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à la volonté royale, lorsque celle-ci ne leur parait plus d'accord avec les lois; de là ce profond sentiment d'indignation qui paraît émaner du devoir, et qui quelquefois a porté le magistrat à des actes d'opposition que l'exaltation d'une conscience violentée explique tout à son avantage, quoique ces actes, il faut le dire, aient été de graves erreurs et aient amené des conséquences funestes qu'on était loin de le soupçonner. Et, pour le dire en passant, joignez à cette horreur que la magistrature doit sentir par habitude et par état contre les mesures arbitraires; joignez, dis-je, à une pareille disposition un grand amour d'indépendance et un grand relâchement dans les lois répressives, il n'y aura bientôt plus ni moyens légaux ni recours hors des lois pour sauver l'Etat, et tout rentrera dans une horrible confusion. Mais, pour ne pas nous écarter de notre sujet, la rigidité des gens de lois pour les principes et pour les règles, et leur aversion pour l'arbitaire une fois reconnues, on ne doit plus s'étonner de leurs fréquentes dissensions avec les hommes d'Etat. Le magistrat, avons-nous dit, va quelquefois, pour l'avantage de la société, jusqu'à sacrifier dans les affaires particulières le fond à la forme, et il remplit son devoir; mais il le dépasse, ou plutôt il s'égare, lorsqu'il veut appliquer le même procédé aux affaires publiques, et c'est ici que l'homme d'Etat prend une véritable supériorité sur lui; car, dans les affaires publiques, c'est la société même qui est partie intéressée au procès : sacrifiez à la forme, à la règle légale le fond, ou, en d'autres termes, la société même, et le but du gouvernement et de toutes les institutions est à jamais perdu (1). Voilà ce qui explique tout naturellement la transformation du magistrat attaché d'abord avec la plus grande force à l'observation de toutes les formes et de toutes les lois, et recourant ensuite à des mesures arbitraires, une fois qu'il est devenu ministre. C'est ce qu'on a vu souvent, et rien n'est plus natuel; le même homme, sans même s'en rendre un compte raisonné, ne faisait que suivre l'impulsion du devoir, qui se montrait sous deux faces différentes, suivant les deux fonctions où il avait été appelé, et qui inspirait deux manières de voir, l'une plus restreinte dans la ma

(1) Il faut que la Révolution ait dérangé toutes les idées; car, dans la séance qui a suivi celle où ce discours a été prononcé, je me suis aperçu que des membres tenant à l'ancien barreau avaient, en grande partie, abjuré l'observation des règles, et qu'ils étaient pour les mesures discrétionnaires et arbitraires. Nous serions donc d'accord, excepté que je suis un peu moins prodigue d'arbitraire qu'ils me semblent l'être eux-mêmes: mais ce qui vient déranger cette heureuse harmonie, c'est que nous ne nous entendons plus sur les personnes qui sont assujetties aux lois, et sur celles qui, au besoin, sont élevées au-dessus d'elles. Ce sont maintenant, d'après les principes de ces messieurs, les juges qui peuvent décider du sort des particuliers ex æquo et bono, et faire céder en leur faveur la forme au fond; et c'est le Roi qui est assujetti aux règles, et qui doit faire céder le fond à la forme, aux dépens de l'existence de la pauvre société. En vérité, on ne sait comment qualifier de pareilles ilees; on serait presque tenté de s'en indigner, si l'on ne connaissait combien il est difficile à l'homme engagé dans certaines opinions et enveloppé dans certains intérêts de se délivrer de ses entraves pour rechercher la vérité comme elle mérite de l'être. Cependant je n'aime pas à croire au mal; et, toutes les fois qu'un fond de probité bien reconnu habite encore le cœur des hommes, on ne doit jamais désespérer de pouvoir un jour s'entendre avec eux; car il faut croire que leur conscience, lorsqu'ils arriveront à l'absurde, leur criera enfin : Arrêtez-vous, et examinez.

