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peuples et je vois que la religion a été dans tous. les temps le premier de leurs soins; je vois partout les ministres des autels séparés du reste de la société, et placés dans le premier rang de la nation. Je les vois partout, objets du respect des rois et des peuples, s'attirer leurs hommages, non-seulement par l'éminence de leurs fonctions, mais encore par l'éclat et l'abondance des richesses réservées au sacerdoce. Mais je cherche en vain l'exemple d'une condition civile et politique, telle que celle à laquelle le clergé de France a été réduit. Je ne trouve nulle part un premier exemple d'un culte salarié.

Il appartenait à la Révolution française de créer cette étrange expression et d'en développer tous les résultats. Il lui appartient de tenter, à l'aide de ce nouveau genre de simonie politique, d'arracher au Dieu de nos pères l'interprète fidèle de ses lois divines, le ministre sacré de ses bienfaits, pour en faire le corrupteur servile des mœurs et de la morale publique. Bientôt les temples sont fermés; les victimes succombent sous le fer des bourreaux; tout s'arme de la hache révolutionnaire, et la religion en pleurs ne célèbre plus ses mystères de paix que dans le silence des lieux les plus sauvages et les plus retirés; image douloureuse qui rappelle à sa mémoire les temps de ses premiers martyrs.

En vain quelques lueurs d'espérance brillent par intervalle, au sein des révolutions qui frappent les peuples. La religion et ses ministres ont disparu; le crime triomphant dépouille ses victimes et veut jouir en paix et sans remords; ainsi les souvenirs de la légitimité doivent s'éloigner pour toujours. Un tyran est appelé au trône de ses maîtres la nature le formera pour le malheur des hommes; il ouvrira de nouvelles routes à la perversité humaine, et tout, dans ses mains ambitieuses, deviendra l'instrument de ses vastes et criminels projets. Les temples seront rouverts; les fidèles y offriront encore leurs hommages à l'Eternel, et si le prêtre, oubliant sa conscience, et faisant taire les maximes de l'Evangile, consent à prêter l'appui de son ministère aux attentats de l'usurpateur, alors le sacerdoce deviendra utile à son ambition, pourra recouvrer des honneurs et des richesses; mais il n'est point de transaction avec les principes, il en est encore moins avec les portes de l'enfer. Des persécutions ouvertes ou cachées, la surveillance de la tyrannie épiant la vertu et s'efforçant d'y attacher la honte et le mépris, un salaire insuffisant annoncé avec ostentation, souvent attendu en vain, et laissant presque toujours le pasteur aux prises avec le besoin, toutes ces circonstances vous attestent, Messieurs, comme elles l'attesteront à la postérité, que le clergé français ne trahit point ses serments, que tous ses vœux furent pour son roi, qu'il fut fidèle à son Dieu. Il n'y avait qu'une religion vraie, il n'y avait que la religion catholique, apostolique et romaine, qui pût sortir pure et sans tache du milieu de ces épreuves.

Qu'il me soit permis, Messieurs, de ramener vos pensées vers des temps qui ne sont plus. Parcourons ces établissements consacrés à la religion par la piété de nos rois et par celle de nos ancêtres; voyez l'industrie religieuse défrichant les campagnes, créant de nouvelles sources de richesses, et par l'emploi noble et utile de la fortune, donnant aux peuples une idée juste du véritable propriétaire. L'aisance, fruit de l'économie, de l'ordre et du travail, se répandait sur de nombreuses familles; le pauvre dans sa chaumière voyait quelquefois se réaliser les souhaits du bon Henri, et

