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populaire, à proportion de leur résistance, il ne nous resterait plus qu'un misérable gouvernement fédératif, sans force au dehors, sans obéissance au dedans, et la proie de l'étranger ou de l'anarchie.

Eloignons donc toutes ces autorités administratives si opposées à notre constitution et à l'autorité royale, et dont l'établissement de ce conseil diocésain pourrait être un premier élément contre l'intention de la Chambre des députés.

Il est une autre disposition dans ce projet de loi qui nous a paru susceptible des plus graves observations: c'est celle qui dispose des anciens biens du clergé qui n'auraient été ni vendus ni régis par le domaine, et en ordonne la restitution.

L'article 3 suppose que ces restitutions seraient volontaires, et il le dit même expressément; mais l'article 4, en accordant la remise des fruits perçus aux détenteurs qui se soumettront volontairement dans l'année à ladite restitution, semble faire entendre que ces restitutions pourront être forcées, puisqu'il y a une faveur accordée à celles qui seront volontaires. Il est vrai que cette remise des fruits ne doit pas s'étendre au delà de la première année; mais comment concevoir qu'on prescrive des conditions à ce qui est volontaire, que l'on dise à celui qui est toujours libre de garder ou de rendre : Si vous rendez cette année, vous serez mieux traité que l'année prochaine. Cela est vrai, s'il y a une époque où il puisse être obligé de rendre; mais si, dans tous, les temps, il doit avoir la même liberté, on ne conçoit pas qu'il y en ait une plus favorable pour lui, et que, pouvant toujours faire la loi, on puisse lui en imposer une plus ou moins avantageuse.

Cependant, Messieurs, nous aimons mieux croire que nous n'avons pas bien saisi le véritable sens de ces articles, que de supposer que les inconvénients de ces restitutions auraient échappé à la Chambre des députés. Qu'on se figure, en effet, l'inquiétude des acquéreurs, si on allait rechercher tout ce qu'on pourrait supposer n'avoir pas été compris dans les ventes; si on allait discuter la contenance de chacune de ces propriétés, rechercher tous les contrats, reviser tous les actes je ne crains point de le dire, le clergé préférerait sa détresse à l'aisance achetée à ce prix. Nous n'ignorons pas que ce droit de recherches est acquis au domaine depuis longtemps. Mais le domaine et le clergé ne sont pas la même chose; celui-là peut user de toutes les rigueurs, et il en a même un viel usage; le clergé, au contraire, ne doit ni contester ni prétendre, parce que rien ne peut compenser la bienveillance publique, qui est son plus cher patrimoine. Il use de ses droits, mais il les veut clairs, positifs et convenables à tous, aucun débat ne pouvant jamais lui rendre ce qu'il pourrait lui ôter.

Peut-on même appeler des restitutions les biens dont parlent ces deux articles, et paraît-il sage de les nommer ainsi? N'est-ce pas supposer que le clergé possédait ses biens en commun? et personne n'ignore qu'il n'en était pas ainsi; chaque établissement avait sa fortune séparée et indépendante on ne pourrait donc restituer qu'en rendant à chacun ce qui lui a appartenu, et ce n'est pas là l'intention de la Chambre des députés; elle se propose la dotation des évêchés, des cures, des chapitres, des séminaires, et de tout ce qui compose le service divin. C'est sans doute l'emploi le plus respectable qu'on puisse faire de ces biens; mais alors ce n'est pas les resti

tuer, c'est les donner. Il est vrai cependant que tous les biens ecclésiastiques avaient un caractère religieux qu'ils ne perdent jamais, et que les autorités civiles et ecclésiastiques pouvaient les consacrer à une fondation plus utile; mais ces transports de propriété demandaient de grandes procédures, le consentement des parties était presque nécessaire, les jouissances des titulaires. étaient respectées; ici, au contraire, on suppose que le transport est de plein droit; la résolution dit que les biens non vendus du clergé doivent lui être restitués, sans respect pour les droits des titulaires ni pour l'autorité compétente. Il y a évidemment erreur dans le principe; car, sí la Chambre agit selon le droit ancien, elle fait ce qu'elle n'a pas droit de faire; si elle agit selon le droit nouveau, elle donne et ne restitue pas.

