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maladie, et aux titulaires de l'établissement légataire. Les testaments sont chez nous, comme cliez les Romains, une source impure de captations, de libéralités suggérées, extorquées, supposées. Si vous y associez le clergé sans fixer de sages limites, vous le tentez, vous le dégradez dans l'opinion, vous le rendez redoutable aux familles, vous faites humilier, diffamer, écarter ceux que vous prétendez avec raison entourer de tous nos respects.

Où sont-elles ces anciennes lois coutumières qui annulaient toutes libéralités faites par testament dans la dernière maladie? Ce n'est pas seulement par de justes égards pour le sacerdoce qu'il faudrait rétablir cette disposition: ce serait un frein nécessaire pour conserver les biens et l'union dans les familles, et pour déjouer en partie les hérédipètes de toute robe, de tout sexe, de tout rang et de toute profession, trop favorisés par certains articles de notre Code civil, qui permet, en collatérale, de leur tout donner, en laissant mourir de faim la sœur et le frère, et les neveux propres et les cousins germains du tes

tateur.

Je vois bien qu'on refuse au dernier confesseur du défunt l'usufruit du bien légué au titre que le confesseur possède; cependant, qui m'assure que le bureau diocésain, peu nombreux et maître d'appliquer d'autres revenus, ne voudra pas quelquefois en indemniser tacitement ceux qui auront su obtenir un legs fructueux pour l'Eglise ?

Mais comment n'a-t-on pas réfléchi que l'on ne peut, sans violer la Charte qui assure à chaque culte la même protection, permettre des dons illimités en immeubles au clergé catholique, et laisser subsister les limitations raisonnables, mais rigoureuses, de la loi du Concordat pour les ministres juifs, luthériens et calvinistes?

Que penser des 15 centimes additionels au principal de la contribution foncière annuelle pour indemnité envers le Trésor de tous droits de mutation éventuelle quelconque? D'abord, il faudrait dire, pour être clair, centimes additionnels par franc.

Ensuite, ce droit très-modique est trop fort, si le clergé n'a des terres et des maisons que ce qui est nécessaire, ou ce qui serait réputé lui être nécessaire, d'après de sages limites déterminées par une loi, Et si l'on voulait, par un privilége qui n'appartient à personne, pas même au Roi, ni à la Chambre des pairs, ni à l'armée, ni aux juges; si on voulait ne doter le clergé qu'en immeubles fonciers, et lui demander les 15 centimes additionnels, on peut comprendre que ce serait le moyen d'augmenter d'un sixième environ la masse de ces immeubles à mettre hors du commerce. Il est sensible que, si vous prenez au clergé, en contribution annuelle extraordinaire, un sixième de plus qu'aux autre possesseurs, vous le mettez dans le cas de prétendre, non sans raison, augmenter d'un sixième la masse des maisons et des terres qu'il voudra s'approprier et tirer du commerce, au dommage du fisc et du particulier; les 15 centimes additionnels ne seraient jamais qu'un mauvais remède à une loi mauvaise, telle que la Chambre élective et votre commission la proposent.

On demande pour le clergé les restitutious volontaires de biens de toute nature provenant du clergé, dont les hospices et les fabriques n'ont pas été mis en possession, et qui n'ont pas été en régie nationale; enfin, on veut donner aux prêtres du bureau diocésain le rôle odieux de rechercher et de découvrir tous ces biens pré

tendus, pour les administrer et en appliquer les revenus Restitution est un mot impropre, et un funeste cri d'alarme. Biens de toute nature on entend donc d'abord des biens mobiliers; mais, suivant le Code, en fait de meubles, la possession vaut titre, et le détenteur des meubles, le voleur, les prescrit par trois ans. Il n'y a donc rien à espérer en ce genre en fait de prétendues restitutions forcées et de nouvelles découvertes.