c'était à son vénérable pasteur qu'il devait la poule au pot; il lui devait bien davantage. Il devait à son influence la conservation de ses mœurs et de ses idées religieuses. L'éducation confiée aux soins paternels et désintéressés du clergé, développait dans les générations naissantes cet heureux caractère et ces qualités solides et brillantes qui, dans tous les temps, ont fait du Français un modèle pour les nations étrangères. Dans une sphère plus élevée, les sciences et les belles lettres lui durent une grande partie de l'éclat dont elles ont brillé. Considérée sous le rapport de l'administration et du gouvernement, quelle foule de politiques habiles, que de sages ministres l'Eglise n'a-t-elle pas fournis à l'Etat! Il suffit de nommer les Suger, les d'Amboise, les Richelieu, les Fleuri, assurant le bonheur de la France, ou préparant les ressorts de sa grandeur. C'est ainsi que la hiérarchie ecclésiastique, modèle parfait de la monarchie tempérée, répandait dans toutes les parties du corps politique des principes de vie et de conservation. Mais ces avantages, dus à un clergé propriétaire, peut-on se flatter de les retrouver encore dans l'influence et dans les faibles moyens d'un culte salarié? En d'autres termes, le clergé de France, placé autrefois au premier rang des propriétaires, descendu maintenant dans les dernières classes des salariés, doit-il rester dans cet état d'humiliation et d'abaissement? Le sentiment d'amour et de respect pour une religion divine, ce sentiment si miraculeusement conservé par la grande majorité des Français, ce sentiment qui domine dans cette assemblée, et qui peut enfin s'y manifester avec une entière liberté, n'a-t-il pas déjà dans vos esprits et dans vos cœurs décidé cette question? Elle le serait encore, s'il était nécessaire, par l'exemple de tous les peuples, par l'expérience de tous les temps, par les intérêts bien entendus d'une politique religieuse.

Sans doute que la religion, pour se conserver, n'a pas besoin des faveurs et des biens de ce monde; mais nous, pour en retirer les avantages qu'elle peut procurer même dans ce monde, et et sans lesquels les Etats ne peuvent subsister, nous devons l'entourer de tout ce qui peut lui concilier le respect et les hommages des peuples.Les novateurs du dernier siècle étaient eux-mêmes bien convaincus de cette vérité : si Dieu n'existait pas, disaient-ils, il faudrait l'inventer; idée sublime dans la bouche de Pascal; idée révolutionnaire dans celle des philosophes modernes qui, en convenant de l'indispensable nécessité de la religion, méconnaissaient sa céleste origine, et ne voulaient la considérer que comme un instrument politique dans la main des hommes d'Etat.

Ces considérations générales acquièrent un nouveau degré de force lorsqu'on descend à leur application particulière; tout le monde convient, en effet, que les ministres des autels doivent sortir enfin de l'état d'humiliation auquel ils sont réduits; que leur sort soit amélioré; que la justice, que l'humanité, que l'intérêt de l'Etat l'exigent. Ör, Messieurs, croiriez-vous avoir satisfait à un devoir si pressant, lors même que dans la fixation des dépenses vous doubleriez les sommes destinées à l'entretien du culte? Le nombre des pasteurs qui manquent à l'Eglise et qu'il est nécessaire de remplacer, n'absorberait-il pas une partie de cette augmentation? Les salaires se sont accrus dans la proportion du prix des objets nécessaires à la vie; celui des desservants, dans la supposition que je fais, recevrait-il un pareil

accroissement, et cependant, sans atteindre le but que vous vous seriez proposé dans l'intérêt le plus cher des peuples, vous ajouteriez une charge considérable au fardeau immense qui va peser sur la nation. Non, une amélioration convenable dans le sort du clergé, par l'accroissement de son salaire, est un espoir chimérique sur lequel on peut continuer de se faire illusion, mais qui ne se réalisera jamais.

Je n'ignore pas, il est vrai, qu'un projet de loi qui vous a été présenté, a pour objet de commencer cette amélioration; sans doute que les dispositions qu'il renferme sont un gage de la piété du Roi et du sentiment pénible que lui fait éprouver l'état du clergé; mais le sort de l'Eglise en général en deviendra-t-il plus heureux? Les fonds qui lui sont destinés recevront-ils quelque accroissement? au contraire, ne restent-ils pas circonscrits dans la même quotité, soit qu'ils lui soient accordés comme traitement, soit qu'ils le soient à titre de pension; c'est un sou de plus par jour dans le traitement du ministre qui survit à celui qui vient de terminer sa carrière. Cette circonstance ne fait que découvrir la grandeur de la plaie dont l'Eglise est frappée, en attestant la réduction rapide et déplorable qu'elle éprouve dans le nombre de ses ministres. Toutefois, rendons grâces à Sa Majesté dont la parole garantit aujourd'hui l'accomplissement d'une disposition tant de fois annoncée et jamais exécutée par le gouvernement qui a précédé.

