiquer même ce qu'il paraît convenable que la loi contienne.

Chaque Chambre peut également proposer des amendements à la loi présentée. User de ce droit jusqu'à ce jour incontesté, et que je crois incontestable, ce n'est point régner, ce n'est point gouverner, ce n'est point surtout tendre à la démocratie, mais c'est suivre naturellement la marche que notre nouveau système politique nous indique, et qui seule après tout peut le bien fonder et l'affermir. Je ne discuterai donc point ici la question de l'initiative: on a trop répété, peut-être, qu'elle devait être uniquement considérée comme une des prérogatives royales, et qu'elle ne pouvait qu'ajouter à la force du monarque.

Certes, je ne contestai jamais les droits du trône; mais j'avoue que je ne pense pas que le pouvoir royal puisse être un instant compromis par l'inil'iative prise par les Chambres. J'y verrais même

souvent des avantages pour le gouvernement, et j'entreprendrais de le démontrer, s'il s'agissait ici de traiter la question. Je passe à l'examen de la proposition de votre commission.

Votre commission pense que l'article 38 de la Charte, qui veut qu'aucun député ne puisse être admis dans la Chambre, s'il n'est âgé de quarante ans, soit maintenu; les ministres vous proposent au contraire de fixer l'âge de vingt-cinq ans, conformément à l'ordonnance du 13 juillet dernier.

L'estimable ministre de Sa Majesté, qui vous a proposé la loi, vous a déclaré que c'était par respect pour la Chambre, élue d'après les dispositions mêmes de cette ordonnance (puisque plusieurs d'entre nous n'ont point encore atteint l'âge de quarante ans), que le gouvernement a cru devoir modifier cette disposition de l'article 38. C'est donc à vous, Messieurs, de juger si vous devez ou profiter de cette latitude offerte à la puissance élective et nationale, ou ressaisir (si je puis m'exprimer ainsi) la première pensée du législateur, pensée grande, morale et politique, dont le but est d'exiger à la fois de ceux qui représentent la nation les garanties de la propriété, de l'âge mûr et de l'expérience.

J'avoue, Messieurs, que je ne puis me rendre compte des motifs qui déterminèrent les derniers ministres du Roi à changer une disposition de la Charte qui, dans les circonstances où nous nous trouvions alors, était telle, qu'il eût fallu la provoquer, si elle n'eût été dans la loi; on vous a dit que le Roi, en rentrant en France, se trouvait sous l'influence des opinions du moment, et qu'en rendant l'ordonnance du 13 juillet, il avait cru accorder un nouveau bienfait à ses peuples.

Je n'examinerai point à quelle influence funeste nous dûmes, au retour de Sa Majesté, l'influence de ce qu'on nomme les opinions du moment; il est des souvenirs douloureux qu'il faut perdre, des événements imprévus, de funestes transactions qui n'ont que trop coûté au cœur du monarque; bornons-nous à prendre avec lui pour le présent, pour l'avenir, les mesures salutaires, rattachons-nous à ces pensées royales qui sont la véritable expression de la sagesse; préservons la France d'un danger réel, et trop réel; il cessera sans doute, mais seulement quand le temps et des institutions nouvelles nous auront rendu notre esprit public et nos mœurs. Aujourd'hui, après cette tourmente révolutionnaire qui a détruit tous les principes, bouleversé toutes les idées, mis en mouvement toutes les passions, qui de vous ne serait point effrayé de la seule pensée que les destinées de l'Etat pourront tout à coup être confiées à cette jeunesse ardente et fougueuse, élevée à l'école de l'erreur, et qui, sans être coupable, dut si facilement être entraînée et séduite.....

Confions, Messieurs, à l'homme de vingt-cinq ans, non l'administration, mais la gloire de l'Etat. A vingt-cinq ans l'homme a besoin de consacrer à la gloire cette surabondance d'énergie qui le transporte, le tourmente, et lui fait désirer le changement quand l'homme d'Etat ne doit vouloir que le calme et la fixité.

Que l'homme à vingt-cinq ans défende son pays, mais que l'âge mûr le gouverne. Tous les peuples, Messieurs, l'ont jugé ainsi. La première puissance établie après la puissance paternelle fut le gouvernement des patriarches ou des anciens : depuis, ce fut principalement à l'expérience de l'âge que les nations confièrent le soin de leur administration. Je sais qu'il ne faut rien exagérer, nous voyons des fous à soixante ans et des sages à

vingt-cinq; mais combien de sages de vingt-cinq ans compterez-vous en France? Non, Messieurs, vous ne renverserez pas l'ordre de la nature; vous ne réglerez point contre ses décrets, qu'on aura désormais à vingt-cinq ans l'expérience qu'elle accorde à peine à quarante.