Mais est-il sage d'employer de telles expressions, et est-ce bien se conformer à l'esprit de l'Eglise? Faisons pour la religion et pour ses ministres tout ce qui est en notre puissance, mais respectons son ministère de paix, et ne l'employons pas à animer des discordes qu'elle voudrait calmer. Ne faudrait-il pas se demander dans toutes ses recherches: La religion en sera-t-elle plus chère au peuple? ses ministres seront-ils mieux écoutés? ses grâces plus recherchées ? Car enfin c'est là le principal et le seul objet. Nous ne craignons point de le dire, si ce mot de restitution inquiète ou tourmente, la religion le désavoue: elle ne veut ni servir des partis ni favo riser aucun intérêt étranger; faire du bien aux hommes en les portant à la vertu, et servir l'Etat en faisant des chrétiens, est son unique désir et son seul ministère.

Nous serait-il cependant permis d'exprimer un vœu en faveur de ce service si auguste et si saint? Nous louons le zèle qui fait rechercher tous les moyens de satisfaire à ses besoins; nous ressentons la blessure profonde qu'a faite à l'Etat la perte de cette autorité patriarcale qu'il exerçait sur les mœurs. Mais ne faudrait-il pas proportionner le remède à la grandeur du mal ? Que peuvent ces faibles secours pour relever nos autels, pour rendre à leurs ministres la dignité de leur caractère; il faut un établissement public, une volonté générale, pour assurer, dans tous les lieux, les grâces et les bienfaits qui doivent être communs à tous. La grandeur de la nation ne saurait y être trop employée: pourquoi les Chambres ne demanderaient-elle pas une loi qui annonçât et préparât cette heureuse révolution? Nous savons que les circonstances ne sont pas favorables; que l'Etat, accablé de tributs, est obligé de sacrifier ses premiers besoins à la rigueur des temps, et les plus généreux des hommes aux plus avides. Mais ce serait pour ces ministres, et pour la religion même, une grande consolation de prévoir le terme de ses souffrances. L'intervalle pourrait être employé à prendre connaissance des ressources des communes et des départements; car vous ne devez pas, Messieurs, vous le dissimuler, ce ministère ne doit pas être a la charge du trésor public; elle sera trop considérable pour être exposée sans dangers à ses détresses; c'est dans chaque commune qu'elle doit être imposée: si la pauvreté des habitants ne le permet pas, le département doit venir à leur secours; et si ce département lui-même ne peut en porter le poids, alors l'Etat doit en faire une charge publique, qui sera trop faible pour être jamais contestée : c'est ainsi que nous pouvons secourir la religion et assurer son ministère. Tous les autres moyens n'atteindront pas le but; peut-être même ne ser

viront-ils qu'à détourner l'attention du public, et à affaiblir son intérêt. Il croira le clergé dans l'aisance, parce qu'on lui aura offert bien des ressources imaginaires; il jugera de sa fortune par le nombre de nos lois, et peut-être par le bruit de nos débats. Heureux encore si un zèle inconsidéré ne le commet pas avec l'opinion publique, s'il ne lui enlève pas une partie de cette considération si nécessaire à son ministère, et si des hommes qui allégent toutes les charges de l'Etat en nous apprenant à les supporter, ne sont pas représentés comme indifférents à la chose publique, et sans pitié pour elle!

