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toujours la preuve la plus honorable de la véritable liberté, et la garantie la plus sûre d'une obéissance éclairée. Les autres vous ont soumis des réclamations sur des intérêts particuliers qu'ils ont pu craindre de voir compromis; ceux-là n'ont fait qu'user d'un droit que vous vous plairez toujours à reconnaître.

Les principaux projets qui vous ont été présentés se sont presque toujours rencontrés sur un point. On a paru inquiet de la surcharge qui doit peser sur la France pendant cinq ans, et on a proposé de recourir au crédit. De là sont nés des plans diversement combinés, et qui n'ont souvent rien de commun que l'idée générale qui leur sert de base.

Vous savez, Messieurs, que pour les gouvernements, comme pour les particuliers, il faut affermir le crédit avant d'y avoir recours; ce serait l'éloigner que de le solliciter avec trop d'impa

tience.

D'ailleurs, il a semblé à votre commission que tout système appuyé sur le crédit devait essentiellement être proposé par le gouvernement luimême, seul en état d'apprécier les circonstances qui peuvent le favoriser, et les conditions dont peut dépendre le succès.

Nous avons cru cependant que le crédit pouvait présenter une ressource, pourvu qu'on ne l'envisageât que comme subsidiaire et éventuelle. Les besoins du Trésor doivent être assurés, sans cela, par des recettes suffisantes, certaines et connues. Ce n'est qu'à cette condition que nous avons pu voir dans le crédit un secours pour des circonstances imprévues et des embarras momentanés.

De tous les objets qui se présentent à votre délibération, le premier dont nous croyions devoir vous entretenir est le payement de la dette arriérée. Quel que soit le parti que vous preniez à cet égard, soit que vous vous absteniez de statuer, comme le gouvernement vous l'a proposé en der nier lieu, soit que vous preniez une mesure définitive, comme je suis chargé de vous le demander, cette première détermination aura une influence directe sur tout le reste, et ce ne sera qu'après l'avoir prise que vous serez à même de fixer les recettes et les dépenses de cette année.

Votre arriéré se compose de dettes antérieures à la loi du 23 septembre 1814, et de celles qui ont été créées postérieurement.

Le gouvernement, par son premier projet, vous avait proposé de régler l'acquittement des unes et des autres de la même manière, et, conformément à cette loi de 1814, cependant avec des modifications notables, et que notre position actuelle avait semblé rendre nécessaires.

On vous demandait: 1° d'ajouter la vente de 100,000 hectares de bois de l'Etat à celle des 300,000 hectares déjà ordonnée;

20 De distraire des domaines cédés à la caisse d'amortissement ceux provenant d'émigrés;

3o D'admettre les obligations pour des créances liquidées en payement des biens à vendre pour les quatre cinquièmes du prix.

Le 26 février, le titre du premier projet de loi qui contenait ces dispositions a été retiré, et on ya substitué quatre nouveaux articles. Il n'est plus question du premier arriéré, et par conséquent on s'en rapporte, à cet égard, à l'exécution pure et simple de la loi de 1814. Quant au nouvel arriéré, on propose d'en ajourner le mode de payement à la prochaine session, en se bornant à en donner la liquidation, avec un intérêt de 5 p. 0/0, qui courrait à dater de la promulgation de la loi àintervenir.

Le but de cette nouvelle proposition a été, sans doute, de dispenser les Chambres de s'occuper du premier arriéré, et du mode d'exécution de la loi qui en avait réglé l'acquittement. Le projet actuel suffit-il pour que ces objets cessent de devoir vous occuper? C'est la première question qui se présente actuellement. Vous l'avez discutée, Messieurs, dans vos bureaux, et vous nous avez adjoint de nouveaux commissaires.

Le résultat de notre délibération commune a été que vos attributions restaient les mêmes, et que le premier plan de votre commission devait continuer d'être suivi. Voici nos motifs :

Nous pensons que de quelque manière que le budget de l'Etat vous soit présenté, il doit nécessairement contenir tout ce qui entrera en recette ou en dépense.

Ici il y aura des recettes à raison des biens déjà vendus, et de ceux qui pourraient l'ètre dans l'année.

