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Aucun membre ne demandant la parole, le projet est relu, article par article, et chaque disposition mise aux voix et provisoirement adoptée.

Avant d'ouvrir le scrutin pour l'adoption définitive, M. le Président désigne, par la voie du sort, deux scrutateurs pour assister au dépouillement des votes.

Les scrutateurs désignés sont M. le duc de Caylus et M. le maréchal comte Serurier.

On procède au scrutin dans la forme accoutumée. Le nombre des votants était de 113. Le résultat du dépouillement donne l'unanimité des suffrages en faveur du projet de loi. Son adoption est proclamée, au nom de la Chambre, par M. le président.

Suit la teneur du projet adopté.

LOUIS, PAR LA GRACE DE DIEU, ROI DE FRANCE ET DE NAVARRE,

A tous ceux qui ces présentes verront, salut. Nous avons ordonné et ordonnons que le projet de loi dont la teneur suit, adopté par la Chambre des députés le 17 janvier 1816, sera présenté en notre nom à la Chambre des pairs par notre garde des sceaux, nistre secrétaire d'Etat de la justice, que nous chargeons d'en exposer les motifs et d'en soutenir la discussion.

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Art. 1er. Le 21 janvier de chaque année, ily aura dans le royaume un deuil général dont nous fixerons le mode; ce jour sera férié.

Art. 2. Il sera fait le même jour, conformément aux ordres donnés par nous à ce sujet l'année dernière, un service solennel dans chaque église de France.

Art. 3. En expiation du crime de ce malheureux jour, il sera élevé, au nom et aux frais de la nation, dans tel lieu qu'il nous plaira de désigner, un monument dont le mode sera réglé par nous.

Art. 4. Il sera également élevé un monument, au nom et aux frais de la nation, à la mémoire de Louis XVII, de la reine Marie-Antoinette et de Madame Elisabeth.

Art. 5. Il sera aussi élevé un monument, au nom et aux frais de la nation, à la mémoire du duc d'Enghien. Donné à Paris, au château des Tuileries, le dix-huitième jour du mois de janvier de l'an de grâce 1816, et de notre règne le vingt et unième.

Et plus bas :

Par le Roi:

Signé LOUIS.

Le garde des sceaux, ministre secrétaire d'Etat,
Signe BARBÉ DE MARBOIS.

M. le Président communique à la Chambre une lettre qu'il a reçue de M. le grand maître des cérémonies. Cette lettre annonce que Sa Majesté verra avec plaisir la grande députation de la Chambre des pairs assister au service du bout de l'an des obsèques du feu Roi Louis XVI, et de la feue Reine, sa femme, qui sera célébré à SaintDenis le 20 de ce mois.

La Chambre, sur cette communication, arrête qu'une grande députation assistera au service dont il s'agit.

Elle arrête pareillement que M. le grand référendaire fera partie de cette députation.

Il est procédé, par la voie du sort, à la désignation des membres qui, avec le bureau, doivent la composer. Les membres désignés sont :

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Un membre (M. le comte de Saint-Roman) Chambre, conformément à l'article 22 du règle obtient la parole pour faire une proposition à la

ment.

Cette proposition a pour objet d'inviter la Chambre à demander à l'un de ses membres, qui, dans la dernière séance, a prononcé un discours dont elle a ordonné qu'il ne serait pas fait mention au procès-verbal, des éclaircissements sur la manière dont son discours et les détails de la séance sont tombés dans les mains d'un journaliste qui en a abusé pour donner à cette affaire une publicité contraire aux intentions de la Chambre.

