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légal, quel nom faudra-t-il donner à cette espèce de séparation considérée sous le rapport de la morale et de la justice? Car, si les deux époux sont également coupables, la séparation ne sera pour eux qu'une occasion plus favorable, un moyen plus commode de se livrer à leurs affections déréglées; mais si l'un des deux avait jusque-là résisté à l'exemple, pourra-t-on lui reprocher de chercher dans le prestige d'un amour illegitime ce fantôme du bonheur domestique qu'il eût trouvé peut-être dans de nouveaux nœuds mieux assortis.

Et les enfants, que deviendront-ils, tandis que leurs parents dévoreront dans le scandale les ressources de leur avenir, et ne leur laisseront pour tout héritage que l'exemple de leur mauvaise conduite et quelques droits litigieux à exercer contre les complices et les rejetons de cet infâme concubinage?

Nous ne croyons pas, avec le rapporteur, que le repentir puisse devenir l'asile de la faiblesse, parce qu'il ne peut y avoir jamais de raprochement sincère entre deux personnes, dont l'une fait le plus grand des affronts; celui qui oublie est un lache, un être avili, et vous ne faites pas de lois pour la lâcheté et la bassesse.

On parle des rêves de gens de bien. En fut-il jamais de plus fantastique que la prétention de corriger une nation corrompue par les vices d'une longue civilisation? Les filles du vieil Acson égorgèrent leur père dans le vain espoir de lui rendre la force et la santé de la jeunesse. Leur parricide piété hâta la mort du vieillard, dont les jours eussent pu être prolongés par un régime adapté à son âge et à sa faiblesse.

Allégorie ingénieuse, pour nous faire apercevoir les dangers d'un zèle inconsidéré, et nous prémunir contre ces médecins politiques, qui prétendent nous ramener à la santé et à la jeunesse par l'usage de quelques transfusions mystérieuses, et guérir les maux les plus invétérés avec des amulettes!

En général, le rapporteur de la commission nous à prêché une résignation bien méritoire sans doute. Il puise ses motifs dans les dogmes de notre religion, dans les exemples de nos pères, de nos voisins, dans l'espoir du repentir et dans le mérite du pardon; il pense que l'abolition du divorce produira les meilleurs effets; qu'en épurant les mœurs domestiques, il régénérera l'Etat, dont la famille est le berceau.

Je partage ses vœux bien plus que ses espérances. En attendant, pour concilier ce que nous devons à notre religion, qui proscrit le divorce, à la Charte, qui reconnaît tous les cultes, à la loi qui considère le mariage comme un contrat civil, je propose pour amendement :

Que le divorce soit conservé pour les mariages qui n'auront pas été bénis par un prêtre catholique, et pour cause d'adultère seulement.

Il me semble que cette exception sera un hommage rendu à l'excellence et à la sainteté de notre religion, et prouvera notre profond respect pour ses dogmes, bien mieux que la disposition générale qui vous est proposée.

M. Blondel d'Aubers (1). Lorsque des novateurs audacieux eurent formé le projet de détruire la monarchie, ils ne furent pas assez insensés pour l'attaquer directement et à force ouverte, parce qu'ils sentirent que les leviers des passions, quelque forts qu'ils pussent être, fléchiraient

(1) Le discours de M. Blondel d'Aubers n'a pas été inséré au Moniteur.

sous le poids d'un édifice de quatorze siècles. Ils en minèrent les fondements: ce fut alors qu'ils cherchèrent à déplacer tous les éléments de l'ordre social; qu'ils voulurent détruire la religion de nos pères, pour placer sur ses ruines celles qu'ils avaient rêvée; et vous jugez, Messieurs, qu'un miracle eût été nécessaire pour conserver au milieu de leurs dévastations l'institution du mariage dans toute son intégrité. Le mot de divorce fut donc prononcé. Mais où le fut-il?

Est-ce dans une de ces assemblées révolutionnaires, criminelles, mais au milieu de laquelle existait au moins une apparence de représentation?

Non, Messieurs, même alors dans cette enceinte on aurait craint de révolter par ce mot ceux qui déjà organisaient la révolte.

