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livre au commerce et à l'industrie. Cette classe, Messieurs, tient autant qu'aucune autre principe de la stabilité des Etats, au principe de la propriété; elle tient autant qu'une autre au maintien de l'ordre et de la tranquillité publique son crédit, sa fortune, sa sécurité en dépendent. M. le rapporteur a exprimé souvent le désir que vous établissiez pour les élections la base la plus large possible. Or, ce serait la restreindre d'une manière bien injuste à la fois et bien impolitique, que d'adopter la proposition qui vous est faite. Je crois qu'il est bon que la Chambre saisisse cette occasion de manifester les sentiments qui l'animent, et je demande que la proposition soit formellement rejetée par la question préalable.

M. de Villèle. On pourrait peut-être admettre les patentes depuis un temps déterminé, pour éviter l'inconvénient prévu par l'auteur de la proposition... (Plusieurs voix Non! non!...) Et celui qui forme un établissement?...

M. de Bonald. Je proposerais que la patente fût admise pour un tiers dans les 1,000 francs, pour une moitié dans les 300 francs, pour un quart dans les 50 francs.

M. Delamarre. Nous ne pouvons rapporter une loi existante. Or, la loi existe, elle a parlé. Les patentes sont-elles uue contribution directe? Ouvrez le budget. Les patentes y sont désignées sous le titre des contributions directes: elles y sont établies pour 16 millions. Vous respectez la propriété, elle est votre première garantie; mais il y a des propriétés de plusieurs natures. Vous honorez l'agriculture; mais vous honorez aussi le commerce et l'industrie.

J'habite une ville de commerce; j'y connais des personnes qui ont une fortune très-considerable, et qui ne l'ont point en fonds de terre. Ils payent cependant des droits de patente trèsélevés vous ne pouvez et vous ne voudriez pas les exclure du droit de voter. Je demande` la question préalable.

La question préalable est mise aux voix et adoptée à la presque unanimitė.

La seconde question est mise aux voix et résolue par la Chambre en ces termes :

«Le collége d'arrondissement sera divisé en autant de sections et se réunira dans les lieux qu'il plaira à Sa Majesté de statuer par des ordonnances spéciales.

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La Chambre arrête ensuite à une égale unanimité la disposition suivante :

« Le Roi nomme le président du collège d'arrondissement; le président du collége nomme les présidents des autres sections.

«Le président de l'assemblée électorale d'arrondissement recueille les résultats des sections de l'assemblée et les fait passer au préfet du département. »>

M. Gagneur. Vous avez appelé au droit de vote les propriétaires et les hommes qui se livrent à l'agriculture, au commerce, à l'industrie; mais dans ces dispositions très-sages, je remarque que vous avez trop négligé les fonctionnaires publics. (Des murmures s'élèvent.)

Plusieurs voix: Rien n'empêche de les nommer. M. Gagneur. Le zèle de ces fonctionnaires, les services qu'ils rendent à l'Etat, leur dévouement me semblent présenter une garantie au moins égale à celle que vous trouvez dans une contribution de 50 francs. Je demande que les fonctionnaires nommés par le gouvernement soient admis à voter sans condition.

Une foule de voix: Non, non; c'est la question des électeurs de droit.

La proposition n'a pas de suite.

M. de Villèle. Vous avez délibéré, Messieurs, sur toutes les questions; il reste à la commission à les faire cadrer avec le projet qu'elle vous avait présenté. Ce travail sera facile, et elle aura l'honneur de vous soumettre demain la rédaction définitive du projet de loi sur l'ensemble duquel Vous aurez à voter.

La Chambre s'ajourne à demain midi.

CHAMBRE DES PAIRS.

PRÉSIDENCE DE M. LE CHANCELJER.

Séance du 5 mars 1816.

A une heure la Chambre se réunit en vertu de l'ajournement porté au procès-verbal de la séance d'hier.

Lecture faite de ce procès-verbal, sa rédaction est adoptée.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion sur la résolution de la Chambre des députés accordant au clergé la faculté de recevoir des donations.

Les opinants inscrits pour l'attaquer ou pour la défendre sont entendus dans l'ordre de leur inscription.