gistrature, l'autre plus vaste dans le ministère; bien entendu toutefois que, tout ministre qu'il pouvait être, il conservait le plus grand respect pour les formes et pour les règles; mais qu'il ne s'en rendait plus l'esclave au point de laisser périr l'Etat plutôt que d'y manquer. C'est une rigueur absolue, contraire à ces principes, puisés, j'ose le dire, dans la nature des choses; c'est cette rigueur, dis-je, que j'ai attaquée dans la séance du 20 février, et que j'attaque encore aujour l'hui. Mes objections ont principalement regardé l'article 19, sur l'impossibilité de nous conformer à la publicité des débats dans toutes les occasions et sans aucune exception. Mais j'aurais pu les porter sur d'autres points de vue que je n'ai pas envisagés. Par exemple, j'aurais eu, Messieurs, à vous dire que l'élévation des membres de votre Assemblée ne me rassure en aucune sorte sur son impartialité constante dans le jugement des crimes d'Etat.

Dès qu'un tribunal exerce en même temps des fonctions politiques, il n'est pas sans voir naître quelquefois dans son sein des orages très-opposés à l'impassibilité des juges. N'en doutez pas, cette Chambre attirera souvent l'attention des malinpartis; plus d'une fois dans le cours des siècles tentionnés qui chercheront à y introduire leurs elle deviendra un foyer de discordes; et, par des dispositions qui ne sont pas dans la Charte, on voudrait que vous en fissiez un tribunal, je ne dis pas irrévocable, mais bien plus, i modifiable ! Mon amendement obviait à tous les inconvénients que je vous avais signalés; non-seulement la publicité des débats que ma raison me défend d'admettre d'une manière absolue, mais toutes les autres objections qu'on peut faire, et qu'on pourra découvrir contre votre organisation judiciaire, y trouvaient une réponse péremptoire, puisqu'il y avait possibilité de changements pour toutes les circonstances imaginables; et il m'eût été facile de démontrer que la proposition que j'avais l'honneur de vous soumettre, je ne la faisais que par mon aversion même pour l'arbitraire. Ayez des lois qui, par leurs dispositions et par le cours de la nature, deviennent, quelquefois incompatibles avec l'existence de l'État, il faudra que, lorsque le moment arrivera, le prince les enfreigne avec violence, et c'est alors que l'arbitraire peut ne plus connaître de bornes. Que le prince conserve, au contraire, dans les conjonctures extrêmes, le pouvoir de modifier accidentellement, par cela seul les factieux qui chercheraient à abuser des côtés faibles de l'état ordinaire des choses, pour détruire l'autorité souveraine, seront infailliblement retenus par l'arrière-pensée de sa puissance transcendante, et ce pouvoir arbitraire n'aura jamais lieu de s'exercer. C'est par la même raison, Messieurs, que les lois fortement répressives sont très-souvent les plus humaines, et que les plus faibles sont celles qui font verser le plus de sang. Au surplus, je me réserve à ce sujet de vous donner dans quelques jours le mot d'une enigme que je me permets aujourd'hui de vous proposer. Tout ennemi que je suis de Bonaparte, de son usurpation et de ses crimes, je soutiens qu'il n'a pas fait les lois qu'on lui reproche, que ses ministres, son conseil d'État, son Sénat, les rédacteurs mêmes de ces lois, ne les ont pas faites davantage. Je vous en nommerai les auteurs en vous expliquant l'énigme, et je soutiens encore qu'en ne vous pressant pas de les abroger, vous faites les lois les plus douces qui aient jamais régi le genre humain. Si déjà peut-être vous entrevoyez le fond de ma pensée, je crois que vous