Il fut essayé, prononcé dans une de ces orgies nocturnes où se méditaient, se préparaient les plus grands crimes, et sortit de la bouche de celui qui, placé par sa naissance sur les derniers degrès du trône, mais qui, craignant sans doute que le temps ou les événements ne répondissent pas à son impatience, provoqua et fit décréter la

mort de son souverain.

Voilà, Messieurs, quel fut le premier moteur de cette institution antisociale, antipolitique, antireligieuse. Son origine suffirait seule pour vous en faire sentir toute l'immoralité, et en provoquer l'abolition.

Mais ici, ce n'est pas un ennemi qu'il faut se contenter de proscrire, il faut de plus l'attaquer dans toutes les formes, non pour la gloire de le vaincre, il est vaincu à l'avance, mais pour le décomposer, pour en faire connaître tous les dangers, toutes les perfidies, et guérir, s'il est possible, ses partisans des prestiges qui l'y attachent, par l'évidence et la force des grandes vérités avec lesquelles nous allons le combattre.

Le divorce fut introduit en France en 1792. Alors on voulait dissoudre l'Etat, renverser tous les principes religieux qui le soutenaient; il fallait donc désorganiser les familles, mettre en opposition tout ce qui auparavant était en harmonie.

Attaquant la religion, parce qu'elle devait les arrêter dans leur marche, ces infatigables destructeurs ne crurent pas suffisant d'en avoir proscrit les signes extérieurs, ils l'immolèrent dans ce qu'elle avait de plus sacré, et le divorce fut proclamé comme une conquête de la raison, comme une restitution faite à la nature, à la liberté.

Mais, aujourd'hui que toutes les eaux de ce déluge de crimes se sont retirées à l'apparition de notre antique légitimité, que voulons-nous? Affermir l'Etat, non pas en créant, car nous n'avons pas besoin de créer, mais en rappelant nos sages institutions dont les souvenirs sont liés avec la reconnaisance; et certes, Messieurs, l'indissolubilité des liens du mariage, le plus sacré comme le plus solide soutien de la grande famille, doit tenir le premier rang parmi elles.

Le mariage a pu être attaqué; car que n'ont pas attaqué les passions des hommes ! Mais son institution a cela de particulier, que ses détracteurs même ont toujours reconnu que l'indissolubilité en formait l'essence; ils l'ont reconnu, parce que ces grandes et imposantes vérités, nées avec le monde, de tous les pays, triomphent toujours, et s'accroissent en forces, des efforts faits pour les ébranler.

Le mariage est un acte contracté sous la triple

autorité de la loi naturelle, de la loi civile et de la loi religieuse; une union dont la perpétuité est le vœu.

Le consentement mutuel nécessaire pour la formation de tous les contrats synallagmatiques, est l'essence de celui-ci, mais le principe qui régit la résolution des premiers ne peut être applicable au contrat de mariage, parce qu'il est impossible de remettre les parties contractantes dans le même état où elles étaient avant de contracter; c'est ici, je crois, où l'on peut placer une des plus fortes raisons de l'indissolubilité voulue par la nature.

Elle n'est pas moins évidente sous le rapport de la loi civile, qui n'est ici que régulatrice de la loi naturelle.

En effet, dans l'acte de mariage, les époux ne contractent pas pour eux seuls: il sort de l'union conjugale des tiers ou enfants dont les droits sont aussi consacrés que s'ils étaient intervenus euxmêmes dans le contrat que dis-je, Messieurs? ils y sont intervenus par le ministère de l'officier civil ou du prêtre, et par l'engagement tacite du public garant d'une convention passée en sa présence, et qui, devenant par là la cause commune de toute société, place la pureté, la perpétuité du mariage sous sa sauvegarde et celle de la loi.

Voilà pourquoi les mariages clandestins ne sont pas permis; parce que, n'offrant aucun signe de leur existence, ils se dérobent à l'ordre social dont la garantie peut être considérée comme le premier soutien, le complément du mariage.

