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Le second principe, Messieurs, à poser préliminairement à ma discussion, c'est qu'en délibérant sur ce qui va en être l'objet, nous devons écarter jusqu'au souvenir des circonstances extraordinaires qui nous environnent encore. Grâce à la protection du ciel, aux vertus de notre souverain, et au zèle de tous les bons Français, ces circonstances perdent chaque jour de leur sombre gravité, et se rapprochent, plus promptement qu'on eût osé l'espérer, de l'état naturel et paisible du corps social: mais n'eussent-elles pas éprouvé une si heureuse et si rapide amélioration, placées hors de l'ordre commun, elles n'auraient encore aucune analogie avec le travail qui nous occupe dans cette séance. Nous avons pourvu aux dangers extraordinaires par trois lois aussi extraordinaires qu'eux; par des lois telles que le gouvernement, dans sa sage retenue, n'a cru devoir les proposer, et que la Chambre, dans son zèle éclairé, n'a cru pouvoir les consentir que temporairement, et pour une période strictement déterminée. A leur expiration un compte spécial sera rendu, qui deviendra l'objet d'une spéciale délibération. Toutes les fois que le salut de l'Etat sollicitera, pour les mains qui le gouvernent, un surcroît de force inusité, nous ne manquerons pas au salut de l'Etat. Tout ce qui devra se faire se fera, comme tout ce qui pouvait se faire s'est fait : mais, encore une fois, la loi dont nous débattons le projet dans cet instant, reste absolument étrangère à toutes ces considérations fugitives du moment. C'est une loi pour les temps ordinaires, pour les temps d'ordre, de justice et de paix, pour tout le temps enfin que durera la Chambre des pairs de France, pour tous les procès où vous serez, où vos enfants et vos descendants seront juges ou jugés. Arrivons donc à ce travail, libres du joug d'une nécessité terrible et d'une sévérité insolite. Entrons-y accompagnés seulement de l'éternelle justice et de l'inviolable humanité. Soyons avertis par la différence des jugements que porte aujourd'hui la postérité sur les différents collaborateurs de l'ordonnance criminelle de 1670. Demandons-nous pourquoi ces sentiments de respect et d'amour attachés au nom de Lamoignon? Pourquoi ce repoussement et cette irritation qu'excite le nom de Pussort? Demandonsnous s'il n'est pas temps de travailler de toutes les manières à rendre au peuple français ce caractère d'humanité qui lui avait toujours appartenu. Songeons à l'influence des codes sur les mœurs, des formes sur les jugements, des peines mêmes sur la multiplication ou la diminution des crimes; et rappelons-nous qu'avant ces lois impériales de Constantin, dont la lecture fait dresser les cheveux, le peuple romain, dans ses beaux jours, s'écriait avec transport : « Qu'il nous soit permis de nous glorifier, entre tous les peuples « de la terre, de ce qu'aucun d'eux n'a voulu des « lois plus douces que les nôtres ! » Gloriari liceat nulli unquam populo mitiores placuisse leges!

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Tel n'est pas assurément le caractère qui peut se reconnaître dans ce code criminel, soit d'instruction, soit de pénalité, qui régit encore tous les jugements en France, et qu'il faut bien encore appeler du nom qui s'y trouve à chaque page, Code Bonaparte. Non que je prétende en attaquer toutes les parties indistinctement; il faut bien que plusieurs soient irréprochables, puisque l'ensemble dure encore. Les tyrans de

d'Etat plus qu'en homme sensible. Avec quelle énergie il écrivait, en 1778, que les iniquités judiciaires étaient, de tous les fléaux, le plus antisocial!