L'injustice serait grande, Messieurs; car qui de nous pourrait perdre le souvenir de cette générosité et de cet oubli de soi-même dont ils nous ont donné de si grands exemples? Tout se perd ou s'efface dans une révolution; mais l'histoire voudra consacrer la mémoire de ces hommes évangéliques qui, d'abord dépouillés sans se plaindre, et regardant tous ces dons de la fortune comme étrangers à leur ministère, demandèrent en vain de conserver la foi de leurs pères, et de rester fidèles et chrétiens. Arrachés par violence du sanctuaire, on vit les uns parcourir, comme les apôtres, cette terre désolée, pénétrer dans les lieux les plus redoutables, pour y porter les secours et le courage de la religion; sans abri, sans subsistance, sans espoir de salut, toujours en présence des supplices, et ne voyant que l'éternité; les autres, obligés d'errer dans des contrées étrangères, sans fortune, sans appui, n'emportant avec eux que leur Evangile, étonner les ennemis mêmes de leur foi par la simplicité de leur courage, et leur faire dire, comme au centurion de l'Ecriture: « Ces hommes sont vraiment des enfants de Dieu. » Rendus enfin à leur ministère, ils y ont paru comme des anges de paix, uniquement occupés de raffermir la foi ébranlée, et de montrer les vertus des chrétiens à une génération qui les avait ignorées. Qui de vous, Messieurs, n'a pas admiré ce zèle éclairé, cette constance, ce mépris des premières nécessités de la vie? Accablés d'âge et d'infirmités, leur travail s'accroît tous les jours, et la religion leur donne les forces que la nature leur refuse. Si la paroisse voisine perd son pasteur, ils y accourent; si leur secours est nécessaire dans une seconde, dans une troisième commune, ils y suffisent encore. Pour prix de tant de labeurs, ils vivent de privations et d'amertume, et cependant aucune plainte, aucun reproche n'échappe à leur misère. Lors même que la famille royale leur a été rendue, cette famille, après laquelle ils avaient tant soupiré, on ne les a point vus sortir de leur retraite ; ils étaient les plus malheureux, et ils n'ont fait entendre que leurs chants d'allégresse. La crainte d'occasionner une nouvelle charge à l'Etat a été leur seule inquiétude, et tout ce qu'ils ont su demander a été qu'on attendit des temps plus heureux pour s'occuper de leur dé tresse. Voilà, Messieurs, le témoignage que le rapporteur de votre commission a le droit et le bonheur de leur rendre. Pourquoi donc leur prêter aujourd'hui un langage si contraire à leurs sentiments? quelles sont ces plaintes et ces reproches que leur cœur désavoue, ou quelle est cette vaine éloquence qui ignore la dignité du sacerdoce, et celle d'une pauvreté honorable? Ils savent qu'ils ont eu des richesses, et ils se flattent d'en avoir fait un noble usage; mais cette fortune, ils la rejettent, depuis qu'elle ne peut plus être qu'une cause de discorde et de malheurs. Ils ne savent point prêcher la paix en allumant la guerre, ni porter le trouble dans les

familles au nom du Dieu de charité. Vingt fois l'Eglise s'est dépouillée pour les pauvres; aujourd'hui elle sacrifie à un intérêt plus cher, à la patrie accablée et déchirée; heureuse si elle pouvait à ce prix racheter tous ses maux !

Ces richesses d'ailleurs et ces grandes abbayes dont on nous parle n'ont pas fait la gloire de notre Eglise; elle a des titres plus recommandables, et dont elle ne prétend pas faire le sacrifice. Sa gloire est de nous avoir donné ses lois, sa police, ses vertus et ses mœurs; c'est d'avoir fondé tous nos colléges, tous nos hôpitaux, toutes nos maisons de charité, et de ne pas apercevoir dans toute la France un seul établissement de charité qui ne soit son ouvrage. Quel spectacle! une seule corporation suffit à tous les besoins de la société et veille à tous ses intérêts! Ici, elle bâtit des villes; plus loin, elle fonde des colléges; là elle construit des hôpitaux; elle abat les forêts; elle défriche les terres; elle rend les enfants trouvés à la vie et à la patrie; elle élève l'enfance de nos rois; elle conduit toutes les grandes affaires de l'Etat; elle réforme notre jurisprudence; elle crée la procédure; elle rend la justice dans les tribunaux; elle conserve les monuments de l'antiquité; elle occupe toutes les chaires, propage toutes les sciences, en recule toutes les bornes, remplit le monde littéraire d'ouvrages immortels, et cependant elle n'oublie point son premier ministère, celui du pauvre; elle se place à ses côtés; elle soulage sa misère; elle adoucit ses infirmités; elle appelle le riche à son aide; elle ne l'abandonne point quand le monde le réprouve; elle le suit dans les cachots; elle monte avec lui sur le lieu des supplices; elle adoucit ses tourments, et étonne les spectateurs par la grandeur de ce ministère qui peut s'élever au-dessus des justices humaines, qui a le droit d'absoudre ceux qu'elles condamnent, et d'ouvrir les cieux à ceux que la terre repousse. C'est ainsi qu'en se reproduisant dans tout ce qui était saint, utile et grand, cette illustre Eglise a fait germer dans la nation ses sentiments d'humanité, cette loyauté, cette politesse de mœurs, et ce goût pour les sciences et les arts qui l'ont rendue le peuple le plus poli, le plus brillant et le plus éclairé de la terre.

Tels sont les véritables titres qui doivent à jamais rendre recommandables nos maîtres dans la foi. Le reste ne fut qu'un accessoire que la faveur des hommes avait ajouté, et qui devait être inconstant comme elle.

