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même de fixer les principes constitutifs sur lesquels cette loi doit reposer.

Cette marche est conseillée, ce me semble, par un profond respect pour la Charte on ne doit pas délibérer d'une manière transitoire sur des articles constitutionnels; c'est cependant ce qui serait arrivé, si, au lieu de les proposer séparément à votre délibération, on les eût confondus dans les nombreux articles de la loi sur les élections, qui n'est qu'une loi organique.

Et quelle inquiétude pourrait-on concevoir de cette marche, lorsque l'article, dont le changement vous est proposé, est du nombre de ceux dont la révision est indiquée à la Chambre par l'ordonnance du 13 juillet?

Si le Roi en eût excepté l'article qui établit le renouvellement par cinquième, Sa Majesté aurait alors prononcé que le mode d'élection était irréVocablement arrêté dans sa pensée personne plus que moi ne respecterait cette décision du monarque législateur; mais puisque l'article 37 est un de ceux dout la révision est annoncée, et que la loi sur les élections conduisait nécessairement à l'examen de la disposition constitutionnelle qu'il renferme, la commission a dû commencer par appeler votre attention sur une décision d'un aussi haut intérêt.

Ici, Messieurs, j'aurai l'honneur de vous rappeler la pensée de M. le rapporteur de la commission.

C'est, effectivement, en examinant le système du renouvellement de la Chambre avec l'ensemble du gouvernement actuel, que l'on peut fixer son opinion sur le mode qui est le plus en harmonie avec lui.

Vous le savez tous, Messieurs, c'est de la combinaison des trois formes de gouvernement qui ont régi les différents peuples, qu'est née la monarchie mixte, désignée par les publicistes des derniers temps, sous le nom de gouvernement représentatif.

C'est en unissant ensemble des pouvoirs qui semblaient s'excluer réciproquement, que l'on est parvenu à concilier des intérêts opposés, et à former une alliance entre les différentes pas sions qui sont le principe et la source de toutes les luttes qui s'élèvent dans les sociétés politiques.

Composé d'éléments distincts, chacun de ces trois pouvoirs, en même temps qu'il concourt au même but, doit étre dirigé par un esprit particulier.

Ces vérités n'ont pas besoin de développements, et ce serait abuser de vos moments que de s'étendre pour démontrer que la représentation élective, destinée à exprimer l'opinion publique, doit être formée de manière à remplir cette mission spéciale dans la réunion des trois branches de la puissance législative.

Une fois ce principe établi, la question qui nous divise me paraît facile à résoudre; en effet, lorsque entre les deux modes de renouvellement qui nous sont présentés, il en est un qui doit, à mon avis, rendre la Chambre des députés l'organe plus direct et plus sûr de l'opinion publque dont elle est l'expression légale, je n'hésit point à le préférer.

J'adopte donc le renouvellement total avec d'autant plus de confiance qu'il ne m'est pas démontré, malgré le rare talent avec lequel le système opposé a été défendu, que le premier soit environné de tous les dangers que lui prêtent les souvenirs inquiétants de notre Révolution.

Puisque l'opinion publique est appelée à avoir une influence si positive dans le gouvernement

T. XVI.

représentatif, ne pensez-vous pas, Messieurs, que nos institutions doivent lui donner le temps nécessaire de se former et de se mûrir? Est-ce en l'interrogeant partiellement chaque année que l'on pourra connaitre l'opinion véritable de la France? N'est-il pas nécessaire qu'il s'écoule un assez long intervalle entre chaque législature, afin qu'elle puisse sagement apprécier les actes du gouvernement, la conduite de ses mandataires, et que ce jugement soit porté par la France entière en présence des mêmes circonstances et sous le poids des mêmes sacrifices? Ne doit-on pas craindre que des élections qui auront lieu toutes les années dans une partie de la France et qui tiendront tout le reste dans l'attente de leur résultat, ne contribuent puissamment à entretenir cette agitation intérieure qui essaye de s'arroger les droits de l'opinion publique ?