Nous devons le répéter, il n'y a que le droit de propriété qui puisse rendre au clergé l'indépendance et les moyens dont il a besoin pour remplir ses obligations. Ce n'est que par là qu'on peut le mettre à l'abri des caprices du fisc et des embarras du Trésor. Ce changement indispensable, à mesure qu'il pourra se réaliser, dégagera le Trésor d'une dépense considérable et laissera à sa disposition des ressources qui lui sont aujourd'hui si nécessaires.

Mais quoi, dira-t-on, le clergé propriétaire ! que d'inconvenients, que d'abus! Il est vrai que les dispositions les plus sages de l'homme n'en sont pas exemptes, et plût à Dieu que nous n'eussions plus que ceux-là à prévenir et à combattre! Les temps où nous vivons ne nous ont pas rendus si difficiles!

Mais, ajoute-t-on, le clergé ne peut être propriétaire sans devenir bientôt un corps dans l'État, et cela ne peut s'accorder avec la forme actuelle de notre gouvernement. D'abord, il n'est question, dans ce moment, que de rendre au clergé de chaque diocèse le droit de propriété; et de cette disposition il ne s'ensuit pas, par une conséquence absolument nécessaire, qu'il faille un jour réunir tous ces intérêts épars, pour en faire un tout, et créer un corps dans l'Etat; mais quand même ce serait là le résultat inévitable du projet de loi qui vous est présenté, quels dangers pourrait-on y trouver? Est-ce qu'en Angleterre le clergé n'est pas propriétaire, n'a pas ses priviléges, ne forme pas un corps dans l'Etat? La constitution anglaise en reçoit-elle quelque atteinte? N'y trouve-t-elle pas, au contraire, un des plus forts remparts de ses libertés?

Et d'ailleurs, Messieurs, est-ce une institution. nouvelle qu'on propose? Pendant l'espace de quinze cents années, l'Eglise a-t-elle un moment cessé d'être propriétaire, et voit-on quelque part la trace des inconvénients qui en sont résuliés? L'Eglise n'est-elle pas propriétaire dans tous les Etats qui nous environnent? Ne le serait-elle pas encore dans notre malheureuse patrie, sans l'im

piété sacrilége qui renversa le trône et l'autel, envahit et dispersa les trésors du sanctuaire ? Que sont-elles devenues, ces ressources inépuisables de l'Etat, ce patrimoine des pauvres, ces substitutions ouvertes à toutes les classes du peuple français ? Ces immenses trésors ont disparu; ils se Sont écoulés, ainsi que l'eau des torrents. La suite des générations se ressentira des malheurs que nous avons éprouvés. Le temps seul peut y remédier; mais c'est à nous de poser le principe réparateur que le temps développera. Ainsi, sur le déclin de l'âge, la sagesse du père de famille plante l'arbre tardifdont sa postérité recueillera les fruits. Rendons au Dieu de nos pères, à ce Dieu dont la protection avait porté si haut la gloire du nom français et la prospérité de ce royaume, rendons à nos églises ce que la nature donne au dernier être de la société, le droit de recevoir, d'acheter, de posséder. C'est une expiation que réclament et qu'attendent les ombres indignées de ces anciens fondateurs, dont la dépouille mortelle repose encore autour de ces églises qu'ils avaient dotées.

Le fondateur de la seconde Rome, lorsqu'il fit asseoir la religion chrétienne sur le trône des Césars, eut à surmonter les obstacles qu'opposaient des conseils intéressés et corrompus; mais bientôt, s'élevant à des considérations supérieures, il consomma l'établissement du christianisme, et commença cette ère nouvelle de la civilisation morale et religieuse. Le descendant de saint Louis, l'héritier de tant de rois très-chrétiens, et fils aîné de l'Eglise, ne sera point au-dessous d'un pareil modèle.

Oui, nous pouvons l'espérer, nous devrons à la piété de notre monarque, nous devrons à la sagesse de ses vues et à son amour pour ses peuples la restauration temporelle de l'Eglise. Tracée sous ses auspices, la loi que nous sollicitons saura concilier d'une manière convenable, et digne de l'autel et du trône, les intérêts et la dignité du sacerdoce, avec les droits de l'empire.

