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du 24 juillet. Ils entraînent naturellement des irrégularités choquantes dans l'exécution.

Le ministère actuel, et, depuis, la Chambre des députés ont fait bien des efforts pour leur échapper. Ils ont constamment déplacé la difficulté, sans la résoudre.

On a eu recours au mot d'amnistie, afin de reporter un peu d'ordre dans les idées, parce que c'est effectivement le seul acte de législation politique qui dispose pour le passé. Mais ce mot entraîne aussi abolition complète, tandis que l'ordonnance réservait l'action des lois constitutionnelles. Pour obtenir le même résultat on a introduit l'exception des poursuites déjà commencées, un peu, il faut le dire, aux dépens de la bonne foi; car, si nous sommes appelés à statuer sur une question individuelle, nous devons connaître les individus; ce n'est pas assez de nous en nommer dix-neuf, il faut nous les nommer tous; et comme l'a fort bien remarqué M. le ministre de la police, il n'y a pas de catégorie aussi large que celle-là.

D'un autre côté, il répugnait de déclarer que l'ordre social de la France eût été, pendant ce qu'on affecte de nommer les Cent-Jours, dépourvu de toute sanction, et réduit à un véritable chaos. On a maintenu les actions entre particuliers, ce qui est contraire au principe de l'amni tie.

Des personnes scrupuleuses ont voulu référer au Roi le droit de bannir; comme s'il était possible de déléguer un attribut dont on n'est pas soi-même investi!

D'autres enfin se sont attachés à diviser et à subdiviser les modes accidentels du délit, comme pour esquiver d'articuler des noms propres. Et tous ces différents systèmes d'évasion ont engendré des argumentations fort subtiles, que je n'entreprendrai pas de réfuter.

Mais je me suis demandé plus d'une fois, en supposant que les idées de modération et de justice, qui sont dans l'intérêt du Roi et dans la pensée de son ministère, ne fussent gênées par aucun acte antérieur, s'il serait si difficile de parvenir à la réaliser en satisfaisant à la fois et aux espérances de la France et aux conditions constitutionnelles.

Avant tout, qu'est-ce qu'une amnistie?

Il s'est élevé diverses questions sur sa nature et sur le pouvoir qui doit la dispenser; de part et d'autre on a argue de plusieurs exemples, sans parvenir à s'accorder.

Je n'ai pas la prétention d'envisager le sujet d'aussi haut. Je dirai simplement qu'à ne considérer que les événements dont l'amnistie est le produit et le remède, elle semble avoir en soi quelque chose de mixte. Selon le temps, c'est un moyen de gouvernement; selon le temps aussi, c'est un acte de législation souveraine. Je m'explique.

Lorsque le chef de l'Etat, le pouvoir en main, lutte encore contre une cause qui n'a pas désespéré d'elle-même, lorsqu'il s'agit de désarmer les combattants, de faire tomber des places qui pourraient tenir et se défendre, d'en finir, en un mot, avec les dissensions civiles, l'amnistie est un moyen de gouvernement. D'ordinaire, l'action du pouvoir législatif n'est pas assez régulière dans ces temps malheureux pour qu'on puisse la mettre en œuvre. Presque toujours il serait imprudent de développer les motifs d'une semblable mesure, et impraticable d'en discuter publiquement les conditions. C'est donc un acte exorbitant sans doute, favorable pourtant. C'est une capitulation de la nature des traités diplomatiques, dont il est

possible de poursuivre la responsabilité sur la tête de ceux qui l'ont signée, mais sans altérer les dispositions consenties, sans porter atteinte à la foi jurée.

Telle est, par exemple, la proclamation de Cambrai. Là, le Roi, paraissant pour la première fois entre les Français et leurs ennemis, a porté à tous des paroles de paix, il a déposé tout ressentiment personnel, il a abdiqué toute vengeance qui n'aurait que sa propre cause pour objet; s'il a réservé des poursuites, c'est dans l'intérêt de la société : quant à lui-même, il a solennellement mis en oubli ses injures; et, dans ce sens, on a raison de soutenir que le pardon royal était acquis du jour où le mot en a été prononcé.