Il est un intérêt bien plus grand qui les presse aujourd'hui, un intérêt qui se mêle à toutes nos destinées, l'ancre de salut qui peut seule nous rendre le calme que nous cherchons en vain; je veux parler de cette religion sainte qui a compté ses malheurs par nos désastres, qui est la vie du corps politique, le lien qui le réunit, l'esprit qui l'anime, et qui ne lui laisse que le choix de se conserver avec elle, ou de se dissoudre sans elle.

J'ose, Messieurs, vous prier de me continuer Votre attention.

Cicéron demandait aux Romains comment ils avaient pu mériter leur bonheur et leur puissance. Vous n'avez pas, leur disait-il, égalé la sagesse des Egyptiens, la bravoure des Gaulois, ni le génie des Grecs; mais vous les avez tous surpassés dans la piété envers les dieux; et les immortels ont voulu que le peuple le plus religieux de la terre en fût aussi le plus grand. Si telle était, Messieurs, l'estime des Romains pour leur religion, quelle importance devons-nous donner à la notre! Je ne parle point de cette supériorité d'origine et de vertu qui donne à la religion chré

tienne toute la prééminence de la vérité sur l'erreur; j'examine seulement l'importance de l'une et l'autre religion dans le corps politique, et j'avance que celle des anciens n'était qu'un complément de l'ordre social, tandis que la nôtre est l'ordre social lui-même; et vous en voyez déjà les conséquences.

Les Romains, ainsi que tous les peuples de l'antiquité, avaient des institutions sociales, c'està-dire une morale publique fondée sur ces premières lois, et qui les formaient aux devoirs sur lesquels la société repose; par elles ils étaient instruits au respect de l'autorité paternelle, à la fidélité conjugale, à la bonne foi dans les contrats, à l'amour de la patrie la religion n'était qu'un lien plus puissant qui fortifiait tous les autres; et de là son étymologie du mot religare, qui indique assez le double lien qu'on avait cru devoir ajouter à ceux des institutions mêmes. Nous, au contraire, nous n'avons jamais eu d'institutions sociales; nous n'avons apporté des forêts de la Germanie que des usages barbares et des lois atroces. Le droit de la force, le meurtre évalué à prix d'argent, la honte de l'obéissance, le mépris de l'autorité, étaient les seules mœurs domestiques et la seule morale de la nation. Nos lois, en se réformant, n'ont point perdu les traces de leur première origine: parcourez toute votre législation, vous n'y trouverez rien de ce qui peut former les hommes à la morale et à la vertu. Vos lois savent punir, égorger; elles ont leurs prisons, leurs gibets, leurs piloris et leurs galères; mais, si elles châtient le coupable, elles n'apprennent à personne à devenir homme de bien: elles se montrent quand le crime est commis, quand le scandale est arrivé, quand le désordre est irréparable; mais qui est-ce qui le prévient? qui est-ce qui corrige ces mauvais penchants de la nature ? qui est-ce qui soumet notre indépendance? Vous chercherez en vain. La religion seule s'est chargée de cet important ministère. C'est elle qui, nous trouvant sans institutions et sans morale publique, a entrepris de nous former aux devoirs que repoussaient nos mœurs. Que d'obstacles elle eut à vaincre ! Nous jouissons depuis longtemps de ses bienfaits, et nous croyons peut-être les avoir reçus de la nature. Mais que d'efforts il a fallu tenter pour soumettre ces cœurs indomptables! Le plus grand philosophe de l'antiquité avait prononcé qu'aucune nation ne pouvait subsister sans l'esclavage; la religion chrétienne a paru, et elle a banni la servitude. Les anciens ne connaissaient que ces guerres atroces qui enlevaient aux vaincus leurs terres, leurs familles et leur liberté; la religion a paru, et un nouveau droit de la guerre est descendu des cieux; la générosité et l'honneur ont prescrit des lois au vainqueur et ont mis un terme à la victoire. Nos pères vivaient dans des discordes continuelles; ils ne voulaient que le droit des armes; la guerre était leur loi, leur tribunal et leur juge. La religion chrétienne a paru, portant avec elle cette trève de Dieu, le plus riche présent qu'elle ait pu faire aux nations. Le peuple vivait sans appuis, sans défenseurs, étranger à la société, et toujours la proie de ces guerriers qui se faisaient un jeu de sa fortune et de sa vie; la religion chrétienne a paru, et cette illustre chevalerie, la fille la plus chérie de l'honneur et de la gloire, s'est armée pour la défense de la veuve et de l'orphelin. Parcourez tous les bienfaits de la société, et vous ne verrez que les combats et le triomphe de la religion : mais que d'obstacles il a fallu vaincre! Vingt fois elle eût échoué dans cette noble entreprise, sans

