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Eloigné par des circonstances pénibles du théâtre de sa gloire; privé du bonheur que j'avais cru mériter peut-être, de lui présenter mes anciens frères d'armes, je dois m'interdire les détails de cette campagne glorieuse, et je laisse à mes honorables amis, qui, plus heureux que moi, partagèrent leurs exploits et leurs revers, le soin de faire valoir à vos yeux les nouveaux droits que nos braves compatriotes s'acquirent dans ces moments désastreux.

C'est à eux de vous montrer ces volontaires royaux qui, de tous les points du Midi, s'élançaient à l'envi pour marcher contre la tyrannie; ces villes fidèles qui s'exposaient à la rage des satellites de l'usurpateur, plutôt que d'arborer ses couleurs; cette ville de Marseille, dont le premier élan, trompé par une inertie coupable, ne put être découragé, et qui conserva la dernière de la France, cet emblême sans tache, l'honneur de la patrie.

J'ai dû me borner à rendre public l'hommage que nous devons à une conduite trop ignorée, et à vous prouver qu'un enchainement continu depuis les commencements de la Révolution, a perpétué l'amour des Bourbons, le zèle le plus actif pour servir leur cause, dans cette vaste étendue qui, depuis le Var jusqu'à Bordeaux, offrira toujours à la légitimité des sujets soumis et des soldats fidèles.

Je vote pour le projet de l'adresse au Roi; mais je demande que la constante fidélité des départements méridionaux y soit honorablement et particulièrement mentionnée, et que leurs habitants partagent les récompenses honorables que Sa Majesté voudra bien accorder à la fidélité la plus pure.

Cette proposition est vivement appuyée.

M. le baron de Lézardière, rapporteur, est monté à la tribune pour résumer la discussion : Ne craignez pas, Messieurs, a-t-il dit, de proposer une charge pesante au trésor royal; il ne sont, pas avides les guerriers qui ont combattu tant de fois sans solde, sans armes et sans espoir de succès. Songez seulement à consacrer des exemples aussi utiles que glorieux; souvenez-vous que les armées royales ont été le contingent de Sa Majesté dans la grande guerre qui a maintenu le principe de la légitimité. C'est un ministre de Sa Majesté, M. de Vaublanc, qui, à cette tribune, leur a rendu ce noble témoignage: c'est aux armées royales que nous devons l'honorable opinion établie en Europe, que le grand nombre des Frauçais chérit l'empire des Bourbons.

La discussion est fermée.

M. le Président pose deux questions, savoir: La Chambre fera-t-elle une adresse au Roi? La commission sera-t-elle chargée de la rédiger?

Ces deux questions, mises aux voix séparément, sont décidées affirmativement par la Chambre. La séance est levée.

CHAMBRE DES PAIRS.
PRÉSIDENCE DE M. LE CHANCElier,
Séance du 8 mars 1816.

A une heure, la Chambre se réunit en vertu de l'ajournement porté au procès-verbal de la séance du 5 de ce mois.

Le secrétaire-archiviste, sur l'ordre de M. le président, fait lecture de ce procès-verbal.

Un membre propose de désigner nominativement le pair ecclésiastique, dont il mentionne la

déclaration relative au vœu émis par un pair en faveur des cultes protestants.

D'autres membres regardent comme suffisante la désignation de pair ecclésiastique. Ils insistent pour l'exécution du règlement, et réclament l'ordre du jour.

L'ordre du jour est adopté. L'Assemblée maintient et approuve la rédaction du procès-verbal.

Au nom du sieur Bourgeois, pensionnaire de l'académie de France, à Rome, M. le président fait hommage à la Chambre du portrait du Roi, dessiné par cet artiste, et gravé par le sieur Girard.

La Chambre agrée cet hommage.

L'ordre du jour appelle le rapport de la commission spéciale chargée d'examiner la résolution, de la Chambre des députés, du 9 février 1816, relative aux pensions ecclésiastiques, dont jouissent des prêtres mariés.

Au nom de cette commission, M. le comte Abrial, l'un des membres, obtient la parole, et fait à l'Assemblée le rapport suivant:

Messieurs, il s'agit de savoir si les pensions constituées aux ecclésiastiques au moment de la dissolution du clergé, peuvent être supprimées à l'égard des prêtres qui se sont mariés.

