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n'aurait pas même eu besoin d'être communiquée aux Chambres.

Cependant, Messieurs, il est une justice qu'on ne saurait lui refuser: c'est qu'il ne se trouve sur l'une ou l'autre de ces listes aucun individu que la notoriété publique n'ait fait connaître comme éminemment coupable. Tous, sans doute, ne sont pas rangés suivant leurs divers degrés de culpa

quante-sept personnes comprises dans l'ordonnance du 24 juillet, cinquante au moins ont prouvé par leur silence qu'on ne leur avait pas fait injure. Quelques autres, il est vrai, ont réclamé; mais je suis loin de penser que Ícurs réclamations soient toutes fondées.

La seconde disposition concerne la mesure prise ou à prendre à l'égard des trente-huit individus compris dans la seconde liste du 24 juillet: individus qu'il s'agissait de pouvoir exiler en masse et sans forme de procès, Or, Messieurs,bilité; mais aucun n'est innocent: et sur les cinpour une mesure, commandée il est vrai par la force des circonstances, et contre laquelle sans doute personne n'aurait réclamé, mais cependant pour une mesure manifestement arbritaire et inconstitutionnelle, les ministres du Roi, à ce que je suppose, ont cru avoir besoin d'être approuvés ou autorisés par les Chambres. Il me paraît qu'en d'autres termes et sous d'autres formes, ils sont venus demander aux Chambres ce qu'on appelle en Angleterre un bill d'indemnité, c'est-à-dire un acte du parlement, qui relève le ministère de la responsabilité qu'il peut avoir encourue, en s'écartant, pour un grand objet, en s'écartant, pour le salut ou le bien de l'Etat, de la ligne strictement constitutionnelle. Ces exemples ne sont pas rares en Angleterre, et nous n'avons été frappés de celui-ci que parce que nous le voyons pour la première fois en France.

Enfin, Messieurs, la troisième disposition du projet de loi est une disposition essentiellement législative, et qui ne peut en aucune sorte se passer du concours des deux Chambres; je veux dire celle qui bannit de France, et à perpétuité et sous peine de mort, une famille entière. Une loi seule, et une loi constitutionnellement rendue, peut consacrer cette grande mesure d'Etat, et lui donner ce caractère d'immutabilité, qui lui est nécessaire pour ôter tout espoir ou toute crainte qu'elle puisse jamais être révoquée. Donc, pour embrasser toutes les parties du plan que Sa Majesté s'était proposé, il fallait un projet de loi.

Si, après avoir examiné celui-ci dans son objet principal, qui est l'amnistie, et dans son ensemble, qui renferme, comme je l'ai dit, trois dispositions distinctes, je viens à l'envisager dans le détail de ses divers articles, je n'en trouve pas un qui ne me paraisse juste et sage; tous ont subi à la Chambre des députés une discussion longue et approfondie. Je ne vous fatiguerai pas de répétitions inutiles sur ceux qui ne présentent aucune difficulté, et je me bornerai à celui contre lequel j'ai entendu faire les objections qui m'ont paru les plus plausibles.

On s'est plaint de ce que les listes du 24 juillet avaient été faites à la liâte et comme au hasard; de ce qu'elles étaient incomplètes et mal classées; de ce qu'elles contenaient un assez grand nombre de noms inconnus, et de ce que l'on y cherchait vainement ceux de quelques grands coupables, dont l'impunité indignait et alarmait à la fois tous les bons Français.

Il est possible, Messieurs, il est très-possible qu'une partie de ces reproches soient fondés. Je crois sans peine que celui qui a dressé et signé ces tables de proscription peut avoir eu son intérêt particulier, soit pour les resserrer, soit pour les étendre. Je crois en même temps que, plus initié que personne dans les mystères d'iniquité que le gouvernement royal cherchait alors à percer, on a pu s'en rapporter spécialement à lui, pour désigner les principaux auteurs de la scène révolutionnairement tragique où lui-même venait de jouer un des premiers rôles. Si donc ces listes présentent des erreurs ou des omissions, il me semble que c'est à lui seul qu'on doit s'en prendre.