la persévérance toute divine que son Auteur lui inspirait; il a fallu une religion qui apprît aux rois mêmes à s'humilier devant les premiers nés de l'Evangile; qui plaçât dans les plus petits lieux un ministre des autels, chargé de prendre leur cause, d'apprendre au riche qu'il n'est que dépositaire, et que le plaisir de donner était son seul privilége. Il a fallu l'établissement de ces maisons religieuses qui, placées à de petites distances, montraient dans tous les lieux le travail des mains, c'est-à-dire les œuvres serviles honorées, qui appelaient tous les crimes au repentir, et dont les exercices, les privations, la solitude même, annonçaient à l'orgueil ce tribunal suprême, le plus puissant et peut-être le seul recours de la faiblesse et du malheur. Il a fallu surtout ces pratiques et ces abstinences religieuses, si indifférentes au peuple dans sa misère, mais si poignantes pour l'orgueil et la fortune du riche. Il a fallu le traduire à toute heure dans nos églises, pour s'humilier avec le commun des fidèles, pour entendre le même Evangile, pour apprendre comme eux qu'il n'était que poussière. Voilà, Messieurs, tout ce que cette religion a dû faire pour détruire cette servitude jugée indispensable par tous les sages de l'antiquité; voilà par quels efforts la civilisation des peuples modernes a été si supérieure à celle des anciens. Nous les avons surpassés de toute la grandeur du chritianisme sur leurs institutions.

Mais s'il est vrai que notre civilisation appartienne à la religion, si nous ne sommes instruits à la morale que par elle, si elle seule forme nos mœurs, nous impose ses devoirs, et nous rend sociables, ne devons-nous pas reconnaître qu'elle est non-seulement une partie de l'ordre social, mais l'ordre social lui-même ? La société, en effet, n'existe que dans cette morale publique également reconnue et pratiquée. Un ramas d'hommes épars ou réunis ne forme pas un peuple; il ne peut le devenir que par les liens qui l'unissent, c'est-à-dire par les devoirs mutuels qu'il s'impose. C'est dans ces devoirs seuls qu'existe le corps politique; et si ce lien vient à se dissoudre, les hommes restent, mais la société est détruite. Chez les anciens, c'étaient les institutions qui formaient ces liens, qui donnaient cette morale publique, et fondaient ainsi la société. Mais chez un peuple qui n'a d'autre morale que sa religion, qui ne connaît ses devoirs et ne les pratique que par elle, qui par conséquent n'est sociable que par son secours, cette religion n'est-elle pas la société

même ?

Les conséquences de ces principes sont faciles, mais pénibles à déduire s'il est vrai que la religion et la société ne sont parmi nous qu'une seule et même chose, faut-il s'étonner que la société partage les malheurs et les dangers de la religion? Nos pères ont vu des jours plus malheureux que les nôtres; nos désastres n'ont pas égalé ceux de la Ligue, ni ceux du règne de Charles VI, et cependant un bon Roi suffit pour terminer leurs misères : le ciel ne nous a pas moins favorisés, et le repos fuit devant nous. Mais nos pères avaient ce que nous avons perdu la crise était dans le gouvernement, mais la société restait intacte; et qu'est-ce que le gouvernement auprès de la société ? Une loi de famille, un principe de morale, un seul devoir domestique, importent plus à l'ordre public que toutes les formes de gouvernement. Cependant nous nous épuisons en recherches politiques; nous imaginons des combinaisons nouvelles; nous nous flattons qu'un siècle si éclairé trouvera enfin celle qui

nous convient. Mais, quelle que soit la forme de gouvernement, elle suppose toujours quelque chose à gouverner; et je demande où est cette chose essentielle, où est ce peuple qui doit obéir aux lois. Nous cherchons, Messieurs, la solution d'un problème insoluble; nous demandons les moyens de gouverner des hommes qui soient indépendants dans toutes les habitudes de leur vie, et qui se trouvent soumis et dépendants dès que la société aura besoin de leur soumission et de leur dépendance: aucun législateur n'a fait une telle entreprise; ils ont donné aux hommes des devoirs domestiques avant de leur en imposer envers la société, c'est-à-dire qu'ils les ont rendus gouvernables avant de les gouverner.