Le premier qui occupe la tribune vote, comme celui qui en est descendu hier le dernier, l'adoption intégrale de la résolution proposées. Ce n'est point un principe nouveau que consacre la résolution; c'est l'ancien droit qu'elle rétablit, c'est la doctrine de tous les âges qu'elle proclame de nouveau, après une interruption momentanée. Nos yeux ont vu cet antique édifice de gloire et de prospérité qu'avait élevé à la religion la piété de nos pères. Les biens ecclésiastiques distribués par Charlemagne à ses compagnons d'armes avaient été remplacés avec le temps par d'autres biens, offrandes volontaires d'un peuple attaché à son culte. Une génération insensée a de nouveau dépouillé l'Eglise. Qui réparera cette dernière spoliation? Faut-il, comme on le veut, nous interdire tout regret sur le passé, tout espoir pour l'avenir? L'opinant ose concevoir d'autres présages, appuyé sur ces oracles infaillibles qui ont promis à la religion les siècles pour durée, le monde pour empire; il ne peut craindre de voir ses honneurs abolis dans un Etat dont le monarque porte avec orgueil le titre de Roi très chrétien. Mais on l'a dit, et il faut le redire Point de religion sans ministres. Aussi leur dénûment, leur abandon absolu entrait-il dans les perfides calculs de l'homme qui, pour la détruire plus sûrement, défendit de la persécuter. Bonaparte voulait un clergé sans considération : les mêmes vues peuvent-elles nous convenir, et si nous en adoptons d'autres, ne faut-il pas aussi employer des moyens contraires? Une dotation est nécessaire au clergé ce n'est pas sur ses anciennes propriétés qu'il s'agit de la prendre. Les ventes en sont garanties par le Saint-Siége, par le Roi, par la Charte. Nous ne redemanderons pas une dime au peuple elle est, avec les droits féodaux, comprise dans l'impôt qu'il acquitte. Mais qui nous empêche d'accueillir la inesure, aussi utile que sage, proposée par la Chambre des députés? On se récrie sur le conseil ecclésiastique dont elle entraîne la formation. Cet accessoire tient plus qu'on ne pense au succès de la mesure. Il fallait, pour établir la confiance, que les dons faits à l'Eglise fussent immédiatement reçus par elle. Tout intermédiaire eùt effarouché le donateur. Ne sait-on pas que la charité particulière confie

plus d'aumônes aux curés de paroisses qu'aux bureaux de bienfaisance? On accuse la disposition qui établit ce conseil de porter atteinte aux droits du Roi; mais ne résulte-t-il pas de cette disposition même que l'organisation du conseil sera déterminée par un règlement de Sa Majesté ?On reproche à la résolution ce qu'elle ordonne, et pour trouver l'omission à côté de l'excès, on met en avant la nécessité d'un code ecclésiastique, d'une législation relative aux matières bénéficiales mais pour créer des lois sur ces matières, attendez qu'elles existent. Les meilleures lois sont celles dont l'expérience fait sentir le besoin. Une seconde objection qu'on a développée s'applique aux restitutions volontaires. On craint les inquiétudes que ce mot peut faire naître; on est allé jusqu'à dire : Si ce mot inquiète ou tourmente, la religion le désavoue. Mais s'agit-il donc ici d'endormir les consciences, de tranquilliser sur leurs usurpations d'injustes possesseurs? Les prêtres de la loi peuvent-ils à cet égard tenir un autre langage que ceux du sanctuaire? Et quel autre nom que celui de larcin mérite la détention volontaire du bien d'autrui? On s'effraye encore des suggestions, des artifices qui pourraient être employés pour obtenir des donations; on redoute l'influence sacerdotale; mais dans les siècles précédents, où sans doute elle fut plus forte, quels abus a-t-elle produits? On peut être sans inquiétude sur l'exercice d'une faculté qui a subsisté sans inconvénients depuis l'origine de la monarchie. Pourquoi l'Eglise serait-elle tentée d'accroître injustement ces biens dont elle fait un si juste usage; ces biens, le patrimoine du pauvre, et dont on a dit avec raison qu'ils n'avaient cessé d'étre nationaux que lorsqu'on les avait déclarés tels? On parle d'abus possibles. Mais que seraient ceux qu'on suppose, près de la loi qui, à la honte de nos mœurs, permet à la femme débauchée, aux enfants de son union de recueillir, que dis-je, de réclamer les fruits de leur opprobre? On écarte la religion du lit des mourants, qu'on laisse assiéger par le vice! Ah! dans ce dernier moment ne ravissez pas à l'homme qu'éclaire une réflexion tardive la consolation de réparer les fautes qu'elle lui découvre ! La résolution des députés est un commencement de retour à la justice, à la religion, à ces idées qui sont le principe et le fondement de toute société. Pourquoi la Chambre des pairs ne saisirait-elle pas avec empressement cette ouverture précieuse ? L'opinant vote pour la résolution.