Je vote pour le projet de la commission.

M. Colomb (1). Messieurs, les autels sont les premières colonnes du trône; aussi a-t-on vu qu'aux jours funestes où les révolutionnaires voulurent renverser le trône, ils commencèrent par ébranler les autels; il faut donc que nous, Messieurs, nous, qui voulons raffermir la royauté plus que jamais, nous commencions aussi par relever la religion, en entourant ses ministres d'une aisance et d'une considération appropriées à leur état et à nos mœurs actuelles (2).

Les prêtres du vrai Dieu, les temples dans lesquels ils célèbrent son culte, les presbytères qui leur servent d'asile, les séminaires dans lesquels on leur prépare des successeurs, les établissements de bienfaisance où leur morale sublime se met en pratique, toutes ces intéressantes institutions sont dans un état de misère indigne de notre re

(1) Le discours de M. Colomb n'a pas été inséré au Moniteur.

(2) Cette opinion n'était pas destinée à l'impression, mais l'opinant a cru devoir l'y livrer, pour prouver et la pureté de ses sentiments et la bienveillante impartialité de quelques membres de la Chambre qui, après avoir demandé le rappel à l'ordre sur un passage, dans la prononciation duquel l'opinant ne s'était sans doute pas bien fait entendre d'eux (et auquel, fort de ses intentions, il a de prime abord, déclaré persister, quoi qu'il put être décidé), ont eu la loyauté de renoncer à leur demande, dès l'instant qu'il leur a été prouvé par une seconde lecture du passage, que ce rappel à l'ordre n'était nullement mérité.

ligion, d'un grand royaume, d'un roi très-chrétien.

La France doit donc mettre leur amélioration au premier rang de ses devoirs et de ses besoins. Les ministres du Roi l'ont senti; déjà l'un d'eux vous a présenté une loi dont le résultat sera la prochaine augmentation des pensions ecclésiastiques; un autre dans le budget vous propose des augmentations de fonds pour les frais du culte; la piété du Roi vous est un sùr garant, qu'à mesure que nos finances le permettront, il s'empressera de vous demander de nouveaux secours, qui placeront enfin le clergé et le culte à une hauteur digne d'eux et de la France.

Voilà ce que nous devions, ce que nous devrons faire !... Aller aussi loin qu'on nous le propose, ce serait, selon moi, manquer, en le dépassant, le but que nous voulons atteindre.

A mon avis surtout, le clergé ne doit pas devenir propriétaire, autrement qu'avec l'autorisation du Roi.

Je pense qu'une faculté contraire serait funeste au clergé lui-même et à la religion; qu'elle serait funeste à l'Etat, en neutralisant et plaçant hors du commerce une masse de propriétés dont votre commission elle-même ne se dissimule pas le volume. Je pense que cette faculté serait encore contraire à nos mœurs actuelles, à notre nouveau mode de gouvernement, à la prérogative royale, et surtout à la sécurité que les plus hauts intérêts de l'Etat commandent d'inspirer aux acquéreurs des biens du clergé.

Ce sont là tout autant de points que je me propose de développer, si jamais le gouvernement convertit en projet de loi la proposition de votre commission.

Je me borne en ce moment, prévoyant le cas où le fond de cette proposition serait adopté, à présenter quelques réflexions contre les articles 4 et 8.

L'article 4 porte:

L'article 909 du Code civil continuera d'avoir « son effet, quand les libéralités en faveur d'un ministre du culte lui seront propres, et ne seront pas destinées à étre possédées par ses successeurs à perpétuité. »

Ce qui, en retournant la phrase, exprime que toutes les fois que les donations faites, dans le cas de l'article 909 du Code, à un ministre du culte, seront destinées à être possédées par ses successeurs à perpétuité, cet article sera inapplicable.

Or, que veut-il cet article 909 du Code?

Il veut qu'à part les dispositions remunératoires, à part les dispositions universelles en faveur d'un prêtre parent du disposant au quatrième degré, quand il n'y a pas d'héritier en ligne directe, toute libéralité entre-vifs ou testamentaire faite par une personne dans le cours de la maladie dont elle est décédée, au ministre du culte qui l'a assisté, ne puisse profiter à celui-ci.