Cette question peut être considérée sous deux aspects, sous l'aspect religieux et sous l'aspect civil.

Nul doute que sous l'aspect religieux, les prêtres mariés n'aient encouru toutes les censures de l'Eglise, et mérité de perdre tous les avantages qu'ils tenaient de l'Eglise.

Mais sous l'aspect civil, peuvent-ils être privés de la pension qui leur a été constituée au moment de l'envahissement des biens du clergé ? Cette pension même a-t-elle aucun caractère ecclésiastique? C'est ici, Messieurs, où votre commission trouve beaucoup de difficultés.

Elle va vous faire part de ses recherches.

Dans tous les temps l'Eglise a prohibé le mariage des prêtres. Si, dans les premiers siècles, elle a toléré que ceux qui étaient mariés avant d'être promus à l'ordination ou à l'épiscopat, continuassent de vivre avec leurs femmes, elle leur a toujours recommandé la continence, et enjoint de n'être ensemble que comme frères et sœurs (Concil. Clermont, 535). Mais elle n'a jamais admis comme un droit acquis, que les prêtres engagés dans le sacerdoce pussent prendre une femme.

Tous les conciles sont unanimes à cet égard; et les premiers conciles de Latran, en 1123 et. 1129, ne firent que développer les anciens principes, en déclarant d'une manière plus, expresse la nullité de ces mariages. Ces conciles veulent que le sacrement de l'ordre soit un empêchement dirimant. Et telle a été, jusqu'à la Révolution, la discipline de l'Eglise, et celle de la France qui l'avait adoptée.

Cependant au concile de Trente on fit quelques, tentatives en faveur du mariage des prêtres. Mais la pureté des principes prévalut, et la prohibition du mariage des prêtres fut maintenue.

On considéra que la sainteté du ministère exercé par les prêtres ne saurait exiger trop de pureté, et qu'ils vaqueraient avec bien plus de zèle et de plénitude à la conduite des fidèles et à la prière, quand ils ne seraient point distraits par les soins d'une famille et par les sollicitudes qui sont nécessairement attachées à la condition du mariage.

S'il arrivait donc en France (ce qui a eu lieu très-rarement) qu'un prêtre cût mis en oubli ses

devoirs jusqu'à contracter mariage, soit dans le royaume, soit en pays étranger, non-seulement le mariage était déclaré nul et les bénéfices vacants, mais le prêtre était condamné par les officialités à une prison plus ou moins longue, nourri du pain de tribulation et de l'eau d'angoisse, pane tribulationis et aqua angustiæ. C'étaient les expressions employées par l'officialité de Paris, ainsi que l'atteste Decombes (1).

Telle était la discipline suivie en France, lorsque les tempêtes de la Révolution fondirent tout à la fois sur le trône et sur l'autel. Le clergé, comme clergé, fut anéanti; ses biens furent envahis; le culte devint indifférent à l'Etat; les prêtres ne furent plus à ses yeux que de simples citoyens; les obligations dont ils étaient tenus dans le for antérieur furent régardées comme étrangères au pouvoir séculier.

Il est nécessaire de vous rappeler ici, Messieurs, quelques-unes des lois qui réglèrent et le sort des prêtres et leur état civil. Ces détails pourront vous paraître longs et fastidieux : il faut cependant que vous en preniez connaissance, pour que vous puissiez vous faire une idée juste des pensions ecclésiastiques, connaître si elles ont conservé ou non la nature des bénéfices et revenus ecclésiastiques, ou si elles ne sont pas des rentes temporelles; si elles entraînent quelque obligation, ou si elles sont pures et simples. L'importance de la matière demande une discussion approfondie.

2 novembre 1789. Décret qui déclare« que tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir, d'une manière convenable, aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres, sous la surveillance et d'après les instructions des provinces. >>

Voilà, Messieurs, le contrat primitif. En mettant les biens ecclésiastiques à la disposition de la nation, l'Assemblée constituante s'impose trois obligations 1o de pourvoir d'une manière convenable aux frais du culte; 2o de fournir à l'entretien de ses ministres ; 3° de venir au secours des pauvres. Ces trois obligations sont bien distinctes les unes des autres.