Un second opinant observe que la proposition contenue dans le rapport de la commission spéciale est un véritable rejet de la résolution prise par la Chambre des députés. On a donné à cette proposition le nom d'amendement; mais, de bonne foi, qu'est-ce qu'un amendement où disparaissent ainsi tous les développements, tous les moyens d'exécution de la proposition principale où cette proposition est réduite à l'expression d'un principe isolé de toutes ses conséquences? L'opinant avoue qu'il est d'accord avec la commission sur la nécessité du rejet, mais il lui parait indipensable de l'exprimer. Il lui paraît indispensable de suivre, dans la délibération, une marche contraire à celle qu'on a tenue. Le premier objet sur lequel, en ce moment, la Chambre ait à statuer, est la résolution originaire de la Chambre des députés. La proposition qu'y substitue le rapport de la commission spéciale, ne peut venir qu'en seconde ligne. C'est à ce principe que l'opinant se proposait de rappeler l'Assemblée, lorsque dans la séance d'hier il a demandé

la parole, qu'il n'a pu obtenir. Le progrès de la discussion dans un sens opposé à ses vues, a donné naissance à trois opinions différentes. L'une tend à remplacer les dotations immobilières proposées en faveur du clergé, par des traitements portés au budget de l'Etat, par des rentes inscrites au grand-livre de la dette publique. Une autre adopte le principe, ou pour mieux dire, le rejet proposé par la commission. La dernière est pour l'adoption intégrale de la résolution primitive. De quoi s'agit-il néanmoins, sinon d'adopter ou de rejeter cette résolution? Le point d'où l'on part est commun à toutes les opinions. Tous admettent la nécessité d'assurer au clergé, dans l'intérêt de la religion, une subsistance honorable. C'est le vœu des deux Chambres, c'est celui du Roi, celui de la nation: unanimité consolante, el qui ne permet pas de douter que nous n'atteignions enfin ce but constant de tous nos efforts! Aux yeux de l'opinant, on se flatterait en vain de l'atteindre par les moyens que propose la Chambre des députés. Le principe de sa résolution ne lui paraît pas plus admissible que les développements. Défenseur du clergé, à l'époque de sa spoliation, il ne pense pas aujourd'hui qu'il soit utile de lui rendre ce dont alors, il fut injuste de le dépouiller. Les circonstances sont changées. Un clergé propriétaire serait aujourd'hui un objet d'inquiétude. Son opulence, dit-on, ses priviléges ne peuvent revenir; mais la crainte seule de ce retour est-elle sans inconvénients? Jaloux par essence, le système représentatif craint jusqu'à l'ombre d'une rivalité. Qui sait d'ailleurs où l'on pourrait nous conduire à la faveur d'une première démarche ? On a parlé de restitutions. Peut-on appeler ainsi la remise faite à un établissement de ce qui aurait appartenu à un autre? On les a qualifiées de volontaires. Ce nom, applicable peut-être aux restitutions qui auraient lieu durant la première année, conviendrait mal à celles des années suivantes. Il suffit, pour s'en convaincre, de peser les termes dans lesquels est conçu l'article 4 de la résolution. Que dire des précautions établies, dans les articles 6, 7 et 11, contre les abus d'une faculté que l'on prétend si peu abusive? L'autorisation du Roi, réservée pour les donations de 1,000 francs et au-dessus, serait, au gré de l'opinant, plus nécessaire pour les donations d'une somme inférieure, qui, en même temps qu'elles seront plus nombreuses, partiront d'une classe moins éclairée, plus accessible par conséquent à la séduction. N'est-il pas juste de modérer, pour l'intérêt des familles, cette pente naturelle d'un mourant de racheter des erreurs avec des biens dont la possession lui échappe? Quant aux successibles en faveur desquels l'article 11 réduit à la moitié de la portion disponible les donations qui pourront être faites au clergé, l'opinant s'étonne que, pour rendre ces successibles moins favorables, on en ait étendu le nom jusqu'au dixième degré aux ascendants et descendants dont la loi s'occupe uniquement. En écartant à la fois les dispositions particulières de la résolution et le principe qui leur sert de base, l'opinant adopterait la proposition faite de doter le clergé de rentes sur l'Etat, inscrites et immobilisées sous le nom de chaque établissement ou de chaque diocèse. Une pareille dotation, tant que l'Etat serait debout, aurait certainement toute la solidité désirable. S'il était bouleversé par une nouvelle révolution, croit-on qu'elle respecterait davantage toute autre propriété ? L'opinant revient de ces considérations générales au principe de forme qu'il établi, savoir que la résolution