M. le comte de Saint-Roman (1). Messieurs, c'est avec surprise et peine que j'ai lu hier, dans le Journal des Débats, la dissertation tout entière de M. le comte de Lally-Tollendal sur l'étendue mystérieuse de l'autorité royale, et sur sa limite subséquente par le droit de concours des autres pouvoirs, lorsque des circonstances impérieuses exigent des mesures individuelles contraires au cours ordinaires de la justice. Je n'examinerai pas dans ce moment une si haute question; il est seulement évident qu'elle méritait d'être approfondie par l'Assemblée avec la plus scrupuleuse attention. Mais je me bornerai à remarquer l'imprudence de jeter dans le public un sujet de discussion aussi délicat, lorsque les passions ne sont pas encore éteintes; la témérité de peindre aux yeux du peuple, comme rigueur, comme interdiction du feu et de l'eau, la clémence par laquelle trente-huit individus, ayant tous fait des actes publics de rébellion, n'encourent qu'un exil peutêtre momentané, et (je le dis à regret, qu'on me passe un mot qui n'est que trop fondé!) l'inconvenance de violer sur tous les points le silence imposé par l'Assemblée dans une question d'Etat éminemment secrète, et de publier ce dont elle a voulu qu'il ne fût fait aucune mention dans son procès-verbal (2), circonstance qu'on a eu soin de taire dans le rapport, qu'au mépris de nos règlements on s'est permis d'imprimer sur cette partie de notre séance.

Je demande en conséquence que l'Assemblée ordonne que M. le comte de Lally-Tollendal soit invité à donner des éclaircissements qui sont à sa connaissance sur la manière dont son discours et les détails de la séance sont tombés dans les mains du journaliste qui en a abusé; et j'en fais la proposition que je dépose sur le bureau.

M. le Président, aux termes de l'article 24, consulte la Chambre pour savoir s'il y a lieu où non de s'en occuper.

L'Assemblée décide qu'il n'y a pas lieu de s'occuper de la proposition. La séance est levée.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
PRÉSIDENCE DE M. LAINÉ.

Comité secret du 18 janvier 1816.

Le procès-verbal du comité secret du 17 est lu et adopté.

(1) Le discours de M. le comte de Saint-Roman n'a pas été inséré au Moniteur.

(2) Voy. plus haut, l'annexe à la séance du 13 janvier.

M. le Président donne lecture d'une lettre par laquelle M. le ministre de l'intérieur annonce que l'intention du Roi est que l'adresse de la Chambre lui soit présentée par une simple députation que Sa Majesté recevra dans la soirée, à huit heures et demie.

M. le Président lit ensuite une autre lettre du chapitre métropolitain qui invite MM. les députés à assister au service qui sera célébré, le 21, à Notre-Dame, pour le roi Louis XVI.

Un membre (M. le général de Canuel est appelé a la tribune pour le développement de sa proposition tendante à faire accorder des pensions aux soldats mutilés et aux veuves et orphelins des armées royales de la Vendée, de la Bretagne, de l'Anjou, du Maine, de la Normandie et du Midi.

M. le lieutenant-général de Canuel. Messieurs, si la plume se maniait aussi facilement qu'une épée, si les mots s'arrangeaient eux-mêmes pour émettre la pensée, je me présenterais à cette tribune avec plus d'assurance. Etranger à l'art oratoire, je crains que mes faibles moyens ne me trabissent et que les expressions me manquent pour donner au développement de la proposition que j'ai l'honneur de vous soumettre, la force et la clarté nécessaires. Cependant le motif qui me guide, dans cette circonstance, me rassure. Le sujet dont je vais vous entretenir présente tant d'intérêt, que celui qui s'en empare peut se passer des ornements de l'éloquence pour le traiter avec quelque succès.

Je veux vous parler des armées royales de la Vendée, de la Bretagne, de l'Anjou, du Maine, de la Normandie, et du Midi.

Je ne vous ferai point l'apologie de tous les chefs qui les ont commandées; qu'il me soit seulement permis de les présenter à l'Europe et à la France comme des modèles de fidélité. Voilà leur éloge!

Continuerai-je sans vous parler du marquis de La Rochejacquelin, qui, marchant sur les traces de son frère aîné, des Lescure, des Bonchamp, des Delbée et des Charette, fidèle à son Roi et à l'honneur, est venu trouver une mort glorieuse sur cette terre sacrée de la Vendée, si souvent arrosée du sang des siens?