Toutes les créances qui seront acquittées, feront un objet de dépense.

On répondra que tout cela est déjà réglé par une loi existante, et qu'il n'est pas besoin d'en rendre une nouvelle.

Mais remarquez qu'on vous demande de fixer le budget de 1816; et que c'est dans cette même année que doivent avoir lieu les recettes et les dépenses dont il s'agit. Elles doivent donc y entrer, pour que le budget soit complet.

Cela nous a semblé indispensable, surtout quand il est établi par année et non par exercice.

Avec un système de comptabilité par exercice, on pourrait prétendre que tout ce qui fait partie d'un exercice lui appartient exclusivement, sans considération de l'époque des 'recouvrements et des payements, et doit être régi par la loi qui règle cet exercice.

Mais si le budget est fait par année, tout ce qui n'a pas été reçu et payé dans une année en est retiré de plein droit, et porté sur l'année suivante. Le pouvoir, chargé de faire des fonds pour cette nouvelle année, doit commencer nécessairement par arrêter l'état complet de tout ce qui entrera dans cette année; il ne peut connaître, sans cela, quels sont les fonds nécessaires, ni les voter en connaissance de cause: cela n'est pas contestable.

Or, ici le gouvernement propose le premier de faire le budget par année. En effet, l'article 2 du projet de loi de finances porte : « Le budget de 1814 «est fermé; les recouvrements qui seraient en« core faits sur cet exercice seront réunis aux << recettes de 1815 et viendront en accroître les

« ressources. »

Si l'on ne retrouve pas une disposition semblable pour le budget de 1815, il ne faut pas en conclure que le même mode soit abandonné aussitôt qu'adopté, ce qui serait trop choquant; cela tient sans doute à ce que la foi a été proposée dès le mois de décembre, que les recettes et les dépenses n'avaient pu être calculées que jusqu'au 1er octobre, qu'ainsi on ne pouvait vous demander d'en arrêter le montant, comme pour 1814. Le budget de 1815 se trouve fermé de fait au 31 décembre, quoique l'état complet des recettes et des dépenses ne puisse être déterminé que dans la session prochaine.

Le système de budget par années est donc celui que nous suivons actuellement. La conimission eût cru devoir vous le proposer, si le gouvernement ne l'avait pas fait. Ce système a le grand avantage d'amener, chaque année, un compte unique et complet.

Il suit de là, selon nous, que vous êtes appelés à yous occuper des recettes qui auront lieu à raison des ventes ordonnées par la loi de 1814, et du payement non consommé de tous les arriérés, et, par conséquent, de tout ce qui concerne cette loi, et que c'est un devoir que vous avez à remplir, de quelque manière que le budget vous soit présenté.

Il est si vrai que la loi de 1814 n'a pas eu pour objet de dessaisir les sessions suivantes de la connaissance de tout ce qui tient à l'arriéré, qu'au contraire elle a semblé les appeler d'avancé à s'en occuper, par son article 33. On avait prévu que les biens affectés pourraient être insuffisants, et on avait renvoyé aù budget de 1816 le supplément à accorder.

L'un des orateurs qui défendit le projet de loi, à la Chambre des députés, M. Duhamel, en même temps membre du conseil d'Etat, attaché à la section des finances, observa à ceux qui craignaient la vente des bois, et préféraient la consolidation de l'arriéré, que la loi proposée laisserait au ministre la faculté d'user à son gré de ce dernier moyen. Il n'avait garde de croire que cette faculté dût être interdite pour toujours à l'autorité législative elle-même. L'article 23, dit alors M. Duhamel dans son opinion imprimée par ordre de la Chambre, l'article 23 porte que le ministre des finances fera acquitter les or<< donnances des ministres, au choix des créan«ciers, et par conséquent au sien (car les facul«tés sont réciproques dans les contrats), soit en obligations du Trésor, soit en inscriptions de «rente 5 p. 0/0 consolidés. »

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Une autre question s'est élevée. Si vous devez vous occuper de l'arriéré, qui fait l'objet du titre III de la loi de 1814, votre examen se bornera-t-il à vérifier quels résultats produira dans l'année 1816 l'exécution de cette loí, ou, avez-vous la faculté d'en modifier les dispositions, d'employer d'une autre manière les fonds à recouvrer, et d'éteindre autrement les dettes arriérées ?