Mais lorsqu'au contraire l'ordre est rétabli dans toutes les parties de l'Etat, quand tous les pouvoirs ont repris leur marche, quand il ne s'agit plus que de porter un regard sur le passé pour y apercevoir des motifs de clémence; sur le présent, pour y reconnaître le vœu public et l'utilité générale; lorsque tous les éclaircissements, toute la publicité tournent au profit de l'indulgence, alors sans doute il importe que ce grand acte national, cet acte qui remet toutes choses à leur place, qui fait dater d'une nouvelle ère le cours de la justice et le règne des lois, soit revêtu de la solennité la plus imposante. Ainsi l'ordonnance du 24 juillet fùt-elle aussi judicieuse qu'elle l'est peu, ne pourrait encore prétendre à être associée au nom d'amnistie; on ne peut la regarder que comme une disposition ministérielle, qui mérite sans doute quelques égards par rapport aux circonstances, mais tout à fait indigne d'ailleurs de lier le législateur et de lui servir de point de départ.

Je ne saurais supposer non plus que l'amnistie ait rien de commun avec le droit de grâce; celuici est un remède à l'imperfection des lois pénales, qui ne peuvent prévoir tous les cas d'atténuation. Lorsque le monarque en fait usage, déjà la justice est satisfaite, la loi est accomplie, la société est éclairée et vengée il ne fait que céder à l'impulsion de la commisération publique. Mais l'amnistie est l'interdiction de la poursuite judiciaire. Ce droit serait infiniment dangereux entre les mains du pouvoir ministériel; l'impunité serait toujours assurée à la puissance et à la faveur; ce serait un renouvellement de ces antiques préceptions, de ces interventions dans le fait de justice, objet éternel des réclamations de nos parlements et des désavœux de nos rois. C'est la nation représentée dans la personne du prince, dans les trois branches du pouvoir législatif, qui abolit solennellement jusqu'à la dernière trace des discordes qui l'ont déchirée. Si la prérogative s'étendait jusque-là, comme le Roi ne fait rien par lui-même, pas même grâce aux coupables, cet acte serait de nature à être toujours recherché, jamais la tranquillité ne serait assurée, jamais le but ne serait atteint.

Si ces idées ont quelque chose de plausible, suivons-les, et considérons la position dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.

Tout est soumis; la représentation nationale est assemblée.

Il ne s'agit point, je l'ai déjà dit, de la cause de Sa Majesté. Tout ce qui lui est personnel est complétement terminé par la déclaration de Cambrai.

L'amnistie actuelle est dans le seul intérêt de la France; ce sont les paroles expresses du Roi. C'est la nation qui stipule pour elle-même sous l'œil et sous la tutelle suprême de son chef :

maintenant, quels crimes importe-t-il de soustraire à la vengeance des lois! quels doivent lui être abandonnés ?

Cet état de la question une fois bien conçu, il est inutile, ce semble, de s'engager dans aucune considération par delà le jour où Sa Majesté s'est éloignée de nous; on n'a plus reçu d'ordres de son gouvernement toute action ne peut plus être jugée que par son rapport à elle-même, à la loi qui la régissait, au pouvoir, quel qu'il fût, qui requérait obéissance. Sans doute, on doit payer un juste tribut d'éloges à ceux qui conservèrent au fond de leur cœur une reconnaissance inaltérable pour les bienfaits reçus; sans doute, il s'est rencontré des hommes entraînés à s'immiscer dans l'administration publique par des motifs étrangers au maintien de l'ordre et au bien de la patrie, par l'ambition ou la cupidité leur conduite appartient à l'histoire; elle est du domaine de l'opinion. Serait-il praticable de la rechercher par les voies publiques? je ne le pense pas ; l'amnistie nationale ne peut donc pas leur être appliquée. Il y a eu certainement, dans cet intervalle, des actes qui n'ont rien de repréhensible or, dites-moi comment on s'y prendrait pour les discerner?

Les juges sont-ils en état de forfaiture pour avoir rendu des arrêts?

Les prisons sont-elles devenues des chartes privées ?

Les contribuables sont-ils en droit de poursuivre les agents du fisc comme voleurs?

Remarquez que, dans l'hypothèse de l'absence de tout gouvernement, la conséquence est inevitable. Tous les préposés de l'administration sont dans le cas de l'article 5 du projet de loi; ce sont des particuliers qui ont usurpé la force publique, et contre lesquels d'autres particuliers doivent revendiquer soit l'obéissance qu'ils leur ont prêtée, soit les deniers qu'ils leur ont fournis.