19 février 1790. Loi qui s'exprime ainsi :

Art. 1er. « La loi constitutionnelle du royaume ne reconnaît plus de vœux monastiques solennels de personnes de l'un ni de l'autre sexe; déclare en conséquence que les ordres et congrégations régulières dans lesquels on fait de pareils vœux, sont et demeureront supprimés en France, sans qu'il puisse en être établi de semblables à l'avenir. »>

Art. 2. «Tous les individus de l'un et de l'autre sexe, existants dans les monastères et maisons religieuses, pourront en sortir en faisant leur déclaration devant la municipalité du lieu; et il sera pourvu incessamment à leur sort par une pension convenable. >>

Voilà, Messieurs, la première mention de pension; et je vous prie d'observer qu'elle n'a d'autre objet que de pourvoir au sort de ceux qui préféreront sortir de leurs monastères.

Il y a plus il était encore permis alors de rester dans les monastères; on laissait la faculté d'y demeurer ou d'en sortir. Ceux qui demandaient à sortir violaient donc le vœu de clôture. Cependant la loi du 19 février 1790 s'oblige à leur accorder la pension; donc cette pension n'avait point pour condition l'observation des

(1) Traité des Officialités, part. II, liv. v, fol. 664.

vœux précédemment faits, mais simplement, comme elle le dit, l'intention d'assurer un sort convenable à ceux qui profitaient de la liberté que leur accordait la loi.

Le 26 février 1790, autre loi ainsi conçue :

Art. 1er. « Il ne sera point fait de distinction, quant au traitement des religieux qui sortiront du cloître, entre les religieux pourvus de bénéfices et ceux qui n'en sont point pourvus; mais le sort de tous sera le même, si ce n'est à l'égard des religieux curés qui seront traités comme les curés séculiers. »

Vous remarquerez ici, Messieurs, trois sortes de personnes, les simples religieux, les religieux qui avaient bénéfice, les religieux curés. Les deux premières classes sont confondues; ce n'est donc pas proprement à raison du bénéfice que la pension est accordée, puisque le religieux qui n'avait pas de bénéfice est traité comme celui qui en avait. La pension a donc un autre principe c'est de ne pas laisser sans ressource ceux qu'on renvoyait dans le monde. Au contraire, les religieux curés sont traités plus favorablement, parce qu'ils restent ministres du culte, que le culte devait avoir pour ses ministres un traitement particulier bien distinct des pensions ecclésiastiques.

22 août 1790. Loi notable sur l'administration des biens déclarés à la disposition de la nation, et sur la manière dont il sera pourvu aux frais du culte et aux pensions.

A l'article 5 il est dit : « Dans l'état des dépenses publiques de chaque année, il sera porté une somme suffisante pour fournir aux frais du culte de la religion catholique, apostolique et romaine, à l'entretien des ministres des autels, au soulagement des pauvres, et aux pensions des ecclėsiastiques tant séculiers que réguliers. »

Les pensions ecclésiastiques sont donc ici bien distinguées du traitement des ministres du culte : ces deux espèces de dépenses forment deux catégories bien distinctes, ainsi que les secours deslinés aux pauvres.

Pour l'Etat, il n'y avait plus d'ecclésiastiques proprement dits que les ministres du culte; les autres ecclésiastiques, non activés, n'étaient plus que des vétérans retraités, dispensés, aux yeux de l'Etat, de tout service et de toute espèce d'obligation religieuse.

L'article 6 porte « Il n'y aura aucune distinction entre cet objet de service public et les autres dépenses nationales. Les contributions publiques seront proportionnées de manière à y pourvoir, et la répartition en sera faite sur la généralité des contribuables du royaume. »>

Il n'est pas possible, Messieurs, de donner aux pensions ecclésiastiques un caractère plus marqué de temporalité. Elles sont une charge de l'Etat, comme toutes ses autres charges; elles doivent, comme les autres, être perçues sur la totalité des revenus de l'Etat.

Le 24 août 1790 parut la Constitution civile du clergé. L'article 20 du premier titre supprime tous titres et offices autres que ceux mentionnés en ladite constitution, les dignités, canonicats, prébendes, chapelles, etc., tant des églises cathédrales que des églises collégiales, et tous autres bénéfices généralement quelconques, de quelque nature et sous quelque dénomination que ce soit.