A l'égard des noms obscurs qui figurent au milieu d'autres malheureusement plus célèbres, j'avouerai que plusieurs n'étaient jamais parvenus jusqu'à moi. Mais, Messieurs, dans les horribles trames qui ont préparé et consommé la catastrophe du 20 mars, n'est-il donc pas possible que les coups les plus perfides, et en même temps les coups les plus décisifs, aient été portés par des mains cachées, par des mains ignorées du public, il est vrai, mais parfaitement connues de l'homme à qui tous les secrets du parti avaient été révélés? Lors donc que, dans ces listes, je rencontre quelques-uns de ces noms qui ne me retracent aucun forfait éclatant, je me dis que celui qui les y a inscrits connaissait mille détails que j'ignore; je me dis surtout qu'il se connaissait en grands criminels, et je me sens disposé à regarder sans distinction comme tels tous ceux qu'il me présente sous cet aspect.

D'un autre côté, Messieurs, ces listes sont publiques depuis près de six mois. Tous les intéressés ont pu y lire leur sort, et ceux dont les noms ne s'y trouvent pas ont été fondés à se livrer à une sécurité d'autant plus grande, que la fidélité du Roi à tenir ses promesses est plus généralement reconnue. L'objet de l'amnistie est de rassurer à jamais ceux qui comptent déjà sur leur pardon. Un seul nom ajouté à ces listes fatales serait un objet d'alarme pour mille autres. Il est temps, il est urgent que le calme s'établisse partout, et que tous ceux d'entre les coupables qui ne sont pas exceptés de la loi de bienfaisance à laquelle nous allons avoir le bonheur de concourir, ne puissent plus être inquiétés ni tourmentés que par les seuls remords de leurs consciences. Ainsi donc, Messieurs, en admettant même que ces listes du 24 juillet sont imparfaites, sont incomplètes, ne pensons point à les étendre, et remettons respectueusement au Roi le soin d'appliquer ou de n'appliquer pas à ceux qu'elles renferment la peine d'exil qui a été laissée à sa discrétion.

Il est plus que vraisemblable, Messieurs, que les motifs politiques que je viens d'avoir l'honneur de vous exposer, et à l'aide desquels j'ai cherché à repousser l'idée de toute liste supplémentaire à celles du 24 juillet; il est probable, dis-je, que ces motifs auront puissamment contribué à fortifier la résistance (j'oserai presque dire inattendue) du Roi, à l'article additionnel du projet de loi; et qu'ils auront renforcé le scrupule honorable que Sa Majesté a si constamment opposé à toute idée, soit de rétracter, soit seulement même d'atténuer le pardon qu'elle avait accordé à une classe de coupables qui s'étaient montrés indignes du nom d'hommes et dont la plupart n'ont pas tardé à trahir, avec la plus noire ingratitude, la clémence royale qui s'était si libéralement étendue sur eux. Ceci me ramène à vous parler succinctement de ce dernier et important article, de cet article, objet d'une lutte si prolongée

entre le cœur et la raison, entre l'opinion et le sentiment.

Je l'ai vue, Messieurs, cette séance mémorable où une foule de membres, qui y étaient arrivés avec la ferme résolution de surmonter leur propre répugnance pour mieux respecter celle du Roi, n'ont jamais pu tenir l'engagement qu'ils en avaient pris avec eux-mêmes. Ils n'ont jamais pu résister à un élan devenu unanime, et ils se sont levés, quasi vir unus, comme un seul homme, pour consacrer l'expulsion éternelle de tous ces monstres, que le sol français portait à regret depuis 23 années.

Le Roi lui-même, nous le voyons, Messieurs, le Roi a été entraîné; et quand il a vu la France entière respectueusement conjurée pour faire violence à son cœur, il a, pour un moment, détourné les yeux du testament de son auguste frère, et il a daigné mettre lui-même à sa clémence des bornes que nul n'aurait pu lui prescrire.

Ainsi, Messieurs, a été donnée à la France et au monde cette grande leçon qui consacre, plus encore que la Charte elle-même, l'inviolabilité de la personne sacrée du Roi! Ainsi ont été justifiées les voies de la Providence à l'égard des régicides; et ceux-ci, à leur tour, ont enfin connu la terreur!