Quiconque a apposé sa signature à un acte public serait donc en quelque sorte un faussaire ? Quelle absurdité!

Non, Messieurs, quoi qu'on en puisse dire, il est impossible de confondre entièrement, dans le cas présent, le Roi et la patrie. Sa Majesté, en remettant ses propres injures, a exercé la modération du sage et la charité du chrétien, non moins que la prudence du monarque; mais la loi n'a point ici de délits réels à amnistier. Une nation tout entière ne saurait être amnistiée; il y a là dedans quelque chose qui implique et certes tout entière elle a contribué, au moins indirectement, à sa propre défense. Il ne se peut pas que cette nation, qui ne voyait dans les rangs de l'étranger ni son prince ni ses concitoyens, qui n'y voyait que des ennemis, titre qu'assurément ils n'ont que trop justifié depuis, soit coupable pour avoir concouru, par l'exercice de toutes ses forces, par l'usage de toutes ses ressources, à maintenir l'honneur de ses armes et l'intégrité de son territoire.

Laissons-là ces suppositions, qui ne sont propres qu'à alimenter les ressentiments, cherchons les véritables torts, pour épuiser sur eux la miséricorde nationale.

Toutes ces idées de clémence ou de rigueur se portent exclusivement vers les événements antérieurs au départ du Roi. Ici la nature du crime qui a pu être commis paraît se diviser d'ellemême les délits politiques peuvent être classés par rapport à la conspiration, ou par rapport à la sédition; et, bien que toutes deux puissent

coïncider, et peut-être même produire des résultats tout pareils, l'équité ne permet pas de les considérer du même il.

La conspiration emporte préméditation, combinaison, mystère, enfin tout ce qui rend l'homme véritablement criminel lorsqu'il agit contre ses semblables. Qu'on fasse grâce au conspirateur, j'y consens; mais il ne faut pas l'amnistier, car il importe que sa conduite soit produite au grand jour.

Or, j'entends dire de tous côtés qu'il y a eu des trames secrètes, une conjuration véritable, des menées qui ont préparé le débarquement, écarté la résistance, ébranlé la fidélité, soudoyé la défection. A cet égard, il faut que la nation soit éclairée; il faut que le ministère public puisse provoquer des condamnations contre quiconque aurait, du sein même de la France, sous la protection du gouvernement établi, comploté son renversement, spéculé son intérèt ou son ambition sur la fortune d'un homme et sur les malheurs de son pays. Il serait affreux de désigner personne; et ce n'est point là tomber dans l'inconvénient des catégories; car cette conspiration, qui sert de préliminaire à toutes les poursuites, de prétexte à toutes les lois de rigueur, n'a encore qu'une démonstration morale pour ceux qui s'en montrent le plus convaincus. Il faut que la nation sache enfin à quoi s'en tenir à cet égard.

La sédition, au contraire, est proprement un délit contre l'ordre public, contre la tranquillité sociale; c'est le résultat soudain d'un concours de circonstances, tout a fait imprévu pour ceux qui les subissent. Là, tout est en dehors; c'est une sorte d'ivresse et d'entraînement qu'il ne serait pas juste de punir dans ses conséquences, car il n'y a pas même eu place à la réflexion. D'ordinaire, le trouble va grossissant; l'enthousiasme est contagieux; les uns s'exaltent pour les autres et tous deviennent de moins en moins coupables aux yeux de l'équité, à mesure pourtant que leur nombre augmente, que leur égarement est plus grand, et que ses effets sont plus désastreux.

C'est à ce genre de délit que s'applique spécialement l'amnistie; le plus souvent elle est inévitable; on ne pourrait, sans inhumanité et sans danger, sévir contre la multitude; choisir arbitrairement des victimes, surtout au bout d'un certain temps, c'est donner carrière aux vengeances particulières et révolter au lieu d'apaiser. Il n'est pas même raisonnable de faire peser la rigueur exclusivement sur les chefs, lorsque l'emportement commun a une cause absolument étrangère à la subordination et aux devoirs du métier.