originaire doit être en ce moment l'objet de la délibération. Il demande que la discussion y soit bornée.

M. le comte Lanjuinais (1). Messieurs, en 1789, j'ai voté contre l'expropriation du clergé comme tout à fait immodérée; j'ai eu ma part de persécutions, pour avoir demeuré le plus constamment dévoué à la religion catliolique et attaché à son respectable clergé.

Ainsi, d'une part, je n'ai pas besoin d'imiter, souffrez que je l'ose dire, le zèle éclatant dos mondains, les pieux sanglots des politiques, les cris lamentables des nouveaux convertis ; et de l'autre, je peux sans éveiller des soupçons fâcheux, relever les vices que j'aperçois dans la résolution du 25 janvier dernier, et même dans l'amendement de votre commission, quoique je trouve cet amendement assez régulier dans la forme, pourvu qu'il soit reporté dans la Chambre élective, et adopté ensuite par cette Chambre avant d'être présenté au Roi.

D'après ma dernière opinion, vous savez assez que l'espèce d'initiative reprochée à la Chambre des députés n'est point du tout ce que je veux blâmer dans son projet; mais il faut voir si l'on a fait un bon usage de cette sorte d'initiative, si la loi qu'on propose de solliciter auprès de Sa Majesté est nécessaire ou superflue, pernicieuse en elle-même ou par nos circonstances; si les dispositions en ce qu'elles montrent et en ce qu'elles cachent sont renfermées dans de justes limites; si elles sont conformes à notre Charte, à nos lois, à nos vrais besoins politiques.

Sous tous ces points de vue, je tâcherai de prouver que la résolution est vraiment inadmissible; que la proposition qu'on substitue n'est point nécessaire, et que si le temps vient de s'en occuper, elle devra être modifiée considérablement.

D'abord, j'ose regretter dans la forme, non pas que la résolution qui nous occupe ait été présentée, discutée en comité secret, puisque la Charte l'exige ainsi pour les propositions des députés, mais qu'elle ait été prise en séance secrète, comme son titre le porte: c'est là ce que la Charte ne dit pas, et ce qui me parait aussi contraire à son esprit qu'à la nature même des choses. La plus grande publicité de toutes les discussions définitives intéresse l'honneur des députés, elle est salutaire pour tous.

Ce que montre la résolution se réduit à trois points liberté absolue de donner toute sorte de biens meubles et imeubles à un bureau représentant le clergé de chaque diocèse; restitution volontaire à ce bureau des immeubles recelés provenant de l'ancien clergé, et autorisation à ce bureau de faire la découverte et la revendication de ces mêmes immeubles, de les administrer et appliquer au profit du clergé actuel.

Par rapport à la faculté d'acquérir des immeubles par libéralités, il n'y a pas lieu de la demander pour le clergé, parce qu'il tient de la loi ce qui lui est nécessaire à cet égard, et parce qu'il jouit de fait de la faculté illimitée de recevoir des immeubles, d'après l'ordonnance du 10 juin 1814; parce qu'enfin une loi nouvelle, quand il sera temps de la faire sur ce sujet, devra renfermer cette faculté dans de certaines limites conformes à l'organisation du clergé mème, et se rapprocher de notre ancienne et dernière législation sur cette matière.