Les besoins et les voeux d'un peuple ne changent pas dans le cours d'une année; et si, pendant ce temps, il éprouve des événements qui altèrent, changent même ses dispositions, pensezvous qu'un renouvellement partiel puisse éclairer le ministère sur un changement qui doit cependant influer sur ses déterminations? Ne craignezvous pas, au contraire, que des élections faites sous des influences diverses ne mettent des éléments de discorde dans la Chambre élective?

Lorsque, dans la constitution d'un Etat, il existe, dans les deux corps délibérants, tous les éléments d'une lutte dictée par l'esprit de conservation, si elle devenait nécessaire, il est inutile de les multiplier dans la Chambre d'où doivent toujours sortir les opinions qui se propagent avec le plus de popularité, et dont l'effervescence pourrait être dangereuse.

Cette considération, qui est applicable à tous les peuples, me paraît mériter toute l'attention des législateurs d'une nation que caractérisent une grande mobilité d'esprit et un amour-propre très-sensible.

Un orateur distingué soutenait hier fort judicieusement qu'une opposition calculée n'est pas un contre-poids indispensable dans la forme de notre gouvernement: elle contrarierait la plus précieuse de nos anciennes traditions, celle qui est écrite dans nos cœurs, et qui veut qu'en France toute impulsion émane du trône.

Il est un écueil d'un autre genre que présente le renouvellement successif, et qu'il faut aussi éviter: ce serait si l'esprit de corps était substitué à l'esprit national, dans la Chambre des députés; on pourrait craindre alors, non sans fondement, que le renouvellement partiel, he donnant aux nouveaux organes de l'opinion publique aucune influence de nombre dans la Chambre, ne préparât presque toujours le triomphe des opinions qui y seraient accréditées. Votre commission ne vous a point dissimulé toute la gravité de cet inconvénient, et M. le rapporteur vous l'a présenté comme établissant la permanence du corps qui représente la démocratie de notre système, et dénaturant ainsi le caractère qui lui est propre dans la division de ses pouvoirs.

Je n'ai point oublié, Messieurs, que l'on a aussi présenté l'objection que je rappelle, comme l'un des plus forts arguments en faveur du renouvellement par cinquième on vous a dit que c'était un sûr moyen de perpétuer, dans cette Chambre, l'amour et le dévouement pour ses rois légitimes. Si, dans ma pensée, j'attachais cette pérogative à ce mode d'élection, il y a longtemps que mon opinion serait fixée.

Mais, Messieurs, il me semble entendre l'im11

mense majorité du peuple français, que nous avons l'honneur de représenter, nous dire : L'unanimité de vos intentions n'est-elle pas votre ouvrage? Et si, au sortir d'une des crises les plus violentes de notre Révolution, lorsque tant d'intérêts opposés, tant d'espérances diverses, tant de craintes exagérées pouvaient égarer notre choix, nous avons demandé, pour première condition de notre suffrage, l'attachement à la monarchie légitime, pensez-vous que nous puissions jamais oublier que cette garantie est la première qu'il faut exiger de l'homme à qui nous confierons nos droits les plus chers, nos intérêts les plus précieux ?

Oui, Messieurs, et cette conviction est dans mon âme; la perpétuité du sentiment qui anime cette Assemblée sera puisée dans la sagesse de la loi sur les élections, dans le discernement des propriétaires appelés à y concourir, et dans l'amélioration progressive de l'esprit public qui, faisant justice des bruits absurdes que l'on répand pour égarer le peuple, l'attachera tous les jours plus fortement au gouvernement légitime sans lequel il ne peut plùs y avoir, désormais, pour nous de patrie.

Cependant il semble, à entendre les défenseurs du système opposé, que toutes les espérances d'imprimer un caractère de durée à la Charte que nous devons à la bonté du roi, soient attachées à l'adoption du renouvellement par cinquième il rend, disent-ils, la marche du pouvoir royal plus uniforme, les rapports entre les ministres et la Chambre plus faciles.