Telle est l'espèce dans laquelle paraissent se ranger les événements qui se sont passés depuis le débarquement de Cannes jusqu'au 20 mars, lorsqu'ils ne se lient à aucune machination antérieure; lorsqu'ils se sont opérés successivement sur les grandes routes, sur la place publique, au milieu du tumulte; lorsque la nation a le droit d'être assurée que l'attentat dont elle a fait remise lui est parfaitement connu, et ne cache rien au delà. Ce sont ces délits qu'il est bon d'envelopper dans un oubli définitif, en y comprenant, comme il est dans la nature de l'amnistie, tous les délits particuliers, tous les désordres, vexations, excès qui ont pu être commis partout où ce vertige s'est manifesté.

Une amnistie qui n'éteindrait pas les poursuites particulières n'aurait rien fait pour son véritable but, qui est la tranquillité générale; ou, pour

mieux dire, une amnistie qui les réserve, prouve par là qu'elle recèle quelque défectuosité fondamentale, qu'elle est appliquée hors de sa sphère. C'est là le cas, comme j'ai essayé de le prouver plus haut, du projet actuel. On a voulu l'étendre au delà du 20 mars, c'est-à-dire à une époque où les dissensions avaient cessé, et où les lois avaient repris un cours régulier; et dès lors il a paru absurde d'intervertir ce qui aurait été consommé sous l'empire de l'ordre et sous la direc tion des tribunaux.

Dans le plan que je viens de développer disparaîtraient et les listes de proscription, et les exils arbitraires, et les jugements déplacés, et tout cet ensemble de difficultés qu'on semble avoir pris plaisir à se créer. La justice poursuivrait le crime; la clémence protégerait l'égarement; l'opinion exercerait son empire au défaut de la loi; seulement il ne serait plus permis de poursuivre un homme comme conspirateur, et de le faire ensuite condamner comine rebelle.

On objectera peut-être la nécessité, qu'on fait tant valoir, d'écarter des hommes dangereux. Je ne m'expliquerai pas à ce sujet; je répondrai simplement que, dans un pays où le ministre de la police exerce le pouvoir de détenir sans mettre en jugement, il sait bien donner en pareil cas des conseils dont l'efficacité n'est pas contestée, et que d'ordinaire on a soin de prévenir lorsque la réputation de ceux qui s'éloignent n'est pas compromise dans des actes officiels.

Après une profession de foi aussi sincère, vous n'attendez pas, Messieurs, que je réfute l'amendement introduit par la Chambre des députés; j'ouvrirais l'histoire d'Angleterre, et je chercherais dans le procès de Stafford tout ce qu'a inspiré de réflexions éloquentes l'injustice d'assembler des faits épars, de cumuler des actions qui ne sont pas punissables avec d'autres qui sont innocentes, pour en construire un crime nouveau, et en écraser un ennemi. Nul n'est poursuivi en France pour avoir signé l'acte additionnel; tous les votes de la révolution sont à l'abri de l'article 11 de la Charte qu'on n'argumente pas la nature de celui-ci; c'est précisément là où l'article est indispensable qu'il est sacré. S'il tombe aujourd'hui, vingt-cinq ans de révolution. demeurent à découvert; et ce n'est plus au 20 mars qu'il nous faut songer.

Je m'arrête donc à cet ordre d'idées : Silence absolu sur tout ce qui s'est passé en France depuis le départ du Roi jusqu'à son retour dans cette capitale;

Amnistie pleine et entière à tous les crimes ou délits commis depuis le 1er jusqu'au 20 mars, qui ne seraient connexes à aucun complot antérieur au débarquement, ce complot demeurant, s'il existe, excepté de l'amnistie, à charge par le ministère public de faire ses diligences contre qui de droìt, et sauf à Sa Majesté d'user ensuite de la prérogative selon sa clémence et le vœu de l'opinion.

Telles sont les réflexions que je ne prends la liberté de vous soumettre qu'avec une extrême circonspection. Je n'ose me flatter d'aucun succès; c'est un devoir de conscience que je remplis j'ai pensé que, lorsque l'honneur, la fortune, la vie des hommes, étaient, pour ainsi dire, en suspens, la loi de l'antiquité prenait vigueur, et qu'on était obligé d'avoir un avis. J'ai dit le mien; j'ai rompu le silence dont je m'étais fait un devoir aussi longtemps que vous avez discuté les différentes parties de cette législation

T XVI.

provisoire qui régit maintenant la France, et dont le bienfait sera grand s'il égale les sacrifices que nous lui faisons. Il est permis de se tromper, sans doute. Je reconnais à quel point il est difficile d'apprécier dignement les leçons de l'expérience et la nécessité des conjonctures; et plus mes opinions personnelles diffèrent de celles que je vois prévaloir dans cette assemblée, plus elles doivent m'inspirer une juste défiance.