Ainsi donc, puisque l'intervention des droits des enfants forme partie intégrante dans les liens du mariage, pour ne faire qu'un même tout avec les obligations des époux, il s'ensuit que, pour rompre ces liens, le concours de ces pouvoirs est nécessaire; et déjà vous apercevez qu'il est impossible car comment imaginer que les enfants puissent jamais stipuler contre leurs intérêts, conire leur existence, en se bannissant de la présence des auteurs de leurs jours?

Les lois naturelles, civiles et religieuses ont donc voulu que les droits des enfants, que l'on pourrait appeler leur veto, fussent placés comme dernier anneau de la chaîne du mariage, pour la rendre indestructible.

Et vous remarquerez ici, Messieurs, la sagesse et la prévoyance de cette divine institution qui ne s'est pas contentée de mettre l'innocence sous la protection du plus fort, et sous l'empire tutélaire de la tendresse la plus vive, mais qui lui a constitué des droits particuliers, afin qu'elle puisse, avec leur secours, se défendre contre l'inconstance qui pourrait tenter de rompre les liens du mariage, si tous les droits étaient du côté des époux.

Admirable enchaînement des obligations naturelles avec les devoirs sociaux ! L'Auteur de tout a voulu que l'homme ne pût devenir fort que par l'ordre, les mœurs et les vertus.

C'est à l'aide de cette révélation que les grandes sociétés se sont formées et perpétuées dans le bonheur, et toujours en s'en écartant elles ont été frappées des plus grandes calamités.

L'histoire est un continuel témoignage du respect porté par tous les peuples à la perpétuité du mariage. Et qu'on ne croie pas que ce respect ait été le fruit des lumières de la civilisation : les hommes encore dans l'enfance sociale avaient ce sentiment dans leurs cœurs, et cette inspiration toute naturelle, toute divine, tenait lieu chez eux de loi positive.

La polygamie, la répudiation, le divorce, introduits dans les siècles les plus reculés, démontrent la force du principe de l'indissolubilité du mariage, puisque, attaqué alors par les coutumes ou les lois, il se réfugiait dans le sanctuaire des mours; la chasteté défendait alors ce que la loi permettait, et hommages étaient rendus au principe par les nations mêmes que le déshonoraient.

Mais, Messieurs, ce triomphe des mœurs, des inspirations religieuses, semblait préparer les hommes à un triomphe bien autrement puissant et durable, celui de la religion chrétienne.

Elle apparut au milieu de toutes les dépravations, jeta le germe de toutes les vertus, acheva de graver au fond des cœurs le principe de la perpétuité du mariage, en fit un principe divin, et assit par là, sur une base sacrée, le bonheur et le repos des sociétés.

La France a joui pendant quatorze siècles des bienfaits de cette sainte doctrine, et elle en jouirait encore sans la guerre à mort que lui ont livrée ces hommes d'une race, tout extraordinaire sans doute, puisque aucune page de l'histoire n'offre rien de comparable à ce qu'ils ont fait.

Vous voyez donc, Messieurs, qu'aucun peuple n'a méconnu le caractère d'indissolubilité attaché aux liens du mariage. C'était chez tous un dogme religieux, puisque tous appelaient en témoignage, en garantie, la divinité dans leurs unions, comme s'ils avaient voulu indiquer par cette intervention céleste que le plus grand bonheur de la vie devait avoir pour premier garant, pour premier témoin, Dieu même, la source de toute félicité.

Après vous avoir démontré, je crois, que l'indissolubilité du mariage est de l'essence même de ce contrat, je vais chercher à vous prouver que si elle n'existait pas, il faudrait l'établir pour le repos, le bonheur de la société, et pour le soutien de l'Etat.

Personne ne peut contester que le mariage est, de toutes les actions de la vie, celle qui a le plus d'influence sur la conservation des familles, sur les mœurs, et conséquemment sur tout l'ordre public.

I importe donc que cet acte soit durable, maintenu dans toute sa force, si vous voulez que ses résultats n'éprouvent aucune altération.