devez en approuver la justesse. Oui, Messieurs, j'ose tenir de tout mon pouvoir au petit nombre d'idées que j'expose souvent dans votre auguste assemblée, parce que je les crois vraies et salutaires. L'amendement que je vous ai proposé dans la séance du 20 février n'en était que la conséquence nécessaire. Cependant je me décide à le retirer, parce que je craindrais que, si l'Assemblée ne l'adoptait pas, on crût qu'elle rejette définitivement des principes qu'elle ne veut qu'examiner, et dont je prends sur moi d'affirmer l'entière conformité avec l'esprit de la Charte. Loin, Messieurs, de blâmer une si grande circonspection, je m'y range de toutes ines forces. Vos intentions nobles et pures ne sont pas incertaines pour les membres de votre auguste assemblée. Nous voulons tous le bien et le gouvernement paternel sous lequel nous avons maintenant le bonheur de vivre. Seulement je craindrais que des maximes trop relâchées ne vinssent flatter votre généreux penchant vers l'humanité et la modération la plus constante. Prenez-y garde, Messieurs, la France a toujours rejeté les idées qui ne lui présentaient pas un pouvoir fortement protecteur; si elle accueillit le joug de l'usurpateur, si elle lui fut si longtemps docile, ce fut dans la persuasion qu'elle trouverait ce pouvoir sous sa domination; et, si elle pensait que vous ne partagez pas entièrement ses sentiments, peut-être approuverait-elle les précautions qué d'autres corps chercheraient à prendre pour suppléer un appui qu'elle ne croirait plus trouver dans votre Chambre. Ces pensées, injustes sans doute, n'ont déjà que trop germé dans les esprits. Je ne pousserai pas ces réflexions plus loin. J'ai rempli l'engagement que j'ai pris de m'élever constamment, et autant qu'il serait en moi, contre les doctrines que quelques-uns de vos membres pourraient professer dans le sens de l'incohérence plus que dans celui du protectorat suprême (1), et je finis en vous suppliant d'honorer ces considérations de vos profondes méditations.

L'article 19 est provisoirement adopté. L'article 20 est mis en délibération; sa teneur est la suivante :,

Arti 20. « Les cinq huitièmes des voix sont nécessaires pour la condamnation. »>

Un membre attaque le principe énoncé dans cet article, et qui, à ses yeux, établit une sorte de privilége en faveur de la Chambre des pairs. Quand il est établi par les lois de tous les temps et de tous les lieux, que le jugement se forme à la majorité absolue des suffrrages, ne reprocherat-on pas à la Chambe d'adopter, dans une matière qui touche à ses intérêts particuliers, une proportion plus favorable? L'opinant ajoute qu'une innovation si contraire aux principes généralement adoptés, mériterait au moins d'être sérieusement réfléchie.

Cette observation n'a point de suite et l'Assemblée adopte provisoirement l'article 20 dans les termes du projet.

La discussion s'engage sur l'article 21 ainsi conçu :

Art. 21. « Les voix de tous les pairs sont comptées, quels que soient les alliances ou degrés de parenté existant entre eux. »

Un pair observe que la jurisprudence établie par cet article déroge à tous les principes de notre

1) Voyez, pour bien comprendre cette doctrine, les développements de la proposition faite par l'auteur de ce discours dans la séance du 18 janvier de la Chambre des pairs.

ancienne législation. Dès 1463, on trouve des ordonnances qui défendent aux juges, parents à un certain degré, de siéger dans le même tribunal. Toutes ces grandes ordonnances, celles de Blois, de Moulins, d'Orléans, sont conformes à cette doctrine. On accorda depuis des dispenses qui permirent aux juges, parens entre eux, de siéger dans le même tribunal, mais à condition qu'ils seraient répartis dans différentes Chambres, et que, dans le cas où ils opineraient ensemble, leurs voix conformes ne compteraient que pour une. C'est donc un droit nouveau qu'il s'agit d'établir. Quels seraient les motifs raisonnables ou nécessaires d'une telle innovation?

Un autre membre ajoute que ces motifs devaient être d'autant plus puissants qu'il s'agit d'appliquer le nouveau principe à une Assemblée de deux cents membres, où déjà les alliances sont très-multipliés, et où, par la nature des choses, elles doivent encore se multiplier davantage à l'avenir.

Un pair demande comment il serait possible de compter pour deux dans la même affaire les voix conformes du père et du fils, d'un frère et de l'autre.

Divers membres appuient, au contraire, la disposition de l'article 21. L'un deux observe que le principe établi dans l'article précédent, relativement à la proportion des voix exigées pour la condamnation, laisse à la Chambe une grande latitude sur l'objet des parentés. La jurisprudence convenable à un tribunal de dix juges n'est pas celle qui convient à une Assemblée de deux cents membres.