Je vote contre le projet de loi et contre l'ordonnance du 24 juillet, en demandant une amnistie plus complète et plus régulière.

M. le duc de Doudeauville. Messieurs, la loi qui vous occupe a été, à la connaissance de tous les pairs, discutée d'une manière trop habile et trop approfondie dans la Chambre des députés pour que je me permette ici autre chose que des réflexions courtes et générales, dont l'application et peut-être l'utilité se retrouveront dans plus d'une occasion et dans plus d'une loi.

D'ailleurs celle-ci a été adoptée dans l'autre Chambre avec une unanimité, avec un sentiment qui rend les longs raisonnements plus inutiles, et le rejet moins tentant.

:

Cette loi avait paru à beaucoup de députés, et paraîtra à plus d'un de nous, laisser quelque chose à désirer je serais moi-même de cet avis si je ne pensais, si je ne sentais que dans des temps comme ceux où nous vivons, il est bien difficile, il est impossible de faire tout ce qui est désirable.

Il s'agit moins dans de pareils moments de présenter une perfection, plus difficile encore alors dans nos lois, que d'offrir, avec le gouvernement, un ensemble imposant, une union redoutable dans notre conduite. Cette force seule peut triompher de la difficulté des circonstances et des efforts des malveillants.

Un guerrier habile ne préférera-t-il point, au jour des combats, à un alignement plus exact, à une manoeuvre plus régulière, un ordre plus serré, un ensemble plus solidé qui présentera à l'ennemi une masse effrayante et impénétrable?

Retirera-t-on, dans la saison des orages, à un noble édifice ébranlé par la tempête, les soutiens qui lui sont nécessaires, sous prétexte de les travailler avec plus de soin, de les finir avec plus d'art ?

J'appuie sur cette idée, et j'y appuierai trop peut-être; mais elle est à mes yeux si essentielle, et je suis si convaincu que l'union seule peut nous sauver, et la désunion seule nous perdre, que je voudrais voir tous mes compatriotes pénétrés de cette vérité comme je le suis moimême. Ce n'est pas ici d'ailleurs que ce langage et ce désir paraîtront étrangers et déplacés.

Depuis plusieurs mois on s'occupe de la mesure qui nous est soumise; depuis plusieurs mois on consulte des hommes éclairés, et jusqu'à présent on a vu l'impossibilité de surmonter tous les obstacles et de satisfaire tous les vœux.

De la manière dont elle vous est présentée, elle offre des inconvénients; mais, de toute autre manière, elle en présentait bien davantage.

Dans tous les temps, mais surtout dans ceux qui suivent de grandes crises politiques, c'est par un juste mélange de clémence et de vérité qu'on peut effrayer, qu'on peut ramener, qu'on doit gouverner.

Plus ont est disposé alors à donner dans un des deux excès contraires, plus les hommes que la raison conduit, et que l'amour du bien anime,

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doivent s'y opposer avec persévérance, avec force.

Tantôt il faut des mesures énergiques, et beaucoup de sagesse dans l'exécution; tantôt beaucoup de sagesse dans les mesures, et une grande énergie dans la manière de les exécuter.

Prétendre punir toutes les fautes, tous les crimes même, ne serait pas moins déraisonnable que vouloir les épargner tous.

Une équitable rigueur, en frappant les principaux coupables, détourne de le devenir, et satisfait à la vindicte publique : une rigueur excessive révolte même les hommes honnêtes, et porte au désespoir encore plus qu'à la crainte.

Chez nous plus que chez d'autres peuples, cette vérité se fait remarquer. Vifs, ardents, souvent légers, mais humains, sensibles, et peu vindicatifs, nous voulons des punitions, nous réclamons' hautement des actes éclatants de justice, nous paraissons vouloir faire répandre des torrents de sang à la vue du premier qui coule nous nous attendrissons; et la seconde exécution semble presque une victoire de trop.