Si je croyais qu'il fut une garantie de plus pour notre tranquillité intérieure, je n'hésiterais point à sacrifier mon opinion personnelle; mais, à mon sens, ce mouvement perpétuel d'élection, qui entretient une agitation continuelle d'ambitions et d'espérances dans toute la France, après des troubles civils (car les mêmes intérêts, les mêmes passions se prêtent, quelle que soit la distance, un mutuel appui), est bien plus redoutable que la crainte que chaque renouvellement total n'ouvre la lice à un désir immodéré de changement.

Cette inquiétude, je la partagerais peut-être, si je n'étais rassuré par les deux contre-poids inhérents à notre organisation politique, et dont l'un, l'autorité royale, peut toujours réprimer les écarts de la Chambre élective. Lorsque je traiterai cette partie de la question, il me sera facile de prouver que l'on retombe inévitablement dans le danger qu'on vient de signaler, alors qu'il serait le plus important de l'éviter.

Mais avant, qu'il me soit permis de fixer votre attention sur une considération morale : c'est que le renouvellement entier, appelant chacun dans le pays où il croit avoir le plus de droits à la bienveillance de ses concitoyens, ne nous rendra pas témoins des mêmes intrigues renouvelées chaque année, par des hommes influents, sur des théâtres divers.

Il est, on le sait, impossible d'exclure des affaires humaines l'influence des passions qui constituent notre nature; la sagesse du législateur doit donc se borner à diminuer les chances de succès qui peuvent leur être offertes dans les institutions sociales.

Tout ce qui a été dit sur les avantages que les dépositaires de l'autorité royale trouveront dans leurs rapports politiques avec un corps dont les éléments ne varient pas chaque année, me paraît sans réplique.

Mais je ine hâte d'arriver à l'argument le plus

fort en faveur du renouvellement par séries. Ne craignez-vous pas, dit-on, que l'élection simultanée de tous les colléges électoraux ne soit l'occasion de nouveaux troublées, et qu'elle ne prépare à une foule d'hommes, qui ont une si funeste habileté pour tromper un peuple léger, facile et crédule, les moyens de l'égarer encore? Non, Messieurs, car dans le cas où les dangers dont on nous menace sont le plus à redouter, vous n'échapperez pas à la nécessité de réunir en même temps toutes les assemblées électorales.

Cette circonstance, vous la connaissez tous, c'est la dissolution de la Chambre et la convocation de celle qui doit la remplacer dans le délai de trois mois.

Certes, il n'entre dans la pensée d'aucun de nous d'affaiblir cette prérogative de la couronne, sans laquelle il n'y a point de monarchie.

Nous avons tous assez déploré, à des époques malheureuses, dont le souvenir ne doit plus vivre au milieu de nous que pour y trouver des leçons, qu'elle eût été enlevée à un prince à qui on donnait cependant le titre de roi.

L'histoire citera cet oubli de l'un des dogmes de la doctrine monarchique comme une des causes de la catastrophe qui consomma la ruine du trône.

C'est parce que l'expérience autant que notre espoir dans la race auguste qui nous gouverne, en proclame la nécessité, qu'il faut que ce remède utile, nécessaire, puisse toujours s'appliquer sans porter atteinte au droit égal dont chaque département investit ses mandataires.

On vous a démontré que, quel que fût le mode que vous adopteriez, il pourrait arriver qu'en cas de la dissolution de la Chambre, une partie des départements élirait deux fois, lorsque d'autres, au contraire, n'auraient élu qu'une fois.

Dans l'exercice de droits politiques, acquis à tous également, l'uniformité et la régularité sont des conditions très-désirables, je dirais, presque indispensables.

Et cependant ces inconvénients ne sont point les plus importants de tous ceux qui s'offrent à notre pensée dans le moment qui nous occupe. Ainsi que j'ai eu l'honneur de vous l'annoncer, nous avons à redouter tous les dangers d'une élection simultanée, d'un renouvellement total, et tout ce qui s'attaché d'inquiétude à l'obligation d'interroger, dans de courts délais, l'opinion publique, lorsqu'après avoir exercé sa plus influente prérogative, elle a un si grand besoin d'être réduite à un silence égal, pour en calculer ellemème tous les effets.