Quant aux immeubles et aux restitutions volontaires, il n'y a pas besoin de la loi à l'égard des consciences timorées; et quant aux recherches et découvertes, que peut-il rester en ce genre, après les travaux de quinze années des employés des domaines et des administrateurs des fabriques et des hospices? Quelle idée veut-on donner de la puissance d'une inquisition sacerdotale en ce genre; et n'est-il pas vrai, comme l'a dit un de Dos collègues les plus illustres, que le clergé actuel, qui se tait, n'a point mérité la disgrâce d'être si indécemment appelé à ces fonctions, dont la nature serait d'inquiéter, de troubler tous les acquéreurs de domaines nationaux de première origine? Les découvertes ne seraient rien, ou consisteraient à vouloir dépouiller en partie ces acquéreurs de ce qu'on prétendrait n'être pas assez précisément énoncé et expliqué dans leurs contrats par vingt-cinq ans de possession. Je ne crois pas qu'on ait pu imaginer un projet plus défectueux pour le clergé et plus capable de troubler la paix publique. Une dernière observation qui ne doit pas vous échapper, attendu qu'elle a frappé tout le monde, c'est que le projet informe de fragments de loi que je viens de combattre, ce projet inconstitutionnel et impolitique, réprouvé par nos lois récentes concertées avec le chef de l'Eglise, réprouvé aussi par nos lois les plus sages de l'ancienne monarchie, coïncide avec l'oubli étonnant du projet du Roi pour le soulagement des desservants, avec des propositions imprudentes et intempestives, comme de placer le clergé en première ligne dans le budget, et de l'y colloquer pour 62,500,000 francs; de lui abandonner le régime de l'état civil, l'instruction et l'éducation publiques, lorsqu'il ne peut suffire aux autels; en sorte qu'il ne manquerait plus que de lui affecter les mairies, comme on l'a annoncé encore, pour le constituer dans cet état de domination révoltante que l'Evangile réprouve, et qui est le plus redoutable ennemi de la religion, du clergé, des peuples et du gouverne

ment.

Je vote pour le rejet absolu de la résolution et de l'amendement qui en adopte le principe excessif, la rédaction vicieuse et incomplète, et j'exprime le vif désir de voir présenter par le Roi un projet de loi générale sur l'organisation du clergé catholique et sur les acquisitions et les libéralités en faveur des ministres des cultes, sur les précautions et les sages limites à établir ou à renouveler au sujet de ces acquisitions et de ces libéralités.

M. le comte de Clermont-Tonnerre (1). Messieurs, quand la résolution de la Chambre des députés, qui nous occupe aujourd'hui, fut apportée dans cette Chambre, je ne doutai pas un instant que la sagesse des pairs de France ne rejetât les articles dont cette résolution était composée; mais, en même temps, je demeurai convaincu qu'elle en adopterait le principe, avec la modification générale que le respect pour la pré

(1) Le discours de M. le comte de Clermont-Tonnerre n'a pas été inséré au Moniteur.

rogative royale et le besoin qu'a la France que cette prérogative soit conservée dans toute sa force et dans toute son étendue, rendraient indispensables. Quand done je vis le digne avocat de l'Eglise conclure en homme d'Etat pour le bien de la religion, j'étais loin de m'attendre que l'on pût combattre encore un principe si conforme aux principes consacrés par la sagesse et l'expérience de nos ancêtres, qui ne fondaient pas la religion, comme on a prétendu le faire de nos jours, sur les bases de la morale, mais qui fondaient au contraire la morale universelle et la félicité publique sur les bases de la religion. L'état le plus funeste sans doute où un peuple puisse se trouver, est de n'avoir pas d'institutions; mais l'état immédiatement voisin de celuilà est de n'avoir que des institutions nouvelles, et cet état est celui où la Révolution nous a placés, en détruisant tout ce que la marche lente du temps, la sagesse de nos pères, et la protection divine, avaient établi parmi nous sur des fondements qui semblaient inébranlables. Donc, si nous avons quelque espoir de revoir des temps plus heureux, cet espoir si consolant, et, disonsle, si nécessaire, ne peut se réaliser que quand nous adapterons, autant qu'il nous serà possible, nos vieux principes aux institutions nouvelles que la nécessité de notre position nous oblige de nous donner. Pénétré de cette idée, en même temps qu'édifié des pieux discours de plusieurs de mes collègues, mais n'ayant pas vu, je l'avoue, sans un sentiment pénible, reproduire d'un autre côté des arguments rebattus dans les temps qui out amené nos malheurs, j'ai cherché dans les monuments de notre histoire des moyens de fixer mon opinion sur cette matière importante. Je vais soumettre à la Chambre, dans le moins de mots possible, le résultat de mes recherches.