Je ne me permets pas, Messieurs, de prolonger ces tristes réflexions, qui sont peut-être déjà in- discrètes. Je dirai seulement que, lorsque nous observons les autres peuples, nous jugeons de leur sagesse par leurs mœurs, et que nous ne devons pas juger autrement de la nôtre. Les devoirs de la religion peuvent nous paraître pénibles; mais la fortune de l'Etat est à ce prix point de mœurs sans religion, et point de peuples sans mœurs. Revenons donc à ce premier régulateur, à cette religion sainte qui nous a tout appris, depuis les premiers principes de la morale jusqu'à cette délicatesse de sentiment dont le monde s'est emparé sous le nom d'honneur, mais qui n'est qu'une portion de la morale évangélique, et le dédommagement de ceux qui ne sauraient la pratiquer toute.

Elle vous demande dans ce moment de soulager la détresse de ses ministres. La Chambre des députés vous offre un moyen honorable de les secourir; nous avons cru devoir vous proposer de l'adopter. Nous nous sommes renfermés dans la faculté qui nous a paru être le principe essentiel de cette résolution, les autres dispositions semblant être réglementaires, ou faire partie des droits de la couronne, peut-être même leur être contraires. Nous avons pensé d'ailleurs que le droit de propriété accordé aux établissements ecclésiastiques demandait un règlement bien plus étendu, et même une législation nouvelle; il faudra déterminer la forme des acceptations; prescrire des règles pour l'administration des biens; régler l'autorité qui en déterminera l'emploi; assurer l'intervention du ministère public; distinguer les droits de l'usufruit de ceux de la propriété même; leur donner des défenseurs; pourvoir à l'acquittement des charges des fondations. Un travail si étendu ne peut être ordonné que par le Roi; la résolution de la Chambre des députés n'en contient que la plus petite partie. Nous avons donc cru nous conformer à ses intentions et aux vôtres en vous proposant de vous borner, par forme d'amendement ou de modification, à l'article suivant :

<< Tout établissement ecclésiastique reconnu « par la loi pourra accepter et posséder, avec l'au«torisation du Roi, tous les biens meubles et im<< meubles qui pourront lui être donnés par actes entre-vifs, ou par actes de dernière volonté. » On demande l'impression du rapport qui vient d'être entendu. Cette impression est ordonnée.

M. le Président observe que lors de la discussion qui a précédé la nomination de la commission spéciale, la liste des membres inscrits pour parler sur la résolution n'a point été épuisée. Aux noms qui restaient sur ces listes, plusieurs membres ont ajouté les leurs. Pour prévenir entre eux toute difficulté sur l'ordre de la parole, l'Assemblée jugera sans doute qu'il convient de

regarder comme nulle toute inscription antérieure au rapport, et de former une nouvelle liste.

M. le Président invite en conséquence ceux de MM. les pairs qui désirent parler sur la résolution à s'inscrire de suite au bureau.

Divers opinants s'inscrivent. La nouvelle liste qui résulte de cette inscription est lue par un de MM. les secrétaires, et la discussion ajournée jusqu'après la distribution du rapport.

L'ordre du jour appelait en seconde ligne la discussion du projet de résolution présenté dans la dernière séance, par la commissiom spéciale chargée d'examiner les questions auxquelles peut donner lieu la formation de la Chambre des pairs en cour de justice.