On convient en général qu'une loi peut être abrogée par une autre. Mais il n'en est pas de même, vous dit-on, quand il s'agit d'une loi qui constitue une obligation au profit de particuliers; 'Etat, dans ce cas, se trouve lié par la loi rendue, et il ne peut se dégager seul sans injustice. « Les biens que la loi a affectés ne sont plus au gou« vernement, depuis que la valeur en est engagée « à ses créanciers, il n'en est plus que le gar«dien; les créanciers sont les véritables propriétaires, ce serait attenter à cette propriété, que «de la travestir arbitrairement en inscriptions.

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Il est d'abord très-inexact de considérer l'affectation du produit d'un bien au pavement d'une dette comme un acte translatif de la propriété de ce bien.

Mais allons plus loin. Est-il bien vrai qu'une loi qui règle un mode de payement des créanciers antérieurs de l'Etat constitue une obligation à leur profit? Nous ne pouvons le croire.

Certainement l'Etat s'oblige comme les particuliers, mais de quelle manière ? C'est au moment où il emprunte un capital, ou reçoit une fourniture.

Lorsque, dans la suite, le gouvernement, après avoir examiné le montant de ses dettes, pourvoit aux moyens d'y faire face, il ne contracte pas, par cette opération, une obligation nouvelle envers ses créanciers; ceux-ci ne sont point appelés, et ne doivent pas l'ètre: ils n'ont rien à accepter; leur premier titre leur reste, et c'est le seul qu'ils puissent avoir.

T. XVI.

Tout ce qui a été consommé en exécution de la loi rendue est sans doute irrévocable; mais pour ce qui n'est pas encore acquitté, le mode de payement peut être changé ; le droit du législateur reste le même.

La loi n'est, dans ce cas, qu'un ordre donné aux ministres, chacun en ce qui le concerne, de liquider l'arriéré, suivant le mode prescrit; d'employer à son acquittement les valeurs qui leur sont désignées, ordre qui subsiste jusqu'à ce qu'il soit révoqué.

Nous avons donc pensé, Messieurs, que les trois branches du pouvoir législatif étaient aujourd'hui dans la même indépendance qu'en 1814, relativement à l'objet qui nous occupe; qu'à l'une et l'autre époque, l'Etat ne se trouvait réellement lié que par ses obligations primitives, qui n'ont pu recevoir aucune modification des arrangements subséquents qu'il a pu prendre avec lui-même.

Maintenant, Messieurs, que devez-vous faire à l'égard de l'arriéré, dans la situation actuelle de la France?

Ce que vous devez faire, c'est ce qui est possible devant la nécessité tout est forcé de céder. Or, est-il possible de persister aujourd'hui dans le système de la loi de 1814?

D'après tout ce que nous avons pu recueillir sur la discussion actuelle, il nous a semblé que ceux qui voulaient que l'on s'en tint à la loi rendue s'étaient moins attachés à la défendre en elle-même, que par le motif qu'il y avait chose jugée. Vous êtes en état d'apprécier ce motif, sur lequel nous avons dù vous soumettre nos propres réflexions.

Mais, enfin, cette loi pourrait-elle encore recevoir son exécution?

Il nous a semblé que cette exécution n'était plus possible, que la loi était déjà, en quelque sorte, rapportée de fait par la plus terrible des forces majeures, par les événements de l'année dernière.

On parle des biens dont le produit était affecté au payement des créanciers; mais examinons ce qu'il en reste.

La loi avait indiqué diverses espèces de biens. L'excédant des recettes sur les dépenses du budget de 1815, 300,000 hectares de bois de l'Etat, les biens des communes, et les autres biens cédés à la caisse d'amortissement.

L'excédant de recette a été, dévoré, et un nouvel arriéré se trouve à sa place.

Cependant cet excédant, qui était de 70 millions, était une base fondamentale du système. Il devait servir beaucoup plus encore que les 8 p. 0/0 d'intérêt, ou d'indemnité, à soutenir à un cours élevé les obligations du Trésor, payables à trois ans de la date des liquidations.