Quoique plusieurs auteurs graves aient prétendu que de tout temps les lois du royaume avaient interdit aux ecclésiastiques et autres individus de mainmorte la faculté de posséder des immeubles à quelque titre que ce fùt, et quoiqu'ils aient pensé que c'était pour lever cette incapacité, que nos rois avaient accordé des lettres d'amortissement, il est certain qu'au contraire (et l'on peut voir sous ce rapport Le Bret dans son Traité historique de la souverainté du Roi, vol. II, édition in-4o, pag. 71), sous la première et la seconde race, les ecclésiastiques et les églises ont acquis par donation ou à titre onéreux, et ont possédé en toute propriété des immeubles, sans aucune trace d'incapacité. Dans la suite, soit sous Philippe le Long au quatorzième siècle, soit même sous saint Louis vers le milieu du treizième, un droit d'amortissement (c'est-à-dire un droit de passage des biens-fonds entre les mains de gens de mainmorte) fut établi pour compenser la perte que le Roi et les seigneurs éprouvaient dans leurs droits féodaux, par la permanence des immeubles entre les mains d'individus ou d'établissements qui pouvaient bien acquérir, mais ne pouvaient point aliéner; mais on peut voir par le préambule de l'ordonnance du Roi, du 5 juillet 1689, que ce droit du Roi et l'indemnité aux seigneurs, qui en fut la conséquence, était une imposition réelle, et non pas une interdiction, ni un signe d'incapacité.

Tel avait été cependant l'état de la législation française sous le rapport des donations, lorsque la nécessité reconnue et sentie de borner pour l'avenir la faculté qu'avaient les gens de mainmorte d'acquérir et d'amortir ainsi une partie des richesses immobilières de la France, fit

rendre l'édit du mois d'août 1749, édit qui détermina le mode d'après lequel les gens de mainmorte pourraient à l'avenir acquérir ou recevoir des biens-fonds, et qui fixa irrévocablement les restrictions qui leur étaient opposées à cet égard. Cette ordonnance, rendue à cause de la facilité que les gens de mainmorte trouvaient à acquérir des biens-fonds naturellement destinés à la conservation des familles, à cause de l'abus des lettres d'amortissement, et pour arrêter la tendance naturelle qui porte les hommes à faire des établissements auxquels ils attachent leur nom, et des fondations nouvelles, faisait défense à tous les gens de mainmorte d'acquérir, recevoir ni posséder à l'avenir aucuns fonds de terre, maison, droits réels, rentes foncières, etc., à quelque titre que ce fùt, et même en payement de ce qui leur serait dù, à moins d'avoir à cet effet obtenu préalablement des lettres patentes. Les rentes sur le Roi, les Etats, ou le clergé, pour lesquels il n'existait aucune restriction, étaient les seuls objets immobiliers qui, ainsi que les objets mobiliers de toute espèce, pouvaient être reçus ou acquis par eux sans autorisation royale; et ils étaient obligés de vendre dans l'année tous les biens-fonds qui pouvaient leur revenir, soit par retrait seigneurial, soit de toute autre manière, à moins de lettres patentes accordées par le Roi.

Telle est, Messieurs, l'ordonnance qui, au milieu du siècle dernier, à une époque de paix, de bonheur et de gloire, et dans un temps où nous n'avions pas eu de révolution, fixa parmi nous la législation des donations et des acquisitions pour le clergé, comme pour tous les autres possesseurs de mainmorte; et cette ordonnance est regardée, avec raison, comme un des plus beaux monuments de la sagesse de d'Aguesseau. A cette époque, je le sais, le clergé français était dans l'opulence: il possédait une partie considérable des biens-fonds du royaume; il accumulait toujours sans se dessaisir jamais. Aujourd'hui, tout au contraire, le clergé est dans la misère, et les successeurs des apôtres en ont toute la pauvreté. Mais si les temps ont changé, les principes sont immuables, et s'il résulte de cette différence de position, qu'il faut que le Roi accorde avec plus de facilité qu'alors, aux établissements pieux, l'autorisation de recevoir ou d'acquérir des biensfonds, pour rendre aux ministres du culte cette considération que la propriété seule peut donner aujourd'hui, et pour leur procurer aussi une existence analogue à des temps et à des mœurs qui ne sont plus ceux de la primitive Eglise, il n'en résulte pas du moins qu'il soit indispensa-. ble, pour parvenir à ce but, de sacrifier un principe d'éternelle utilité publique, principe qui veut que les possesseurs de mainmorte ne puissent jamais acquérir que dans une proportion limitée des biens-fonds qui, une fois qu'ils ont passé dans leurs mains, ne peuvent plus rentrer dans la circulation, partie si importante de la richesse commune; mais il n'en résulte pas surtout qu'il faille adopter une résolution qui, lorsqu'il s'agit de donner aux ministres du culte, restreint alors de moitié la faculté que, dans tout autre cas, la loi accorde tout entière au caprice aveugle, et souvent même à l'injuste passion, et qui, en permettant de donner jusqu'à concurrence de 1,000 francs sans autorisation royale, laisse uniquement au malheureux le moyen de ruiner sa famille, tandis qu'il ôte à l'homme opulent jusqu'à la liberté de faire à l'Eglise une générosité qui ne compromettrait pas même ses