Un membre de la commission obtient la parole pour soumettre à l'Assemblée quelques observations préliminaires à la discussion qui va s'ouvrir. Il a émis dans le sein de cette commission, non sur le fond, mais sur la forme de son projet, une opinion qu'elle n'a point partagée. Il s'agissait de savoir s'il convenait de faire des articles projetés la matière d'une résolution législative, ou seulement celle d'un règlement ou d'une ordonnance à rendre par Sa Majesté. L'opinant a pensé que la forme de règlement ou d'ordonnance était la plus convenable, et il croit devoir à l'Assemblée les motifs de son opinion. Le premier est tiré du soin religieux avec lequel la Chambre des pairs doit veiller à la conservation de ses priviléges, dans lesquels réside l'essence de la pairie, et qu'elle ne doit pas risquer de compromettre en les soumettant inutilement à la discussion d'une Chambre qui ne les partage pas. Un second motif résulte de l'état précaire où se trouverait la Chambre pendant cette discussion, dont elle n'aurait aucun moyen d'avancer le terme. Quelles seraient, en attendant la loi projetée, les limites de sa compétence? quelles seraient ses formes de procéder? Où trouver, d'ailleurs, dans les articles présentés par la commission, le caractère d'une proposition législative? La loi ne statue que pour l'avenir, et il s'agit de déclarer ce qu'est en ce moment, ce qu'a été, dès la promulgation de la Charte, la juridiction de la Chambre des pairs car ce n'est pas de la loi qui serait portée, c'est de la Charte même qu'elle tient son existence et toutes ses attributions. Elle est tout entière dans cet acte, et le monarque auguste à qui nous en devons le bienfait, mieux senti depuis nos derniers malheurs, peut seul déclarer quelle a été sa volonté. Il est donc aussi inconvenant qu'inutile de recourir aux formes législatives.

Cette opinion est combattue par un autre membre de la commission, qui ne peut apercevoir aucun sujet d'inquiétude pour la Chambre des pairs dans la discussion à laquelle serait soumis dans la Chambre des députés le projet de résolution présenté par la commission spéciale. Les priviléges de la pairie n'ont aucun intérêt dans cette discussion. Ils existent en vertu de la Charte, et seront respectés par la Chambre des députés, qui tient d'elle son existence comme la Chambre des pairs. L'opinant est également rassuré sur l'état précaire où l'on suppose la Chambre durant la discussion. Comme elle n'attend pas ses pouvoirs de la loi à intervenir, elle pourrait les exercer sans elle, si quelque circonstance en nécessitait l'usage. Rien n'oblige donc la Chambre à circonscrire sa proposition dans les formes réglementaires. De puissantes considérations réclament, au contraire, et réclament impérieusement les formes législatives. A quel autre titre, en effet, pourraient être présentées les dispositions com

prises dans le titre Ier sur la compétence, et dans le titre III sur l'application des peines? Quelle autre sanction que celle de la loi pourrait suffire à la définition des crimes et à la désignation des personnes que contient l'article 3 du projet de résolution? Quelle autre autorité soumettrait régulièrement à la Chambre des pairs le prévenu non justiciable de cette Chambre, qui se trouve compris dans une accusation commune avec le prévenu qui en est justiciable? Aussi la Charte ordonne-t-elle, dans l'article 33, que les crimes dont cet article attribue la connaissance à la Chambre des pairs, seront définis par la loi. L'article 56 ordonne pareillement que des lois particulières spécifieront la nature et détermineront la poursuite des délits pour lesquels, en vertu de l'artice 55, les ministres peuvent être accusés. Enfin, d'après l'article 59, il ne peut rien être changé aux cours et tribunaux existants, qu'en vertu d'une loi. Comment,au mépris de dispositions aussi précises, prétendrait-on déterminer par un simple réglement la compétence et l'organisation judiciaire de la Chambre des pairs? Que dans une première affaire, lorsque rien encore n'était réglé, n'était défini, une ordonnance du Roi ait déterminé provisoirement la forme qui serait suivie, ce fut une marche aussi juste que nécessaire; mais lorsqu'il s'agit d'établir un ordre permanent, une règle définitive, la Charte seule doit être consultée, et c'est une loi d'organisation qu'elle exige.

Un troisième opinant distingue dans le projet de résolution deux parties qu'il propose de séparer. L'une, essentiellement législative, se compose de tout ce qui regarde la définition des crimes et l'application des peines. C'est à cette partie que se rapportent tous les textes de la Charte cités par les préopinants et qui établissent la nécessité d'une loi d'organisation. L'autre partie, relative aux formes à suivre dans la procédure et le jugement, est purement réglementaire, et l'opinant partage l'avis énoncé par un membre sur l'inconvénient qu'il y aurait à soumettre cette partie du projet à la discussion de la Chambre des députés. Il pense qu'il vaut mieux en faire l'objet d'un règlement qui serait soumis à l'approbation du Roi, et propose en conséquence de renvoyer le tout à la commission, suivant la direction primitive qu'elle avait reçue, d'opérer la séparation indiquée, et de présenter à la fois un projet de résolution et un projet de règlement.