C'est à ces heureux défauts, je serais tenté de dire à ces qualités, auxquelles il ne faut pourtant pas trop céder, que nous devons, depuis vingtcinq ans, l'oubli continuel de haines et de ressentiments, qui sont aussi peu durables qu'ils paraissent violents et interminables.

Les circonstances les ont parfois vivement ranimés; mais ils s'apaisent, s'éteignent plus promptement qu'on ne le verrait ailleurs; et bientôt nous nous rappelons que nous sommes Français, et que nous devons cesser d'être ennemis.

Que d'exemples n'en avons-nous pas vus dans ces partis qu'un esprit si différent enflammait, éloignait, mais qu'un sentiment semblait rapprocher; dans ces armées, opposées quoique compatriotes, qui se glorifiaient mutuelleinent d'exploits qui rendaient leur victoire plus difficile et leurs succès plus sanglants!

Que d'exemples magnanimes, et mémorables surtout, n'en avons-nous pas eus dans ces princes si éminemment, si noblement Français, qui ne se rappellent leur longs malheurs que pour nous en faire profiter, qui ne songent à de cruelles persécutions que pour avoir le plaisir de les pardonner, et qui ne trouvent de prérogative digne d'eux, dans l'exercice du pouvoir royal, que celle de faire grâce!

Mais, dignes descendants de ce monarque chéri que nous aimons tant à citer, à retracer, ils savent que, si d'une main il eut le bonheur de signer une amnistie pareille à celle qu'on nous propose, de l'autre il eut le courage de signer le juste, le douloureux, l'indispensable arrêt d'un guerrier distingué qui fut longtemps son serviteur fidèle, et qui mérita souvent d'être son ami.

Quelques condamnations malheureusement trop légitimes, quelques exemples imposants ont ca lieu depuis quelques mois; quelques autres punitions nécessaires sont encore prononcées par la loi il faut ensuite, comme après la Ligue, comme après la Fronde, comme dans tous les siècles, comme dans tous les pays, qu'une amnistie salutaire viennent arrêter toutes les vengeances, rapprocher toutes les opinions.

L'union des citoyens est le salut comme la force des empires.

Ceux qui ont été coupables ont été sévèrement punis; ceux qui le deviendraient le seraient plus sévèrement encore : c'est la volonté du gouvernement, ce sera la vôtre; car la fermeté, et la fermeté la plus inébranlable, peut seule, avec

justice, déjouer la malveillance et affermir les trônes.

Par cette heureuse association de la sévérité avec la bonté qu'offre la loi, qu'offrira la conduite de ceux qui tiennent les rènes de l'État, les pervers, les ennemis du régime actuel seront effrayés, et ils auront raison de l'être; les gens estimables seront satisfaits, les indifférents seront rassurés et ramenés.

C'est ainsi, c'est ainsi seulement que tout peut se calmer, se rasseoir, et que des milliers d'individus, en proie aux alarmes, à la présence constante et menaçante de cette espèce d'épée de Damoclès toujours suspendue sur leur tête, se rallieront au gouvernement actuel, et s'y rattacheront de bonne foi.

La fermentation, l'incertitude, l'inquiétude, cesseront; tous les Français se rapprocheront; tous les partis sentiront que leurs dissensions ont amené sur leur patrie des maux terribles, et en ramèneraient de plus terribles encore.

Ils reviendront de cette manie, de cette folie de toujours raisonner sur ce qu'on ne sait pas, de déraisonner sans cesse sur ce qu'on devrait savoir, de décider de tout sans avoir rien étudié, de tout juger, même ce qu'il y a de plus respectable, sans avoir rien approfondi; ils renonceront à cet esprit d'agitation turbulente, d'indépendance outrée, d'égalité impossible, de vanité dangereuse, d'éloignement de tout principe, d'impatience de tout frein, de révolte contre toute autorité, maladie épidémique de ce siècle, qui, après avoir été la cause de la Révolution, en est maintenant la triste suite, et dont les personnes les plus honnêtes sont loin, sans qu'elles s'en doutent, d'être entièrement exemptes.

Ils verront qu'il n'y a d'espoir pour eux que dans la paix, dans le calme, dans l'ordre, dans une union franche et constante avec celui qui nous a sauvés deux fois, et ne pourrait pas nous sauver une troisième : ils penseront qu'ils doivent, par intérêt comme par amour, s'y joindre franchement, s'y réunir intimement, pour l'aider, pour le soutenir, pour le fortifier, pour arriver heureusement avec lui au terme du voyage.