(1) L'opinion de M. le comte Lanjuinais n'a pas été insérée au Moniteur.

La loi du 26 messidor an IX, articles 73 et 74, porte il est vrai : « Les fondations pour l'entretien des ministres et l'exercice du culte ne pourront <«< consister qu'en rentes sur l'Etat, ou enfin en « édifices destinés au logement ou en jardins << attenant. » Et l'on a lieu de croire que cette loi a été concertée avec le vénérable chef de l'Eglise catholique, et par lui consentie. Ces dispositions furent les articles secrets du dernier Concordat; elles ont passé en articles de loi solennelle.

Il s'ensuit que chaque Eglise, depuis quinze ans, peut recevoir en don les immeubles qui lui sont strictement nécessaires. Ce serait une chose tellement inutile d'étendre cette faculté, que la piété refoidie et mal dirigée n'a pas même atteint, en quinze années consécutives, le maximum trèslimité de la loi. Il y a toujours des évêques sans maison épiscopale, il y a douze mille cures sans presbytère, et beaucoup de séminaires en louage.

Voilà sur quoi une loi sage appelle depuis longtemps et presque en vain les libéralités; voilà le mal auquel il importe essentiellement d'apporter le remède. Or, le moyen d'y réussir n'est pas d'inviter les fidèles à disséminer leurs immeubles en fondations quelconques de fantaisie ou de vanité, à introduire le luxe pour quelques ministres, et à laisser les autres dans le besoin. Il convient plutôt de diriger l'esprit de libéralité, d'abord vers ce qui est nécessaire et indispensable. Vous savez que le clergé a toujours acquis et que toujours il a été dépouillé, parce que les dons arbitraires furent toujours inconsidérément permis et accumulés, souvent mal appliqués, tandis qu'on fut perpétuellement avare pour les ouvriers supportant la chaleur du jour; ce ne sont pas ces imprudences des citoyens et ces abus des gouvernements que vous prétendez rétablir; vous ne voulez pas, ainsi que nos ancêtres avaient fait depuis dix siècles, considérer le clergé comme une éponge qui saura toujours se remplir, et qu'on saura toujours pressurer jusqu'à la dernière goutte.

Ainsi, vous ne regarderez plus comme une loi de colère ou de politique astucieuse les articles 73 et 74 de la loi du 26 messidor an IX, et vous jugerez que le père commun des chrétiens n'a point manqué de prudence en se tenant satisfait, pour un temps au moins, de ce que ces articles autorisent, et de ce qu'on est si loin d'avoir obtenu par les donations dans un laps de quinze années.

J'examinerai bientôt comment ces articles pourraient recevoir encore des extensions raisonnables.

Quant à présent, il me suffit d'observer que cette loi était sage, et qu'elle présumait trop encore du zèle éclairé des donateurs entre-vifs et de la générosité peu méritoire des fondateurs moribonds.

Quelque jugement qu'on veuille en porter, cette loi existait, elle était observée en juin 1814. Or, l'article 68 de la Charte a conservé en vigueur les lois existantes, non contraires à la Charte, jusqu'à ce qu'il y soit légalement dérogé.

Mais il arrive malheureusement que les ministres les abrogent, dérogent aux lois, ou expressément ou tacitement, par des ordonnances du Roi, ou même sans ordonnance au moins qui soit connue. De cet abus provient l'ordonnance du 10 juin 1814 qui abroge les restrictions de ces articles 73 et 74, et qui à fait une grave, une vicieuse innovation par cette formule infiniment adroite et très positive de ne rien innover.

En effet, elle a soumis généralement à la simple forme d'autorisation par le Roi, les dons

d'immeubles quelconques faits au clergé, et les dons de meubles sans qu'il y ait obligation de les employer en rentes sur l'Etat.

En conséqueuce, les dons de maisons et de terres se trouvent autorisés par diverses ordonnances particulières dans les bulletins postérieurs de nos lois et autorisés hors les cas prévus par la loi organique du Concordat.

Telle est, Messieurs, l'allure actuelle des choses et ce qu'il y a encore de remarquable, elle n'a pas éprouvé dans les Chambres ni ailleurs la moindre censure.