Cette loi ne s'occupe que du traitement des ministres du culte. Elle réserve cependant des pensions à ceux que leur âge ou leurs infirmités obligeraient à demander une retraite.

Le décret du 14 juillet 1790, annexé à la loi du 24 août, autorise également, article 13, à donner des pensions aux ecclésiastiques qui, sans être pourvus de titre, étaient attachés à des chapitres, à en donner également aux officiers laïcs, organistes, musiciens attachés à ces chapitres, suivant le temps et la nature de leurs services, et eu égard à leur âge et à leurs infirmités.

Les articles 17 et 18 continuent les pensions sur les bénéfices et sur les économats, en les réduisant à un taux déterminé.

Toutes ces pensions rentrent dans la classe des pensions ecclésiastiques, et sont portées sur le même rôle. Elles ont pour objet des services rendus, et non des obligations à remplir pour l'avenir; des sacrifices faits à l'Etat, et non des devoirs ecclésiastiques à continuer ce sont de véritables secours, de véritables pensions alimentaires.

L'article 35 du même décret caractérise bien la nature de toutes ces pensions, en disant :

« La moitié de la somme formant le minimum du traitement attribué à chaque classe d'ecclésiastiques, tant en activité que sans fonctions, sera insaisissable. »

Voilà bien qui détermine l'espèce de ces pensions ce sont des pensions alimentaires dont le privilége est d'être, en tout ou en partie, insaisissable.

On connaît tous les troubles qu'exita en France cette constitution civile du clergé. Beaucoup d'évêques, de curés, refusèrent de la reconnaître : il furent déplacés. Eh bien! que devinrent leurs pensions? Quoique l'Assemblée nationale mît le plus grand intérêt à faire prêter le serment, nonseulement elle ne supprima pas la pension en déplaçant ceux qu'on appelait alors réfractaires, mais elle en constitua aux remplacés qui n'en avaient pas c'est ce que prouve la loi subséquente.

Loi du 18 février 1791, portant:

« Les curés qui, d'après l'exécution des décrets, seront remplacés par d'autres fonctionnaires publics, recevront, du jour que leurs successeurs entreront en fonctions, un secours annuel de 500 livres, si, à raison de leurs autres anciens bénéfices, ou de pensions sur anciens bénéfices, ils n'ont droit à un traitement égal ou supérieur. › Ainsi l'Assemblée, en constituant dans l'origine les pensions ecclésiastiques, n'avait considéré que l'état actuel des prêtres, et nullement ce qu'ils seraient ou ne seraient pas dans la suite. C'était une pension alimentaire, franche et libre, un secours, dont l'unique but était d'assurer la subsistance des pensionnaires.

Nous pouvons donc dire avec vérité que, si l'Assemblée nationale n'a jamais prévu dans sa législation que les prêtres se marieraient, elle n'a rien fait non plus pour les en empêcher, et encore moins pour les priver de leurs pensions, s'ils venaient un jour à oublier l'obstacle éternel que leur conscience devait leur opposer. Elle a, au contraire, laissé à cet égard la plus grande latitude, puisque, d'une part, dans la loi constituante du 14 septembre 1791, elle répète que la loi ne reconnait plus ni vœux religieux, ni aucun autre engagement qui serait contraire aux droits naturels ou à la Constitution; et de l'autre, dans la loi de l'état civil du 20 septembre 1792, elle ne rappelle point, parmi les empêchements dirimants du mariage, le sacrement de l'ordre.

L'Assemblée législative, qui a succédé à l'Assemblée constituante, n'a émis aucun acte sur "objet qui nous occupe.

Mais la Convention va vous présenter sur ce sujet la législation la plus étrange.

S'il vous est pénible, Messieurs, de vous voir ramener à une époque si effrayante de nos malheurs, croyez que cette tâche n'a pas été moins douloureuse pour votre commission; mais l'obligation de mettre sous vos yeux la série entière des actes législatifs sur les pensions ecclésiastiques et sur le mariage des prêtres lui en fait un devoir.