Il n'est point d'événements, dans un pays régi par la monarchie constitutionnelle, qui occupe plus les esprits, excite davantage les passions, mette en jeu plus sûrement tous les ressorts de l'ambition, que la dissolution de la Chambre élective. Cette résolution de la puissance souveraine est presque toujours un appel fait à la nation, qui devient, par l'organe des citoyens ayant droit de voter, juge entre les actes des ministres, et la résistance que lui ont opposée ses représentants. Dans l'ordre politique, il est difficile d'éveiller de plus hautes espérances, et vous jugez que l'opinion publique, qui doit influer dans le succès de ce grand débat, sera travaillée de manière à favoriser, non-seulement des intérêts particuliers, mais encore toutes les passions qui, semblables, après un révolution, aux débris d'un vaste incendie, ne peuvent être éteintes que par le temps.

Je vous le demande, Messieurs, si tous les

malheurs dont nous effrayent les orateurs qui voient dans le renouvellement total un asile assuré au fatal génie des révolutions, peuvent jamais se réaliser, n'est-ce point à cette époque, prévue et nécessaire, de la dissolution constitutionnelle de la Chambre? A aucune autre époque, les intérêts opposés ne seront entrés dans la lice sous des auspices plus favorables; jamais ils n'auront été dirigés, conduits et soutenus par des hommes plus habiles.

Mais plus les esprits auront été fortement remués, et plus, ce me semble, il est indispensable qu'il s'écoule un long intervalle entre les réunions légales où les citoyens sont appelés à exercer leurs droits politiques. Le mode que je combats en a détruit la possibilité.

Et c'est parce que je veux aussi que des ambitions trompées, des espérances repoussées, ne conservent pas la chance qu'assurent à leur attente des assemblées électorales trop rapprochées, et qui, je le répête, quoique subdivisées, n'en offrent pas moins, surtout après un grand ébranlement donné aux esprits, tous les moyens de les tenir en agitation, que j'adopte le renonvellement intégral. Le système opposé me paraît un type d'instabilité introduit dans nos formes constitutionnelles.

Sans admettre la pensée de l'honorable rapporteur de votre commission, que le droit de dissoudre puisse jamais se périmer, et, malgré l'incertitude où je suis encore, si le conseil donné au gouvernement d'en faire souvent usage, pour en rendre l'application moins dangereuse dans un moment de crise, est bien conforme à ses intérêts dans notre organisation politique, il suffit que cet événement soit dans l'ordre de ceux qui arriveront dans la marche d'une constitution représentative, pour que j'aie dû en calculer tous les effets.

En me résumant, Messieurs, il me semble que le point de dissentiment, dans la question qui nous occupe, est tout entier dans ce que les uns redoutent ce désir d'innover qui a été toujours le sentiment prédominant de nos anciennes assemblées politiques, les autres s'effrayent qu'il ne se passe pas une seule année en France sans une réunion populaire, même partielle; pour les premiers, le motif de leurs anxiétés est dans l'esprit novateur qui pourrait se glisser dans la Chambre des députés; pour les seconds, il est dans la turbulence naturelle à notre nation lorsqu'elle prend trop fréquemment part à l'action de l'un des pouvoirs. Ce dernier m'a paru le plus alarmant. Cette divergence, toute dans les moyens, est une preuve de l'accord de vos vues et de l'unanimité de vos sentiments.

Aussi les autres points de la discussion ont offert moins de diversité.

Le nombre des députés, tel qu'il a été fixé par l'ordonnance du 13 juillet, n'a été attaqué que par quelques orateurs, qu'un respect scrupuleux pour la lettre de la Charte a attachés à celui qu'elle avait consacré il me paraît néanmoins difficile d'avoir une Assemblée moins nombreuse pour représenter une aussi grande masse d'intérêts.

Le besoin de les confier à des hommes dont l'expérience ajoutât à toutes les autres garanties, a déterminé votre commission en faveur de l'âge de quarante ans, tel qu'il existait en vertu de l'ordonnance du 13 juillet.