Ou a dit que l'articles 910 du Code avait rendu aux établissements de mainmorte une liberté illimitée d'acquérir des biens territoriaux; qu'il y aurait de la bizarrerie à excepter les églises de cette faculté illimitée, Non, Messieurs, cela n'est point exact. D'abord, l'article 910 ne parle point de dons en terres ou maisons; le gouvernement, avant juin 1814, n'avait autorisé, de ces dons pour tous établissements publics, que les dons en rentes sur l'Etat, ou en biens territoriaux nécessaires à l'usage de ces établissements, selon le principe érigé en loi pour le clergé. Ce qui était vague et général dans l'article 910, et ce qui ne parlait point de biens fonciers, n'aurait pu déroger à une loi spéciale faite pour le clergé et pour les biens-fonds. Il n'y avait donc point de bizarrerie à corriger, ni de jurisprudence à réfor

mer.

Et comme les propriétés et les legs sont de l'ordre judiciaire, il fallait, selon l'aveu même de votre commission, il fallait à tous égards proposer une loi nouvelle, si la loi de messidor an IX était jugée mauvaise ou d'une autorité douteuse.

J'oserai de même rappeler à votre commission que les lois à abroger et leurs obscurités à éclaircir, sont essentiellement du ressort des trois branches du pouvoir législatif. Il est trop clair que, si l'autorité du ministre est seule assez puissante pour interpréter, avec force de loi, soit la Charte, soit les lois secondaires, la Charte et les lois sont inutiles, et les Chambres ne sont plus qu'un vain mot, une illusion, un artifice politi

que.

Ces vérités furent développées en 1814; il en résulta une résolution de là Chambre élective, adoptée après une longue discussion par la Chambre des pairs. Les ministres n'ont rien dit au contraire pendant la discussion; et pourtant ce projet n'a été ni sanctionné ni remplacé, et les interprétations qui abrogent ces lois continuent. J'ai dù avertir de la déviation. C'est au législateur à interpréter les lois, à les éclaircir, à les concilier, au besoin, par des dispositions nouvelles. C'est donc au Roi et aux deux Chambres collectivement qu'appartient cette noble tâche.

Mais laissons là le droit, et, puisqu'on l'a voulu, parlons du fait tel qu'il est aujourd'hui. Les ministres, au nom du Roi, ont déclaré le clergé capable de dons en toute sorte de biens immeubles, sans aucune limitation. Telle est encore une fois l'allure actuelle; et dans l'état présent de la France, après une fameuse épuration des tribunaux, qui doit n'y conserver que des hommes, comme on dit, d'un parfait dévouement, vous ne craindrez pas que cette allure soit troublée.

Ce n'est, sans doute, ni pour effacer ni pour réparer cet oubli des principes constitutionnels qu'a été prise la résolution du 25 janvier dernier.

D'un côté, l'infraction est subtile, elle a été

presque inaperçue, quoique, de l'autre, je l'avoue, elle remédie provisoirement, par un grand abus dans la forme, et par un abus réel au fond, à ce qu'il y a de trop rigoureux, à mon avis, dans les articles cités de la loi organique du dernier Concordat.

Ici, Messieurs, j'oserai proposer en peu de mots des tempéraments qui tiendraient le milieu entre l'autorité des articles 73 et 74, et le cours trop libre donné aux anciens abus par l'ordonnance du 14 juin, que l'on vous propose de demander pour loi.

Premièrement, je voudrais dédoubler, détripler les évêchés, parce que ce dédoublement est l'esprit de la discipline universelle de l'Eglise, avant les concordals, tristes enfants des fausses décrétales et de l'ambition des princes et de celle de la cour de Rome.

Ensuite, j'appellerais, dès à présent, au moins les dons en immeubles, pour que les évêques fussent logés chez eux, en leur ville éspiscopale, et quelquefois même à la campagne près de cette ville.

Tous les desservants redeviendrait curés et inamovibles, comme autrefois, selon les règles antiques de l'Eglise.

Tous les curés de ville auraient ou pourraient posséder presbytère et jardin.

Tous les curés de campagne (1) pourraient posséder en terre le quart ou le tiers de la valeur de leur traitement fixe.

Chaque séminaire, outre la maison, l'église et le jardin, aurait une ferme voisine, dont le maximum en revenu serait déterminé; et cette ferme servirait au délassement laborieux et à l'instruction des élèves.