Un autre opinant ajoute que la question a été débattue lors du premier procès jugé par la Chambre. On peut se rappeler que le vœu général fut tellement prononcé par le comput de toutes les voix, qu'en mentionnant au procès-verbal la confusion des voix conformes, dont l'usage avait d'abord été adopté, la Chambre fit insérer dans le même acte que cette confusion n'était admise que pour le jugement actuel, et ne tirait point à conséquence pour l'avenir.

M. le Président met aux voix l'article 21; il est provisoirement adopté.

La Chambre adopte pareillement les articles 22 et 23, dont la teneur suit :

Art. 22. « Le président prononce le jugement en séance publique.

«En cas de condamnation, il est lu à l'accusé par le greffier. »

Art. 23. « Les peines prononcées par la Chambre des pairs sont la mort, la déportation, la détention à perpétuité, le bannissement et la détention à temps. »

L'article 24 devient l'objet d'une observation, commune aux deux articles suivants; il nommé le Code pénal, dont plusieurs membres ont demandé qu'ont évitât la citation. La Chambre ordonne le renvoi de l'article à la commission spéciale, pour être modifié sous ce rapport.

La discussion allait s'engager sur l'article 25. Plusieurs membres proposent, attendu l'heure avancée, de remettre à une autre séance la délibération de cet article important, contre lequel on a présenté de fortes objections.

La délibération est renvoyée à lundi prochain. La séance aura lieu à midi.

M. le Président lève la séance.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
PRÉSIDENCE DE M. FAGET DE BAURE, VICE-
PRÉSIDENT.

Séance du 1er mars 1816.

M. Hyde de Neuville, après l'adoption du procès-verbal d'hier, donne lecture à la Chambre d'une lettre de M. Talle, employé depuis trentecinq ans au ministère de la justice, adressée à M. le président.

«En l'année 1792, dit M. Talle, la Convention ayant été informée qu'il existait à la chancellerie de France trois à quatre mille proclamations de Louis XVI et des procès-verbaux sur les événements du 20 juin, s'empressa par un acte formel d'en ordonner la lacération; instruit de cette décision, je parvins à sauver un exemplaire de chacune de ces pièces. J'ai l'honneur, Monsieur le président, de vous les adresser,et de vous supplier d'en faire hommage à la Chambre des députés, comme d'un monument historique des persécutions contre le roi-martyr. »

La Chambre ordonne la mention honorable avec expression de ses remercîments pour l'auteur de cet hommage.

Quelques membres demandent l'impression des pièces. L'Assemblée ordonne seulement leur dépôt à la bibliothèque ainsi que de l'ouvrage

suivant :

Révolution royaliste de Toulon en 1795, par M. Gauthier de Brecy.

Un congé est accordé à M. Baudry, député de la Charente-Inférieure.

La discussion est reprise sur la loi des élections, et la quatrième des questions présentées hier par M. le rapporteur est soumise à la délibération de la Chambre. Elle est ainsi conçue :

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Y aura-t-il plusieurs degrés d'élection? »

M. Faure, député de l'Isère, défend le systême actuel d'élections. La Charte, dit-il, a consacré le véritable principe de la représentation, car la propriété doit être représentée avant tout; là se réunissent et se confondent tous les intérêts de la société. Toute autre base est sans consistance. Les corps, les institutions, les monuments, tout à disparu; en ce point une sorte de chaos existe encore. La propriété a survécu à tous les désastres. La terre, principe de vie du corps social, d'où tout dérive, où tout aboutit, brave les révolutions; en un mot, le sol français existe. Le travail et l'industrie ne peuvent lui manquer. La propriété est donc l'intérêt éminent auquel doivent se rattacher essentiellement les combinaisons du législateur dans notre système représentatif.

M. Faure, trouvant le système électif antérieur basé sur cet intérêt fondamental, et parfaitement d'accord avec l'article 40 de la Charte, désire que l'on s'en tienne à ces errements pratiques qui ont en leur faveur la sanction de l'expérience et du temps, qui dispenseraient de nouvelles recherches vagues, incertaines et peut-être dange

reuses.