jouissances. Pour me résumer, Messieurs, je dis à ceux qui semblent craindre que nos rois ne maintiennent avec dureté les établissements pieux et les ministres des autels dans la détresse et la misère, je leur dis avec le sentiment d'une juste confiance, que la piété des fils de saint Louis doit assez les rassurer. Et à ceux qui affectent de redouter aujourd'hui que l'Eglise et ses ministres puissent acquérir quelque jour une assez grande quantité de domaines pour qu'il en résulte un dommage réel à la société en général, je leur réponds que la sagesse de nos souverains saura nous en garantir; et, « qu'en dernière analyse, la nécessité de l'autorisation du Roi pour << toutes les donations, comme vous l'a dit l'élo«quent rapporteur, ne doit laisser aucune in« quiétude. »

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Je conclus donc enfin, Messieurs, en me réunissant aux conclusions de M. l'abbé de Montesquiou, et je demande comme amendement général et en remplacement des onze articles de la résolution de la Chambre des députés, que le Roi soit humblement supplié de remplacer son ordonnance du 10 juin 1814, par la proposition d'une loi conforme aux principes de l'ordonnance de 1749; car ce n'est point en cherchant, qu'on me pardonne de le dire, non, ce n'est point en cherchant des exemples étrangers, c'est en usant au contraire avec prudence, avec sagesse, de nos exemples domestiques, que nous pouvons espérer d'être heureux, et voir régénérer la France.

La Chambre ordonne l'impression du discours de M. le comte de Clermont-Tonnerre.

M. le comte de Maleville (1). Messieurs après tous les bons discours que vous avez déjà entendus sur la résolution qui vous est soumise, je n'ai pas la prétention de traiter en grand le même sujet, et je me borne à une simple observation jusqu'ici négligée.

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L'article 5 de la Constitution dit : « Chacun « professe sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la même protection. » L'article 6 Cependant la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l'Etat. » Enfin l'article 7: « Les ministres de cette religion et ceux des autres cultes chrétiens reçoi« vent seuls des traitements du trésor royal. » Je ne crois pas qu'on veuille contester à la religion catholique sa primauté et son droit d'ainesse, prouvé par cela seul que c'est dans des temps bien modernes que les autres se sont détachées d'elle; elle est d'ailleurs le culte du Roi, de la famille royale, et de la très-grande majorité de la nation: aussi la Charte la déclare-t-elle religion de l'Etat. Mais il ne faut pas abuser de cette expression, religion de l'Etat, pour exclure les autres cultes chrétiens de l'égalité de liberté et de protection que la Charte leur assure au contraire de la manière la plus expresse.

D'après cela on est surpris que dans la résolution qui vous est soumise on ne parle que du culte catholique, que ce soit pour ce culte seul qu'on demande la liberté d'accepter des donations, et qu'on oublie absolument les cultes protestants, quoiqu'on n'ignore pas qu'ils ont souffert aussi de la Révolution, et que notamment les biens des églises luthériennes d'Alsace ont été vendus et dispersés.