toute espèce, usurpateurs ou autres, veulent euxmêmes de bonnes lois civiles, ponr régir en paix et en harmonie le troupeau de leurs esclaves. II leur convient d'être justes partout où les manies de leur despotisme, les terreurs de leur conscience, ou les convoitises de leur cupidité ne les emportent pas à mettre la violence à la place du droit. Mais je ne suis pas surpris que la naissance de ce code criminel ait été flétrie par tant de boules noires, à la face même de son redoutable auteur; je ne suis pas surpris que la France en attende impatiemment la révision, quand j'y vois d'un côté ces règlements de juges destinés à faire disparaître la justice, en dépouillant le pouvoir judiciaire de ses clients, pour les livrer à la merci du despotisme administratif; de l'autre, ces cours spéciales établies en institutions permanentes, dérogation continuelle et offense de tous les moments au droit naturel et à la loi commune; ailleurs, le jury mutilé, restreint, écarté dans les occasions où sa conservation importait le plus ; et n'a-t-il pas été, ce jury sacré, n'a-t-il pas été violé jusque dans son sanctuaire? N'a-t-on pas vu ce scandale monstrueux d'une absolution de plusieurs accusés, annulée et cassée, après avoir été prononcée par un jury? Enfin, Messieurs, dans le titre du Code pénal, qui intéresse le plus directement la question actuelle, comment supporter ces peines de mort, de reclusion, de bannissement, prodiguées sans discernement comme sans pitié; la gradation des délits et celle des punitions entièrement méconnues; et cette soif du pillage qui était partout à côté de celle des supplices; et cette puérilité de terreurs, qui, cherchant toujours un cas à prévoir, jetait, dans des hypothèses bizarres et à peine intelligibles, un germe des plus criantes injustices?

C'est de l'examen approfondi de ces caractères, Messieurs, qu'est née la première objection qué j'ose vous soumettre sur la rédaction du troisième article qui vous a été présenté, au nom de la commissson, dans son projet de loi.

Cet article, dans son état actuel, est ainsi conçu :

«Les crimes de la compétence de la Chambre des pairs auxquels se rapporte l'article 33 de « la Charte, sont ceux mentionnés au Code pénal « DEPUIS L'ARTICLE 75 JUSQU'A L'ARTICLE 104 IN

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Mais si ce nom est donné çà et là à des actions qui ne le méritent pas! Si, en abusant de tel article tout entier, ou de telle partie de tel article, on peut appliquer cette qualification de crimes à des actions non-seulement innocentes, mais peut-être méritoires! Si, parmi ces articles législatifs, il y en avait de ceux que le plus grand et le plus vertueux homme d'Etat de l'antiquité déclarait ne pouvoir devenir loi par aucune espèce d'autorité : Neque autoritate senatus, neque in populo lex etiam si populus consenserit!

Assurément je n'ai aucune objection à faire à la pleine et entière exécution des articles 86, 87, 88, 89; je la provoquerais par sentiment comme par devoir. Mais certes je n'en dirai pas autant de l'article 91; car, pour punir de mort un complot sans attentat, c'est-à-dire un projet sans exécution,

une pensée sans action, il faut que cette pensée ait menacé directement et volontairement la tête sacrée du souverain, ou celle de l'héritier présomptif de la couronne. Encore fallait-il, en prenant dans les lois anglaises l'exemple de cette sage mais extrème sévérité, exiger, comme elles, que la conception du projet se fut manifestée par des actes extérieurs, qu'attestassent des témoins irréprochables (1). Mais l'allégation d'un complot conçu et non exécuté, dont le genre de preuve n'est point indiqué, dont le but ou l'effet, éventuel ou conjectural, aurait été ou aurait pu être la dévastation d'une commune, l'excitation à la guerre, etc, une telle allégation, si indéfinie et susceptible de tant d'équivoques, loin de m'offrir l'essence d'un crime de lèse-majesté au premier chef, punissable de mort, quoique n'ayant été ni commis ni entrepris, ne me donne pas même l'idée d'un corps de délit que la loi puisse saisir. Les articles 95, 96, 76 sont à l'abri des objections, même l'article 77, si, sur ses onze lignes, on retranche ses cinq derniers mots.

Mais quand je passe à l'article 78, et quand je le vois punir du bannissement une correspondance qui, sans avoir des crimes pour objet, aurait eu pour résultat (pour résultat!) une instruction (même involontaire), nuisible à la situation mililaire ou politique de la France ou de ses alliés (cela est-il assez vague?), je dis qu'à la vue d'une telle loi, d'un tel délit, d'une telle définition, et d'une telle peine, il me sera impossible à jamais d'être l'exécuteur de tous les articles, sans en omettre un seul, depuis l'article 75, jusqu'à l'article 104 inclusivement du Code Bonaparte.