Et comment jusque-là la terreur aurait-elle pu approcher d'eux? Leur nombre et celui de leurs complices semblaient faire leur sûreté. Vingt-trois années s'étaient écoulées; trois gouvernements divers s'étaient succédé; aucun n'avait osé leur demander raison du sang de Louis XVI. Sous le Directoire, sous le Consulat, sous Buonaparte, ils avaient marché tête levée. Bien plus, Messieurs, le Roi, le Roi lui-même, rendu, après un si long terme, au vœu de ses peuples, avait (pour me servir de l'expression que vient d'employer son ministre) étendu la main qu'il va enfin leur retirer. Ils se croyaient sauvés; ils ne se doutaient pas que la justice divine pût encore les atteindre: mais la justice divine, mais la justice nationale n'étaient pas encore satisfaites.

Dieu a voulu, Messieurs, que l'instrument de sa colère, que le fléau du siècle reparût sur notre terre désolée; il a voulu qu'une foule de régicides, à peine amnistiés, s'empressassent de fouler aux pieds la clémence royale, qu'ils n'avaient su ni mériter ni comprendre; et que, le parjure encore dans la bouche, ils vissent crouler l'idole à laquelle ils venaient d'offrir leur coupable encens. Enfin, il a voulu que le frère auguste de leur auguste victime rentrât de nouveau dans tous ses droits, et que, pour la première et la dernière fois, le pardon du meilleur des Rois ne fût pas ratifié par le meilleur des peuples!!! Accourez, peuples et nations; accourez, et à l'aspect de ces vieux regicides que la France entière revomit aujourd'hui de son sein, écriez-vous avec le poëte :

Il est donc des forfaits

Que le courroux des dieux ne pardonne jamais!

Pour nous, Messieurs, que nous reste-t-il à faire, sinon de seconder de tous nos efforts, de seconder avec empressement, avec reconnaissance, les vues bienfaisantes de Sa Majesté, et de donner sans hésiter notre assentiment à une loi qui fera époque dans l'histoire de notre beau et malheureux pays; loi qui marquera définitivement le passage du trouble à la tranquillité intérieure; loi qui dissipera les craintes, qui désarmera les vengeances, qui opérera d'heureuses conversions politiques, et qui, suivant la belle et juste expression de Montesquieu, fera rentrer la France dans

ce train ordinaire du gouvernement, où les lois protégent tout et ne s'arment contre personne.

Je vote pour l'adoption du projet de loi. Je demande en outre que M. le président soit chargé de porter au Roi les très-humbles remerciments de la Chambre des pairs, pour la bonté toute gratuite que Sa Majesté a eue de les associer à cet acte de clémence purement royale.

M. le duc de la Force. Messieurs, la loi de l'ammistie qui vient de vous être apportée est le fruit de la sagesse du meilleur des Rois; cette loi, dans le sein de la Chambre des députés, a reçu un complément, j'ose le dire nécessaire, et devrait ètre plutôt sanctionnée par un mouvement d'enthousiasme que soumise au froids calculs de la raison.

Les nombreux amendements proposés par la commission de la Chambre des députés étaient presque tous basés sur les principes immuables de cette justice devant laquelle tous les hommes doivent fléchir, mais le Roi a voulu tout pardonner. En imitant son noble exemple, en nous associant à cette abnégation du sentiment de la vengeance, il est un forfait que nous ne pouvons laisser impuni; ce crime affreux souille une page déshonorée de notre histoire; que les auteurs d'un pareil attentat disparaissent du sol où s'est accompli cet horrible meurtre; qu'ils aillent porter au loin leurs pas sacriléges, et si le fer des lois les épargne, que leurs regards du moins n'attristent plus les belles contrées de notre vieille France.

S'il en est quelques-uns qui, ayant écouté la voix du repentir, ont recueilli les fruits des dernières volontés de Louis XVI, Louis le Désiré, organe de la pieuse indulgence du Roi son frère, leur a pardonné si leurs cœurs ont ressenti ce bienfait inespéré; si dans les trop fameux Cent-Jours ils sont restés dans une obscurité salutaire, que ceuxlà, dis-je, profitent de l'amnistie que le Roi leur accorde, qu'ils restent dans le pays qui les vit naître, et que la vue de leurs remords serve de leçon aux insensés qui ne seraient pas détrompés sur l'inévitable effet des déchirements révolutionnaires.