Je n'arrêterai pas plus longtemps votre attention sur les généraux; dans un moment elle va se fixer avec plus d'intérêt sur les soldats. Fidélité, courage, dévouement, désintéressement, persévérance, tous ces mots sont synonymes avec soldats des armées royales. En effet, parcourons toutes les époques de la Révolution, et reportonsnous principalement vers les temps désastreux où, en 1793, la Vendée, pour la première fois, courut aux armes pour défendre la religion dé ses pères et le trône de ses rois; ils rapelleront à notre mémoire des actions et des victoires presque incroyables, et par contraste, des revers et les malheurs inouïs qui en furent la suite: ils remettront sous nos yeux le tableau effrayant d'une population presque entière détruite par le fer, et d'un immense pays dévoré par les flammes. Quatre années consécutives de dévastation n'ont pu ébranler la constance et la fidélité des habitants de ces malheureuses contrées.

Je ne vous ferai point l'histoire de cette guerre, ni des événements qui la provoquèrent; des écrivains plus habiles que moi en ont déjà tracé le tableau. Je dois, Messieurs, appeler votre attention sur les malheureux qui en furent les victimes, et qui sont échappés, comme par miracle, au massacre général, mais que d'honorables et funestes blessures ont mis dans l'impossibilité

de pourvoir à leur subsistance par leur travail. Je veux également qu'elle se fixe sur les veuves et les orphelins, dont les maris et les pères sont morts glorieusement sur des champs de bataille, et qui n'ont laissé pour héritage, à leurs femmes et à leurs enfants, qu'honneur et misère.

En 1814, après sa rentrée en France, notre bon Roi tourna ses regards paternels sur la Vendée et la Bretagne, qui avaient si vaillamment défendu sa cause. Des récompenses et des secours furent accordés à quelques-uns de ces vieux guerriers de 1793; mais le temps qui s'écoule avec rapidité, et les factions qui marchent plus vite encore, ne lui permirent pas d'achever ce qu'il avait commencé. La catastrophe du 20 mars arriva ces funestes événements, qui vouent leurs auteurs à l'exécration des races futures, comme ils sont l'horreur de la génération présente, appelèrent encore une fois les Vendéens et les Bretons aux armes. Le cri de guerre se fit partout entendre: l'indignation était dans tous les cœurs, et le désir d'une prompte vengeance ne laissa pas même le temps de prendre toutes les mesures qu'exigeait le parti auquel on s'arrêtait.

Comment, en effet, entreprendre la guerre sans armes, sans munitions de guerre ni de bouche, et sans argent? Les Vendéens et les Bretons ont su résoudre ce problème. Rien n'est au-dessus de leur courage et de leur désintéressement, quand il s'agit du Roi.

Des vivres ils les fournissent; chacun, à l'envi, s'empresse de conduire à l'armée tout ce dont elle a besoin. Des armes! Le soldat des armées royales, muni de quelques cartouches ramassées à la hâte, armé d'un mauvais fusil ou d'un bâton, mettant sa confiance en Dieu et dans son courage, se précipite sur l'ennemi, et va chercher dans ses rangs les munitions qui lui manquent ou un fusil meilleur que le sien; mais souvent il y trouve la mort ou des blessures qui ne laissent de prespective à sa famille désolée que douleur et indigence. Hâtons-nous, Messieurs, d'assurer du pain aux familles de ces braves.

Déjà Sa Majesté a jeté un regard de bienveillance sur les officiers. Le ministre de la guerre, ce ministre qui, au moment où Buonaparte mit le pied sur le sol de la France, eut le noble courage de se charger du portefeuille, alors même qu'il était impossible de réparer le mal déjà fait; ce ministre qui, à cette malheureuse époque, a donné à l'Europe et à la France un grand exemple de fidélité, quand tout, autour de lui, trahissait ou se laissait entraîner dans une honteuse défection, aujourd'hui dispensateur des grâces du souverain, s'est empressé d'appliquer aux armées royales l'article 6 de l'ordonnance du 8 septembre dernier, relative à la solde, et bientôt, n'en doutons pas, par ses soins bienveillants, ces braves armées, formées spontanément aux cris d'alarme de leurs chefs, jouiront, dans tout ce que peut leur accorder légalement le ministre, des mêmes avantages que les armées régulières.