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Ce qu'il y a de bizarre dans cette série, c'est qu'en la parcourant de suite, et en cherchant les motifs de tous ces articles, l'homme le moins clairvoyant ne peut s'empêcher de se dire à lui-même : « Voilà un article qui était dirigé contre le Roi « légitime et contre les fidèles serviteurs armés « pour sa cause. Celui-ci est évidemment contre « les Vendéens, celui-là contre les malheureuses « victimes de la spoliation universelle. En voilà « un pour renforcer toutes les iniquités et aggraver toutes les tortures de la conscription. En voici un autre pour favoriser les guerres sans fin, les conquêtes sans bornes, et la monarchie a universelle. En voilà deux qu'on ne comprend guère, à moins qu'ils ne soient destinés dé

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savouer des agressions qui n'auront pas réussi, à renier des ordres qu'on n'aura donnés que « verbalement, à rendre de malheureux serviteurs victimes de leur docilité, d'imprudents alliés dupes de leur crédulité! »

Portons l'examen plus loin on ne peut pas outrer aujourd'hui la précision en matière de lois et de procédures criminelles. Cet article 75 lui-même, le premier dans la série, qui, dans son apparente simplicité, n'éveille aucun doute quand on le lit en courant, n'est-il pas, dès qu'on veut l'approfondir, sujet au reproche d'être incomplet, et par celà même au danger de recevoir une application souverainement injuste? Tout Français qui aura porté les armes contre la France sera puni de mort. Fixez bien l'absolu et la raideur de cet énoncé, le vague des époques, l'omission de toute particularité caractéristique, et

(4) Ce qui fait que, dans la réalité définitive, la loi anglaise punit toujours autre chose que la pensée, et que, dans l'expression comminatoire, elle exalte l'horreur qu'on doit avoir pour un tel parricide, en prononçant qu'on est coupable de mort, pour avoir eu la seule densée de le commettre.

dites si le premier objet qui en sort pour venir frapper votre imagination n'est pas la main de l'usurpateur brandissant sa hache sur toutes les têtes fidèles au Roi légitime, à quelque époque et dans quelque circonstance que ce soit. La loi ne dit pas Tout Français pris les armes contre la France; ce serait du moins le flagrant délit. Elle ne dit pas qui aura, traîtreusement et en rébellion, porté les armes contre la France; par là serait ca ractérisée la question intentionnelle qui fait le délit. Que dit donc la loi? Elle dit, Messieurs, ce qu'on avait cru suffisant de dire pour aller, en pleine paix, chez une puissance amie, et au sein d'une tranquille hospitalité, enlever un Français dernier rejeton d'une race de héros; pour revenir en poste le jeter dans un donjon, l'interroger dans un cachot, le tuer dans un fossé, et le lendemain appeler cet assasinat nocturne un jugement rendu au grand jour contre un Français ayant porté les armes contre la France.

Mais, sans recourir même à des circonstances si lamentables, parmi ceux qui se sont appliqués quelquefois à réfléchir sur ce que doit être, dans un code pénal, la définition d'un délit, qui ne sent ce qu'il y a nécessairement d'additions à faire à cet article 75 pour mettre hors de doute la culbabilité du Français qui aura porté les armes ou contre la France ou contre une armée française, ce qui est fort différent? Qui ne sent combien il y a d'exceptions qui peuvent faire disparaitre cette culpabilité?

Si ce Français est naturalisé en pays étranger? Si la France ou les oppresseurs de la France ont jeté ce Français hors de son pays, de sa famille, de ses foyers? Si un autre pays l'a adopté ? Si une autre famille l'a reçu dans son sein? Si un autre souverain l'a enrôlé sous ses drapeaux?

Si mille circonstances imprévues, si cet esprit chevaleresque qui, dans un long repos de la terre natale, fait chercher au loin des hasards, des dangers, et de la gloire; si les services d'une famille nombreuse partagés entre des souverains amis qui deviennent ennemis, si les devoirs de la reconnaissance, venant après les jeux de la politique ont placé des Français dans deux armées régulières, que leurs maitres envoient combattre l'une l'autre?