Mais, Messieurs, quel châtiment n'ont pas mérité ces régicides qui, profitant du retour du fléau des nations, après avoir conduit à l'échafaud le meilleur des princes, ont voulu déchirer de nouveau le sein de leur patrie! De toutes parts j'entends s'élever contre eux le cri de la condamuation, les mots de justice et de mort se propager de bouche en bouche: non, Messieurs, la fin de leur vie terminerait leurs angoisses mortelles, qui, semblables au vautour de Prométhée, leur font éprouver un supplice toujours renaissant.

Qu'ils aillent loin de nous traîner leur désastreuse existence, qu'ils emportent leurs richesses acquises par de nombreux forfaits, que le trésor royal ne soit pas souillé par leur or, qui, semblable à celui que reçut le treizième apôtre, a été pour eux le prix du sang.

Faut-il, Messieurs que je retrace ici l'effrayant tableau des suites auxquelles leur séjour parmi nous pourrait nous exposer, sans parler des dangers qu'entraîne l'impunité? Ne voyez-vous pas chaque repaire habité par ces monstres se transformer en citadelle où flotterait toujours l'étendard de la rébellion? Ne verriez-vous pas se ranger autour d'eux ces hommes qui, n'ayant rien à perdre, ne désirent que troubles et confusion? - Sûrs de trouver secours, asile et protection parmi les ennemis de la légitimité, de l'ordre et du repos de la France, ils lenteraient sans doute de nous replonger dans les horreurs de l'anarchie, dont

un bienfait du ciel nous a tirés, en nous rendant ce monarque adoré qui régit la France avec une sagesse égale à sa clémence.

Je ne vous parlerai point, Messieurs, des bienfaits sans nombre que doit répandre la loi paternelle de l'amnistie; des orateurs célèbres les ont savamment développés, et je craindrais d'affaiblir les avantages qui doivent résulter de leurs discours.

Je vote pour la loi avec l'addition proposée par la Chambre des députés et acceptée par le Roi.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. LAINÉ.

Comité secret du 11 janvier 1816.

Le procès-verbal du 8 janvier est lu et adopté. La Chambre accorde un congé à M. Berthier de Souvigny et à M. de Lancry.

L'ordre du jour appelle la discussion sur les amendements proposés par la Chambre des pairs à la résolution relative au deuil général du 21 janvier.

M. le Président donne lecture des amendements.

Un membre (M. le comte de Roncherolles) dit qu'on ne doit point séparer la mémoire dé Louis XVI de celle de la Reine.

Un second membre (M. le prince de la Trémoille) dit que, puisque la France doit élever des monuments en expiation des crimes de la Révolution, on ne peut oublier ce prince illustre et dernier rejeton de la famille des Condé. Il annonce qu'un membre de la Chambre des députés a fait de cette proposition l'objet d'un amendement, et il demande qu'il soit entendu.

M. le Président annonce que cette proposition vient d'être déposée sur son bureau.

Un membre demande que le nom du défenseur de Louis XVI soit compris dans l'amendement. Il n'est pas appuyé.

M. Hyde de Neuville, l'auteur de la proposition sur le duc d'Enghien, monte à la tribune et dit qu'il reste encore des regrets à consacrer et d'augustes victimes à consoler. Il rappelle les grands souvenirs attachés à la famille des Condé : il dit que ce nom est près de s'éteindre par le crime d'un seul homme. Mais il ajoute que si la Chambre n'a point à justifier la France de ce crime, elle doit rendre hommage à la mémoire du héros dont la perte laisse un vide irréparable au milieu des princes qui nous sont rendus.

Il demande qu'il soit présenté par la Chambre une humble adresse au Roi, pour qu'il veuille bien permettre de faire célébrer un service solennel pour Mgr Louis de Bourbon, duc d'Enghien, et dans l'incertitude du terme de la session, de devancer le funeste aniversaire du 22 mars en le reportant au 22 février.