La constitution civile du clergé avait déjà jeté parmi nos prêtres une division dangereuse. Il s'était formé deux partis entièrement opposés. Le parti des constitutionnnels, déjà accoutumé à l'indépendance, a trouvé dans son sein des individus qui ont poussé cette indépendance jusqu'aux derniers termes. Il est aisé de croire qu'arrivés à ce point, le vœu du célibat n'a plus été pour eux une barrière. Ce n'est pas que la totalité du clergé constitutionnel approuvât ces mariages; beaucoup d'évêques constitutionnels les ont condamnés. Mais bientôt ces mariages, qui avaient eu la sanction de l'autorité temporelle, en reçurent l'appui le plus éclatant; les évêques qui ne voulaient pas les reconnaître furent en butte aux plus vives poursuites.

17 décembre 1792. Décret de la Convention qui,« sur la dénonciation faite par un de ses membres, que l'évêque du département de Seineet-Oise a refusé l'institution canonique à un vicaire, sous prétexte qu'il était marié, passe à l'ordre du jour, motivé sur ce que tout citoyen peut se pourvoir devant les tribunaux contre la violation de la loi à son égard. »

19 juillet 1793. Décret sur la pétition du citoyen Blanc-Poupirac, curé du Coudray, district de Corbeil, « qui passe à l'ordre du jour, motivé sur ce que aucune loi ne peut priver du traitement les ministres du culte catholique qui se marient; renvoie au ministre de la justice pour faire exécuter les lois, et poursuivre les auteurs des troubles et actes arbitraires dans la commune de Coudray, relativement au mariage dudit BlancPoupirac. »

Il paraît par ce décret que les évêques n'étaient pas les seuls qui condamnassent les mariages des prêtres, mais que les autorités locales les improuvaient aussi, et s'opposaient au payement des traitements. La Convention en jugeait tout autrement sans s'inquiéter si dans le for intérieur le mariage des prêtres était ou non licite; elle ordonnait le payement des pensions et des traite

ments.

Même date 19 juillet 1693. Autre décret ordonnant que les évêques qui apporteraient, soit directement, soit indirectement, quelque obstacle au mariage des prêtres, seraient déportés et remplacés. »

12 août 1793. Décret portant: 1° que toute destitution de ministres du culte catholique qui aurait pour cause le mariage des individus qui y sont attachés demeure annulée; 2° que toutes plaintes, dénonciations, poursuites et procédures antérieures à la loi du 19 juillet (c'est le décret précédent) qui n'auraient pour objet que des obstacles apportés au mariage des prêtres, sont déclarées comme non avenues: néanmoins les individus qui, par leurs écrits ou par leur opposition, ont occasionné des frais ou des dommages, déclarés personnellement responsables et dans le cas d'être poursuivis devant les tribunaux ordinaires pour la quotité et pour le payement; 3o que la loi du 19 juillet ci-dessus, qui ordonne la déportation, demeure commune à tout prêtre

qui porterait la moindre opposition à la loi concernant l'état civil des citoyens.

Du 17 septembre 1793. Décret qui ordonne « que tout prêtre qui se sera marié et qui sera inquiété à ce sujet par les habitants de là commune de sa résidence, pourra se retirer dans tel lieu qu'il jugera convenable, et que son traitement lui sera payé aux frais de la commune qui l'aura persécuté. »>

La fureur de la Convention contre l'ancien clergé allait croissant de jour en jour; elle rendit, le 30 vendémiaire, cette loi horrible qui a fait répandre tant de sang en France; elle condamnait à la peine de mort tout prêtre qui, ayant émigré ou condamné à la déportation, serait repris sur le territoire français; elle prononçait la déportation contre tous ceux qui n'auraient pas prêté le serment.

Plusieurs ecclésiastiques, effrayés par cette loi, s'empressèrent d'abdiquer les fonctions du culte, et même le sacerdoce. C'était ce que demandait la Convention, qui voulait l'abolition absolue du culte de là les décrets suivants :

23 brumaire an II. Décret qui porte « que toutes les autorités constituées sont autorisées à recevoir des ecclésiastiques et ministres de tout culte la déclaration qu'ils abdiquent leur quatité. »

25 brumaire an II. Autre décret « par lequel les ministres du culte catholique qui se trouvent actuellement mariés, et ceux qui, antérieurement au présent décret, auront réglé les conditions de leur mariage par acte authentique, ne sont point sujets à la déportation ni à la reclusion, quoiqu'ils n'aient pas prêté le serment. »