Voilà donc une disposition du Code civil qui serait formellemeut violée!...

Et pourquoi? Est-ce parce qu'elle a pris naissance pendant ces vingt-cinq années, auxquelles il est devenu commun de contester le mérite d'avoir, au milieu de tant de crimes et d'erreurs, enfanté la plus légère amélioration?

Non, Messieurs, cette disposition de notre loi civile a une bien plus antique et plus pure origine: elle se trouve écrite, et dans les plus sages ordonnances de nos rois et dans les registres des oracles de tous les parlements de France.

Les unes et les autres de ces autorités vénéra

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bles mirent, de toute ancienneté, par respect même pour les mœurs et pour la religion, les confesseurs au rang des incapables.

Elles les y mirent, soit que le don fut fait à eux personnellement, soit qu'il leur fùt fait à raison seulement de leur qualité sacerdotale, et pour être transmise à perpétuité à leurs successeurs dans cette qualité sacerdotale.

Ce qui fait tomber la distinction par laquelle l'article 4 du projet de la commission voudrait rendre capables les prêtres qui, après avoir assisté un malade, recevraient de lui une libéralité, à charge de la transmettre à leurs successeurs spirituels.

Elle fut plus loin, notre jurisprudence ancienne, elle fonda en principe qu'il suffisait que le confesseur fùt membre d'un tel corps ecclésiastique, d'une telle communauté, pour que ces établissements ne pussent rien recevoir du malade.

Ainsi le jugea un arrêt du parlement de Paris, rendu au mois d'août 1711, qui annula un modique legs de 3,000 francs, fait par une femme très-riche, madame de Fauquemont, aux jésuites d'Arras, qui l'annula, dis-je, par le seul motif que son confesseur était de cette maison d'Arras.

Ainsi l'ont jugé plusieurs autres arrêts postėrieurs du même parlement de Paris, de ceux de Bordeaux, de Toulouse; ainsi, je le répète, l'avait fixé en point de jurisprudence la généralité des cours souveraines de France.

A présent que nous avons été assez heureux pour trouver des armes contre la restriction finale de l'article 4, dans les monuments législatifs de ces temps, Dieu merci, irréprochables, peut-être sera-t-il permis d'y joindre, avec un peu plus de hardiesse, le secours d'une saine morale, qu'on eût bien pu, en la présentant scule, exposer à être taxée de philosophie vaine, raisonneuse, et même factieuse.

Peut-être à présent sera-t-il permis d'avancer, sans s'exposer à une trop grande défaveur, qu'à l'exemple de nos pères, nous pouvons repousser de notre législation religieuse la disposition finale de l'article 4 du projet, parce que, comme nos pères, nous pouvons dire que nous craignons (ce sont les termes des anciennes ordonnances) que les confesseurs n'abusent de l'empire qu'ils ont sur l'esprit de leurs pénitents.

Et remarquez que cet empire, exercé par un mauvais prêtre (et il peut malheureusement s'en rencontrer, car tous, en se revêtant du sacerdoce, ne se dépouillent pas toujours de l'homme), remarquez qu'exercé par un mauvais prêtre, cet empire devient d'autant plus grand qu'il porte sur des êtres affaiblis par la maladie, et qu'appelant le ciel à son secours, le ministre indigne peut, dans ces moments de faiblesse et de terreur, montrer les portes de la béatitude ou de la damnation ouvertes ou fermées, selon que le mourant lui ouvrira ou lui fermera sa bourse !...

Et qu'on ne dise pas que, chez un ecclésiastique, l'ardeur d'acquérir sera moins grande quand le legs ne devra pas passer à sa famille, quand il n'en sera que l'usufruitier spirituel.

El! que sommes-nous sur la terre, que des usufruitiers! répondrait pour moi le rapporteur

de la commission !....