Pourquoi changeriez-vous, dit l'orateur, un régime qui a si bien réussi? A quoi bon mettre continuellement en scène des hommes nouveaux? Il n'en peut résulter que des effets nouveaux et souvent funestes. Les choses par leur nature ne changent que trop; établissons, lorsque cela est possible, la fixité des choses et des hommes: c'est le moyen de consolider l'ordre.

M. Faure rejette en conséquence le mode des

assemblées cantonales, comme se rapprochant des assemblées primaires, et faisant craindre à peu près les mêmes dangers. Il vote pour le maintien d'un système électif qui a produit, dit-il, de si bons choix en conservant les colléges électoraux d'arrondissement et de département tels qu'ils sont organisés, il ne s'agira que de remplir les vides, en observant les conditions déterminées par la Charte constitutionnelle.

L'opinion de M. Faure est appuyée.

M. Murard de Saint-Romain, député de l'Ain, émet la proposition suivante :

Il n'y aura qu'un seul collége de département, composé depuis cent cinquante jusqu'à trois cents des plus forts contribuables dont la liste sera arrêtée par les conseils de préfecture, après que le nombre en aura été fixé par Sa Majesté, qui, pour récompenser des services rendus à l'Etat, pourra adjoindre un nombre d'électeurs de son choix égal au dixième dudit collége, et pour lequel dixième la condition de payer telle imposition ne serait pas nécessaire.

En effet, Messieurs, continue l'opinant, n'est-il pas inconvenant d'appeler à remplir des fonctions aussi importantes que celles de législateurs, des fonctionnaires qui ne peuvent quitter leur poste sans les plus graves inconvénients? Vous en avez des exemples sous les yeux. Tous les commandants militaires appelés par Sa Majesté vous ont demandé des congés; nous sommes privés de leurs lumières; des préfets parmi nous ne peuvent de cent lieues, j'en défie, bien administrer leur département; des directeurs généraux, des conseillers d'Etat, des présidents de commissions quelconques, un premier secrétaire d'un ministère, députés, c'est encore un abus; ils ne peuvent remplir les deux fonctions à la fois. Faisons cessser, Messieurs, avec la cumulation des traitements qui ruinent la France, les cumulations de dignités, de fonctions, qui entravent tout, qui fout qu'aucunes ne peuvent être bien remplies.

.M. le comte de Grisony, député du Gers, présente une série d'articles qui lui paraissent devoir faire la base d'une bonne loi d'élections.

En voici la rédaction textuelle :

1° Il y a un collége électoral dans chaque département. Le nombre des électeurs sera fixé, lors de la première convocation, par une ordonnance du Roi, laquelle ordonnance servira de règle pour l'avenir. Ce nombre ne peut excéder 300, ni être au-dessous de 100.

20 Les plus imposés du département, dans les contributions directes, au nombre fixé par l'ordonnance, forment le college.

3o Le collège électoral de département nomme les députés, au nombre fixé par l'ordonnance du 13 juillet 1815, en se conformant aussi à cette ordonnance, relativement au choix à faire parmi les candidats à la députation, nommés par les colléges d'arrondissement, établis ci-après. Il fait les présentations pour le conseil général de département.

4 Il y a un collége électoral dans chaque arrondissement. Le nombre des électeurs de ces colleges est fixé de la même manière que celui des colléges de département, et ne peut excéder 150 ni être moindre de 60.

5o Les plus imposés de l'arrondissement, après ceux appelés au collège de département, forment, au nombre fixé par l'ordonnance, le collège d'arrondissement. Ce college nomme les candidats pour la députation, conformément à l'ordonnance

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du 13 juillet, il présente aussi pour le conseil d'arrondissement.