Ce n'est pas seulement comme moyen de transaction que j'adopte l'âge de trente ans, mais parce que ce terme moyen, entre l'expérience et

l'âge mûr, me semble concilier les justes préten.. tions de l'homme impatient d'arriver dans les conseils de la nation, avec l'une des sûretés qu'elle a droit de lui demander.

S'il est raisonnable d'être en garde contre tou tes les séductions qui exercent plus d'empire sur la jeunesse; si la vivacité des sensations, la rapidité des émotions, privilége dangereux de cette belle époque de la vie, doit nous faire appréhender l'influence qu'elle obtiendrait, peut-être, sur les décisions qui doivent toujours être dictées par la raison, il faut craindre aussi de la décourager en éloignant, sans nécessité, l'époque où elle pourra recevoir le prix de la plus noble ambition. Si vous voulez qu'une foule de jeunes gens bien élevés, doués d'un véritable patriotisme, se montrent de bonne heure occupés d'études sérieuses, qu'ils cultivent les heureuses dispositions qu'un grand nombre d'entre eux aura reçues de la nature, qu'ils recherchent toutes les occasions d'acquérir des droits à l'estime de leurs concitoyens, pour mériter plus tôt leurs suffrages, donnez à cette jeunesse l'espoir de siéger dans cette Chambre, à l'âge que les lois si sages de nos pères avaient fixé comme l'époque de la vie, où le jugement a acquis toute sa force, l'esprit toute sa maturité.

D'après ces motifs, je vote:

Pour que le nombre des députés, fixé par l'ordonnance, soit invariablement le nombre constitutionnel des membres de la Chambre ;

Qu'ils ne puissent être élus qu'à l'âge de trente ans;

Et que le renouvellement par totalité soit substitué à celui par cinquième.

M. le marquis de Montcalm. Messieurs, une loi sur les élections vous a été proposée par les ministres du Roi; vous l'avez discutée dans vos bureaux, et la commission que, vous avez chargée d'en faire le rapport, a cru que dans une matière aussi grave, aussi importante au salut de la génération présente et à la tranquilité de celles à venir, elle devait poser des principes avant d'en tirer des conséquences. Une décision presque unanime a approuvé cette marche qui fut toujours celle de ces hommes loyaux qui, sans passion, cherchent la vérité.

Votre commission a réduit à trois les principes qui doivent servir de base à toute la loi des élections, parce qu'ils sont les plus importants de ses résultats : l'âge, le nombre de ceux qui doivent s'asseoir au conseil national de leur Roi, et la durée de leurs fonctions législatives. Ces bases importantes une fois résolues, il ne sera pas sans doute difficile d'en tirer des conséquences qui soient en harmonie avec le système de notre gouvernement actuel.

Elevé dês l'enfance à bénir ces antiques principes monarchiques qui firent si longtemps la gloire de ma patrie, je serais presque orgueilleux de les aimer encore, si ma raison ne s'abaissait avec respect devant la volonté, devant la profondeur des pensées de ce monarque que l'Europe entière a proclamé le plus sage des rois. Il nous a donné cette Charte que la France a reçue comme un bienfait; nous avons juré de la maintenir, nous devons donc en adopter tous les principes, nous investir de son esprit.

Aussi n'est-ce point chez une nation rivale que nous devons chercher à éclairer notre nouvelle législation; mœurs, préjugés, lois civiles, institutions religieuses, esprit public, tout est là différent; là règne enfin l'aristocratie; ici, j'ose le dire, avec l'amour le plus vif pour son Roi, celui

aussi de l'égalité des droits; peut-être même l'un ne doit-il une partie de son énergie qu'à la crainte des distinctions sociales, sentiment qui depuis près d'un siècle paraît faire la base de l'esprit public français.

Lorsque chez une nation tous tendent égale. ment à s'élever, on peut dire alors avec certitude que tous aiment aussi l'égalité, et l'on peut affiriner que l'aristocratie trouvera d'autant plus de résistance à s'y établir, qu'elle est plus contraire aux incurs. Mais si chez une nation les lois civiles, d'accord avec ce sentiment dominant, tendaient perpétuellement à niveler les fortunes, que penserait-on de celui qui croirait à la facilité d'établir sans effort des prééminences qui n'existeraient déjà plus de fait ?