Or, Messieurs, le mariage n'a pas été institué dans l'intérêt seul des époux, mais surtout dans celui des enfants à naître, et, par suite, de la société entière l'obligation de les élever, de leur donner un état, est donc un devoir imposé aux auteurs de leurs jours; devoir qui garantit la perpétuité de l'ordre social, puisqu'il n'est formé que de la réunion de toutes les familles ; il faut donc que la loi qui doit veiller à leur conservation, loin d'affaiblir les obligations des pères et mères, les fortifie de nouveau, en mettant son sceau à l'indissolubilité du mariage, déjà voulue par la nature.

Il faut nécessairement que la société conserve les familles pour se conserver elle-même.

Et quels moyens plus puissants de conservation que de mettre en harmonie la loi civile avec les lois naturelles et religieuses, de protéger par cet heureux concours les droits qu'ont les enfants à la tendresse, aux soins de leurs parents, et d'écarter en même temps de ces derniers toute possibilité de nuire à l'ordre public en rompant les liens qui les unissent!

Car vous le savez, Messieurs, ce sont les mœurs des familles qui font la force des empires, ce sont ces mœurs qui les gouvernent; portez donc tous vos soins sur la pureté des affections domes

tiques, alors seulement l'Etat sera riche d'hommes probes, vertueux, dignes de le servir, dignes enfin de toute la confiance de leurs concitoyens.

La loi prohibitive du divorce a eu généralement l'approbation de tous les siècles, parce qu'elle est une loi toute de prévoyance, de moralité, que l'instabilité du cœur de l'homme a rendue nécessaire.

Vous y trouvez, comme dans toutes celles bien coordonnées avec l'ordre social, ce grand principe, qu'il faut, pour le bonheur commun, enlever à l'homme une partie de sa liberté, et qu'il n'est lui-même indépendant, heureux, que lorsqu'il est soumis.

La loi devait donc imposer un frein à son inconstance, et lui donner une garantie contre luimême dans l'irrévocabilité de l'acte le plus important de sa vie.

L'indissolubilité des liens du mariage voulu par la nature, confirmée par les lois religieuses et civiles, n'est pas une de ces inventions humaines produites par aucun système créé dans la pensée de tel ou tel gouvernement; elle prend sa source dans la volonté de Dieu même; elle a été reconnue par toute la terre comme une des bases fondamentales des mœurs, de l'existence, de la conservation de l'ordre social, enfin comme le ciment des familles.

Mais pouvons-nous abolir le divorce pour les religions qui l'admettent, quand la Charte permet l'exercice de tous les cultes?

Et ne doit-on pas le laisser subsister comme remède nécessaire quand il est reconnu que la vie est devenue insupportable entre époux toujours en état de guerre ?

A Dieu ne plaise que je veuille affaiblir le principe de la tolérance religieuse! Mais le législateur, en accordant ce principe, n'a pas voulu ui pu vouloir admettre dans notre législation ce qui pourrait corrompre, altérer ou affaiblir les institutions fondamentales de la société.

Ainsi, par exemple, vous n'admettriez pas en France la religion qui autorise la polygamie; vous n'admettriez pas de même celle qui permet l'exposition des enfants; enfin, tant d'autres qui offensent l'humanité, désorganisent l'ordre social: et pourquoi, Messieurs? parce qu'un gouvernement qui accorde, place toujours tacitement hors de ces concessions tout ce qui peut tendre directement ou indirectement à renverser ce qu'il doit essentiellement soutenir, protéger avant tout.

Et le divorce ne sape-t-il pas la société dans ses fondements?

N'est-il pas du nombre de ces fléaux dont la Révolution a frappé notre patrie?

N'est-il pas venu, précurseur de bien d'autres maux, attaquer lui-même l'indissolubilité du mariage, un de nos dogmes les plus sacrés ?

N'a-t-il pas déjà répandu le désordre dans les familles en séparant les enfants des auteurs de leurs jours, en leur donnant l'exemple du vice où ils devaient trouver celui des vertus?

N'a-t-il pas appris à porter dans l'union sacrée du mariage la légèreté, l'insouciance, la cupidité, par la facilité calculée à l'avance de pouvoir la détruire?