Cet oubli dans la loi qu'on demande semblerait une exclusion bien contraire à la Charte constitutionnelle. Cette exclusion est si peu dans les

(1) Le discours de M. le comte de Maleville n'a pas été inséré au Moniteur.

intentions de Sa Majesté, que tout nouvellement encore elle a autorisé, d'après les lois existantes, et sur l'avis de son conseil d'Etat, une donation très-considérable de biens immeubles faite à l'une de ces églises luthériennes d'Alsace dont je viens de parler.

Jose vous dire, Messieurs, que, dans ce siècle de tiédeur pour la religion, tout culte dont la morale est pure et qui admet le dogme d'un Dieu rémunérateur et vengeur est par cela seul trèsutile, et mérite la faveur du gouvernement; à plus forte raison les cultes chrétiens.

Bien loin d'éveiller par des distinctions inutiles l'esprit d'intolérance, il serait bien à désirer que les chefs de tous les cultes chrétiens s'occupassent à les réunir dans une communion véritablement générale et apostolique, et conduisissent à une heureuse fin cet utile projet de Bossuet, de Leibnitz, de grands papes, et d'une illustre princesse; il semble qu'il n'aurait jamais été tenté dans des circonstances plus favorables. L'alliance déjà formée au nom de la religion chrétienne, et pour le maintien de ses principes, entre quatre puissants monarques de communions différentes, et à laquelle le défenseur de la foi ne manquera pas sans doute d'accéder, cette alliance serait un augure certain de la réussite. L'indifférence et le mépris même, généralement versés aujourd'hui sur les arguties scolastiques, favoriseraient ce succès; l'esprit de modération de nos pontifes et des ministres dissidents se prêterait à tous les moyens possibles de conciliation, et nous avons sous nos yeux mêmes des prélats qui rivaliseraient avec Bossuet de zèle, de piété et de doctrine.

Cet heureux accord remplirait de joie le cœur de tous les bons Français : ce serait un grand moyen de plus pour la réunion des esprits. Eh! qui ne sollicite pas de tous ses vœux cette réunion si nécessaire au salut de la patrie!

Je vote pour que, dans le cas d'adoption de la résolution qui vous est soumise, il soit aussi permis aux cultes protestants d'accepter des donations, avec l'autorisation de Sa Majesté.

L'Assemblée ordonne l'impression du discours de M. le comte de Maleville.

L'un des pairs ecclésiastiques (M. de La Luzerne, évêque de Langres) appuie, au nom de ses collègues, les conclusions du préopinant. Il déclare qu'elle trouve le même appui dans tout le clergé catholique.

Un membre, inscrit pour la parole, renonce à prolonger davantage une discussion qui, à ses yeux, ne peut être mieux terminée que par la déclaration qu'on vient d'entendre. Il se borne à demander que cette déclaration si honorable pour le clergé de France, si satisfaisante pour tous les bons esprits, soit mentionnée au procès-verbal. L'Assemblée ordonne cette mention.

M. l'abbé de Montesquiou, rapporteur de la commission, résume verbalement les objections qui ont été faites contre l'amendement qu'elle propose. Deux opinions également extrêmes tendent à le rejeter. L'une se fonde sur les dangers, l'autre sur l'insuffisance du principe qu'il contient. Ce principe serait-il dangereux en effet? Y aurait-il un véritable inconvénient à permettre au ministre du culte de mêler à ses pieux devoirs l'administration de quelques propriétés temporelles? Ne sait-on pas, au contraire, que le travail est le gardien des mœurs, l'appui de l'innocence et de la vertu ? C'est l'oisiveté qui serait véritablement dangereuse; pourquoi voudrait-on y condamner le curé des campagnes durant le

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[Chambre des Pairs.]