Et l'on sait quel a été le résultat, même lorsque les 70 millions étaient disponibles et avec une émission d'obligations très-bornée.

Continuera-t-on d'émettre des obligations payables dans trois ans, sans avoir la ressource des 70 millions pour les soutenir? Le créancier, forcé de les négocier, éprouvera une perte facile à prévoir, et le Trésor n'en aura pas moins à acquitter, au terme, le principal augmenté d'un intérêt ruineux; il y aura préjudice pour le créancier comme pour le débiteur, et le profit sera pour le spéculateur qui viendra s'interposer en

tre eux.

Tentera-t-on de vendre des bois, à mesure des liquidations, pour retirer sur-le-champ les obligations émises?

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Mais il faudra, ou retarder les liquidations, ou précipiter les ventes.

Au premier cas, quelles seront les créances préférées? combien d'abus possibles? combien de plaintes inévitables?

Au second cas, quel produit peut-on espérer de 300,000 hectares, surtout dans les circonstances actuelles? et toujours quelques spéculateurs seuls s'enrichiraient de nos fautes.

Viendrait-on d'année en année nous demander la vente de nouveaux bois, pour faire face à l'insuffisance des premiers, jusqu'à l'épuisement entier de cette ressource précieuse à tant de titres? Invoquerait-on pour cela l'article 33 de la loi de 1814? Essayerait-on de nous prouver que nous sommes liés par cet article, même au delà des 300,000 hectares: qu'il ne nous reste que le triste honneur d'une soumission passive, et l'obligation d'exécuter, en gémissant, un ordre absolu, intimé par nos devanciers? Nous ne pensons pas qu'on veuille étendre jusque-là la doctrine de l'irrévocabilité de la loi de 1814.

Nous pourrions conclure dès ici, Messieurs, que cette loi, d'une exécution si périlleuse, même dans les circonstances où elle fut rendue, n'est plus susceptible désormais d'en recevoir aucune. Mais poursuivons :

Au nombre des biens qui devaient être vendus pour faire face à l'arriéré se trouvent ceux cédés à la caisse d'amortissement, provenant en partie des confiscations sur les émigrés. Peu après, la loi du 5 septembre 1814 ordonna conditionnellement la restitution de ces biens, et l'on ne se récria pas alors, comme aujourd'hui, que c'était toucher au gage donné aux créanciers, violer un contrat passé avec eux, porter atteinte à la chose jugée. On ne leur demanda pas leur consentement, pour retrancher de l'article 25 de la loi du 23 septembre une affectation qui n'eût jamais dù s'y trouver. On vous propose aujourd'hui, par l'article 77 du projet de loi de finances, de prononcer la restitution sans condition; et rien n'est certainement d'une justice plus évidente. Tout ce qu'il se trouvait encore de biens confisqués, dans les mains du gouvernement, au moment du retour du Roi, a été restitué par le seul effet de la présence du souverain légitime; cette loi n'aurait pas même besoin d'être écrite pour être irréVocable, et pour porter elle-même la révocation perpétuelle de tout ce qui y serait contraire.

Mais ce n'est pas tout, les biens des communes étaient aussi une propriété particulière, usurpée, comme beaucoup d'autres, par les lois de la Révolution, rendue par Buonaparte, dans un momeut de justice, et reprise dans un moment de besoin. Les communes possèdent au même titre que les particuliers; elles plaident comme eux devant les tribunaux; elles payent comme eux les contributions publiques. On n'objectera pas ici, comme pour les biens du clergé, qu'il n'y a plus personne à qui la restitution puisse se faire, parce qu'en même temps qu'on avait frappé les biens de confiscation, on avait frappé de suppression les corps qui les possédaient; on n'a pas pu prendre les mêmes précautions à l'égard des communes, elles subsistent; et ici, au moins, on ne peut prétexter aucune incertitude sur le proprićtaire à qui la remise devrait être faite.

Et remarquez que l'espèce de propriétaires dont nous parlons, est la plus favorable de toutes; les communes ont le privilége de la minorité, et c'est l'Etat qui est spécialement chargé de veiller sur leurs intérêts, de conserver leurs droits, d'exercer envers elles l'autorité protectrice du tuteur.