Voilà, en deux mots, mon utopie domaniale ecclésiastique. Tous procès pour ces domaines seraient suivis au seul nom des procureurs du Roi.

Au reste, point de monastère, point de congrégation, point de couvent, point d'établissement religieux sans une loi, et nulle possession territoriale ecclésiastique au delà des exceptions que je viens d'énoncer; mais confirmation de la faculté de recevoir en biens meubles, et en rentes sur le Trésor, immobilisées au grand-livre, et jusqu'à un maximum fixé. Point de rentes perpétuelles ni viagères sur les particuliers au profit du clergé, l'usage en est trop près de l'abus.

On a beaucoup trop parlé de l'humiliation de recevoir un salaire. A tout ce qui a été dit contre cette difficulté chimérique, je demande la permission d'ajouter ce que nous apprend la parole divine dans nos livres saints: Mon royaume n'est pas de ce monde... Le fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête... Le disciple n'est plus le maitre... Ne possédez ni or ni argent; l'ouvrier est digne de sa nourriture... Les prêtres (sont) à la solde des églises, etc. En rappelant ces divers oracles, je suis loin de vouloir tomber dans le puritanisme; seulement je crois que les oublier, ainsi qu'ont fait les nouveaux patrons du clergé, c'est vraiment traiter la religion comme une

(1) Le projet de la dotation partiaire des curés de campagne en fonds territoriaux fut proposé, en 1790, à la Société d'agriculture de Paris, et approuvé par cette société, comme utile aux progrès de l'agriculture. (Voyez Mémoire sur la dotation des curés en fonds territoriaux, par M. Grégoire, curé d'Embermenil, député de Lorraine, et correspondant de cette société. Paris, 1790, in 8o, 38 pages.)

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nstitution purement humaine, et les pasteurs mieux que les Rois mêmes et mieux que toutes les branches de l'établissement civil.

Quand les créanciers de l'Etat souffrent des retards, la classe des propriétaires souffre comme celle des rentiers et des salariés. Jugez-en par ce qui s'est passé en France, dans les deux années dernières, et par ce qui se passe aujourd'hui même. Il n'y a rien de stable sur la terre. Ceux qui doivent prêcher les pieuses conséquences de cette vérité, quoi que l'on fasse, y demeureront soumis comme les autres. Plus on a, plus on peut perdre, et plus on est près de la privation. 200 millions de revenus fonciers que le clergé possédait en 1789, ne le mirent pas à l'abri de la misère, et moins encore de la persécution. Il n'y a donc que la sainteté du ministère, il n'y a que l'instruction profonde et des ministres et des fidèles, il n'y a que la foi vive et la charité du clergé et des laïques, qui soient le trésor inépuisable et infaillible pour assurer la subsistance des ecclésiastiques et celle des pauvres. L'Eglise est dans l'Etat ; ainsi donc que le clergé consente à être en grande partie, comme tous les autres fonctionnaires publics, rentier ou créancier de l'Etat. C'est aux familles surtout à posséder les maisons et les terres; les raisous d'ordre politique ou d'économie publique viennent se joindre aux motifs d'un juste intérêt fiscal, pour que le clergé, pour qu'aucune corporation n'aient jamais la liberté illimitée de posséder les terres et les maisons.

Mais, pour déterminer les limites, il faudrait d'abord fixer l'organisation définitive du clergé et l'étendue relative de ses dotations, en biens fonciers, et en tous articles, aux budgets nationaux, départementaux et municipaux.

De si grands objets entraînent de nombreux détails, et ils exigent la plus mûre délibération. C'est au gouvernement qu'il convient de s'en occuper, et vous savez qu'il s'en occupe. Il ne peut pas être question de les improviser par des amendements.

On vous a proposé de mettre en principe que le clergé pourra recevoir des libéralités en immeubles.

Ce principe existe dans la loi du Concordat, sous des limites qui peuvent, sans nuire à l'ordre public, recevoir des extensions raisonnables et suffisantes que je crois avoir indiquées.

Il existe sans aucune limite, et par infraction à la Charte, mais avec possession paisible, dans l'ordonnance du 10 juin 1814.