Mais, Messieurs, les soins divers qui occupent le Roi et les ministres n'ont sans doute pas permis de songer aux soldats blessés. C'est pour eux que je parle; une loi est nécessaire sur cette matière, puisqu'il s'agit d'accorder des pensions viagères.

Je sais que la situation de nos finances n'étant point en rapport avec les immenses besoins de l'Etat, nous devons mettre une espèce de parcimonie dans nos dépenses, et nous interdire toutes celles qui auraient la munificence pour but : mais

ce n'est pas ici le cas; la dépense que je vous propose, en même temps qu'elle est d'une rigoureuse justice, elle devient la récompense méritée d'un dévouement sans exemple, et l'indemnité d'immenses sacrifices; ce surcroît de dépense ne sera pas un fardeau bien pesant pour le trésor royal je puis vous assurer d'avance, qu'avec peut-être moins de 500,000 francs, on pourra acquitter dans la Vendée militaire, dans la Bretagne et le Midi, cette dette sacrée, que l'humanité réclame, et que la reconnaissance fait un devoir de payer.

Si la bonté paternelle de Sa Majesté, qui ne voit que des Français égarés dans les soldats d'une armée parjure, qui cherchaient à lui fermer l'entrée de son royaume; si, dis-je, cette bonté, cette inépuisable indulgence, porte son cœur généreux non-seulement à pardonner, mais encore à accorder des pensions de retraite à ceux qui ont été mutilés dans cette bataille de déplorable mémoire; croyez, Messieurs, qu'elle accueillera avec beinveillance le vœu que vous allez lui manifester j'irai plus loin, les armées rebelles qui ont combattu contre les armées royales, jouirontelles seules des récompenses qui ne devraient être accordées qu'à la fidélité?

Loin de moi, Messieurs, la pensée d'insulter à l'armée vaincue, lorsque, en parlant d'elle, les mots parjures et rebelles sortent de ma bouche : ce terrible anathème ne frappe que les chefs qui l'ont égarée; eux seuls sont véritablement coupables. L'obéissance est un devoir pour le soldat, et l'obéissance l'a malheureusement entraîné au delà de son devoir; mais cette obéissance le ralliera sous l'étendard des lis; et s'il faut encore combattre, il effacera, par des victoires, la tache qu'un moment d'erreur à imprimée sur son front.

Mais pourquoi, me dira-t-on peut-être, accorder une plus forte pension aux soldats des armées royales, que celle fixée pour ceux de la ligne ? Pourquoi? parce que les armées royales ne comptent dans leurs rangs, en majeure partie, que des pères de famille; que ces braves, en se dévouant pour la cause qu'ils défendent, compromettent le sort futur de leurs enfants. Pourquoi? parce que les Vendéens et les Bretons ont fait, depuis vingt-deux ans, la guerre à leur frais, sans toucher de solde. Pourquoi enfin ? parce que, dans les guerres antérieures à la campagne de 1815, ils ont fourni gratuitement à tous les besoins de l'armée. En faut-il davantage pour légitimer ma proposition?

Les détracteurs des armées royales, et le nombre en est grand, vous diront sans doute : Quoi ! vous allez charger l'Etat d'une nouvelle dépense, quand il a besoin de se restreindre à la plus stricte économie! Eh! qu'ont donc fait ces Vendéens, ces armées royales, de si grand, de si important pour le salut de la patrie, et qui mérite les récompenses qu'on réclame pour eux ? Ce qu'ils ont fait! depuis vingt-deux ans ils entretiennent le feu sacré de la royauté, ils sont restés purs au milieu de la corruption générale. Ce qu'ils ont fait ! ils ont dans cette dernière campagne sauvé la France et l'honneur français, ils ont été fidèles.

Je n'ai pas besoin d'étendre davantage les développements de ma proposition pour convaincre de la nécessité de la prendre en considération.