Et ce serait le tuteur qui, pour acquitter ses dettes personnelles, voudrait les biens du mineur!

Pour excuser une pareille mesure, on a observé que les biens des communes leur étaient devenus presque inutiles, grâce à toutes les entraves dont on avait géné leur administration; qu'il valait mieux pour elles les remplacer par des rentes sur l'Etat; que, n'étant pas obligées, n'ayant pas même droit de vendre les inscriptions qu'elles recevront, elles n'éprouveront pas, comme le feraient les créanciers, la perte que présente aujourd'hui le cours des effets publics.

Vains diffuges, Messieurs, qui ne soutiennent pas l'examen. Si, en effet, une foule de règlements vexatoires out fini par rendre illusoire, pour les communes, la propriété de leurs biens, il faut se hâter d'écarter ces injustes obstacles, au lieu de s'en faire un titre pour consommer irrévocablement leur ruine. S'il était vrai, ce que nous sommes loin de croire, qu'il fût avantageux de transformer les biens-fonds qui leur restent en rentes sur l'Etat, il faudrait acquérir ces rentes pour elles au cours, et non pas au pair; c'est la règle posée par la loi pour les mineurs et les femmes mariées, et c'est celle que ne manque pas de suivre pour lui-même tout père de famille.

Il est donc nécessaire de retrancher l'article 25 de la loi de 1814, les biens non vendus des communes, comme on en retranche les biens non vendus des émigrés, qui avaient été cédés à la caisse d'amortissement; et dès lors tout le monde conviendra que le système entier de cette loi est devenu inexécutable.

Ainsi, comme nous l'avions dit d'abord. cette loi se trouver apportée par la nature même des choses. Et ceci fournit encore une réponse péremptoire aux motifs que l'on nous a allégués, dans l'intérêt des créanciers. Quand il serait vrai que les biens dont la vente était ordonnée par la loi fussent par là devenus leur gage, quand il serait intervenu un contrat avec eux, pour changer de simples créances dans un privilége, cette obligation nouvelle ne devrait ni ne pourrait être exécutée, si ce gage n'était pas la propriété du débiteur. L'erreur commise à cet égard ne saurait préjudicier au tiers, véritable propriétaire.

Nous ne faisons que rappeler ici les maximes les plus évidentes du droit commun; nous ne faisons que suivre la route que nous ont ouverte eux-mêmes ceux dont l'opinion diffère de la nôtre Ils ont eu raison de croire qu'il fallait recourir, dans cette discussion, aux principes de la justice or inaire; s'ils se sont trompés, ce ne peut être que sur l'application qu'ils en ont faite.

Si vous êtes persuadés comme nous, Messieurs, qu'il n'est plus possible de songer à suivre la loi de 1814, que ce plan de libération est entièrement impraticable et impossible à rétablir, il restera à examiner ce qu'il convient de mettre à la place, et par quel moyen on peut pourvoir à la totalité de l'arriéré; car alors il serait sans doute sans objet de distinguer l'arriéré antérieur à la loi survenue depuis.

Personne ne peut vous proposer de solder en espèces les créances, à mesure de leur liquidation. Les créanciers de l'Etat eux-mêmes ne peuvent ni l'espérer ni le demander; l'impossibilité est d'une évidence qui ne peut manquer de frapper tous les yeux,et vous nous dispensez sans doute d'entrer ici dans des explications qui seraient aussi inutiles qu'affligeantes.

Nous n'avons donc vu qu'un parti à prendre, c'est de consolider la dette arriérée.

Nous ne croyons pas qu'il soit permis de différer à s'en occuper. La consolidation assure au moins aux créanciers l'intérêt de leur capital.

Toutes les opinions, dans votre commission, ont paru se réunir à adopter ce mode en lui-même, ou plutôt à reconnaître que c'était le seul qui reståt.

Mais la même unanimité ne s'est pas présentée sur le taux auquel les créances seraient consolidées.

La perte des 5 p. 0/0 consolidés est dans ce moment de près de 40 p. 0/0.