Chez nos voisins, au contraire, nous trouvons dans toute sa force cette barrière à la licence populaire; sa noble origine se rattache à tous les souvenirs brillants de leur histoire. Son existence précéda celle des Communes d'immenses richesses territoriales et héréditaires relèvent la splendeur de son rang et donnent à plusieurs de ses membres un droit inouï, inconnu dans toutes les législations, celui de nommer des députés que l'on prétend représenter le peuple anglais : Son existence politique est si puissante qu'on serait tenté de croire que le gouvernement anglais n'est qu'une aristocratie embellie par la majesté royale et rendue chère au peuple par des formes démocratiques, tant, chez ces insulaires, tout est harmonie, même les abus aussi cette constitution marche-t-elle sans efforts. Nous n'avons pas les mêmes éléments, elle ne peut donc nous servir de modèle.

Puisque nous y sommes forcés, replions-nous sur nous-mêmes, et cherchons dans ce que nous sommes à reconstruire, avec les immenses débris qui nous environnent, une monarchie française; puisse-t-elle vaincre enfin cette Révolution qué l'inexpérience jeta parmi nous.

Votre commission vous propose les trois bases sur lesquelles doit s'établir notre système d'élections; examinons si elles sont en harmonie avec l'ensemble des éléments qui composent le gouvernement actuel, et réfléchissons si la faiblesse d'une des branches du pouvoir législatif ne nous oblige pas aussi à atténuer la force de celle dont la première est le contrepoids, par la crainte que tout équilibre ne soit bientôt rompu, que les organes du peuple n'envahissent tous les pouvoirs, et que la confusion et ses horreurs n'apportent enfin le trouble dans la société.

Les deux branches inférieures du pouvoir législatif doivent donc se balancer et n'être jamais l'une ou l'autre assez puissantes pour porter ombrage à l'autorité royale, qui ne les a instituées elles-mêmes que pour le bien de ses peuples, dont la monarchie sera toujours l'ancre d'espérance dans les jours de danger.

Cela établi, voyons si les articles proposés par la commission ne doivent pas contribuer à laisser à la Chambre des pairs la force nécessaire pour réprimer les élans de ce que j'ose appeler la puissance tribunitienne.

J'ai dit que parmi nous l'aristocratie sera longtemps faible, incertaine, peu nationale enfin. Nos efforts doivent donc tendre avec bonne foi ne pas agrandir notre propre puissance qui, empruntant sa force de celle de la nation entière, énerverait bientôt le pouvoir de la Chambre des pairs, qui, comme l'a dit avec tant de vérité un de nos bonorables collègues, n'est encore pour les Français qu'une fiction de la loi.

Je crois que dans les deux premiers articles votre commission à pleinement rempli ce but. En effet, à quarante ans, l'homme n'a plus en général cet amour des nouveautés, cette fougue brillante d'imagination qui séduit l'avide mutitude: sa carrière est alors décidée, l'expérience des affaires a déjà révélé à l'homme d'Etat ce qu'il doit aux circonstances, lui a appris à se garantir des théories les plus brillantes, et presque toujours alors il est attaché au sol de la patrie par les liens si doux de la paternité; alors il sera moins séduit et sera moins séduisant à son tour. Nous ne le verrons donc point, abusant d'une vaine éloquence, enhardir de factieuses communes à renverser ces lois antiques qui firent le repos des générations passées.

Je sais que ving-cinq ans de malheurs ont donné de bonne heure à plusieurs d'entre nous cette maturité que, dans les temps ordinaires, on ne saurait acquérir si jeune encore; mais les dispositions de la loi sont pour les siècles. Je me range donc de l'avis de la commission,

Un des points les plus débattus parmi nous, est celui de la durée de nos fonctions législatives. Votre commission a si victorieusement démontré, et l'expérience a si heureusement prouvé que la tranquillité de l'Etat ne courrait aucun risque par la réunion simultanée de tous les colléges électoraux; elle a aussi prouvé que consentir à renouveler la Chambre par cinquième était presque, de la part du Roi, renoncer au droit de la dissoudre, puisque dans ce cas tout devenait confusion, qu'il ne me reste donc qu'à l'envisager sous le rapport de notre existence politique avec celle de la Chambre des pairs.