Dans mon opinion, entre vingt-cinq ans et quarante, il n'y a point à balancer; d'un côté, je ne découvre que des garanties d'exception; de l'autre, j'en vois qui tiennent à la nature de l'homme et qui sont immuables et de tous les siècles. Il est probable, sans doute, que l'homme raisonnable à vingt-cinq ans le sera de même à quarante ; mais est-il démontré que l'homme raisonnable à quarante le fut également à vingt-cinq? Non, et la question contraire est facile à résoudre. Cependant, je l'avoue, j'aurais désiré qu'entre les deux âges la commission se fût déterminée pour l'âge intermédiaire; j'aurais désiré que, tenant compte à chaque citoyen des garanties qu'il présente à l'Etat, elle eût établi une différence entre l'homme marié et le célibataire. J'oserai donc vous proposer un exception en faveur du mariage. Outre que par cette honorable distinction vous ne ferez que rendre plus respectable le lien le plus sacré, vous sentirez, Messieurs, que l'homme marié, que le père de famille, offrent bien plus de garanties à la société que le célibataire, qui peut, en quelque sorte, dire avec cet ancien : Je porte tout avec moi, ma patrie sera où je trouverai le bonheur.

Je ne cherche point ici, Messieurs, à jeter sur une classe de citoyens la moindre défaveur, mais le législateur doit repousser les exceptions et ne voir que des généralités. Certainement, l'homme qui tient à son pays par ce qu'il y a de plus doux sur la terre, est bien moins disposé à l'agiter, à le troubler, que l'être isolé, sans avenir, qui, cheminant dans la vie presque sans intérêt, finit dans la vieillesse par l'égoïsme ou du moins par l'insouciance. On demande pour garantie la propriété; est-il une propriété plus sacrée que les enfants qu'on chérit, qu'une femme qu'on aime et qu'on estime? Régions notre avenir par le passé; les principaux auteurs de nos maux, les plus grands révolutionnaires étaient célibataires, ou du moins ne connaissaient pas le bonheur le plus vrai, celui de la famille. Voyons donc, pour faire de bonnes lois, ce qu'il faut opposer aux passions des hommes, et rappellons-nous que si la société exige de fortes garanties, c'est qu'elle sait que, malgré toutes les théories, l'intérêt personnel se lie toujours à l'intérêt public.

Je passe au deuxième article que vous propose votre commission. Votre commission a senti avec les ministres de Sa Majesté qu'un plus grand nombre de députés que celui voulu par l'article 36 de la Charte était nécessaire pour qu'il y eût proportion convenable entre la Chambre et la population du royaume; seulement elle a pensé qu'il était inutile d'augmenter la députation de la Seine, faveur qui ne ferait qu'ajouter, et sans aucun but, aux avantages déjà si nombreux dont jouit cette capitale. Il n'est personne de nous, Messieurs, qui ne désire sans doute qu'on fasse beaucoup pour cette ville du royaume, que nos rois nommérent toujours leur bonne ville de Paris; mais le Roi veut aussi qu'on s'occupe du bonheur et des intérêts de ses bonnes provinces; il est temps que Paris cesse d'absorber pour ainsi dire la France entière. Le père des Français demande que ses enfants soient tous également bien traités; il n'y a plus de droit d'aînesse dans notre législation. Que Paris redevienne donc ce qu'il doit être, le centre du goût et l'asile des beaux-arts, mais que nos

départements ne soient plus, pour ainsi dire, les tributaires de cette reine superbe. Empressonsnous de rétablir nos administrations provinciales et faisons cesser, le plus tôt possible, et le despotisme des grandes villes, et la dépendance des campagnes. Sous un usurpateur, ce système monstrueux était nécessaire; sous un roi légitime, il est inutile, il est dangereux, il est contraire au but qu'un roi père de famille se propose, le bonheur et la prospérité de tous.

L'article 37 renferme sans doute la question la plus importante à résoudre; mais cette question a déjà été traitée avec tant de précision, développée avec tant de sagesse, que je croirais abuser de votre indulgente attention, si j'insistais sur des considérations dont vous appréciez toute la force et l'utilité. Je me bornerai à répondre à la principale objection qui me paraît avoir été faite contre le renouvellement total de la Chambre des députés. On a prétendu que ce serait une crise périodique pour la nation, un danger certain pour le gouvernement. Non, Messieurs, il n'y a point de crise à redouter dans cinq années; tous les dangers, tous les obstacles, toutes les agitations sont dans ces cinq années, ou plutôt dans ce siècle que vous avez à parcourir. Je dis dans ce siècle, car de ces cinq années dépendent le repos, le bonheur, non-seulement de la génératiou présente, mais de celles qui suivront.

Gardons-nous donc, Messieurs, de rien faire, de rien tenter qui puisse un instant altérer le calme dont nous jouissons; la moindre imprudence, peut-être, pourrait encore nous la ravir. De nouvelles élections seraient bonnes sans doute, je le crois du moins sincèrement, mais, Messieurs, tout mouvement est un danger; garantissez les hommes de bien de toute inquiétude, et ne donnez point aux factieux une nouvelle occasion de s'agiter, de troubler l'Etat et de se compromettre. N'oublions pas que nous sommes des malades à peine échappés à la plus funeste des crises; n'oublions pas que, dans l'ordre politique comme dans l'ordre physique, il n'y a rien de plus difficile à traiter qu'une convalescence. La nature, ou seulement un empirique peuvent quelquefois exciter une crise heureuse et sauver un malade; la force, le hasard des combats suffisent pour rétablir un instant l'équilibre dans le système social; mais il faut un médecin sage, et très-sage, pour soigner un convalescent, comme il faut beaucoup d'habileté, de prudence et surtout de fixité pour bien raffermir le corps politique quand il a été froissé, ébranlé par la plus violente des tempêtes, le plus épouvantable des ouragans.