2 frimaire an II. Décret portant: « Les évêques, curés et vicaires qui ont abdiqué, ou qui abdiqueront leur état ou fonctions de prêtrise, recevront, par forme de secours annuel, savoir: ceux qui sont actuellement d'un âge au-dessous de cinquante ans, la somme de 800 livres; ceux de cinquante ans accomplis jusqu'à soixante-dix, celle de 1,000 livres; et ceux de ce dernier âge, la somme de 1,200 livres. >>

Ainsi, bien loin de supprimer la pension à ceux qui renonçaient publiquement au sacerdoce, on en créait tout exprès de nouvelles pour ceux qui n'en avaient pas précédemment.

Vous avez dû reconnaître, Messieurs, à la lecture que je viens de vous faire des divers actes de cette législation révolutionnaire, qu'à l'époque du mariage des prêtres, non-seulement la loi civile ne condamnait pas ces sortes d'unions, mais qu'elle les encourageait de toute manière, qu'elle en faisait un moyen d'éviter les poursuites qui menaçaient les prêtres insermentés; qu'elle prononçait les peines les plus graves, même la déportation, contre ceux qui refuseraient l'institution canonique aux ecclésiastiques mariés, ou qui apporteraient quelque trouble à la jouissance de leur pension où traitement; que non-seulement elle ne supprimait pas la pension des prêtres mariés, mais qu'elle employait tous ses moyens pour leur en assurer le payement, au point d'en créer de nouvelles en faveur de ceux qui abdiquaient leur qualité de ministre du culte, et qui n'avaient pas été précédemment pensionnés.

Mais si l'autorité temporelle protégeait les prêtres mariés, la religion avait des sentiments bien différents. Elle gémissait sur la conduite de ces prêtres qui violaient d'une manière si scandaleuse les serments qu'ils avaient solennellement prononcés au pied des autels. Elle gémissait de les voir porter l'audace jusqu'à vouloir, malgré cette violation, continuer les fonctions sacerdotales et

curiales. Cette profanation était si révoltante que le peuple n'a pu lui-même s'y accoutumer. Aussi la morale publique n'a pas manqué de faire justice de ces curés-époux, et les a forcés d'abandonner le sanctuaire.

Le scandale alors a cessé, ou du moins diminué. Enveloppés dans une obscurité prudente, les prêtres mariés se sont perdus dans la foule : ils y ont vécu inconnus, recevant exactement de la loyauté nationale leur pension qui, au moyen des retranchements opérés par nos lois financières, se trouve aujourd'hui réduite au tiers de ce qu'elle était originairement.

C'est dans cette position que la Chambre des députés a cru devoir prendre une résolution ainsi conçue « Les pensions ecclésiastiques dont jouissent des prêtres ou mariés, ou qui ont renoncé à leur état en embrassant une profession incompatible avec le sacerdoce, seront supprimées; et Sa Majesté daignera ordonner à ses ministres de faire rechercher les individus de cette classe qui ne jouissant d'aucune place, ni d'aucun traitement du gouvernement, ont besoin, pour subsister, que leur pension leur soit continuée à titre de secours. >>

Cette résolution, Messieurs, quelque morale, quelque naturelle qu'elle paraisse, présente cependant, ainsi que nous l'avons annoncé en commençant, beaucoup de difficultés.

Est-ce une peine qu'il s'agit d'infliger aux prêtres qui ont violé le vœu du célibat?

Ou bien ces prêtres, en se mariant, ont-ils dérogé à la loi du contrat qui a constitué leur pension? Nous allons successivement examiner ces deux questions.

Et d'abord, Messieurs, s'il s'agissait d'infliger une peine aux prêtres qui, en se mariant, ont violé les lois de la discipline ecclésiastique, serions-nous compétents?