M. le Président met aux voix si, dans l'article 4, on ajoutera ces mots :

Et de Monsieur le duc d'Enghien; et l'amendement est adopté.

M. le Président met aux voix le premier amendement de la Chambre des pairs; il est adopté. Il met ensuite aux voix l'article additionnel de la Chambre des pairs, amendé par la Chambre des députés, et il est adopté.

M. le Président fait observer qu'il était d'usage dans les précédentes sessions de ne pas voter au scrutin sur les résolutions précédemment adoptées; il propose à la Chambre d'user de

la même faculté, et la Chambre, confirmant l'usage en cette occasion, adopte la résolution sans vote au scrutin.

La séance devient publique.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
PRÉSIDENCE DE M. LAINÉ.

Séance du 11 janvier 1816.

Le procès-verbal de la séance du 6 est lu et adopté.

On lit le nom d'un grand nombre de pétitionnaires.

Les pétitions, au nombre de trente-six, sont renvoyées à la commission compétente.

M. le garde des sceaux, présent à la séance, est invité à monter à la tribune pour une communication.

M. le comte Barbé de Marbois dit que la loi du 5 décembre 1814, qui suspendait jusqu'au 1er janvier 1816, les poursuites contre les émigrés remis en possession de leurs biens restés à la disposition de l'Etat, n'ayant pu avoir son exécution, Sa Majesté, d'après le vœu des deux Chambres, à reconnu qu'il était juste de renouveler ce sursis et d'en fixer le terme au 1er janvier 1818. Ce délai est nécessaire, ajoute M. le garde des sceaux, pour donner aux débiteurs le temps et la faculté de prévenir les poursuites de leurs créanciers, avant que ceux-ci puissent exercer leurs droits sur les gages que la loi fait revivre pour eux.

M. le Garde des sceaux donne ensuite lecture du projet de loi que la Chambre des pairs a adopté (Voy. la séance du 5 janvier 1816), et qui est présenté par le Roi à la délibération de la Chambre.

M. le Président fait observer que ce projet ne contenant que des dispositions déjà adoptées par la Chambre (Voy. la séance de la Chambre des députés du 2 décembre 1815), la délibération n'exige pas les mêmes formes qu'une proposition de loi nouvelle; cependant, comme chacun a le droit de parler, même sur les propositions de loi qui reproduisent les résolutions des Chambres, il demande si quelque membre veut prendre la parole.

Personne ne la réclame, personne ne s'oppose ce qu'on vote à l'instant même sur le projet de loi présenté par M. le garde des sceaux.

M. le Président, en conséquence, le met aux voix et il est adopté.

La séance est levée.

CHAMBRE DES PAIRS.
PRÉSIDENCE DE M. LE CHANCELJER.

Séance du 13 janvier 1816.

A midi, les pairs se réunissent sous la présidence ordinaire de M. le chancelier.

L'Assemblée entend la lecture et approuve la rédaction du procès-verbal de la séance du 9 de ce mois.

M. le Président rend compte de l'exécution par lui donnée à l'arrêté du même jour, qui le chargeait de porter au Roi les remerciments de la Chambre des pairs, pour la bonté qu'a eue Sa Majesté d'associer les Chambres à l'acte de clémence purement royale, contenu dans la loi d'amnistie.

Sa Majesté a répondu à M. le président : « Je sais que je pouvais faire le bien seul; mais j'ai voulu y associer les Chambres, afin qu'un acte « de réconciliation générale ne fût pas seulement << un acte royal, mais un acte national. »>

L'Assemblée arrête que le compte rendu par M. le président sera inséré au procès-verbal de ce jour.

Il est fait lecture du message de la Chambre des députés, en date du 11 de ce mois, et contenant envoi d'une résolution du même jour par laquelle cette Chambre, en adoptant le nouvel article ajouté, par la Chambre des pairs, à la résolution concernant le deuil général du 21 janvier, ajoute elle-même à cet article une disposition qui a pour objet de faire élever un monument national à la mémoire de M. le duc d'Enghien.

M. le Président, après cette lecture, ordonne, aux termes du règlement, l'impression et la distribution, tant du message que de la résolution transmise par la Chambre des députés.