Si vous proposiez de l'adopter sans limites par une loi permanente, vous tomberiez dans cette déraison que, suivant Montesquieu, les peuples mêmes osent appeler d'un nom que je n'ose prononcer (1).

Si vous prétendez l'adopter, même avec des limites raisonnables, vous blâmez, vous troublez un provisoire avantageux au clergé, et tolérable, dans nos circonstances, pourvu qu'il soit bientôt remplacé par une bonne loi et dès limites justes et permanentes. Il se trouverait peut-être, en définitive, que ce sont à peu près celles de la loi du Concordat et celles que j'indique. Voulez-vous en poser d'autres beaucoup plus reculées? Vous ne pouvez pas, encore une fois, les improviser par amendement, ni même les établir sans fouler aux pieds la sagesse des siècles, sans mépriser les plus célèbres lois de l'ancienne monarchie, l'édit

(1) Imbécillité. (Voyez Esprit des Lois, liv. XXV, chapitre v.)

du mois de décembre 1666, et l'édit du mois d'août 1749, ouvrage immortel du pieux chancelier d'Aguesseau.

Selon ces lois mémorables conformes à des ordonnances plus anciennes, la création des nouveaux établissements ecclésiastiques, ou de mainmorte, et surtout des corporations, congrégations, chapitres, monastères, n'est pas, comme dans notre projet trop peu réfléchi, l'ouvrage du Roi seul ou de ses ministres; c'est un acte de législation, et c'est sans doute un des plus importants.

Non-seulement les cours partagèrent sur cet objet l'autorité législative, mais les corps et les particuliers mêmes avaient droit, pour leurs intérêts privés, de former opposition à tous établissements semblables, et de la faire juger en parlement.

Dans le projet de la Chambre, il suffirait d'une reconnaissance, d'un oracle de vive voix (comme disaient les jésuites en parlant du pape), sans aucune forme, pour créer ou ressusciter tout établissement ecclesiastique, tous bénéfices, apparemment tous les ordres religieux, rentés et mendiants, et les abbés et abbesses commendataires ou comédataires, et les congrégations, enfin les jésuites, et même l'ordre de Malte renvoyé au budget; et le nombre des procès plus ou moins fâcheux ou scandaleux doublerait. Comme les choses étaient au passé, le clergé serait haï, et la religion déprimée. La Chambre des pairs voudrait-elle concourir à un tel renversement du bon ordre?

Selon ces mêmes lois, hormis des cas déterminés, les gens de mainmorte ne peuvent acquérir de biens-fonds, ni posséder des rentes, si ce n'est sur l'Etat.

Vous ne consentirez pas, ni directement ni indirectement, que des dispositions aussi politiques, aussi salutaires, soient mises en oubli et regardées comme non avenues.

Sur les établissements et fondations il y a une portion de surveillance habituelle que les cours exerçaient, et que votre constitution actuelle vous interdit, mais qu'il ne conviendrait pas d'abandonner aux seuls préfets ou aux évèques et vicaires généraux, et que ceux-ci doivent, en vertu d'une loi, partager avec les conseils d'administration locale. C'est encore une omission dans le projet des députés.

J'admire qu'on vous propose de créer par diocèse expressément une représentation du clergé. Que dis-je de la créer? d'en déléguer la formation au pouvoir ministériel, sans qu'il vous soit laissé d'autre part en cette création si ce n'est de consentir que le clergé soit constitué en corps représentatif. Tout cela est traité si légèrement, si impolitiquement dans le projet, que le nom même de chaque conseil diocésain n'est pas fixé.

On lui donne, dans ce même projet, jusqu'à trois dénominations différentes.

Eh! pourquoi ce corps représentatif du diocèse? Le voici pour accepter les dons en meubles et immeubles, pour les appliquer et les administrer an besoin pour faire la recherche et la découverte de je ne sais quels biens recélés, ayant appartenu à l'ancien clergé, enfin pour surveiller Padministration de tous les biens ecclésiastiques de chaque diocèse! Voilà de petites républiques immortelles toutes créées; voilà des Etats dans P'Etat, et des sources fécondes de désordre et d'anarchie.

Il y a un autre inconvénient ce sont les libéralités par testament, surtout dans la dernière

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