N'a-t-on pas vu, enfin, des maris divorcer jusqu'à trois fois, se faire ainsi un jeu de leurs criminels caprices? et n'en verrait-on pas divorcer toute leur vie, si bientôt vous ne mettiez un terme à leur audace!

Cette esquisse des maux produits en France par le divorce suffirait sans doute pour en décider la proscription.

Mais de plus, Messieurs, pouvez-vous maintenir une institution contraire à un principe de droit commun, que nul ne peut traiter pour des tiers intéressés sans leur consentement exprès? Et tel serait cependant l'effet du divorce, puisqu'il prive les enfants des droits entiers qu'ils ont acquis par le mariage à la tendresse, aux soins des auteurs de leurs jours.

Vous diviseriez ce qui doit rester uni; vous infligeriez une peine aux enfants au lieu de les protéger.

Vons mettriez en opposition la loi avec la religion, les mœurs et la conservation des familles. Vous apprendriez que les liens les plus sacrés, formés par la volonté de deux, peuvent être rompus par la volonté d'un seul, et que le mariage n'est qu'une position épisodique dans la vie; qu'ainsi un mari ingénieux dans ses caprices, savant et audacieux par le succès dans l'art du divorce, pourra calculer à l'avance combien, dans le cours supposé de sa vie, il prendra de_femmes, fera des victimes de ses désordres.

Certes, si c'est là ce que nos novateurs appellent remède nécessaire aux unions malheureuses, le remède est mille fois pire que le mal.

Il faut donc conclure que le divorce, qui blesse notre religion, corrompt nos mœurs, attaque nos principes, n'a pu être compris dans la tolérance des religions; car le gouvernement, premier principe de la conservation sociale, serait en même temps principe de sa destruction. Contradiction manifeste, révoltante!

Et d'ailleurs, Messieurs, en garantissant à tous la liberté de leur croyance religieuse, pourquoi enlèverions-nous à la nôtre ce qui lui appartient, le dogme de l'indissolubilité du mariage?

Quoi! nous faisons des concessions, et l'on nous imposerait un sacrifice!

Les trente-neuf quarantièmes de la France méconnaissaient le divorce, et vous l'offririez à tous parce qu'il convint au plus petit nombre!

Ce serait renverser tous les principes, recevoir la loi au lieu de la donner.

La tolérance serait entière pour toutes les religions, pour la nôtre elle serait un tribut!

La religion catholique a été reconnue religion de l'Etat; l'Etat doit donc la protéger: et pour protéger, il faut d'abord conserver.

Mais voulez-vous, disent les sectateurs du divorce, laisser en proie à tous les tourments ceux que le mariage a trompés dans leur attente? C'est sans doute un des tableaux les plus affligeants de la vie humaine, que celui de deux époux inal assortis.

Mais, Messieurs, le mariage est-il comptable de leurs chagrins?

Offenserez-vous la nature?
Outragerez-vous la religion?

Changerez-vous la plus sainte, la plus salutaire des institutions par le seul motif d'offrir un remède passager, incertain à quelques individus presque toujours coupables qui ont manqué le but?

Et ce remède, regardé comme nécessaire par nos esprits forts, a-t-il réellement cette efficacité qu'on lui suppose?

Non, Messieurs, il ne finit pas les misères des époux qui l'ont invoqué à leur secours. De nouvelles victimes ne tardent pas à se réunir aux premières.

Celui qui n'a pas craint de se montrer une fois parjure à ses serments, n'est arrêté par aucune considération.

Ce n'est plus le bonheur qu'il cherche, il a cessé

d'en être digne. Le mariage a perdu pour lui son caractère sacré.

Il n'y voit plus qu'un moyen de satisfaire sa cupidité, ses passions les plus basses, les plus sensuelles.

Insouciant sur les suites d'une union malheureuse, il ne se donne pas même la peine d'en prévoir les dangers qu'il ne craint pas, puisqu'il sait quand et comment il pourra la rompre; il transforme ainsi le mariage en polygamie successive.