Quand un équipage pesant, et chargé d'effets précieux, se trouve dans une montagne escarpée, dans une route bordée de précipices, les voyageurs qui l'accompagnent ne songent pas à le critiquer ou à l'embellir, encore moins à se dis puter; ils ne pensent qu'à le soutenir, qu'à le faire aller, et, loin de contrarier celui qui le dirige, ils s'unissent à lui, ils écoutent sa voix, ils secondent ses efforts: c'est ainsi qu'ils parviennent à lui faire surmonter tous les obtacles, tous les dangers, à le faire parvenir sans accident au but désiré.

Alors seulement ils s'occuperont de remédier aux inconvénients, d'effacer les taches, et de lui donner le degré de perfection dont il est susceptible.

Heureux ainsi, parce que nous serons raisonnables; forts, parce que nous serons loyaux; nous nous consolerons de nos malheurs, parce que nous aurons su profiter des grandes leçons qu'ils nous auront données, et nous verrons refleurir parmi nous les arts, le commerce, surtout les principes de tout genre, véritable source de la prospérité, de la tranquillité et de la durée des empires.

Notre vertueux monarque a fait ce que lui ordonnait son cœur et son respect religieux pour les sublimes volontés d'un frère, d'un roi, d'un martyr.

La Chambre des députés a fait ce que lui prescrivaient ses sentiments et ses obligations.

Nous ferons ce que nous dictent de pareils exemples et le consentement sagement réfléchi de Sa Majesté, comme la décision unanime, touchante et solennelle de l'autre Chambre. Dirigés par cet élan national, non moins que par sa discussion éloquente et prolongée, pénétrés d'unc juste confiance dans son zèle, et d'un désir constant d'accord et d'harmonie entre toutes les parties du gouvernement, nous adoptons avec empressement, et sans délais inutiles, la loi qui nous est proposée.

Je vote pour l'adoption, sans amendements nou

veaux.

M. le marquis de Bonnay. Messieurs, la loi d'amnistie qui vient de vous être présentée par les ministres du Roi est depuis si longtemps l'objet des controverses publiques et particulières; elle vous est tellement connue; les opinions, tant de ses partisans que de ses adversaires, ont jeté un si grand jour sur les diverses questions qu'elle embrasse, pour ceux qui en ont suivi les développements, soit dans les journaux, soit aux séances de MM. les députés, qu'il doit être inutile, pour ne pas dire fastidieux, d'en entendre de nou

veaux.

Cette observation, que vous avez sans doute tous faite avant moi, me défend d'être prolixe; et je le serai d'autant moins, Messieurs, que je regarde votre opinion comme déjà formée, et votre assentiment à la loi proposée comme indubitable. Je me bornerai donc à répondre à quelques objections que j'ai été à portée de recueillir, et à poser quelques principes qui vous paraîtront peut-être ne pas entièrement manquer de justesse.

Messieurs, l'utilité, la nécessité même d'une amnistie après de grands troubles a été unanimement admise. Il n'y a eu disparité d'opinions que sur la mesure à y donner, ou (ce qui revient au même) sur les exceptions à y faire. Ces exceptions doivent être peu nombreuses si l'on veut que l'amnistie soit utile.

Cependant, plusieurs très-bons esprits ne m'ont pas paru pénétrés d'une vérité qui me semble incontestable c'est qu'en fait d'amnistie, les plus complètes sont les meilleures. Il est aisé de le démontrer.

A la suite des discordes civiles, le parti vaincu, même après qu'il est désarmé, se tient encore longtemps sur la défensive. Il est sur ses gardes parce qu'il craint; il craint parce qu'il a offensé, et toute crainte place celui qui l'éprouve dans un état qu'on peut appeler l'hostilité. C'est quelquefois pour sortir de cette situation pénible que l'on conspire, que l'on complote sourdement, que l'on éclate enfin, et qu'on redevient redoutable après avoir cessé de l'être. Aussi, n'est-ce qu'après avoir reçu du gouvernement des gages de sûreté, c'est-à-dire de pardon, que ce parti peut cesser d'en être l'ennemi secret. Ce n'est qu'alors et seulement qu'alors qu'il peut se rapprocher sincèrement du parti vainqueur, et s'incorporer insensiblement avec lui.