Après ce discours, M. de Canuel a proposé de supplier Sa Majesté de proposer le projet de loi suivant :

Art. 1er. Les sous-officiers et soldats de nos armées royales, qui ont reçu des blessures graves, tant dans le cours de la campagne de 1815 que

dans les campagnes antérieures, et qui les mettent hors d'état de pourvoir à leur subsistance par leur travail, recevront des pensions de retraite, qui ne pourront être moindres que le maximum de celles accordées à nos sous-officiers et soldats de nos armées de ligne. Ces pensions pourront être élevées à des sommes plus fortes, mais qui ne pourront excéder un quart en sus; elles seront accordées en raison de la gravité des blessures.

Art. 2. Nos sous-officiers et soldats des armées royales, qui ont reçu des blesseures qui ne les mettent pas hors d'état de pourvoir à leur subsistance, recevront, en récompense de leurs services et de leur dévouement, une année de solde de retraite au maximum de celle attribuée à leurs grades.

Art 3. Les veuves et orphelins des sous-officiers et soldats de nos armées royales recevront des pensions dont le montant sera déterminé et réglé par une ordonnance particulière.

Art. 4. Le produit des extinctions, par décès des titulaires de pensions militaires, est spécialement affecté au payement des pensions créées par la présente loi.

Art. 5. Les individus qui seront admis à recevoir des pensions, en jouiront à dater du 1er janvier de la présente année 1816.

Art. 6. Dans les quinze jours qui suivront la promulgation de la présente loi, notre ministre de la guerre donnera les ordres nécessaires pour que les tableaux des individus désignés aux articles antécédents soient dressés.

La Chambre ordonne l'impression de la proposition et des développements et le renvoi à une commission.

M. le Président annonce que l'on va procéder à l'appel nominal pour la signature de l'adresse au Roi.

Cette opération étant terminée la séance est levée.

SIRE,

ADRESSE AU ROI (1).

Vos fidèles sujets de la Chambre des députés viennent offrir à Votre Majesté un bien douloureux hommage.

Pour épargner à la France le crime dont ce jour renouvelle la mémoire, Louis XVI, votre auguste frère, en avait appelé à son peuple. Après vingt-trois ans d'asservissement et de calamités, le peuple français rendu à la liberté et à lui-même, peut enfin répondre à l'appel de son Roi. Nous venons en son nom, à la face de l'Europe, en présence du trône révéré de Henri IV et de saint Louis, désavouer cet attentat. Non, Sire, il ne fut pas le crime de la France. Nous en attestons la confiance du Roi martyr, les innombrables victimes dont le sacrifice suivit le sien, les transports qu'excita votre retour; nous en attestons l'horreur qu'inspirent à la nation les auteurs de ce forfait. Ils avaient cru anéantir le pacte antique qui unit nos destinées à votre auguste famille: ils le rendirent plus sacré. Qu'il nous soit permis, Sire, d'en renouveler l'inviolable engagement, pour nous consoler des souvenirs que ce jour affreux nous rappelle; souffrez, qu'organes de la France en deuil, nous vous disions : « Sire, nous n'avons « pas dégénéré de la loyauté de nos ancêtres. Tant « que votre illustre race existera, nous lui serons

(1) Nous trouvons le texte de cette adresse dans le Journal des Débats du 22 janvier 1816.

« fidèles jamais nous ne reconnaîtrons pour nos «rois légitimes que les princes qui en seront « issus, et à qui l'ordre de primogéniture en aura « imprimé le caractère. Nous le jurons devant « Dieu et devant les hommes. Que le nom français « se perde dans l'oubli, plutôt que de trahir ce « serment de l'honneur!» Nous le déposons à vos pieds, Sire, et nous supplions Votre Majesté d'ordonner que, gravé sur l'airain et souscrit du nom de tous les membres de la Chambre des députés, il soit attaché au monument expiatoire que la douleur nationale prépare, afin de transmettre à la postérité la plus reculée, et la protestation du peuple français contre l'attentat du 21 janvier, et le témoignage solennel des sentiments qui nous animent.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. LAINÉ.

Comité secret du 22 janvier 1816.