Il a été proposé de donner aux créanciers une inscription telle qu'en la vendant au cours, ils retrouvassent en espèces le montant intégral de leur liquidation, c'est-à-dire 5 francs de rente pour 60 francs de capital.

A ce moyen, l'intérêt serait de 8 1/3 p. 0/0, sans compter le bénéfice sur le capital même que le créancier pourrait trouver promptement dans l'amélioration du cours.

Et, relativement à l'Etat, la dette serait augmentée de deux cinquièmes. Cette surchage est-elle possible? Nous ne l'avons pas cru.

Une autre idée s'est présentée; ne pourrait-on pas renvoyer l'indemnité proposée à des temps plus heureux et après les cinq années que nous devons passer si péniblement?

Dans ce plan, la consolidation aurait lieu au pair; mais on ferait raison de la perte du cours actuel, au moyen d'obligations particulières acquittables successivement, à compter de 1821.

Mais il serait à craindre qu'une pareille émission d'obligations du Trésor, à long terme, ne nuisit au crédit public. Il ne resterait aucun moyen de les soutenir, et il est facile de prévoir que leur cours ne serait pas sans influence sur celui de la rente consolidée.

Il faut observer surtout, Messieurs, que la France est obligée de s'imposer des charges audessus de ses moyens naturels, de faire, pour les acquitter, des efforts extraordinaires; que la richesse générale, source unique de la richesse du gouvernement, sera diminuée, au moins de tout l'accroissement qu'elle aurait pris sans cela; que chaque particulier aura à recréer les capitaux détruits par le temps, ou consommés par les besoins du moment; que, dans les cinq ans, il sera indispensable de réduire beaucoup le fardeau des contributions publiques, si l'on veut qu'il reste des moyens de rétablir les fortunes particulières; que l'Etat, de son côté, aura besoin de fournir des secours à toutes les parties du service intérieur qui auront souffert; que le seul moyen d'obtenir les sacrifices que les circonstances commandent, est de montrer clairement l'époque où ils cesseront d'être exigés; que cette espérance est le plus sûr moyen de succès pour le gouvernement, qu'il serait imprudent de l'en priver, et que cependant si, au delà des cinq ans de contributions extraordinaires, la loi que vous allez rendre présentait une autre période pour acquitter des obligations nouvelles, montant aux deux cinquièmes du capital de l'arriéré actuel, on ne pourrait plus voir le terme auquel il serait enfin permis au contribuable de respirer et de réparer ses pertes.

Ces réflexions nous ont forcé de renoncer au projet que nous venons de vous indiquer, et la majorité de votre commission a pensé que la consolidation pure et simple des créances arriérées était une mesure impérieusement commandée par notre position. Le sort des créanciers se trouvera, comme celui de tous les propriétaires, uni au sort

de la fortune publique; ils seront intéressé avec tous les Français au crédit de l'Etat, et à la prospérité générale dont il dépend.

Si les inscriptions qu'ils recevront ne peuvent aujourd'hui être transférées qu'avec une perte sérieuse, une administration sage, des ressources proportionnées à tous les besoins du Trésor, une caisse d'amortissement convenablement dotée et indépendante, nous ont paru des moyens propres à améliorer promptement le cours des effets publics. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que les créanciers auront une rente exempte de contributions, quoique tout revenu soit de sa nature imposable; cet avantage peut compenser une perte qui doit chaque jour s'adoucir. Les créanciers se trouveront ainsi sur la même ligne que tous les autres propriétaires, comme eux ils concourront aux sacrifices que nos derniers malheurs nous ont commandés à tous; ils seront placés dans une situation qui nous a semblé aussi juste que nécessaire.

Il est un second objet pour lequel votre commission vous propose de créer 5 millions de rentes consolidées: c'est la levée extraordinaire de 100 millions, prescrite par l'ordonnance du Roi du 16 août dernier.

Les circonstances ont justifié pleinement cette mesure aux yeux de la France, malgré tous les vices inséparables de son exécution.

Si elle eût pu arriver au but d'atteindre les produits qui, par la nature des choses, se soustraient toujours à l'impôt direct, et si la répartition eût pu présenter quelque égalité, au moins approxi inative, il n'y aurait plus à s'en occuper.