M. Mioree-Kerdanet, député du Finistère, soutient que les assemblées cantonales, proposées par la commission, doivent assurer les meilleurs choix, et il appuie son opinion de divers passages de Montesquieu, qui lui paraissent avoir une application très-remarquable au sujet dont il s'agit. Les assemblées d'arrondissement et de département, par cela même qu'elles seraient moins nombreuses, seraient nécessairement plus favorables à l'intrigue. Les colléges de canton n'obligent pas aux mèmes déplacements: on se connaît davantage; les caractères, les vertus, les vices, les défauts, les talents, tout peut être apprécié. Le nombre même donne la certitude d'un vœu plus général, et l'on peut dire alors, en quelque sorte: Vox populi, vox Dei. L'opinant vote donc pour l'admission de l'article jer du projet de la commission et en même temps pour le rejet de l'amendement, qui ôterait au Roi la prérogative de nommer les présidents des colléges électoraux de canton.

M. Duvergier de Hauranne (1). Messieurs, sera-t-il formé des assemblées de canton comme le proposent les ministres et la commission, ou, conformément à l'opinion de plusieurs membres distingués de cette Assemblée, les seuls citoyens payant 300 francs d'imposition directe, réunis en colléges d'arrondissement ou de département seront-ils admis à concourir à l'élection des députés? Telle est l'importante question que nous avons à décider.

Pour résoudre cette question, quelques orateurs ont eu recours à de brillantes théories, ils ont recherché quelle était la nature et l'origine du pouvoir de là Chambre. Plusieurs ont vu, en nous, les organes de l'opinion publique, les mandataires du peuple, et ils en ont conclu que le plus grand nombre possible de citoyens devait concourir aux élections; d'autres ont dit que c'était dans la Charte seule qu'il fallait chercher la définition des fonctions de la Chambre. Ils ont demandé si l'élection et l'intervention dans les affaires publiques étaient un droit populaire préexistant à la Charte, ou si l'élection et un moyen résultant de la Charte pour obtenir les choix les plus judicieux. Dans le premier cas, a dit un orateur, ceux qui veulent admettre aux élections un grand nombre de citoyens auraient raison, car nous serions une représentation nationale, système dangereux dont il a fait sentir éloquemment les funestes conséquences, que l'expérience ne nous a que trop démontrées. Dans le second cas, le mode des élections doit dériver uniquement des dispositions de la Charte; or, aux termes de l'article 40, les électeurs qui concourent à la nomination des députés doivent payer une contribution directe de 300 francs, et avoir l'àge de trente ans; ainsi la question est résolue, et il ne s'agit que d'organiser les colléges électoraux, d'après la base posée par l'article 40.

Il me semble d'abord que de ce que le droit de la nation de concourir par des députés à l'établissement des impôts et à la confection des lois, serait préexistant à la Charte, il n'en résulterait pas qu'il fallut se jeter dans le vague de théories et donner à ce droit une étendue dangereuse. Un droit ne peut s'exercer que d'après des règles qui déterminent le mode de son exercice; c'est avant l'établissement de ces règles qu'il est per

(1) Le Moniteur ne donne qu'un sommaire du discours de M. Duvergier de Hauranne.

mis de chercher un guide dans les théories; mais lorsqu'une loi fondamentale existe, tout est fini, tout est immuable, et c'est dans les principes et les dispositions de cette loi qu'il faut prendre le point de départ des règlements postérieurs. En appliquant ce raisonnement à notre position, je crois pouvoir reconnaître sans danger que le droit de la nation d'intervenir par des députés dans certaines affaires publiques, est antérieur à l'établissement de la Charte; il remonte au berceau de la monarchie. Les assemblées de Mars, de Mai, les Etats généraux en sont la preuve, et les parléments, quoiqu'ils ne l'exercassent qu'imparfaitement et sans mandat, en ont conservé la tradition, et l'auraient sauvé de la prescription s'il avait été possible qu'il put se prescrire. Ce droit a donc toujours existé, et il existerait encore, quand même, dans d'autres temps, l'exercice en serait suspendu par quelque cause que ce soit; on pourrait toujours avec raison le revendiquer, car on ne me persuadera jamais que nos libertés ne dérivent que de la Charte; elles sont de tous les temps. Mais il est vrai, il est incontestable que la Charte a réglé la manière dont ces libertés seront exercées; elle est devenue la loi fondamentale de l'Etat. C'est dans son texte que l'on doit chercher quelles sont les fonctions de la Chambre et les principes qui doivent servir de base à une loi sur les élections.