Qui ne sait, faut-il ajouter encore, combien est violente cette sorte d'ambition d'état, qui a son bon et son mauvais côté, qui prend sa source dans le zèle pour la prospérité de bons établissements ou dans l'esprit de corps? Qui ignore que les temps anciens comme les modernes fourmillent d'exemples où l'on voit des ecclésiastiques

animés de bien plus d'ardeur pour la prospérité de leur congrégation que pour l'augmentation de leur fortune personnelle? Parce que l'ambition de la puissance est encore plus forte que celle de l'argent, et que, quand la seconde a toujours quelque chose d'odieux, la première au contraire sort, dans notre hypothèse surtout, d'un principe louable, qui peut s'avouer, qui peut séduire même les ecclésiastiques les plus vertueux et les plus désintéressés, et les porter à solliciter avec ardeur, pour des établissements utiles, ce qu'ils rougiraient de demander pour eux personnellement.

Ainsi, par la mesure proposée, les familles n'auraient pas seulement à craindre les mauvais prêtres, mais encore les bons: l'intérêt armerait contre elles, non-seulement le vice, mais encore la vertu !...

Vous ne vous prêterez jamais, Messieurs, à quelque chose qui amènerait un pareil résultat!... Repoussée par la jurisprudence et la morale, la disposition finale de l'article 4 ne l'est pas moins par l'intérêt de la religion; car au lieu de la rehausser dans l'opinion publique, on la dégraderait; au lieu de l'introduire dans les familles, on l'en chasserait !...

Qui de vous, en effet, Messieurs, en lisant la disposition proposée, n'a pas tout de suite, à côté de ce tableau si touchant, mais peut-être trop rare, même au jour de l'opulence du clergé, de ce tableau qui nous représente la religion, suivie de la charité, apportant, sous les traits d'un digne pasteur, non-seulement le pain des anges, mais encore celui des hommes, dans la chaumière du pauvre alité; qui de vous n'a pas été forcé de

en regard de cette peinture, celle de l'avarice et de l'ambition, venant, sous les traits d'un ministre cupide, vendre à son ouaille mourante, au prix d'un lambeau de terre, les consolations du ciel?

Et, détournant vos yeux de cette scène, ne se sont-ils pas tout de suite portés, malgré vous, sur un autre non moins affligeant?

Ne vous a-t-il pas semblé voir l'intérêt en sentinelle à la porte d'un mourant, pour empêcher la religion d'y entrer ?... Ne vous a-t-il pas semblé voir des enfants alarmés, se groupant pour écarter du lit de leur père le pasteur qui, de consolateur dans leur infortune, devient leur rival d'intérêt, dès le moment qu'il peut aspirer à par tager le morceau de pain que faissa en mourant l'auteur de leurs jours?

Ainsi, crainte que les trésors du ciel, qu'un Dieu charitable a déclaré ouverts gratuitement à tout le monde, ne soient vendus par ses ministres au prix de ceux de la terre, le malade mourra sans les secours de l'Eglise, ou, s'il les reçoit et les paye par un legs, ses enfants, loin de chercher dans la religion des consolations à leur douleur, s'en éloigneront en maudissant ses ministres.

Ainsi la religion sera dédaignée, dégradée, parce qu'on lui aura donné pour compagne la cupidité!

Ah! ce n'est point avec une telle escorte qu'elle apparaissait en la personne de ses ministres dans ces jours où, sous de tristes haillons, une croix de bois pour tout patrimoine, ils conquirent le monde au vrai Dieu!

Alors il ne leur était pas permis, ils ne se fussent surtout jamais permis eux-mêmes, de provoquer, de recevoir des libéralités de la part de ceux auxquels, dans leur maux corporels, ils venaient apporter des consolations spirituelles; loin de mendier des legs auprès des malades, ils ve

naient partager avec eux le produit des aumônes qu'ils avaient reçues des fidèles; et, quand la mort avait saisi sa proie, ils se présentaient encore pour partager les larmes des enfants, et non leur patrimoine; ils devenaient par là leurs amis, et, après avoir aidé le père à bien mourir, ils aidaient les fils à bien vivre!...

Telle fut la puissance de la religion, tant que ses ministres en prodiguèrent les consolations avec désintéressement; telle il faut la rendre encore !.....

Gardons-nous, pour tirer le clergé d'un état d'appauvrissement pécuniaire, de le plonger dans un plus grand appauvrissement moral! Ne ruinons pas la religion en cherchant à enrichir ses ministres !