Un pair en demande le renvoi aux bureaux; il saisit cette occasion de réclamer, au nom des principes, contre la facilité avec laquelle, dans la dernière séance, la Chambre s'est écartée des formes prescrites par son règlement, et qui exige que tout projet de loi, toute proposition soient examinés dans les bureaux avant d'être discutés en assemblée générale. L'exemple de précipitation donné par la Chambre serait sans excuse, s'il pouvait se répéter, et nuirait à la considération dont elle doit jouir, en détruisant ce caractère de sagesse et de maturité empreint dans toutes ses délibérations. L'opinant ajoute que, dans la circonstance présente, le renvoi aux bureaux est d'autant plus nécessaire que, malgré tout l'intérêt dû au sort d'un jeune prince victime de la plus noire perfidie, malgré l'horreur attachée au crime affreux qui en prive la France, il est difficile d'apercevoir entre ce crime et l'attentat du 21 janvier, entre l'époque où périt le duc d'Enghien et celle où succombèrent les victimes royales, une liaison qui justifie leur rapprochement dans une disposition législative.

Un autre pair observe à l'appui de cette opinion, que le monument voté à la mémoire des victimes royales est un monument expiatoire, parce que l'Assemblée qui les immola n'eut pas honte d'imputer à la nation son exécrable forfait; mais que ce motif ne peut s'appliquer à M. le duc d'Enghien, dont la mort fut le crime d'un tyran qui ne prétendit jamais agir au nom de la nation qu'il opprimait.

Un troisième opinant, sans contester l'utilité des règles établies ni la sagesse du conseil qui en recommandent à l'Assemblée la stricte observation, pense néanmoins que, dans la délibération actuelle, les formes qu'elle suivra doivent être assez promptes pour lui permettre d'atteindre le but de la résolution. C'est à juste titre que cette résolution associe des victimes qui ne doivent pas être séparées! On a demandé ce qu'elles avaient de commun. N'est-ce donc pas toujours le sang des Bourbons qu'on a versé en les immolant? Faut-il, pour être réunies, qu'elles aient été frappées du même coup? Mais la hache impie qui, le 21 janvier, a frappé Louis XVI, n'est pas tombée au même instant sur la Reine et Madame Elisabeth. La nation peut-elle refuser un monument au petit-fils d'un héros qui fit de la gloire le patrimoine des Bourbons, et dont le nom suffirait à l'ornement d'un siècle et à l'illustration d'un peuple? L'opinant demande qu'on délibère de suite sur l'addition proposée.

M. le Président consulte la Chambre, qui renvoie la proposition à l'examen des bureaux. La séance est suspendue pendant cet examen. A deux heures, elle est reprise. Lecture faite de la résolution par un de MM. les secrétaires, la discussion est ouverte sur ses dispositions.

Un membre observe qu'en accueillant l'addition proposée par la Chambre des députés, le vœu général des bureaux a été pour que cette addition, détachée de l'article 4, formât dans la résolution un article séparé. Il ajoute qu'il a été proposé par quelques membres de voter aussi un monument à la mémoire d'une autre victime de la barbarie révolutionnaire, madame la princesse de Lamballe. L'opinant présente la rédaction de deux articles propres à remplir ce double vœu.

Un autre membre pense que, dans la rédaction même de l'article 4, il eût été convenable de parer Louis XVI de la reine Marie-Antoinette et de Madame Elisabeth. On pourrait du moins substituer dans cet article au mot singulier, un monument, le mot pluriel, des monuments, ce qui laisserait au Roi une entière liberté.

Plusieurs membres, en appuyant la séparation proposée de l'amendement relatif à M. le duc d'Enghien, ne pensent pas que la Chambre puisse en ce moment délibérer sur les autres propositions.

D'autres appuient au contraire le nouvel article proposé en faveur de madame la princesse de Lamballe.

M. le Président observe que cette proposition ne saurait être adoptée par forme d'amendement à une résolution sur laquelle la Chambre a déjà épuisé son droit par les amendements originaires qu'elle y apportés. Elle n'a dans ce moment à délibérer que sur l'addition faite par la Chambre des députés à l'article 4. Autrement, et si, à propos de cette addition, il était permis d'en proposer d'autres, la Chambre des députés pouvant, à son tour, user du même droit, la délibération deviendrait interminable. On ne peut absolument s'occuper de la nouvelle proposition, qu'en la soumettant aux formes prescrites par le règlement, et en faisant de son objet celui d'une résolution particulière.