Le digne émule de Turenne, le maréchal de Berwick, est naturalisé Français, ses enfants sont nés Français. Louis XIV le choisit pour être, avec Vendôme et Noailles, un des fondateurs du nouveau trone qui s'élève en Espagne pour les Bourbons. Berwik remporte la victoire décisive. Berwick est comblé par la reconnaissance du prince français devenu monarque espagnol. Il partage sa famille entre les deux souverains et les deux pays qu'il a servis. Son fils aîné sera le grand d'Espagne, son second fils le pair de France. En 1719, la guerre se déclare entre le roi de France et le roi d'Espagne, oncle et neveu. Le maréchal de Berwick commande l'armée française; son fils, le duc de Léira, commande l'armée espagnole. Le père écrit au fils: Faites votre devoir comme je ferai le mien Supposons le duc de Léira vaincu, fait prisonnier; dira-t-on avec le laconisme du Code Bonaparte C'est un Français qui a porté les armes contre la France? Et le malheureux père sera-t-il obligé d'envoyer comme Brutus son fils à la mort (1).

(1) Où s'élèvera-t-il un tribunal pour frapper le fils et le père? Le fils, pour avoir porté les armes, et le père, pour avoir écrit une lettre excilant son fils à s'armer contre la France?

Que conclure de tout cela, Messieurs? La première conséquence que j'en avais tirée, c'est que nous aurions peut-être dû recevoir de vous l'ordre de définir nous-mêmes l'espèce de crimes et de délits qui seraient de votre compétence. S'il est un objet de poursuites judiciaires qui nécessite dans les définitions ce que les langues humaines peuvent exprimer de plus positif et de plus précis, ce sont sans doute ces crimes de lèsemajesté, ces accusations de haute trahison, où, passé le premier attentat, passé l'exécrable parricide, qui présente la certitude au même degré qu'il inspire l'horreur, tout peut devenir si équiVoque, si arbitraire, et fournir de tels instruments à toutes les tyrannies possibles, non-seulement à la tyrannie des gouvernements, mais à la tyrannie des factions, des partis, des corporations, à la tyrannie populaire, de toutes la plus redoutable. Personne n'ignore ce qu'a dit Montesquieu sur l'abus de ces accusations en France. Tout le monde sait qu'en Angleterre les légistes de Richard II ayant abondé en tout genre d'industrie pour donner une extension toujours plus forcée au fameux statut d'Edouard III, qui cependant avait fixé avec tant de précision les crimes de baute trahison, le parlement porta cette nouvelle loi, conçue en termes d'autant plus énergiques qu'ils étaient plus simples: Attendu que personne ne sait comment il doit se conduire, agir, ou parler dans le doute du crime de haute trahison, il est expressément ordonné qu'a l'avenir les juges aient à se conformer absolument au statut d'Edouard III.

Je ne demanderais pas aujourd'hui de nouvelles définitions, si une loi aussi précise ordonnait en France qu'à l'avenir les juges, dans tous les procès de haute trahison, eussent à se conformer absolument aux ordonnances des rois. Les ordonnances des rois n'ont jamais parlé ce langage barbare en tout sens, inventé par la tyrannie des ministres et la jurisprudence des commissions. Les ordonnances des rois respiraient la justice, la simplicité, la clarté. Elles définissaient nettement les crimes de lèse-majesté trois au premier chef, six au second. Tous avaient été prévus, et la peine en était portée dans une longue suite d'ordonnances, édits et déclarations, depuis Louis XI en 1477, et Charles VIII en 1487, jusqu'à Henri IV en 1595, 1598, 1609, et Lous Xill en 1610, 1615

et 1629.

Ne pouvions-nous donc pas retirer ces lois du milieu des ruines des institutions anciennes, apporter à quelques-unes les modifications que le temps peut avoir rendues nécessaires, prendre dans le Code même aujourd'hui existant toutes les dispositions qui peuvent entrer, sans le compromettre, dans le projet de loi nouvelle que nous sommes chargés de méditer, et de tous ces matériaux composer pour nous une loi tellement entière, que nous ne fussions plus obligés de recourir qu'à elle seule pour y trouver notre unique et invariable règle, dans tout procès dont l'ínstruction et le jugement nous seraient dévolus? Mais peut-il exister en France deux codes différents de haute trahison, un pour la Chambre des pairs, et l'autre pour les tribunaux ordinaires? Ce qui est un crime et délit pour ceux-ci peut-il ne pas l'être pour ceux-là ?