Toute amnistie, Messieurs, doit donc avoir essentiellement pour but, non pas tant, comme on l'a si souvent dit, de calmer les passions, de désarmer les haines, de rapprocher les cœurs (toutes ces choses sont du domaine du temps, et sont amenées par lui à l'aide d'un bon gouvernement); non pas tant d'arrêter les vengeances (c'est à de bonnes lois administrées avec impartialité et vigueur que ce soin doit être confié), mais de faire qu'à l'instant même où cette loi est promulguée,

tous ceux qui jusque-là avaient plus ou moins concouru à troubler l'ordre public, cessent d'y trouver leur intérêt.

Il est donc évident que plus une amnistie est complète, plus elle doit ramener de cœurs au gouvernement; il est donc évident que toute amnistie, qui, au premier coup-d'oeil, ne paraît favoriser que les méchants, tourne cependant surtout à l'avantage des bons.

Mais, Messieurs (et il ne faut pas s'en étonner), l'avantage que les bons en retirent n'est pas d'abord aperçu par eux, ne l'est du moins pas par tous. Les maux que l'Etat, les maux qu'euxmêmes ont soufferts par les méchants sont encore trop présents, trop cuisants, pour que le pardon puisse sitôt trouver place dans leurs cœurs. Si c'était à eux qu'il appartint de prononcer des amnisties, elles seraient toujours tardives et toujours incomplètes. Et ceci, Messieurs, est une des raisons sans doute qui ont déterminé les publicistes de tous les pays à faire du droit d'amnistie une des plus belles prérogatives du souverain. Le souverain seul, Messieurs, est placé à une hauteur qui,si elle ne le rend pas impassible comme homme, lui donne cependant et l'habitude et la force de se dépouiller, pour ainsi dire, de luimême, et de ne chercher son intérêt propre que dans l'intérêt de tous. Ainsi, Messieurs, à Cambrai le 28 juin, à Paris le 24 juillet, à Paris encore en ce moment, c'est l'intérêt de tous qui a commandé au Roi ces promesses d'amnistie, ces exceptions d'amnistie, et enfin cette loi d'amnistie qu'il vous invite aujourd'hui à consentir avec lui, quoique une amnistie ne soit pas une loi, et quoique votre consentement n'y soit pas nécessaire.

Et, en effet, qu'est-ce qu'une amnistie? On entend d'ordinaire par amnistie un pardon général. Je crois que l'on se trompe, Messieurs. La grâce accordée à un criminel est un pardon; le Roi lui fait don, c'est-à-dire remise de la peine qu'il avait encourue; mais l'amnistie (à en juger du moins par l'étymologie grecque de ce mot) est une promesse, une assurance d'oubli. Amnistier, c'est déclarer que l'on ne se souviendra point; renoncer à se souvenir, c'est renoncer à poursuivre. Et comme c'est le Roi seul qui poursuit les crimes publics, par l'organe de ses procureurs généraux et de leurs substituts, lui seul évidemment a droit de leur interdire toute poursuite; lui seul, par conséquent, a droit d'accorder, étendre ou restreindre l'amnistie. Aussi, Messieurs, ce privilége inhérent à sa couronne ne m'a-t-il paru lui être formellement contesté par personne.

Cependant, Messieurs, j'ai quelquefois entendu demander pourquoi le projet de loi, dont nous nous occupons en ce moment avait été présenté aux Chambres, s'il était vrai qu'une simple ordonnance du Roi eût paru suffisante à ses ministres? La réponse me parait facile.

C'est que le projet de loi était complexe; c'est qu'il contenait trois dispositions, analogues par leur objet, mais diverses par leur nature. Je crois que toute difficulté aurait cessé, si les ministres eussent divisé leur projet et l'eussent présenté sous trois formes différentes; mais alors la mesure qu'ils avaient en vue n'aurait pas eu d'ensemble, et l'ensemble lui était nécessaire.

La première de ces dispositions, Messieurs, est une amnistie avec des exceptions. Il est certain, je regarde comme démontré, que l'amnistie ellemême et toutes les exceptions que Sa Majesté aurait voulu y apporter, auraient pu légalement être la matière d'une ordonnance du Roi, qui

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