Et pourquoi les plaindre ces êtres pervers? pourquoi leur tendre une main secourable?

Le mariage n'offre-t-il pas également à tous les mêmes avantages?

A-t-il caché aux époux malheureux les obligations sacrées qu'ils allaient contracter?

Ne leur a-t-il pas dit que le bonheur est le prix de la vertu, de la pureté du cœur, comme tous les malheurs sont le résultat d'une union coupable ou mal assortie?

Que ceux donc qui méconnaissaient l'importance et la sainteté de ce grand acte de la vie, qui marchent à l'autel moins pour y trouver une compagne qu'un complice, supportent sans murmure toutes les angoisses de leur conduite légère ou criminelle ! Ils sont les auteurs de leurs maux. La loi doit rester inflexible; elle cesserait ici d'être juste, si elle était indulgente.

D'ailleurs, les lois n'ont-elles pas fait assez pour l'inconstance de l'homme, pour les erreurs, pour les faiblesses, en autorisant les séparations de corps? Le législateur, dans sa sagesse, a offert cette concession à la fragilité humaine, moins par compassion pour les époux malheureux, que pour étouffer l'éclat, le scandale, et voiler le tableau des désordres domestiques. Mais, toujours fidèle au grand principe de l'indissolubilité des liens du mariage, il a laissé aux époux séparés l'espérance du rapprochement.

Hâtons-nous donc de rendre à la religion, à la société, ce qui lui a été arraché par le crime. Hâtons-nous d'effacer dans nos lois cette institution du divorce.

Proscrivons le changement dans les familles, puisqu'il est proscrit dans l'Etat.

Rendons-leur les mœurs pour préparer à la société l'héritage de toutes les vertus qui feront sa force et le désespoir de ses ennemis.

Assez longtemps la France a été en proie à tous les génies malfaisants qui en ont fait le malheur et le feraient encore, si la légitimité ne les avait renversés de leur trône sanglant, et si les peuples, détrompés par leurs vingt-cinq années de crimes et de perfidies, ne les voyaient plus que comme ces signes funestes qui annoncent le désordre et la tempête.

Depuis trop longtemps ces orgueilleux philosophes ont semé dans le cœur des hommes leurs abominables doctrines.

Ces prétendus philosophes qui osent se vanter d'avoir rendu à la France, au genre humain, les droits, la liberté, et qui partout ont jeté le désordre, l'anarchie;

Moins téméraires aujourd'hui, parce que leur masque est arraché, ils ont changé de système sans changer de principes.

Ils pleurent de douleur aux moindres apparences de l'ordre, de la tranquillité.

Ils frémissent à la seule pensée du rappel de nos vieilles et bonnes institutions.

Ils vous disent Attendez, les esprits ne sont pas mûrs, les mœurs sont changées, il faut laisser faire au temps.

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C'est qu'ils espèrent que le temps, grand auxiliaire du mal comme du bien, raffermira leur pouvoir ébranlé, et que, nouveaux Prométhées, ils pourront encore défier le ciel, la terre, bouleverser une seconde fois la société, et rétablir leur empire.

Mais, vains efforts! vaines espérances! cette belle France qu'ils ont frappée de tant de maux est gouvernée par ses souverains.

Elle est rendue à l'honneur, à la loyauté; elle est donc rendue à elle-même.

Elle vient, Messieurs, avec ses beaux et brillants souvenirs de quatorze siècles de gloire et de prospérité, vous demander de la replacer sur ses bases antiques: la religion, les mœurs, la justice; elle vous demande l'abolition du divorce. Vous l'avez déjà proscrit dans vos principes, vous le proscrirez dans votre résolution.

On demande la clôture de la discussion; elle est mise aux voix et adoptée.

M. le Président donne lecture du projet de la commission et rappelle le seul amendement qui ait été proposé.

La question préalable est invoquée sur cet amendement et adoptée.

M. le Président met le projet aux voix.

Un membre (M. Aupetit-Durand) fait obserser que les mots instances en divorce qui sont daus le troisième article du projet, ne s'appliqueraient qu'au cas où il ya conflit judiciaire, et qu'il est à propos d'y substituer le mot demandes, afin d'embrasser tous les cas quelconques. Cette modification est adoptée.