Sans m'arrêter à une discussion qui serait hors de place, sur la nature de nos fonctious, je me contenterai de dire que la Chambre n'exerçant la puissance législative que collectivement avec le Roi et la Chambre des pairs, ne peut pas avoir la prétention d'être la représentation nationale.

Il faudrait pour cela qu'elle fût unique, et que tous les autres pouvoirs dérivassent d'elle; c'est à cette conséquence que nous avait conduit le principe absolu de la représentation nationale, et cette conséquence est la république, dont est dérivée la tyrannie.

Dans une monarchie mixte, comme la nôtre, le Roi, la Chambre des pairs et celle des députés, forment, collectivement, la représentation nationale; une seule partie ne peut pas s'attribuer ce qui n'appartient qu'à un tout indivisible.

Voyons, à présent, quelles sont les règles établies par la Charte, relativement à l'élection des membres de la Chambre des députés.

L'article 40 porte que les électeurs qui concourent à la nomination des députés ne peuvent avoir droit de suffrage, s'ils ne payent une contribution directe de 300 francs, et s'ils ont moins de trente ans.

Cet article me paraît clair; on a cependant cherché à l'interpréter de diverses manières; on a prétendu que concourir était élire directement, ou en présentant des candidats, et que l'action de nommer les électeurs n'était pas concourir à l'élection, mais seulement y prendre part. Quant à moi, je ne comprends pas cette différence; et prendre part ou concourir à une élection me paraissent une seule et même chose.

On a dit que c'était créer une aristocratie que de n'admettre à prendre part aux élections que les citoyens payant 300 francs de contribution; mais qu'en formant des assemblées cantonales composées de tous les citoyens payant 50 francs d'imposition directe, on établirait un patronage entre cette classe du peuple et les grands propriétaires, qui déterminerait le choix en faveur de ces derniers. Ainsi, pour éviter une aristocratie qui aurait peu de dangers,

parce qu'elle serait nombreuse, on cherche à en créer une beaucoup plus réelle; mais on ne s'aperçoit pas qu'il est présumable que la classe des contribuables de 50 francs sera plus disposée à donner ses suffrages à des hommes qui, placés à une moindre distance d'elle, auront des intérêts semblables, et lui inspireront par cela même plus de confiance.

On a dit aussi que l'article 40 était compris dans ceux, qui aux termes de l'ordonnance du 13 juillet, sont soumis à la révision des Chambres, cela est vrai. Mais il convient de remarquer qu'il contient deux dispositions, la première relative à la contribution que doivent payer les électeurs, la seconde à leur âge; c'est cette dernière disposition seule qui est soumise à notre révision. Je me crois fondé à raisonner ainsi, parce que le Roi a pris l'intiative à cet égard; et qu'au contraire, par tous ses actes il a maintenu la première disposition.

Il n'y a donc que des citoyens payant 300 francs de contribution directe qui puissent concourir à l'élection des députés. Toute la difficulté consiste à savoir si on les divisera en colléges d'arrondissement et de département, et comment on composera ces colléges dans les deux cas opposes où le nombre des électeurs serait trop grand ou trop faible.

Je penche pour la conservation de la division actuelle en collèges d'arrondissement et de département.

Les colléges d'arrondissement nommeraient les membres des colléges de département et un nombre déterminé de candidats pour les fonctions de député.

Tout citoyen payant 300 francs de contribution directe serait de droit membre du collège d'arrondissement; si le nombre des électeurs était trop grand, le college se diviserait en sections; s'il était trop petit, on y appellerait les plus imposés au-dessous de 300 francs.

Les colléges de département nommeraient les députés.

Il me semble que ce système aurait l'avantage d'être conforme à la lettre de la Charte, d'appeler un nombre suffisant de citoyens à concourir aux élections, et d'y faire participer tous les intérêts essentiels de la nation, parce que les contributions mobilières, somptuaires et des patentes, étant comprises dans les impôts directs, il résulterait nécessairement de la réunion des intérêts fonciers, mobiliers et commerciaux dans les colléges, qu'ils seraient tous représentés et défendus dans la Chambre des députés. La fonction d'électeur serait un droit acquis à tous ceux qui y sont appelés par la Charte, et elle deviendrait un motif d'émulation pour tous les Français.