Si la Chambre se renouvelle par cinquième, etle formera bientôt, n'en doutons pas, un de ces corps dont l'esprit, presque héréditaire, cherchera à envahir tous les pouvoirs. Tirant les siens de la confiance de la nation, elle renversera sans peine une aristocratie naissante, dont les racines n'auront pu encore s'étendre, se fortifier sur un sol presque rebelle.

Je désirerais pouvoir partager aussi l'opinion de mes honorables collègues sur le nombre des députés qui doivent siéger à l'avenir dans cette enceinte. Les orateurs qui m'ont précédé ont tous convenu qu'une Chambre nombreuse avait plus de force; qu'elle pouvait bien plus puissamment influencer l'opinion publique. Fidèle au principe que j'ai émis, d'accroître la force de l'aristocratie de notre gouvernement de tout ce que je crois qu'il faut en enlever à ce qui en représente la démocratie, je dois naturellement, par les raisons victorieuses qu'ils ont alléguées, opiner dans un sens inverse du leur.

Ils paraissent jaloux d'étendre les pouvoirs de cette Chambre; moi, au contraire, je ne l'ai pas dissimulé, je veux les laisser dans une telle proportion, qu'ils puissent être contenus dans de justes bornes par celle des pairs.

Un de nos orateurs, exaltant les avantages du gouvernement représentatif, parce qu'il est plus directement l'organe de la volonté nationale, a fait valoir éloquemment l'Angleterre luttant contre quelques einbarras de finances eldes factieux agitant sa flotte et une partie de la nation.

Dans Saragosse, les Espagnols; les Russes, au milieu des flammes de Moscou, prouvèrent-ils moins que l'amour de la patrie peut êre inhérent à toutes les constitutions?

Ne cherchons donc point par des théoles périlleuses à exciter un élan que les circonsinces ont produit chez tous les peuples, et que notre

amour pour notre Roi nous rendrait plus facile sans doute encore.

Les lois régissent les temps ordinaires; le génie seul commande aux révolutions qui fixent la destinée des peuples.

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Je vote pour le projet de la commission ainsi amendé: Lors des premières élections, le nom"bre des députés sera réglé conformément à la • Charte. >>

M. Varenne de Fenille prono nce sur l'ensemble des questions une opinion développée, dont voici les conclusions:

1o Le nombre des députés restera tel qu'il est fixé par l'ordonnance du 13 juillet; cependant le département de la Seine aura douze députés ;

Chaque département nommera deux suppléants;

2o L'article 37 de la Charte sera ainsi réformé : « La Chambre des députés sera renouvelée à l'avenir par moitié, tous les deux ou trois ans, à la volonté du Roi; »

A cet effet, les départements seront divisés en deux séres. En cas de dissolution, l'ordre des séries ne sera pas interrompu;

3o L'âge de trente ans será substitué à celui de quarante dans l'article 38 de la Charte.

La séance est levée et remise au lendemain à midi.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS

PRÉSIDENCE DE M. FAGET DE BAURE, VICE-
PRÉSIDENT.

Séance du 15 février 1815.

A une heure, la séance est ouverte sous la viceprésidence de M. Faget de Baure.

M. Cardonnel donne lecture du procès-verbal d'hier, dont la rédaction est approuvée. Plusieurs pétitions nouvelles sont adressées à la Chambre.

Sur la simple indication qui est faite des signataires de ces pétitions, un membre expose que l'un d'eux se plaint d'être détenu depuis huit ans, contre la disposition positive des lois existantes.

Sur sa demande, M. le Vice-Président invite la commission centrale des pétitions à s'occuper de suite de celle de ce particulier.

M. le comte Beugnot se présente à la tribune pour soumettre une proposition à la Chambre.

Beaucoup de membres lui font observer qu'ils ont pris connaissance de cette proposition, et qu'elle est de nature à n'être entendue qu'en comité secret.