A cette question, Messieurs, combien il se présente de réponses !

1o Le Roi ayant dit dans l'article 33 de la Charte La Chambre des pairs connait des crimes de haute trahison et attentats contre la sûreté pulique, qui SERONT définis par la loi, et le mot

seront étant bien certainement un futur, et non un présent, la Charte a donc indiqué par là une définition nouvelle; sans quoi elle eût dit : qui SONT définis par le Code, au lieu de dire qui SERONT définis par la loi.

2o Une nouvelle définition est d'autant plus nécessaire que le mot de haute trahison, porté dans la Charte, ne se rencontre pas une seule fois dans tout le Code pénal; qu'il faut cependant une définition textuelle à côté d'une peine capitale, et qu'on ne peut pas dire sérieusement en France Tout le monde sait ce que c'est que haule trahison, quand on a dit si sérieusement ailleurs : Personne ne sait comment il doit agir ou parler dans le doute du crime de haute trahison.

3o Notre nouveau projet de loi devant être remis au gouvernement, qui a également entre ses mains et dans sa dépendance le Code non encore réformé, il ne tenait qu'à lui, et sûrement il se serait empressé de régler uniformément les définitions de l'un et de l'autre. Après avoir déjà fait sortir de ce Code l'article des confiscations, qui répugnait trop à la justice et à la magnanimité du Roi, il en eût fait sortir aussi facilement ceux qu'aurait proscrit notre conscience en matière de trahison. Je suis bien tenté de croire que le gouvernement ne nous eût pas attendus pour cette réforme, si d'autres difficultés trop imprévues n'eussent détourné son attention pour l'occuper tout entière. Dans tous les cas, si notre décision aujourd'hui eût été un avertissement qui eût produit l'effet de hâter la sienne, nous aurions bien mérité de lui et du Roi que nous servons avec lui, et de la France impatiente de ne plus rougir des parties honteuses de ce Code Bon aparte, et de ne plus rencontrer le nom de l'usurpateur partout où ne devrait plus se lire que celui du Roi légitime.

Maintenant, Messieurs, c'est à vous à décider si vous voulez prévenir, provoquer ou attendre le gouvernement à cet égard.

Ce qui pouvait se faire au début et pendant le cours du travail de votre commission, peut encore se faire, lorsque ce travail est arrêté par elle, mais non encore adopté par vous. Votre commission peut encore recevoir de vous l'ordre de conférer avec le ministre de la justice sur les moyens de fixer le plus promptement possible, pour tous les Français en général, une législation commune sur les crimes de lèse-majesté; et, pour vous en particulier, la définition promise par la Charte des crimes de haute trahison et attentats contre la sûreté publique, dont cette même Charte vous a appelés à connaître.

C'est à quoi je conclus avant tout, en terminant ce premier point de ma discussion.

Mais dans le cas, Messieurs, où la Chambre ajournerait ces définitions nouvelles, et adopterait, pour base du troisième article de sa commission, ce Code encore armé du nom et trop souvent empreint de l'âme de son auteur, alors je proposerais, par amendement, de diviser cet article en deux, et de rédiger ces deux articles ainsi qu'il suit :

Art. 2. Les crimes et attentats dont la Chambre des pairs connaît, en vertu de l'article 33 de la Charte constitutionnelle, sont des crimes de haute trahison ou de lèse-majesté au premier chef; c'est-à-dire les attentats, complots, machinations, soit contre la vie et la personne sacrée du Roi, de la Reine, et de l'héritier présomptif de la couronne, soit contre l'autorité royale ou l'ordre légitime de la successibilité au trône, soit contre la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat, selon la définition

textuelle desdits crimes et attentats portée dans le Code pénal existant lors du jugement.

Art. 3. Sont justiciables de la Chambre des pairs, pour les susdits crimes et attentats, et ne peuvent être jugés ailleurs, pour raison d'iceux, les prévenus revêtus de l'une des dignités ou remplissant une des fonctions suivantes, savoir : Princes du sang,

Pairs de France, etc.