M. le Président observe que, sous le prétexte d'une discussion préliminaire, on entame réellement la discussion du projet. Il propose à la Chambre d'entendre les opinants dans l'ordre de leur inscription.

Un membre pense qu'avant de suivre cet ordre, il faudrait décider la question qui vient d'être élevée. Si, en effet, la distinction est admise, ou si, pour l'opérer, on devait renvoyer à la commission le projet qu'elle présente, la discussion de ce projet ne serait-elle pas prématurée?

Le Rapporteur de la commission observe que ce qui serait prématuré, ce serait de juger sans examen, que tels ou tels articles du projet sont législatifs ou règlementaires. La distinction proposée ne peut être le fruit que d'une réflexion attentive où d'un examen approfondi. La commission y a mis tous ses soins; elle espère que la Chambre, avant de condamner son travail, en daignera prendre connaissance.

Un autre membre de la commission ajoute que tous les articles compris dans le projet ont été soigneusement discutés. Ils faisaient partie d'un grand nombre soumis à la commission par di

vers membres; le reste a été ajourné pour servir de matière à un règlement que la commission se réserve de présenter. Elle n'a compris dans le projet actuel que ce qui a paru essentiellement législatif. Sans doute, la Chambre, peut considérer comme réglementaires quelques-uns des articles sur lesquels la commission a été d'une opinion différente. Mais avant de faire un choix à cet égard, elle voudra s'éclairer par la discussion de l'ensemble du projet.

La Chambre, consultée, décide que la discussion générale sera ouverte.

M. le comte de Lally-Tollendai. Messieurs, ce n'est pas sans une grande hésitation, qu'en rendant le plus juste hommage au rapport que vous avez entendu, et en adhérant au travail presque entier de la commission à laquelle vous m'avez fait l'honneur de m'associer, j'ose vous soumettre sur deux articles entre les vingt-six qu'elle vous a présentés une opinion différente de la sienne.

Mais ces deux articles sont d'une telle nature qu'ils ne me permettent pas de sacrifier ma conviction intime, même à mon respect pour les lumières et les intentions de ceux qu'en toute autre matière je me serais honoré de prendre pour guides.

Avant d'entrer dans ma discussion, qui portera toute entière sur des points positifs, soit de la loi pénale à établir, soit de la procédure criminelle à fixer, j'ai à vous présenter deux observations; j'ai à poser deux principes généraux, dont l'importance est extrême, et que je vous supplierai de ne jamais perdre de vue pendant toute la durée de ce débat.

La première de ces observations, c'est que l'opposition qu'on s'est mis à établir, dans ces temps de colère, entre l'intérêt de la société et l'intérêt d'un accusé, est une pétition de principes, qui ne peut pas soutenir l'examen de la raison la plus commune et du respect le moins superstitieux pour les droits de l'humanité. Ce que l'intérêt de la société peut réclamer de plus privilégié, ou justifier de plus rigoureux, c'est qu'un individu, qui ne lui est encore dénoncé comme dangereux pour elle que par de simples probabilités, soit mis hors d'état de lui nuire en étant privé de sa liberté. Une fois que le prévenu est dans les liens et sous le poids d'une accusation capitale,c'est vers lui et pour lui que se reporte aussitôt l'instinct de l'humanité, parce que c'est lui seul alors qui court des dangers, tandis que la société est dégagée de ses craintes. Il y a plus l'intérêt de l'accusé innocent s'identifie complétement avec l'intérêt de la société, loin de lui être opposé; car, ainsi que l'a dit, dans son bel ouvrage sur les lois pénales, M. le comte Pastoret, rien ne peut étremis en balance avec l'assassinat légal d'un innocent (t. I, p. 6.). Enfin, il n'y a pas jusqu'à l'intérêt de l'accusé coupable qui n'ait encore des points de contact et d'union avec l'intérêt de la société; car la société entière a besoin pour sa sécurité, qu'un de ses membres, quel qu'il soit, ne puisse être accusé, sans avoir à sa disposition tous les moyens d'une défense naturelle et légale. De condamner légèrement un coupable à condamner légèrement un innocent le trajet est plus court qu'on ne pense: l'humanité a ses axiomes comme la géométrie, a dit encore M. Pastoret (ibid. p. 14); et le premier, et celui peut-être d'où découlent tous les autres, c'est que la condamnation d'un innocent est un plus grand malheur que solution de plusieurs coupables (1).

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(1) Le grand Frédéric jugeait les choses en homme

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