Je propose d'admettre en principe:

10 Que tous les citoyens payant 300 francs de contribution directe sont électeurs de droit ;

2o Qu'il y aura des colléges d'arrondissement et de département;

3° Que les colléges d'arrondissement nommeront les électeurs de département et des candidats aux fonctions de député ;

4° Que les colléges de département nommeront les députés.

Enfin, de renvoyer le tout à la commission, pour présenter une nouvelle rédaction du projet de loi.

M. Fornier de Saint-Lary, succédant à M. Duvergier, présente des dispositions conçues

en ces termes :

« Il y a dans chaque arrondissement un collége

électoral composé des plus haut imposés domiciliés dans l'arrondissement, à raison d'un électeur par cinq cents âmes, sans que le nombre de membres du collége puisse excéder deux cents. Chaque collége nomme directement un député à la deuxième Chambre de la législature.

«Les quatre députés restant à nommer scront répartis entre la ville et les arrondissements dont la représentation n'aurait pas été jugée suffisante en raison de leur population et de leur force contributive. »

L'opinant pense que l'influence du gouvernement sur les élections n'est nullement nécessaire, et qu'aucun milieu ne doit s'interposer dans la confiance, seule appelée à diriger les choix. On demande à aller aux voix.

M. de Saint-Aulaire. Un des opinants qui m'a précédé à cette tribune a proposé de n'admettre, soit dans les assemblées de canton, soit dans les colléges d'arrondissement, que des citoyens payant les 300 francs de contribution directe exigés par l'article 40 de la Charte.

Cet amendement est-il bon en lui-même ? est-il nécessaire et la conséquence rigoureuse de cet article?

Je crois avoir suffisamment discuté la première de ces deux questions dans l'opinion que j'ai émise après le premier rapport de la commission. Je ne m'occuperai donc ici que de la seconde.

Messieurs, la discussion de la loi qui nous occupe était déjà avancée l'orqu'un illustre collègue (M Lainé) a exprimé, sur la question que je me propose d'examiner, une opinion faite pour obtenir une grande influence sur les délibérations de la Chambre, et qui néanmoins a pu sembler étrange par la nouveauté de quelques idées qui s'y rencontrent. M. Lainé a paru croire que l'article 40 de la Charte exige que les électeurs des assemblées de canton payent 300 francs de contribution directe. Je suis loin d'interpréter ainsi cet article, et s'il était en effet susceptible d'une telle interprétation, votre commission n'aurait pas manqué de vous en entretenir dans son rapport. Son silence suffirait pour me confirmer dans l'opinion que l'article en question ne présente point le sens que lui a trouvé notre honorable collègue.

Mais une autorité plus grande, plus imposante encore que celle de votre commission, et qui ne peut laisser aucun doute dans nos esprits, c'est le Roi lui même, c'est le monarque-législateur qui nous a donné la Charte et à qui seul il appartient d'interpréter son ouvrage. Si le Roi eût voulu imposer la condition des 300 francs d'imposition directe à tous les Français exerçant le droit d'élection d'un degré quelconque, la Charte exprimerait clairement cette intention; mais l'imposition exigée ne concerne évidemment que les citoyens devenus électeurs et concourant d'une manière directe au choix des députés. Voilà ce qui existe; voilà ce que le Roi a voulu; et ce qui le prouve, c'est que le projet des ministres ne contredit en aucune manière cette interprétation toute simple de l'article dont il s'agit.

La question est donc résolue par le seul fait de la parole du Roi.

Si cependant il ne nous était pas permis d'invoquer cet auguste témoignage, il suffirait de l'examen grammatical de l'article 40 de la Charte, pour juger que la disposition ne renferme pas le sens qu'on lui attribue.

Avant que la Charte nous fut donnée, il existait deux degrés d'élections directes, les colléges

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