Le procès-verbal du comité secret du 18 janvier est lu et adopté.

L'ordre du jour appelle le développement de la proposition (de M. Picquet), tendante à ce qu'il y ait présomption de mort de tous les Français qui, ayant rejoint l'armée, ont cessé, depuis deux ans, de paraître au corps auquel ils appartiennent, et dont on n'a pas reçu de nouvelles.

M. Picquet. Messieurs, si la loi doit l'appui de son autorité à tous les citoyens indistinctement, elle doit encore une protection plus spéciale à ceux qui, par la faiblesse de leur âge, de leur sexe, de leurs infirmités morales, sont dans l'impuissance de s'occuper eux-mêmes de la conservation de leurs intérêts.

Aussi, Messieurs, existe-t-il à cet égard des dispositions dont la sagesse certifie la prévoyance du législateur.

Cette prévoyance, cependant, eût été incomplète, si la sollicitude de la loi ne se fùt aussi fixée sur les personnes qui, ayant cessé de paráître au lieu ordinaire de leur domicile ou de leur résidence, doivent être présumées absentes, et réclamer à ce titre la protection immédiate de l'autorité qui nous protége tous.

Mais cette omission, qui eût été grave sans doute, n'a existé sous l'empire d'aucune des législations qui nous ont gouvernés.

Ce n'est donc point contre un oubli de la loi que je réclame en ce moment.

La proposition que j'ai l'honneur de vous soumettre a seulement pour objet la justice de modifier quelques principes qui ne s'accordent plus avec les intérêts d'un grand nombre de familles.

S'il est vrai qu'un des plus grands bienfaits dont les gouvernements puissent favoriser les hommes, est celui de leur accorder une législation qui soit toujours maintenue en harmonie avec leurs véritables besoins, j'ai le droit de dire devant vous: Les dispositions législatives dont je sollicite que l'on resserre l'application, étaient convenables peut-être au moment où elles furent promulguées; mais maintenant, elles seraient indignes de l'équité de la loi, si, par une sage exception, on ne les appropriait pas aux circonstances actuelles.

Je ne vous rappellerai pas, même en analyse, ce qu'à des époques successives, les anciennes lois et l'autorité des jurisprudences locales avaient consacré sur le fait de l'absence, dans l'intérêt de l'absent, comme dans celui de ses héritiers présomptifs.

Ce serait un luxe d'érudition parfaitement inu

tile, puisqu'il n'ajouterait rien ici aux raisons de décider, et que d'ailleurs c'est un devoir pour moi de n'occuper votre attention que pendant le temps nécessaire pour me faire bien comprendre.

En peu de mots, voici la théorie de nos lois actuelles sur l'absence; toutes leurs dispositions sont contenues dans le titre IV du livre Ier du Code civil qui nous gouverne.

Lorsqu'un citoyen a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence, et que, depuis quatre ans, on n'en a point eu de nouvelles, toute personne qui y a intérêt peut se pourvoir en justice pour faire prononcer l'absence.

Les diligences à faire, les formalités à remplir, la nature des documents à fournir, tout est déterminé par des textes, et tout doit être contradictoire avec le ministère public; il y a, de plus, nécessité d'enquête et obligation, pour le procureur du Roi, d'envoyer les jugements interlocutoires et définitifs au ministre de la justice, pour qu'il leur fasse donner la publicité que réclame l'intérêt de la société.

Nous devons ajouter ici que le jugement définitif qui déclare l'absence, ne peut être rendu qu'un an après celui qui a ordonné l'enquête, ce qui emporte un délai de cinq années.

La loi fixant ensuite les effets de l'absence, distingue deux cas :

Celui où l'absent n'a pas laissé de procuration pour administrer, et celui où il en existe une.

Dans le premier cas, au bout des cinq ans, ceux qui étaient héritiers présomptifs, au jour de la disparition, ou des dernières nouvelles, pourront, en vertu du jugement qui déclare l'absence, se faire envoyer en possession des biens laissés, à la charge de donner caution pour la sûreté de leur administration.

Telle est la disposition de l'article 120 de la loi.