Sans doute, Messieurs, cette rédaction, toute modifiée qu'elle est, renvoie encore pour le moment au Code que je voudrais écarter, puisque c'est encore le seul Code existant. Mais autre chose est certainement de le comprendre en général dans une de ces clauses législatives, qui indiquent l'état transitoire de l'autorité du jour par cela même qu'elles règlent les futurs contin. gents par l'autorité des temps à venir, secundum autoritatem pro tempore existentem; autre chose est de poser pour règle, nominativement et exclusivement, le Code penal, qui est aujourd'hui d'inquiéter les esprits par l'idée de sa perpétuité; d'énumérer ses articles comme étant tous obligatoires, ses définitions comme étant toutes justes, ses rigueurs comme étant toutes légitimes."

Je n'ai pas le moindre doute que, dans tous les cas, ce Code ne soit réformé et purgé avant que nous avons un second procès à instruire. L'article que je viens de vous proposer pour le projet de loi que vous voulez soumettre à Sa Majesté, n'en pourra pas moins rester tel qu'il est, puisque tout nouveau code sera toujours le Code existant. Mais le lendemain de cette réforme il faudrait changer la rédaction de vos commissaires. Les titres, les nombres du nouveau code ne se rapporteront pas avec ceux de l'ancien. Il ne sera plus question de dire Depuis l'article 75 jusqu'à l'article 104. Pourquoi écrire aujourd'hui une ligne qu'il faudra effacer demain?

En voilà assez, Messieurs, sur ce premier objet; et je craindrais d'avoir abusé de votre patience, si, dans ce qui touche à un sujet si délicat et si sacré, il n'était rien qui n'attirât toute la religion de vos consciences et tout l'intérêt de votre humanité.

Je vous ai annoncé un second point sur lequel j'ai encore regretté d'avoir une opinion différente de celle de votre commission; c'est sur l'article 2 de son projet.

A la suite de l'article 1er, qui détermine la compétence de la Chambre des pairs par la nature des crimes et la qualité des personnes qui en sont prévenues, l'article 2 de votre commission porte: Cependant l'attentat ou complot dirigé contre la personne du Roi, de la Reine, ou de l'heritier présomptif de la couronne, est toujours de la compétence de la Chambre, QUELLE QUE SOIT LA QUALITÉ DES PRÉVENUS.

Ici, Messieurs, je n'aurai plus de conclusions subsidiaires à vous présenter. C'est, je l'avoue, un principe contraire à celui de votre commission que je me crois obligé non pas seulement de vous soumettre, mais de vous recommander, A la suite des deux articles amendés que j'ai eu l'honneur de vous lire, immédiatement après la nomenclature des personnes que votre commission a jugées devoir être justiciables de la Chambre, mon avis est de poser l'article 4 comme il suit :

Art. 4. Aucune personne que celles ci-dessus dénommées ne peut être, pour raison des susdits crimes et attentats, traduite devant la Chambre des pairs, et distraite de ses juges naturels, à moins toutefois qu'elle ne soit impliquée comme T. XVI.

complice d'un accusé justiciable de la Chambre ; auquel cas, les poursuites contre l'accusé principal peuvent attirer à elles la poursuite contre l'accusé inférieur; ce qui est laissé à la discrétion et au jugement de la Chambre.

Je ne vous dirai pas, Messieurs, que, pour la dignité, la solennité et l'efficacité de vos jugements, ils ne peuvent être trop rares, motif qui doit cependant avoir son poids.

J'irai droit au grand principe, et vous me permettrez de vous observer que la mesure du respect que nous pourrons exiger pour nos priviléges sera le respect que nous conserverons nous-mêmes pour les priviléges de tous nos concitoyens. Etre tous égaux devant la loi, étre jugée par ses pairs, ne pouvoir être distrait de ses juges naturels (1), voilà les priviléges de tous les Français. L'esprit des temps les réclamait; la Charte les a voulus. Ce sont les principes établis; on ne peut plus les enfreindre.

Ne nous le dissimulons pas, il est aussi précieux pour un membre de la commune d'être jugé par ses pairs, qu'il peut l'être pour nous d'être jugés par les nôtres.