Ils sont, je l'ai déjà dit, trop peu salariés; les mœurs, l'esprit de notre siècle ne leur permettent pas malheureusement de se relever au moyen même de leur antique pauvreté ; que l'Etat, il le faut absolument, vienne donc à leur secours; qu'il place le clergé, surtout les respectables pasteurs des campagnes, dans une honnête et modeste aisance mais qu'il ne lui soit pas permis de la conquérir aux dépens de la morale et de la religion que, sous prétexte d'acquérir de quoi soulager le pauvre, il ne soit pas donné aux mauvais prêtres des moyens pour le ruiner provisoirement, et pour éloigner ses enfants de la religion. C'est là le danger que me montrait l'adoption de la fin de l'article 4.

C'est là le danger que me montrait aussi l'article 8, s'il continuait à permettre la libéralité, en faveur du clergé, de la moitié de la portion disponible, même lorsque le donateur aurait des enfants.

Les mêmes moyens que j'ai donnés contre l'article 4 s'appliquent à cette partie de la disposition de l'article 8, qui mènerait à l'immoralité de faire tenter la nature par la religion!...

Car, s'il est vrai que nous ne sommes que des usufruitiers sur la terre, c'est surtout quand nous avons des enfants. Il n'y a alors qu'un malhonnête homme, dans le cœur duquel la haine, la démence ou la superstition, ont étouffé la nature, qui puisse disposer de son bien en faveur d'autres que ses enfants. Nos lois ont toujours regardé un pareil acte, à moins qu'il ne portât sur des objets de très-peu d'importance, comme indigne du respect que la piété des vivants accorde à la dernière volonté de ceux qui ne sont plus.

Il faut, Messieurs, qu'en finissant je m'explique avec une entière franchise (car enfin nous devons plus que jamais en prendre l'habitude à cette tribune); il faut que je cède au besoin de dire que cette proposition de rendre le clergé habile à recevoir des libéralités sans autorisation préalable, me semble pouvoir faire craindre un résultat tout autre, et bien plus étendu que celui vers lequel ont voulu tendre et l'honorable membre auteur de la proposition, et vos commissaires (dont je me plais à louer et admirer la pureté de sentiments et d'intentions); je me sens le besoin de dire, en un mot, que cette proposition de rendre le clergé habile à recevoir sans autorisation, me semble pouvoir faire craindre que l'on ait pour but plutôt le passé que l'avenir, plutôt de faire rentrer le clergé dans les biens qu'il eut, que de lui en procurer de nouveaux (1); et si je

(1) C'est ici que le rappel à l'ordre a été demandé par quelques membres, qui y ont renoncé, dès l'instant où il leur a été prouvé, par une seconde lecture du passage, que ce rappel à l'ordre n'était nullement mérité.

manifeste ces craintes, c'est qu'elles ont été données comme de salutaires conseils, par des écri-vains politiques dont les ouvrages sont aujourd'hui en grande vogue.

Ne nous dissimulons pas, en effet, que, chez quelques personnes, un sentiment louable d'équité, et chez quelques autres de justes regrets sur une spoliation inique, entretiennent le vif désir de voir le clérgé rentrer dans son antique patrimoine.

Elles ne peuvent espérer d'y arriver franchement et ouvertement, parce que la Charte et de nombreux intérêts s'y opposent; elles cherchent donc à y arriver par des détours aussi louables dans leurs causes que funestes dans leurs résul

tats.

Et certes, de tous les moyens, celui de prendre un acquéreur de bien d'Eglise au lit de mort, serait fréquemment le plus sûr, surtout vis-à-vis du peuple.

Mais ce serait aussi le plus funeste, parce qu'il porterait le discrédit sur une masse importante de proprietés, l'alarme et la haine contre les ministres de la religion dans une foule de familles, le desordre enfin dans l'Etat.

Persuadons-nous donc bien, une fois pour toutes, que telle est notre fatale position, que, tout en reconnaissant qu'une grande injustice a été commise, nous devons nous grouper pour la maintenir; que l'irrevocabilité des ventes des biens nationaux est l'arche sainte qui doit maintenir l'alliance entre les diverses parties de la nation, et à laquelle il n'est pas plus permis de toucher indirectement que directement.