Un autre membre représente que l'abolition du divorce consacre ceux qui ont été prononcés, et empêche le retour des époux à leurs liens légitimes, en les retenant irrévocablement dans ceux qu'ils auraient postérieurement formés.

Il dit aussi que cette mesure est en contradiction avec le code, qui rescinde le mariage en cas de mort civile.

Cette dernière assertion est combattue par le troisième opinant, qui soutient que la mort civile n'opère pas,par le seul fait, la dissolution du mariage; mais qu'elle est seulement comprise parmi les causes de divorce.

Un quatrième opinant (M. Voysin de Gartempe) s'oppose à la continuation de cette discussion de détails; il dit que le projet mis en délibération ne contient que des principes généraux, et que les questions qui s'y rattachent ne devront être examinées et débattues que lorsqu'il s'agira de la confection complète et irrévocable de la loi.

La Chambre ferme la discussion, et adopte en totalité le projet de la commission.

On procede au scrutin. Le nombre des votants est 217; le dépouillement donne 195 boules blanches et 22 noires.

L'adoption du projet est proclamée par M. le président.

La résolution sera transmise à la Chambre des pairs dans le délai de dix jours. La séance est levée.

ANNEXE

Au comité secret de la Chambre des députés du 2 mars 1816.

NOTA. Nous insérons ici les opinions de M. Chifflet, de M. Josse Beauvoir, et de M. Royer sur le divorce. Ces discours n'ont pas été prononcés à la tribune, par suite de la clôture de la discussion, mais ils figurent néanmoins dans les impressions de la session 1815-1816 et sont mentionnés dans la table des procès-verbaux.

M. Chifflet (1). Messieurs, la loi qui établit et règle le divorce doit-elle être conservée ? a-t-elle les principaux caractères qu'une loi doit avoir pour être bonne, pour être juste?

Au contraire, la loi qui interdirait le divorce ne réunit-elle pas ces caractères?

Voilà les deux questions que nous avons à dis

cuter.

1° Un des caractères essentiels à la loi est d'être égale pour les individus dont elle règle les droits et les devoirs.

Celle du divorce blesse tellement les intérêts de l'épouse, que la passion seule peut l'entraîner à le demander : il faut pour la déterminer l'aveuglement de la passion. La résolution d'un contrat doit rétablir les parties dans leur état primitif; du moins à l'égal l'une de l'autre, et surtout pour les torts, pour les changements dont l'une des parties est la cause même innocente. Ici l'épouse à souvent tout perdu, et sans retour la santé, pour avoir donné des enfants à ce mari qui l'abandonne, la gaieté, qui fuit devant les peines domestiques, les charmes de la jeunesse, et cet attrait de la première innocence plus séduisant encore que ces charmes. Que lui rend son mari? sa fortune. Et l'homme, avec la sienne, conserve ordinairement, plus favorisé en cela par la nature, il conservé, pour s'attacher une deuxième épouse, les avantages dont il s'est servi pour séduire la première.

Mais ce sont surtout les intérêts des enfants qui sont cruellement compromis par la résolution d'un contrat qui les avait pour principal objet. Toujours ils perdent. Séparés au moins de l'un de leurs parents, éducation, principes, fortune tout est compromis. Souvent la tendresse maternelle elle-même dégénère en aversion; il faut un acte aussi antinaturel que le divorce pour détruire le plus vif, le plus solide sentiment de la nature. Mais l'éloignement de la mère pour le père l'éloigne des enfants; et bientôt le lien avec un second époux, la naissance d'autres enfants, rendent les premiers odieux; les intérêts se croisent, et le nouveau mari ne voit en eux et finit par ne faire voir en eux que des ennemis.