mois où l'activité des récoltes laisse peu d'exer-
cice à ses fonctions religieuses? Pendant ces
relâches forcées, quel travail plus convenable,
plus approprié à sa situation que les soins de
l'agriculture? D'autres dangers résulteraient-ils
de l'abus que pourrait faire le clergé de la faculté
accordée de recevoir des donations? Mais on
déplace la question en parlant d'accorder au
clergé la faculté de recevoir; c'est la faculté de
donner qu'il s'agit de laisser aux donateurs, et
quand on examine de près la chose, il paraît
difficile de leur interdire cette faculté à l'égard
d'une classe d'hommes qui rend à la société les
services les plus éminents. Dira-t-on au citoyen,
au père de famille: La loi vous permet de grati-
fier un étranger, un inconnu, l'objet même d'une
affection déréglée; mais gardez-vous de témoi-
gner la moindre reconnaissance au prêtre qui
bénit votre hymen, qui, instruisit vos enfants, qui
vous consola dans vos maladies, qui chaque jour,
au nom de la morale, commande à l'indigence le
respect pour vos propriétés. Voilà pourtant ce
qu'il faut dire, si l'on restreint à l'égard du
clergé la liberté des donateurs. Un plus juste
sujet d'alarmes se trouvera-t-il dans les richesses
dont les donations faites au clergé pourraient
devenir la source? On s'abuse étrangement si
l'on regarde comme possible le retour du clergé
à son ancienne opulence. Il faudrait, pour la
reproduire, changer le cours des choses, et
ramener les circonstances dont elle fut l'ouvrage.
Il faudrait replacer dans les solitudes qu'ils ont
défrichées, ces légions de pieux cénobites; rétablir
parmi eux cette austérité de mœurs, cette unifor-
mité de vie, ce calme d'esprit, ce silence, cette
économie, cette admirable distribution du travail
qui opèrent à la longue des effets și merveilleux.
L'opulence du clergé, dans l'état actuel de nos
mœurs, est une chimère. Aussi, d'autres opinants
rejettent-ils comme insuffisante la mesure pro-
posée par la résolution. Mais faut-il donc que cette
mesure suffise à tous les besoins pour mériter
d'être adoptée? N'est-ce rien que de fournir, dans
un moment de détresse générale, même une partie
des besoins nécessaires? La commission, en adop-
tant le principe, n'a pas cru devoir adopter les
développements qu'il a reçus dans les onze arti-
cles de la résolution. Ses motifs, exposés dans le
rapport qui est sous les yeux de la Chambre, ont
été attaqués par divers opinants. Mais a-t-on bien
prouvé qu'il n'y eût rien à craindre de l'établisse-
ment de ces conseils qui représenteraient, aux
termes de la résolution même, le clergé de chaque
diocèse? A-t-on prouvé qu'un pareil établisse-
ment ne portait aucune atteinte à l'autorité royale
et aux anciens principes de la monarchie? qu'il
pût se concilier sans difficulté avec le système
actuel de notre gouvernement? Le rapporteur
déclare qu'il est loin d'avoir acquis cette convic-
tion. Il ne pense pas que les partisans de la
résolution intégrale aient mieux prouvé qu'il fût
prudent, qu'il fût utile de parler de restitutions,
d'inquiéter par ce mot impropre et par les recher-
ches dont il serait le prétexte, une classe nom-
breuse de propriétaires. S'il s'agissait, en effet, de
restitutions, qui n'aurait pas à restituer? Les di-
mes du clergé ne sont-elles pas aujourd'hui réunies
à la propriété de chaque domaine? Qui songe à
les rendre? Et si l'on n'y songe pas, pourquoi
mettre en avant d'autres restitutions bien moins
importantes? Il est d'autres articles sur lesquels
la commission aurait pu se permettre des obser-
vations qu'elle croit plus sage de supprimer. On a
reproché au rapporteur d'avoir dit que chez nous

la religion était l'ordre social lui-même. Sans nier
la perfectibilité si vantée de l'espèce humaine, il
demande si jamais un peuple est sorti de la bar-
barie sans un législateur qui lui apportât un code
de morale publique? Envoyez un missionnaire
aux sauvages du Canada, vous les verrez sortir
de l'abrutissement où ils languissent depuis si
longtemps. Le rapporteur écarte, en finissant,
une objection de forme, élevée par divers opinants
contre l'amendement que propose la commission.
Ce n'est pas, a-t-on dit, un amendement, c'est
une proposition nouvelle, étrangère à celle de la
Chambre des députés, et qui ne peut être délibéréc
concurremment avec celle-ci. De tels principes
ne sont-ils pas contraires à la doctrine de toutes
les assemblées délibérantes? Qu'est-ce qu'amen-
der, sinon ajouter quelquefois, souvent réduire ;
et quel autre nom que celui d'amendement pour-
rait-on donner au travail de la commission,
borné comme il a dù l'être à dégager le principe,
et pour ainsi dire la substance de la résolution,
des dispositions accessoires où elle se trouvait
enveloppée? Queile difficulté verrait-on à délibérer
en première ligne sur cet amendement, dont la
différence avec les amendements ordinaires con-
siste seulement en ce qu'au lieu d'affecter un
article de la résolution, il en affecte la totalité ?