Cette doctrine est développée avec force par divers membres, qui établissent que le droit d'amendement, épuisé par la Chambre, sur l'ensemble de la résolution, ne renaît pour elle et ne peut être exercé en ce moment que sur l'addition faite par la Chambre des députés.

Un pair déclare tenir d'un de ses collègues, ancien ministre du Roi, que Sa Majesté était dans l'intention d'élever à Vincennes un monument en l'honneur de M. le duc d'Enghien.

Ce fait est confirmé à la Chambre par le pair dont on invoque le témoignage.

M. le Président annonce qu'il est à sa connaissance qu'une statue devait être érigée à M. le duc d'Enghien parmi les hommes qui ont illustré la France; mais que Sa Majesté, lorsqu'il a eu l'honneur de l'entretenir à ce sujet, ne lui a parlé d'aucun autre monument.

Un pair observe que, quelles que soient à cet égard les intentions de Sa Majesté, rien n'empêche la Chambre d'exprimer son vou, ainsi que l'a fait la Chambre des députés. Il a mérité sans doute d'être honoré par son Roi, mais n'a-t-il pas aussi des droits à un hommage national, ce dernier rejeton d'une branche héroïque dont il s'était déjà montré si digne? Que cet hommage adoucisse, s'il se peut, sa douleur paternelle, et que les vieux jours du plus ancien et du plus illustre soldat de

l'Europe en reçoivent encore quelque consolation. La formation d'un article séparé, contenant l'addition relative à M. le duc d'Enghien, est mis aux voix et adopté.

Cet article est lui-même adopté dans les termes suivants :

«Sa Majesté sera aussi suppliée d'ordonner qu'un monument soit élevé, au nom et aux frais « de la nation, à la mémoire de M. le duc d'En« ghien. »

Au moyen de cet article, qui formera le cinquième de la résolution, l'article 4 sera rétabli ainsi qu'il était avant l'addition faite par la Chambre des députés.

L'ordre du jour appelait ensuite le renouvellement des bureaux, conformément à l'article 6 du règlement.

Il y est procédé par la voie d'un tirage au sort, dont M. le président proclame le résultat.

Les bureaux, ainsi renouvelés, se retirent dans les salles respectives pour y procéder, tant à la nomination de leur président et secrétaires, qu'à la formation du comité des pétitions.

Ces opérations terminées, la séance est reprise. M. le Président met sous les yeux de l'Assemblée l'état des nominations faites par chaque bureau.

La Chambre ordonne l'impression de cet état, ainsi que du tableau des nouveaux membres des bureaux.

La séance est levée.

ANNEXE

A la séance de la Chambre des pairs du 13 février 1816.

NOTA. Le Journal des Débats publia un complément de la séance de la Chambre des pairs. Nous croyons devoir l'insérer ici, en annexe, parce que M. le comte de Saint-Roman proposa, dans la séance du 10 janvier, de demander à M. le comte de Lally-Tolendal des éclaircissements sur la manière dont son discours avait reçu une publicité contraire aux intentions de l'Assem blée.

EXTRAIT DU JOURNAL DES DÉBATS DU 17 JANVIER 1816.

Une explication du plus grand intérêt a eu lieu dans la dernière séance de la Chambre des pairs entre M. le comte de Lally-Tolendal et M. le marquis de Bonnay, sur plusieurs principes relatifs à la loi d'amnistie, qui avait été votée par l'un et par l'autre.

<«<La Chambre se rappelle, sans doute (a dit « M. de Lally-Tolendal), avec quel entraîne« ment, sur la proposition de M. le marquis de Bonnay, elle s'est portée à remercier le Roi de « l'avoir associée à l'acte de sa clémence, ren« fermé dans la loi mémorable que nous avons « adoptée mardi dernier (9 janvier 1816). La Chambre, ce jour-là, songeait beaucoup plus à << donner des preuves de son dévouement qu'à « en mesurer les expressions. Dans la rédaction « définitive du noble pair, auteur de la motion, « deux mots se sont rencontrés, qui, pris dans « leur véritable sens, ne peuvent être susceptibles « d'aucune objection, mais qui, mal interprétés, << ont fait naître au dehors plusieurs doutes, qu'il « y aurait peut-être quelque inconvénient à ne « pas dissiper sans retour.