Si, au contraire, il y a une procuration, l'article 121 décide alors que l'on ne pourra poursuivre la déclaration d'absence et l'envoi en possession provisoire qu'après dix années révolues, à compter des mêmes époques.

Je suis loin de vouloir critiquer la différence que la loi a établie entre les résultats de ces deux espèces.

Il est bien sensible qu'il n'était pas aussi urgent de venir au secours de celui représenté par un mandataire de son choix, que de s'occuper des intérêts de l'absent qui, n'étant représenté par personne, avait sa fortune à l'abandon.

Quoi qu'il en soit, Messieurs, les rédacteurs du Code étaient sans doute loin de prévoir, alors, que celui qui gouvernait à cette époque deviendrait bientôt le fléau du monde et le destructeur de la population française.

Si leurs regards, plongeant dans l'avenir, avaient su devancer les événements et saisir, par une anticipation miraculeuse, cette effrayante succession de calamités que nous réservait l'ennemi du genre humain, ils auraient senti la nécessité comme la justice de s'occuper davantage de cette partie de la législation, puisque bientôt elle devait intéresser si douloureusement un grand nombre de familles françaises.

Ils sont excusables cependant, car les vues de l'homme sont tellement bornées, que le moment qui va suivre celui où nous vivons est souvent impénétrable à notre faible prévoyance. Il n'appartient qu'au Souverain Maître d'embrasser à la fois tous les temps et tous les lieux.

Mais ce que l'on n'a pas fait à la rédaction du Code, parce qu'il ne semblait pas y avoir nécessité

de le faire alors, faisons-le, nous, Messieurs, tristes témoins de tant de désastres, et faisons-le sans retard, en prenant l'initiative pour une chose que l'on réclame de toutes parts.

Les familles des militaires français ont été torturées par d'assez longues douleurs sous l'ancienne tyrannie, pour avoir acquis le droit de solliciter une loi d'exception que la justice sollicite pour elles et avec elles.

Il n'est personne parmi vous, Messieurs, qui ne soit très-convaincu que dans le nombre des victimes sacrifiées à la folle ambition de celui qui méprisait trop les hommes pour mettre du prix à leur conservation, ilen est péri une quantité dont le calcul serait effrayant, et dont cependant aussi la mort ne peut être prouvée par les voies ordinaires.

La seule retraite de Russie en a dévoré des milliers.

Les détails de cette effroyable campagne ne sont depuis longtemps un secret pour personne.

Tout ce qui a suivi n'a été qu'un enchaînement de batailles plus ou moins meurtrières et dont la rapidité, dans la marche, n'a pas permis non plus d'avoir d'autre preuve de la mort que la certitude qu'au milieu, ou à la suite du carnage, tels avaient cessé de paraître au corps.

Il ne s'agit donc pas, Messieurs, dans l'espèce en faveur de laquelle je réclamé, de la simple présomption d'une absence de quelques années, qui doit toujours rester soumise aux règles ordinaires.

Ici ce sont des faits dont l'ensemble permet à peine de conserver un léger doute sur la certitude de la mort.

Ce sont des circonstances telles que leur concours repousse jusqu'à la faible espérance dont il est si consolant de pouvoir conserver l'illusion.

Pourquoi donc les héritiers présomptifs scraient-ils, pendant dix ans, étrangers à la fortune de celui dont tout certifie la mort ?

Pourquoi un tiers, parce qu'il a reçu une procuration, qui cependant ne peut pas survivre à celui qui l'a donnée, se perpétuera-t-il dans l'administration des biens et dans la jouissance des revenus, au préjudice de celui que la loi appelle?

Pourquoi un frère, un cohéritier quelconque qui, peut-être, n'a eu la préférence du mandat que parce qu'il s'est trouvé là seul au moment du départ, prolongera-t-il, pendant tant d'années, cette grande inégalité d'avantages au préjudice des autres cohéritiers?

Aussi longtemps que l'on reçoit des nouvelles de l'absent, ou que rien ne repousse les présomptions de la vie, l'homme qu'il a constitué son mandataire ne doit pas être troublé dans l'exercice du pouvoir qu'il a reçu.