On demande la clôture de la discussion. Elle est
mise aux voix et adoptée.

M. le Président consulte la Chambre sur la priorité réclamée par le rapporteur de la cominission en faveur de l'amendement qu'elle propose.

Plusieurs membres appuient cette priorité, fondée sur la maxime triviale qui veut qu'on purge d'abord les amendements.

Un membre propose de mettre aux voix le premier article de la résolution, où se trouve, dit-il, contenu le principe énoncé dans l'amendement qu'on y substitue.

Le rapporteur de la commission observe que le principe dont il s'agit ne se trouve nulle part énoncé dans les termes où il a paru nécessaire à la commission de le réduire. L'article 1er, notamment, le complique d'une foule de dispositions accessoires qui apporteraient de l'embarras dans la délibération.

Un autre membre propose de suivre l'exemple de la commission spéciale, qui n'a pu réduire la résolution au principe unique dont elle forme son amendement, que par l'examen ou le rejet des différentes dispositions qui le compliquaient. II voudrait pareillement qu'avant d'adopter ce principe, la Chambre délibérât sur les différents articles dont il est le supplément.

La Chambre, consultée, accorde la priorité à l'amendement de la commission; il est relu par un de MM. les secrétaires.

Un membre propose de restreindre par des limitations la généralité du principe; un autre, d'aà l'Église jouter que les biens-fonds donnés seront vendus et convertis à son profit en rentes sur l'Etat. Un troisième demande que la faculté dont jouira le culte catholique soit étendue à toutes les communions chrétiennes.

M. le Président observe que les termes de l'article sont généraux et s'appliquent aux Eglises de toutes les communions.

En voici la teneur littérale: « Tout établisse<<< ment ecclésiastique reconnu par la loi, pourra « accepter et posséder, avec l'autorisation du Roi, tous les biens meubles et immeubles qui

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« pourront lui être donnés par actes entre-vils, ou par actes de dernière volonté. »

Un membre (M. le comte d'Aguesseau) (1) attaque la rédaction de l'amendement, et propose d'y substituer cinq autres articles dont il donne lecture.

Cette proposition n'a pas de suite.

Il n'en est pas donné davantage à la proposition faite par un autre membre, d'insérer dans l'article la restriction suivante: conformément aux lois en vigueur et aux principes établis dans l'édit de 1749.

L'amendement proposé par la commission est mis aux voix et adopté provisoirement.

Son adoption rendant inutile la délibération individuelle des onze articles qu'il supplée, M. le président annonce qu'il va être voté au scrutin sur l'ensemble de la résolution modifiée par l'amendement dont il s'agit.

Avant d'ouvrir le scrutin, il désigne par la voie du sort deux scrutateurs pour assister au dépouillement des votes.

Les scrutateurs désignés sont M. le duc de La Rochefoucauld et M. le duc de Chevreuse.

On procède au scrutin dans la forme accoutumée. Le nombre des votants est de 122: sur ce nombre, réduit à 119 par la nullité de trois bulletins, le résultat du dépouillement du scrutin donne 85 suffrages en faveur de la résolution amendée. Son adoption est en conséquence proclamée par M. le Président.

L'heure étant avancée, il lève ensuite la séance, après avoir ajourné l'Assemblée à vendredi prochain 8 de ce mois, à une heure.

ANNEXE

A la séance de la Chambre des pairs du
5 mars 1816.

NOTA. L'opinion de M. le comte d'Aguesseau sur la résolution de la Chambre des députés relative aux donations faites au clergé, n'a pas été prononcée à la tribune néanmoins nous l'insérons ici comme complément des modifications qu'il proposait de substituer au projet de la commission."

M. le comte d'Aguesseau (2). Messieurs, la loi proposée par la Chambre des députés sur les donations en faveur du clergé est-elle faite? estelle à faire?

Telles sont les questions qui se présentent à l'esprit après en avoir pris lecture.