Il existe deux pouvoirs bien distincts, le pouvoir temporel et l'autorité spirituelle. Le pouvoir temporel ne s'occupe que des actions extérieures des hommes. Il a pour règle que tout ce qui n'est pas défendu est permis. L'autorité spirituelle, au contraire, exerce sa juridiction sur les observances du culte, sur les devoirs et les fonctions de ses ministres, sur les rapports intérieurs de l'homme avec Dieu. Chaque pouvoir a sa juridiction et ses tribunaux, et dès lors chacun a sa compétence. De même que les tribunaux ecclésiastiques ne peuvent et ne doivent connaître des matières civiles, de même l'autorité séculière ne peut s'attribuer les matières ecclésiastiques.

De quoi s'agit-il ici? Du mariage des prêtres. Dès lors la matière est purement ecclésiastique. Le mariage en lui-même, aux yeux de la loi civile, n'offre rien d'illicite; ce n'est que lorsqu'elle le défend elle-même dans certains cas qu'elle est appelée à juger de sa validité. Dans le temps donc qu'elle défendait le mariage des prêtres, qu'elle plaçait l'ordre parmi les empêchements dirimants, les prêtres mariés devenaient ses justiciables, non pas parce que les canons condamnaient ces sortes de mariages, mais parce que l'autorité séculière les avait prohibés. Dès que l'autorité civile n'a plus regardé l'ordre comme un empêchement dirimant, le mariage des prétres est rentré dans le ressort exclusif de la juridiction ecclésiastique. Nous n'avons donc pas qualité, Messieurs, pour punir une faute qui n'est plus que dans la juridiction spirituelle. Nous ne sommes ni un synode ni un tribunal ecclésiastique. S'il y avait donc des peines à infliger, elles seraient étrangères à notre compétence.

Mais, Messieurs, devant un tribunal ecclésiastique, pensez-vous que si ceux que l'immoralité a conduits au mariage, ont mérité la rigueur des censures, il n'y aurait pas quelque exception pour: ceux qui n'ont cédé qu'à la crainte, aux persécutions, aux dangers de la mort? Les lois ont toujours été indulgentes pour ceux qui n'ont succombé qu'à ces craintes graves qui peuvent ébranler l'homme ferme et constant.

Et ceux qui, conduits par le repentir, sont venus se jeter aux pieds des pontifes, qui ont été réconciliés avec les autels, et réintégrés dans le service du culte, pourra-t-on les punir, quand l'Eglise a pardonné?

Et quelle peine vous propose-t-on de leur infliger? de leur ôter le dernier secours que la Révolution leur a laissé; de les priver du modique reliquat qui reste de leur pension, car aujourd'hui elle est réduite presque à rien.

Nos lois ont aboli la confiscation. Elles laissent aux condamnés la totalité de leurs rentes et de leur fortune. Et cette confiscation, qui est abolie pour le crime, pourrait-elle subsister pour une faute de simple discipline religieuse ? Pourraitelle frapper notamment sur une faible pension alimentaire?

Ecartons donc l'idée de juger et d'infliger des peines; écartons surtout celle d'une confiscation réprouvée par nos lois, et passons à la seconde question.

Les prêtres, en se mariant, ont-il violé la loi du contrat qui leur a assigné la pension?

Nullement. Les lois qui leur ont assigné la pension ne leur ont prescrit aucune condition. Vous avez pu vous en convaincre, Messieurs, par le texte de toutes ces lois, que j'ai fait passer devant

VOUS.

Mais, dira-t-on, les ecclésiastiques n'avaient des revenus, n'avaient des bénéfices qu'à la charge de remplir les devoirs qui leur étaient imposés; la pension qui leur a été assignée, n'étant que pour tenir lieu de ces revenus et de ces bénéfices. suppose nécessairement que les prêtres rempliront les mêmes devoirs. Puisqu'ils ne les ont pas remplis, la pension ne peut plus leur appartenir. Ils ont mérité de la perdre.

Tout ce raisonnement part d'une fausse supposition. Il suppose qu'on a donné aux prêtres dépouillés la pension dont ils jouissent, au même titre et aux mêmes conditions que les revenus et bénéfices dont ils étaient en possession au moment de la spoliation générale. C'est une erreur, et une trèsgrande erreur.

de

Etait-ce au moment où l'on venait d'anéantir le clergé, où l'on sapait le culte par ses fondements, qu'on allait imposer aux individus qu'on chassait du sanctuaire, l'obligation de remplir tous les devoirs que leur imposait ce culte? Aux yeux de la loi, les prêtres n'étaient plus que simples citoyens, c'étaient des citoyens que l'on rendait à la société, avec toute la liberté et toute l'intégrité des droits des autres citoyens. On n'a fait et entendu faire qu'un acte de justice, qu'un acte purement civil en leur accordant une pension. Cette pension n'a jamais été consacrée par l'autorité ecclésiastique; elle n'est point une subrogation aux anciens bénéfices; elle ne pouvait donc imposer aucune charge ecclésiastique; elle était pure et simple.