Il représente spécialement son mandant, et aucun parent ne peut alors ni le préférer ni même concourir avec lui.

Mais lorsque tous les faits attestent que la mort a remplacé l'absence, lorsque ces faits attestent encore par leur nature qu'il y a impossibilité de fournir la justification ordinaire, le mandat ne doit-il pas disparaitre devant la preuve morale, et le droit d'administration, comme celui de jouissance, n'est-il pas réclamé par le privilégé du sang?

A la place du mandataire constitué, dont le titre s'anéantit avec la personne qui le lui a remis, ne doit-on pas voir un mandataire légal dans l'héritier présomptif?

Que l'on continue de faire l'application des ar

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ticles 120 et 121 aux cas ordinaires pour lesquels ils étaient destinés rien de plus sage.

On ne peut pas avoir un respect trop profond pour la stabilité des lois; c'est ce qui en constitue la force et la dignité. Je ne me pardonnerais pas, Messieurs, de vous parler un autre langage, ni de vouloir insinuer une erreur dangereuse, aux dépens d'un principe d'éternelle vérité, digne d'exister aussi longtemps que la raison gouvernera les hommes.

Cependant, Messieurs, il faut bien se garder de confondre les lois constitutionnelles fondamentales, qui établissent l'état des citoyens, le droit public des nations (loi dont on ne doit approcher qu'avec la plus timide circonspection), et celles qui ne sont que des lois particulières, des lois de détail, comme celle qui nous occupe en ce

moment.

Cette loi, malgré la généralité de ses expressions, non-seulement peut, mais doit être restreinte lorsque des circonstances extraordinaires, changeant la position d'une partie des membres de la société, viennent faire sentir le besoin de nouvelles dispositions.

Dans ces cas, Messieurs, associés au pouvoir législatif, n'est-ce pas un devoir pour vous de provoquer, par la voie de supplique au souverain, les exceptions que demande la nécessité de rétablir l'harmonie entre les lois anciennes et les intérêts nouveaux ?

Pourquoi tant de familles, déjà trop malheureuses d'avoir perdu des membres chéris, serontelles encore, je le répète, condamnés au désagrément de voir la jouissance d'une fortune, que la loi leur destine, rester pendant dix années dans les mains de l'étranger?

Je dis dix ans, parce qu'en général les militaires avaient ou laissé ou envoyé des procurations.

Voudrait-on supposer qu'après avoir cessé de paraître au corps depuis deux ans, qu'après que tous les prisonniers ont été rendus, qu'après que ceux dirigés sur les points les plus éloignés, sont revenus en France, ou bien ont eu beaucoup plus que le temps nécessaire pour y rentrer; voudraiton, dis-je, supposer que, quoique réconciliés avec toutes les puissances de l'Europe, ces infortunés ayant des moyens faciles pour demander des secours s'ils étaient infirmes, ayant les routes libres pour venir fouler encore le sol natal, et jouissant de la permission d'accourir au-devant des consolations de leurs parents et de leurs amis, aient méprisé tant de bonheur?

Supposera-t-on que s'ils vivaient encore, ils seraient restés jusqu'à ce jour insensibles à de si douces jouissances?

Supposera-t-on, enfin, qu'ils eussent porté cette inconcevable apathie (que la nature ne place pas même dans les cours les plus dépravés) jusqu'au point de ne pas vouloir donner de leurs nouvelles pour tranquilliser des parents qui pleurent peutêtre encore sur leur fatale destinée?

Disons-le, Messieurs, la raison repousse si fortement de telles suppositions, que les présenter est assez les combattre, et surtout pour qui se rappelle que tous les principes de mort qui peuvent produire une rapide destruction dans les armées, s'étaient plus que jamais ligués contre ces malheureuses victimes.

Cependant le retour est possible, rigoureusement possible; je vais donc raisonner un moment dans cette hypothèse, et établir en très-peu de mots que la proposition sur laquelle j'appelle votre attention, est même dans l'intérêt de l'absent en cas de retour.

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