Mais vous savez ce qui est arrivé partout les taxes ont été sans aucune proportion avec les fortunes qu'elles ont frappées; le désordre ne pouvait aller plus loin, et l'on ne saurait en être surpris.

Le gouvernement s'était proposé principalement d'atteindre le produit des capitaux circulants qu'emploie l'industrie, produit qui n'est soumis qu'aux impôts sur la consommation, et en proportion de celle de chaque possesseur, comme les revenus qui seraient consommés en France par des étrangers. C'est dans cette intention que la répartition des 100 millions avait été faite entre les départements, non en raison du montant de leurs contributions directes, mais d'après les capitaux autres que les biens-fonds qu'on leur supposait respectivement.

Ce but, qu'il était naturel de se proposer, n'a été atteint en aucune manière; on est parti de bases tout à fait fautives ou de suppositions erronnées; le calcul qu'on eût voulu obtenir sera peut-être toujours impossible, et la précipitation inséparable du moment d'une opération qu'aucun travail antérieur n'avait préparée, ne pouvait qu'amener des résultats entièrement vicieux : première cause d'inégalité.

Ensuite, dans la répartition faite entre les contribuables des départements par des jurys d'équité tumultueusement assemblés, et forcés de procéder à la bâte, on ne s'est pas le plus souvent attaché à suivre la première idée du gouvernement, on ne paraît pas même l'avoir aperçue. Dans beaucoup de départements, on s'est surtout fixé aux revenus de la propriété foncière déjà soumis à des charges extraordinaires, parce que ce sont toujours les premiers que l'on envisage, comme les plus faciles à connaître et à saisir. Ainsi, il y a un changement dans la première base', et le double principe suivi dans les deux répartitions a été, indépendamment des erreurs particulières d'exé

cution, une seconde cause essentielle d'inégalité.

Enfin, dans quelques départements, le rôle des imposés a été fait d'après le domicile, et chaque domicilié réputé en état de contribuer s'est trouvé taxé à raison de sa fortune entière, dans quelques départements que ses biens fussent situés; et dans d'autres, on a considéré la propriété elle-même plutôt que la personne, et l'on a formé les rôles sans égard pour la résidence de ceux qu'on y a compris. Ces difficultés n'ayant pas été prévues et résolues d'avance, tout a été à cet égard abandonné à l'arbitraire et au hasard. La même fortune s'est donc souvent trouvée comprise deux fois, en totalité, au lieu du domicile, et en détail, aux lieux de la situation des biens; troisième source de désordre.

Pour apporter quelque remède à tant de vices, il eût fallu statuer sur les demandes en dégrèvement avec un examen approfondi; mais ces demandes se multipliaient chaque jour; le fond de dégrèvement était loin de présenter une ressource suffisante; on eùt été obligé de recourir à des réimpositions avec une incertitude presque aussi grande, ce qui n'eut fait que perpétuer le premier mal, en prolongeant les anxiétés, et de plus,suspendre les rentrées, et les rendre à la fin impossibles. Les mêmes maux qui avaient produit les mèmes erreurs, empêchaient qu'elles ne pussent être réformées.

Et cependant, au milieu de ce désordre, la somme demandée a été perçue en grande partie; la nécessité qui avait fait ordonner la levée a obligé en même temps de se soumettre à son exécution. Les Français ont fait preuve, dans cette circonstance, d'un dévouement qui mérite d'être remarqué; ils ont senti que l'inégalité, même la plus énorme, cesse d'être une injustice, quand elle vient de la force des choses, plutôt que de la volonté des hommes.

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Mais aussi ils avaient vu, dans l'article 6 de l'ordonnance, « qu'il serait statué par le pouvoir législatif, à la prochaine session des deux Chambres, sur le mode d'une répartition définiative de cette contribution de guerre, et sur le « remboursement des sommes qui auraient été « payées au delà des contingents définitifs.»

Cette garantie seule a tenu lieu de la régularité dont on ne pouvait se flatter; c'est une promesse qui ne peut être vaine.

Aussi le projet de loi de finances présente-t-il un mode d'exécution de l'article que nous venons de rappeler.