Ce n'est pas que dans le for intérieur les prêtres fussent dispensés de leurs obligations; non, sans doute; et les violer était une grande faute. Mais ceci tenait à la conscience, et est totalement étranger au for extérieur.

On insistera sans doute, et on dira: Les prêtres, en se mariant, ont renoncé eux-mêmes à l'état ecclésiastique; ils sont rentrés dans la classe des laïques, et ils ne peuvent plus prétendre à une pension qui n'a été assignée qu'à des ecclésiastiques, comme le dénote assez son nom de pension ecclésiastique.

Votre commission, Messieurs, n'a voulu ni résoudre ni discuter la question de savoir si un prêtre, par le fait seul de son mariage, pouvait cesser d'être prêtre. Nous tenons seulement pour principe que le caractère de l'ordre est ineffaçable; et nous vous ferons observer que beaucoup de prêtres veufs, revenant de bonne foi à leurs devoirs, ont été reçus par l'Eglise aux fonctions du ministère sans nouvelle ordination.

Mais ce n'est pas ce qu'il faut considérer. Que le prêtre, en se mariant, eût perdu son caractère et fût devenu laïque, il n'en aura pas moins droit à la pension, parce que la loi de création n'a pas envisagé ce qu'il serait dans la suite, mais seulement ce qu'il était au moment de la création. Il était alors ecclésiastique; par cela seul, et sans s'inquiéter de l'avenir, la loi lui déférait la pension. Et c'est seulement à cause de son origine que la pension a pris et conservé le nom de pension ecclésiastique.

Rappelez-vous, Messieurs, ce que dit sur les pensions l'article 6 de la loi du 22 avril 1790, que j'ai eu l'honneur de mettre sous vos yeux : « Il n'y aura aucune distinction entre ces objets de service public et les autres dépenses nationales. Les contributions publiques seront proportionnées de manière à y pourvoir, et la répartition en sera faite sur la généralité des contribuables du royaume. »>

Puisqu'il ne peut y avoir aucune dfférence entre les pensions dites ecclésiastiques et les autres dépenses nationales; qu'elles font, comme les autrès dépenses, partie du service public; que les contributions générales et les fonds du trésor public y sont également affectés, que trouve-t-on là d'ecclésiastique? Encore une fois, c'est l'origine de la rente; c'est l'ancienne qualité des personnes à qui elle a été affectée, qui lui ont fait donner une désignation, mais c'est une rente purement temporelle, purement séculière, et qui n'emporte pour les propriétaires aucune espèce de service ou d'obligation ecclésiastique.

Nous avons vu que ces pensions étaient constituées à des frères lais, à des organistes, à des musiciens laïcs. Ces pensions ne s'appellent-elles pas ecclésiastiques? ne sont-elles pas rangées dans le rôle des pensions ecclésiastiques? Pourrait-on exiger que les frères lais continuassent leur service, que les musiciens et les organistes fussent encore tenus au leur? On n'a donc jamais eu pour motif, en donnant la pension, de conserver les anciennes obligations pour l'avenir, encore moins celles qui, aux yeux de l'autorité civile, n'étaient plus qu'une affaire de conscience. Les décrets de la Convention qui sont survenus, et dont nous Vous avons rendu compte, peuvent-ils laisser quelque doute? N'ont-ils pas proclamé que les prêtres mariés devaient conserver leur traite

ment?

Peut-on aujourd'hui faire que ces lois n'aient pas existé, ou annuler leur effet pour le temps où elles ont en toute leur activité ? Nous ne pouvons être les maîtres du passé.

Ne remarquez-vous pas, Messieurs, dans tout ceci, une confusion perpétuelle du religieux et du civil, et surtout un caractère de rétroactivité ? Que nous voulions aujourd'hui rendre toute leur

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