«La bonté du Roi, dans la communication << dont il nous a honorés, a été appelée par le • marquis de Bonnay une bonté toute gratuite.

« C'est sur cette dernière épithète que beaucoup « de personnes se sont méprises, en lui donnant « une extension forcée, une application démentie par la phrase même où elle se trouve pla« cée.

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Oui (a poursuivi M. de Lally avec toute la fer« meté de son organe et de sa conviction), la «< communication préalable, la délibération et la << discussion commune de l'acte d'amnistie, ont « été, de la part de Sa Majesté, une bonté toute gratuite, parce qu'au Roi seul, sans dépendance « et sans partage, appartient le droit d'amnistie; parce que ce droit est essentiellement inhérent à la couronne et qu'elle peut l'exercer comme « il lui plaît, soit à elle seule, soit en y appelant « gratuitement le concours des deux Chambres. «L'étendue et les exceptions de l'amnistie ap<< partiennent encore au Roi, sans dépendance et « sans partage; car, d'un côté, aucune interven«tion ne peut dérober un accusé à la justice du prince; et de l'autre, je ne connais pas d'où « sortirait cette nouvelle puissance, qui préten«drait adresser à la clémence des rois les mêmes « paroles qu'adressa la puissance divine à la fu«reur des mers: Tu avanceras jusque-là et tu « n'iras pas plus loin! »

Passant ensuite à la distinction qu'il voulait établir, M. de Lally s'est exprimé en ces termes : «S'agit-il donc, Messieurs, ou d'accorder ou « d'étendre, ou de resserrer l'amnistie? Tout ap« partient à la couronne, et à elle seule. Toute «< communication, toute association à l'exereice « de sa plus hauté et de sa plus douce prérogative, est de sa part une bonté entièrement graa tuite.

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Mais est-il question de prononcer sur la des<«<tinée des individus exceptés de l'amnistie, et <«< non remis aux tribunaux ? s'agit-il de frapper « par une loi spéciale, au lieu de condamner par « un jugement ordinaire ? s'agit-il d'interdire l'eau « et le feu de la terre natale à trente-huit sujets, « les uns évidemment coupables, d'autres juste«ment suspects, mais aucun légalement con« vaincu? Alors la couronne (et le prince qui la « porte, pour notre bonheur, repousserait avec dé« dain toute doctrine contraire), alors, dis-je, la <«<couronne se fait gloire de reconnaître qu'elle ne « peut, qu'elle ne veut rien pouvoir à elle seule; « qu'autant elle est jalouse du domaine entier de « la puissance qui pardonne, autant elle désire le partage de la puissance qui punit; que l'asso«ciation des deux Chambres à l'exercice de cette dernière, au lieu d'être gratuite, est indispen« sable; au lieu d'être une offense à la souverai« neté du prince, est un appui pour sa justice, « comme un soulagement pour sa conscience. »

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Ici M. le comte de Lally a cité le fameux passage de Cicéron: Le peuple romain tout entier ne peut pas priver un citoyen de sa patrie malgré lui. Il a observé que ce principe, si beau en théorie, n'en avait pas moins été, de fait, cruellement enfreint dans la personne de Cicéron, par la fraude et la violence de Claudius. Il a demandé s'il n'eût pas été préférable que la justice et la force publique réunies eussent pu alors, par un moyen extrême, mais régularisé, conserver à Rome celui qu'elle avait proclamé le père de la patrie et jeter hors de son sein celui qui en était la terreur et le fléau. « Dans nos gouvernements modernes, a-t-il « dit, qui sont plus éclairés, où tous les droits « ont été approfondis, où ceux des individus et « ceux de la société ont été plus exactement ba« lancés, où les maladies des corps politiques ont « été examinées de plus près, et leurs moyens de

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