Il propose de lever extraordinairement, en 1816, la moitié du montant total des quatre contributions directes de 1815, pour être employée à rembourser :

1o Les contribuables qui auraient fourni pour l'emprunt de 100 millons au delà de ce qu'ils doivent;

2° Les contributions levées en argent ou en fournitures, et qui ont été admises en déduction des sommes convenues avec les puissances étrangères;

30 A venir au secours des départements qui auraient éprouvé le plus de dommages par le passage ou le séjour des troupes alliées :

4o A former un fonds de dégrèvement de 10 p. 0/0 à la disposition des préfets.

Ce plan nous a paru sujet à de grands inconvénients.

1o Les contribuables, avertis par l'exemple du passé, n'auraient peut-être pas une sécurité entière sur l'emploi de la nouvelle levée pour sa destination.

En 1814, le ministre des finances, en proposant de maintenir les centimes extraordinaires de 1814, s'exprime ainsi, page 23: « Nous ne por«terons que pour mémoire dans nos évaluations les 50 centimes extraordinaires sur la contri«bution foncière de 1814, et le doublement des <«< contributions personnelle et mobilière, et des « portes et fenêtres. Nous supposerons qu'une << grande partie de ce produit sera absorbée pour « la compensation avec les bons de réquisition « autorisés par arrêt du conseil du 13 juin dernier, et que les sommes qui ont été ou seraient « recouvrées dans les départements restés intacts « suffiront seulement pour couvrir les non-valeurs <«< inévitables et les dégrèvements dans ceux où « le recouvrement des contributions ordinaires << est devenu impraticable.

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Nous voyons, en effet, que dans le tableau des contributions directes, pour 1814, en principal et centimes additionnels, ces 50 centimes, moutant à 86 millions, sont portés pour mémoire, avec l'observation réitérée, qu'ils seront absorbés par les réquisitions, pertes, non-valeurs et recouvrements par les étrangers; et dans le budget définitif de 1814, présenté par le ministre actuel (état no 4), nous voyons porter en recettes effectives, rentrées au Trésor sur les trois derniers mois de 1814, la somme de 51 millions 174,000 fr. provenant de ces mêmes centimes additionnels qui devaient être appliqués au dégrèvement.

Ainsi, sur 86 millions imposés à cet effet, 35 seulement auraient reçu leur destination, en supposant que la somme totale fût rentrée. Et qu'ou se rappelle que l'usurpateur a trouvé 50 millions. au Trésor au 20 mars.

2o Dans le plan proposé, qui répartit les sommes à rembourser sur toutes les contributions directes, les petits contribuables seuls auraient une surtaxe à payer; les plus fortement imposés, déjà atteints par la contribution extraordinaire de 100 millions, s'acquitteraient dans les quittances qu'ils ont reçues, et auraient un excédant à recevoir. Il s'agit donc de les faire rembourser par la classe inférieure; et s'il doit paraitre à peu près impossible d'ajouter une nouvelle levée à celles qui sont nécessaires pour le service de cette année, que serait-ce lorsque cette levée retomberait exclusivement sur ceux qui sentent toujours plus durement le poids des impôts, et qui donnent plus de non-valeurs, même dans les temps ordinaires?

Pour obvier à cet inconvénient capital, voudrait-on proposer une exception en faveur des petites taxes? Vous savez que les mesures de ce genre sont inadmissibles, qu'elles dégénèrent dans un impôt progressif qui attaque la propriété dans son principe, et que l'article 2 de la Charte a proscrit pour toujours; ce ne sera pas vous, Messieurs, qui pourrez donner un exemple si pernicieux.

Pour remplacer le moyen présenté dans le projet de loi, on a indiqué celui de laisser les centimes proposés à la disposition des administrations locales, pour en répartir le produit entre ceux de leurs contribuables qui ont été compris dans l'impt de 100 millions.

Cela préviendrait, il est vrai, les inquiétudes sur le danger de voir ces fonds distraits de leur destination.

Mais ce serait aussi consacrer le vice de la première répartition entre les départements.

Et puis, resterait toujours la difficulté de faire porter sur le pauvre le remboursement dû au riche.

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