Messieurs, la nation vous estime, le Roi vous honore de son suffrage, l'Europe entière vous rend la justice qui vous est due; mettez-vous, j'ose vous le répéter, au-dessus de toutes les calomnies, comme vous êtes au-dessus de toutes les intrigues. La calomnie, Messieurs, ne poursuit que ceux que la médisance ne peut atteindre; votre poste n'est pas sans danger, et j'ose vous le dire, parce que vous saurez le braver et le prévenir. Législateurs, le poste honorable que vous occupez Yous impose des sacrifices. Amis de la patrie, serviteurs fidèles du Roi légitime, propriétaires, pères de famille, n'exposez point votre pays à ces essais funestes, qui depuis vingt-cinq ans n'ont fait que Dous conduire de chute en chute et d'abîme en abime. Vous ne pouvez, dans cette session, qu'ébaucher, ne vous privez point de l'honneur d'affermir l'édifice que vous élevez; ne vous exposez point surtout au malheur de le voir renverser.

Mais que diront vos ennemis, les ambitieux,

les faiseurs de coteries ou tous ceux qui se croient appelés à régler les empires, et se permettent de vous blåmer, de vous censurer, de vous montrer le sentier que vous devez suivre ; que diront ces hommes de mauvaise foi, ces spéculateurs qui, depuis vingt ans, ne cessent de rêver dans Paris le malheur de la France, et qui, de théorie en théorie et d'essais en essais, sont arrivés à ne produire que des désordres, à n'entasser que des ruines; que diront tous les hommes que l'expérience ne peut corriger, et dont les droits à la modestie n'ont pu vaincre l'entêtement de l'orgueil? Ils diront, Messieurs, ce qu'ils disent et répètent sans cesse, il nous accuseront d'ambition, ils iront jusqu'à calomnier vos intentions si pures, si désintéressées, ils ne manqueront pas de répandre que vous voulez vous perpétuer, que vous avez le projet d'étouffer toutes les grandes pensées, de ramener ce que ces imprudents novateurs osent nommer encore les abus, les préjugés. Mais, vaines clameurs! bruit impuissant! vous ne répondrez à ces calomnies qu'en allant droit au but que vous voulez atteindre, et tels que ce philosophe qui, pour prouver le mouvement, se mit à marcher, c'est en assurant, c'est en affermissant le bonheur de la France que vous répondrez à vos détracteurs; alors peut-être ces prétendus professeurs de l'art de gouverner les hommes reconnaîtront que le temps du charlatanisme est passé et que le temps est venu où la raison et le bon sens doivent triompher de toute l'influence des coteries. Dieu, le Roi légitime, la Charte, les honnêtes gens, voilà notre devise; que nos enfants soient élevés dans les principes, dans la religion des enfants de saint Louis, et que l'éducation des femmes les porte désormais à s'occuper principalement du soin si doux de faire le bonheur de sa famille et le charme de la société ; qu'elles tendent enfin à ne plus imiter que les vertus de la fille angélique de nos rois.

Je ne puis, Messieurs, m'empêcher de répondre à des objections souvent inutilement reproduites; la France veut, dit-on, que son Roi le soit véritablement; la France a besoin que son Roi soit assez puissant pour la défendre contre les innovations; on a été même jusqu'à vous accuser de tendre à la démocratie. Eh! qui de vous veut tendre à la démocratie? Qui de vous ne veut pas que son Roi règne, qu'il soit armé de toute la force, de toute la plénitude de la puissance suprème, de toute celle que la Charte lui donne, la seule que le monarque veuille accepter? Qui de vous ne jure pas de lui sacrifier sa fortune et sa vie, et ne voudrait point s'ensevelir sous les débris du trône, si le trône du Roi légitime pouvait encore s'écrouler? Qu'on ne vienne point nous dire que l'opinion publique est douteuse et que l'amour de la patrie s'est affaibli; il s'était affaibli sans doute sous la tyrannie, mais avec quelle pureté, quel enthousiasme il s'est ranimé sous l'empire des lis! Non, Messieurs, l'opinion publique n'est point douteuse, c'est la France entière, ce sont les pères de famille, les propriétaires, tous les hommes de bien, qui du nord au midi de la France vous crient, Courage législateurs! Ce que vous faites, ce que vous dites est l'opinion publique, est la véritable opinion publique, est le vou, le besoin de tous les bons Français. Oui, Messieurs, on ne la comprime jamais en France cette opinion publique, et toujours elle tendra vers le bien; on n'égare les Français qu'en les trompant; livrés à eux, entièrement à eux, ils se déclareront toujours pour le parti de

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