Traduit devant cette Chambre, un accusé perd plusieurs moyens de défense que la loi lui assurait ailleurs; il perd des juges d'instruction absolument distincts des magistrats et du jury de jugement; il perd la révision de la chambre du conseil pour sa mise en accusation; il perd le recours en cassation après son jugement. Celui qui a l'honneur de trouver en vous ses juges naturels a une compensation à ces moyens de défense dans les rapports de sympathie qu'établissent entre vous et lui une élévation commune, un commerce habituel, une confraternité toujours disposée à l'indulgence, une dignité qu'on respecte dans les autres en raison même de ce qu'on la respecte en soi, enfin tous les genres d'affinités, de sang, de caractère et de mœurs. Cette compensation manquera au simple citoyen accusé devant vous.

Le rapporteur de la commission vous a dit, et avec raison Le juge naturel et compétent est celui que son existence sociale rapproche de l'accusé, et à qui elle donne la mesure exacte de la moralité de l'action et de l'intention qu'il s'agit de juger. En suivant cette définition, vous voyez déja quels sont vos justiciables. Cela est vrai, Messieurs; mais, en suivant cette définition, vous voyez aussi quels ne sont pas vos justiciables.

On a dit qu'un pair accusé en imposerait trop par son importance à un jury de la commune. La commune ne répondra-t-elle pas qu'un accusé qui lui appartient n'en imposerait pas assez à une Chambre de pairs tout à la fois juges et jury?

On a dit qu'un pair, accusé devant un tribunal et un jury de la commune, aurait à redouter une secrète et jalouse envie. La commune ne répondrat-elle pas que ses membres, distraits de leurs juges naturels, croiront avoir à craindre une légère et orgueilleuse insouciance?

Je cherche en vain comment l'Etat pourrait être intéressé à ce que le crime de lèse-majesté au premier chef ne fût jamais jugé que par la Chambre des pairs.

Est-ce que le président d'une cour d'assises, d'une cour royale, n'est pas un grand magistrat, un savant personnage, dans la route de cette magistrature suprême qui conduit à la présidence de cette Chambre? Pourquoi ne saurait-il pas, dans une cour de justice comme dans l'autre, ap

(1) Article 62.

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peler, découvrir, faire briller la vérité tout entière aux yeux du jury et de la nation?

Le procureur général qui exercera le ministère public dans la cour des pairs est celui qui l'exerce dans la cour royale. Pourquoi aura-t-il moins de facultés dans une place que dans l'autre ?

En deux mots, Messieurs, le rapporteur de votre commission vous a exposé avec une justesse et une précision parfaites combien la Chambre des pairs de France et celle d'Angleterre différaient entre elles, considérées comme cours de justice.

Je crois qu'on peut établir en principe qu'il y a aujourd'hui en France une justice royale et nationale à la fois : ce sont les cours royales et le jury; une justice royale et suprême, mais d'exception, c'est la Chambre des pairs quand elle est cour de justice.

Attirer à vous le jugement de tous les coupables du crime de lèse-majesté au premier chef, quelle que soit leur qualité, c'est tout à la fois rabaisser votre dignité et dégrader les cours royales.

C'est vous rabaisser, car vous établissez qu'il est une gravité de personnes qui n'est pas nécessaire pour qu'on soit votre justiciable.

C'est dégrader les cours royales, car c'est leur dire qu'il est une gravité de délits telle qu'il ne leur appartient plus d'en connaître.

Ceux des régicides de Charles Ier, exceptés de l'amnistie royale par le parlement, furent jugés par la cour du Banc du Roi et par un jury special. Ce fut au milieu du peuple que le Père du peuple fut vengé par la justice du Roi et du peuple. Ce fut dans ce concours, dans l'effusion de la douleur générale si longtemps comprimée, que le juge Mallet fit tout à coup cette belle comparaison de la nation anglaise avec ce fils dont l'histoire a conservé le souvenir, qui, devenu muet de saisissement en voyant assassiner son père, recouvra la parole vingt ans après par une autre révolution de la nature, et cria aux juges qui le confrontaient avec des accusés traduits devant leur tribunal Voilà ceux qui ont tué mon père!