Je réponds à la première : La loi n'est pas faite; voici mes motifs :

Nos plus habiles, nos plus célèbres législateurs et jurisconsultes ont toujours considéré les actes de donation et de testament comme les plus importants parmi les hommes, et se sont en conséquence appliqués à en régler l'usage, tant dans l'intérêt du donateur et du donataire, que des hériters du donateur.

Ils n'ont pas moins porté leur attention sur les rapports que ces sortes de dispositions peuvent avoir avec les intérêts de, l'Etat, en s'attachant à concilier tout à la fois et l'avantage des familles en général, et la faveur des établissements publics vraiment utiles; et les mesures propres à éviter qu'une trop grande masse d'immeubles passât entre des mains dont elle ne devait plus sortir, et fût ainsi enlevée pour toujours au commerce et aux droits du Domaine.

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Rien dans la résolution ne nous retrace cette sagesse de nos anciennes lois, ni celle des lois qui nous régissent aujourd'hui.

Cette loi autorise le clergé à recevoir des donations, et les titulaires des bénéfices, ainsi que leurs successeurs, à posséder les dons qui leur seront faits en toute propriété. Ces autorisations sont d'abord de grandes et importantes innovations à notre ancienne et actuelle législation. Ce n'était point en faveur du clergé que les donations étaient permises; c'était en faveur des églises, des séminaires, des cures, des fabriques, des hópitaux et des hospices. Ce n'étaient point les titulaires des bénéfices qui possédaient, c'étaient les bénéfices; la dénomination des donataires en cette matière n'est pas indifférente aujourd'hui.

Qu'entend cette loi par les expressions générales de bénéfices et d'établissements ecclésiastiques? Entend-elle les seuls bénéfices ou établissements ecclésiastiques autorisés par les lois, et existants aujourd'hui en France? A-t-elle voulu, par des qualifications aussi vagues, laisser entrevoir le désir et la faculté même d'introduire par la suite, à l'aide des donations, des institutions de la nature de celles que l'on appelait autrefois bénéfices simples, ou sans charge d'âmes, et des couvents et monastères? La loi n'est ni claire ni précise; mais a-t-elle eu l'intention de l'être.

Nous appliquerons la même question à l'article 7. Il défend aux ministres du culte toutes libéralités qui lui seraient propres : mais quand elles seront destinées aussi à ses successeurs à perpétuité, le conseil diocésain disposera de l'usufruit pendant sa vie.

Cette disposition renferme un louche, une réticence qui ne peuvent se tolérer dans une loi. Si elle a entendu donner au conseil diocésain la faculté de pouvoir disposer de cet usufruit en faveur du ministre existant lors de la donation, la loi se contredit alors avec elle-même, elle annule la défense qu'elle a portée antérieurement, elle viole le sage principe consacré de toute ancienneté, et qu'elle avait elle-même reconnu ; elle ouvre la porte aux abus qu'elle avait d'abord paru vouloir prévenir. Il y donc contradiction et réticence dans la loi. Les lois doivent-elles offrir un tel caractère?

Elle autorise les donations, mais elle ne fait aucune mention des règles, des formalités qui ont assuré jusqu'à ce moment l'existence, l'authenticité, la validité de ces actes, ni des sages auxquels ils ne sont que trop souvent exposés, précautions qui les garantissaient des dangers la suggestion, la fraude, l'erreur, les variations et caprices de la volonté : et cependant, dans quelles circonstances ces règles, ces formalités, ces precautions seraient-elles plus nécessaires?

Elles portent deux atteintes graves aux droits de la couronne: la première, lorsqu'elle attribue aux évêques et à des bureaux ecclésiastiques le pouvoir de recevoir des donations, et d'en faire l'emploi, seuls et à leur gré; la seconde, lorsqu'elle accorde au clergé la faculté de devenir propriétaire sans l'autorisation du Roi. Ces dispositions, contraires aux principes reconnus et consacrés de toute ancienneté par nos coutumes, nos lois, la jurisprudence uniforme des parlements, lé code et la constitution, dépouillent le monarque d'une de ses plus utiles et importantes prérogatives; enlèvent au chef du pouvoir exécutif cette autorité tutélaire, cette force, cette unité d'action sur toutes les parties de l'administration, qui sont indispensables au maintien de l'ordre pu

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