Comment donc qualifier, si ce n'est d'injuste et de cruelle, une loi qui, de deux contractants, ne semble favorable qu'à l'un d'eux, qui, toujours, blesse les intérêts d'un tiers, et d'un tiers mineur; et qui les blesse tellement, que jamais tuteur ne peut consentir à ce changement d'état ? Comment le gouvernement, tuteur-né du faible, du délaissé, du mineur, pourrait-il autoriser la résolution aussi injuste d'un contrat solennel qu'il a vu former, dans l'intérêt des enfants autant et plus que dans l'intérêt des époux?

2° Un second caractère de la loi est d'être noble par sa tendance franche et directe vers son but.

La loi du divorce, loin de suivre cette marche,

(1) Le discours de M. Chiflet n'a pas été inséré au Moniteur.

semble chercher à entraver ce qu'elle blâme et n'ose défendre. Ces formalités qu'elle multiplie, qu'elle renouvelle, sont un hommage aux principes, un premier pas de retour au vrai, plutôt que des précautions propres à empêcher le mal; elles ne peuvent que le suspendre. Des essais de rapprochement, tels que ceux indiqués par la loi, ne peuvent produire d'effet réel; et par là, ils ne sont qu'un scandale de plus.

Cette loi présente-t-elle ce caractère de noblesse, de clarté, de franchise, que doit toujours conserver le législateur? On voit ici qu'il a voulu diminuer le nombre des divorces: le vrai, l'unique moyen, était d'en diminuer les causes, s'il ne voulait pas le supprimer entièrement. A-t-il pu croire que des époux aigris à ce point, pour cause de sévices ou de crimes, cèderaient aux représentations du magistrat, et à des représentations voulues par la loi, qui ne sont à leurs yeux que de pure formalité? Et combien sont-elles plus inutiles encore, si le divorce se poursuit d'accord entre les parties?

Mais, Messieurs, ce qui est vicieux par sa nature ne peut être utilement modifié. En vain le législateur prétend-il retenir l'épouse par la maison de retraite, par ce qu'on appelle un temps d'épreuves; ces moyens ne vont point au but qu'il doit avoir: il s'égare; et, bientôt, parce qu'il s'égare, il fournit lui-même la marche à suivre pour éluder cette mesure sévère, en apparence, d'une maison de retraite, en introduisant la séparation de corps, et, à sa suite, le divorce, comme un prononcé indispensable, comme une mesure de pure forme, sur la demande de l'époux défendeur. Je le répète, ce qui est vicieux de sa nature ne peut être rejeté à demi; la loi manque de cette franchise qui indique le but et y marche directement. On peut faire le même reproche à cette mesure, de multiplier sans besoin les frais de procédure, mesure petite, purement fiscale, sous un but de moralité qu'elle n'atteint pas; mesure injuste dans le système envers le pauvre, inutile contre le riche.

3. Toute loi doit être morale.

La loi du divorce est immoralè dans ses détails, comme le divorce l'est en lui-même. Si jadis l'on trouvait, avec raison, si scandaleuses les procédures en séparation de corps, combien ce scandale n'est-il pas plus fréquent et plus odieux dans les poursuites en divorce! Combien le divorce excite et favorise davantage la passion! Quoi de plus révoltant, par son immoralité, que cette nécessité du divorce après trois ans de séparation! Ou les deux époux sont d'accord, et pour éviter les longueurs de la procédure en divorce, pour éviter surtout la retraite de la femme, ils débutent par une liberté entière, au gré de leurs passions et de leurs caprices, pour finir par rompre leurs liens et en former de nouveaux; ou les époux sont discords, et l'on voit le défendeur à qui sa sûreté ne permet pas de retourner près de son époux, on le voit étouffer la voix de sa conscience, et consentir au divorce qu'elle réprouve.

On peut dire que cette loi est corruptrice, en ce qu'elle force en quelque sorte au mal, contre sa propre conscience. On peut ajouter qu'elle est séductrice, en ce qu'elle ne présente d'abord à l'époux imprévoyant qu'une demi-mesure, mais qui finit par conduire au même point. Voilà cependant un des chef-d'œuvres d'invention de nos législateurs modernes. Seulement, ils ont cru beaucoup faire en interdisant la séparation par consentement mutuel, comme si des époux assez

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