En 1715 et en 1745, lorsque les derniers efforts de la maison de Stuart eurent échoué en Angleterre, lorsque le gouvernement qui triomphait livra aux tribunaux les vaincus devenus des criminels, c'était la même rébellion, la même conspiration; il n'y avait pas seulement connexité, il y avait identité: les accusés furent distribués, en raison de la qualité des personnes, entre les différents juges auxquels ils appartenaient. Les lords Derenwater, Kilmarnock, Lovat, Balmerino, furent jugés par la Chambre des pairs, les officiers par des cours martiales, les accusés de la Commune par le jury et les cours ordinaires.

Même en France, dans les temps anciens, l'adage était Chaque accusé son procès.

Je crois donc avoir poussé l'exception aussi loin qu'on peut la porter, en proposant, dans le projet d'article que je viens de vous soumettre, qu'en cas de complicité reconnue, le jugement d'un prévenu, votre justiciable, amenât devant vous l'accusé, qui, sans cette complicité, n'appartiendrait pas à votre compétence.

Je me résume, Messieurs.

Avant tout, convient-il à la Chambre d'ordonner à sa commission de conférer avec le ministre de la justice sur la loi et les définitions promises par l'article 33 de la Charte, ainsi que sur les supplications qui pourraient être adressées à Sa Majesté sur ce sujet? Telle est ma première proposition.

Subsidiairementje propose d'amender l'article 3 présenté par la commission, et de le diviser en

deux articles, tels que j'en laisse la rédaction sur le bureau.

J'y dépose également l'article que j'ai proposé de substituer à l'article 2 de la commission. J'adhère aux autres articles.

Série des articles, avec le

texte et dans l'ordre des amendements proposés par le comte de LALLYTOLLENDAL.

De la compétence.

La compétence de la Chambre des pairs, comme cour de justice, est déterminée par la nature des délits et des crimes, et la qualité des personnes qui en sont prévenues.

Art. 2. Les crimes et attentats dont la Chambre des pairs connait, en vertu de l'article 33 de la Charte constitutionnelle, sont les crimes de haute trahison où de lèse-majesté au premier chef, c'est-à-dire les attentats, complots, machinations, soit contre la vie et la personne sacrée du Roi, de la Reine et de l'héritier présomptif de la couronne, soit contre l'autorité royale ou l'ordre légitime de la successibilité au trône, soit contre la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat, selon la définition textuelle desdits crimes et attentats, portée dans le Code pénalexistant lors du jugement.

Art. 3. Sont justiciables de la Chambre des pairs, pour les susdits crimes et attentats, et ne peuvent être jugés ailleurs pour raison d'iceux, les prévenus revêtus de l'une des dignités ou remplissant une des fonctions suivantes, Savoir:

Princes du sang, Pairs de France, Maréchaux de France, etc. Art. 4. Aucune autre personne que celles ci-dessus dénommées ne peut être, pour raison des susdits crimes et attentais, traduite devant la Chambre des pairs et distraite de ses juges naturels, à moins toutefois qu'elle ne soit impliquée comme complice d'un accusé justiciable de la Chambre; auquel cas, les poursuites contre l'accusé principal peuvent attirer à elles la poursuite contre l'accusé inférieur; ce qui est laissé à la discrétion et au jugement de la Chambre.

Art. 5. Conformément à l'article 34 de la Charte,

Leur correspondance avecles articles proposés par la commission.

De la compétence.

La compétence de la Chambre des pairs, comme cour de justice, est déterminée par la nature des délits et des crimes, et la qualité des personnes qui en sont prévenues.

(L'article 2 de la commission est placé ci-après, en face de celui qu'on lui oppose dans le projet d'amendement.)

Art. 2. Les crimes de la compétence de la Chambre des pairs, auxquels se rapporte l'article 33 de la Charte sont ceux...

mentionnés au Code penal depuis l'article 75 jusqu'à l'article 104 inclusivement.

lorsque le prévenu ou l'un des prévenus est revêtu de l'une des dignités ou remplit les fonctions suivantes, Savoir:

Princes du sang, Pairs de France, Maréchaux de France, etc. Art. 3. Cependant l'attentat au complot dirigé contre la personne du Roi, de la Reine ou de l'héritier présomptif de la couronne est toujours de la compétence de la Chambre, quelle que soit la qualité des prévenus.

Art. 4. Toutefois, et conformément à l'article 34 de

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