M. Beugnot remet la proposition à M. le président, et descend de la tribune.

On reprend la discussion du rapport de M. de Villèle concernant les élections.

M. Benoist (de Maine-et-Loire) commence par rappeler les observations faites par divers orateurs sur la forme de la discussion. Il fait remarquer que mal à propos on s'est étonné de ce que la commission avait voulu poser des principes avant de discuter des articles qui n'en étaient que les conséquences.

Avant de savoir, a-t-il dit, quelles seront les époques de renouvellement de la Chambre, il était indispensable de déterminer si elle serait renouvelée en masse ou par portions.

Avant de fixer le nombre de députés à nommer par chaque département, il fallait examiner de quel nombre il convenait que l'Assemblée fût composée.

Enfin on ne pouvait disposer la loi relative aux élections sans avoir décidé si, en exécution de la Charte, les députés devraient avoir quarante ans, ou si, conformément à l'ordonnance du 13 juillet, ils pourraient être élus à vingt-cinq ans

Rappelant alors les diverses objections faites contre le projet de la commission, il annonce qu'il s'attachera particulièrement à celles qu'a présentées M. Royer-Collard. D'une part, elles lui paraissent les plus fortes; de l'autre, professant depuis longues années une considération particulière pour son honorable collègue, il ne craint pas d'avouer qu'il doit aux lumières qu'a portées celui-ci dans la discussion, l'opinion que luimême s'est formée; prêt, ajoute-t-il, s'il obtient quelque avantage, à reconnaître qu'il lui en est redevable, et disposé, s'il succombe, à ne pas rougir d'avoir été vaincu par un noble et puissant adversaire.

On a pensé, dit-il, que la Charte ayant indiqué un mode de renouvellement, la commission n'eût pas dû se permettre d'en indiquer un autre.

Mais l'ordonnance du 13 juillet a formellement désigné cette disposition de la Charte comme une de celles qui pourraient être modifiées. On oppose à cette considération que l'ordonnance du 13 juillet 1815 a été faite à une époque où le Roi pouvait n'avoir pas acquis une idée complète de l'état de la France.

M. Benoist trouve dans cette observation une sorte de témérité; il a peine à comprendre qu'on veuille faire aux ministres, qui alors avaient la confiance de Sa Majesté, un reproche qui s'étendrait naturellement à tous les actes du souverain faits à la même époque et dont plusieurs ont été défendus avec énergie par les personnes mêmes qui traitent avec légèreté cette ordonnance du 13 juillet. Au reste, dit-il, cette ordonnance existe, elle est notre loi, elle a déterminé notr position actuelle, et nous sommes non-seulemen fondés, mais obligés à nous y conformer.

S'écarter de cette ordonnance pour revenir aux dispositions de la Charte serait donc un vrai changement; c'est là que serait la mobilité, c'est là qu'on quitterait l'expérience pour se jouer dans la théorie.

Vainement dit-on que le Roi, après avoir annoncé la possibilité de modifier l'article 35 de la Charte, a, dans le projet de loi relatif aux élections, proposé de le maintenir.

Le projet de loi n'est qu'une pensée, qu'un projet. L'ordonnnance, tant qu'elle existe, est une règle.

L'orateur conclut de là que la Chambre est complétement autorisée à rechercher si le renouvellement intégral est préférable au renouvellement par cinquième.

Il ne lui paraît pas que le premier soit une occasion de troubles périodiques: il pense au contraire que le second, offrant chaque année des chances à l'ambition, présenterait plus souvent des causes d'agitation. J'ai souvent, dit-il, assisté à ce tirage de la loterie du pouvoir législatif, et je sais combien de prétentions, combien d'espérances et d'intrigues naissaient chaque année de la seule faculté d'entrer dans un collége par la nomination à une présidence. Combien n'y aurat-il pas plus de brigues et de mouvements dans un système où chaque département peut choisir hors de son sein la moitié de ses députés !

Examinant ensuite quels effets résulteront dans la Chambre elle-même des renouvellements partiels, il observe qu'une assemblée n'existe pas par le seul fait de la réuni on de ses membres en

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