C'est parce que je suis dans cette ferme persua sion, que je me décide, quoiqu'à regret, à voter contre le projet proposé, et à demander, dans le cas où le fond en serait admis :

1° Que l'article 4 soit réduit à ces termes : « L'art. 909 du Code civil continuera à avoir son effet; >>

20 Que, dans l'article 8, il soit dit que la disposition de la moitié de la quotité disponible pourra avoir lieu dans le cas seulement où le disposant ne laisserait point de descendants, et que, dans cette dernière hypothèse, il lui sera permis de disposer, au plus, de deux années de son re

venu.

Une sixième opinant expose que le vœu de la France est de voir l'édifice social reconstruit sur ses véritables bases, et la légitimité appuyée sur des institutions qui en assurent la durée. Il jette un coup d'œil rapide sur ce qui reste à faire pour compléter et consolider la Charte que le Roi a donnée à son peuple. Il pense que, dans l'état actuel, l'autorité souveraine est trop isolée, et qu'il faut lui créer des appuis. Il en conclut la nécessité de relever la religion, qui est le plus ferme soutien des Etats, et il en voit le moyen dans les mesures proposées par la commission; il vote pour le projet.

Un septième opinant reconnaît, comme les précédents, la nécessité urgente de rémédier à la misère où sont réduits tous les établissements religieux; il examine les diverses propositions faites pour parvenir à ce but, et il trouve que la commission l'a dépassé. Il reproduit quelques-unes des raisons par lesquelles on a combattu la proposition d'accorder au clergé le droit de devenir propriétaire sans le concours du gouvernement. L'article 4 du projet lui paraît contraire à la morale et à la religion, en ce qu'il tend à exciter la cupidité ou à égarer le zèle de ses ministres. Il rapporte diverses dispositions de l'ancienne lé

T. XVI.

gislation qui sont conformes à celles de l'article 909 du Code civil, que l'on propose d'abroger en partie.

Il attaque par les mêmes raisons l'article 8 du projet. Les lois, dit-il, n'ont jamais permis à un testateur de disposer de la moitié de ses biens au préjudice de ses enfants.

Il préfère à tous ces moyens celui de salarier les ministres du culte, et il vote contre le projet. Toutefois, si la Chambre adoptait le principe de rendre le clergé propriétaire, il propose de maintenir du moins la disposition de l'article 909 du Code civil et d'amender l'article S du projet en ne permettant la donation de moitié des biens que lorsqu'il n'y a pas d'enfants.

M. Daldeguier (1). Messieurs, le zèle courageux et éclairé d'un honorable collègue a soumis à vos délibérations un projet de loi dont vous avez apprécié toute l'importance, et qui a été l'objet d'un rapport accueilli favorablement. Il s'agit de rendre au clergé de France la faculté pleine et entière d'acquérir et de posséder, telle qu'il l'avait autrefois, seule ressource que le malheur du temps nous ait laissée pour subvenir, d'une manière solide et durable, à son extrême détresse. L'Eglise gallicane, magnifiquement dotée par la piété de nos pères, se trouve aujourd hui réduite a implorer de vous une existence sùre et honorable, qui, dans l'hypothèse la plus favorable, ne pourra cependant jamais être qu'une faible image de celle qu'une faction impie et désorganisatrice lui a ravie. Vous ne serez pas sourds à sa voix, et de glorieux souvenirs se joignant dans vos esprits à la vue des misères actuelles, vous croirez sans doute devoir embrasser les moyens qui vous sont offerts pour procurer le bien de l'Etat, en acquittant la dette de la religion et celle de la justice.

Dans une assemblée telle que la nôtre, où domine un esprit sage, moral et réparateur, il n'est pas facile de prévoir par quelles objections on pourrait essayer de combattre, au moins dans sa substance, le projet qui vous est soumis.

En effet, Messieurs, on ne vous propose pas de rendre au clergé, en tout ni en partie, les biens dont il a été dépouillé, au préjudice de ceux qui les ont acquis. Il y aurait cependant beaucoup à dire sur une spoliation violente dans laquelle les lois de la morale et celles d'une saine politique furent également méconnues; mais elle se trouve couverte par la Charte dont l'auguste auteur a cru devoir maintenir des confiscations et des ventes qui ne sont pas son ouvrage, dans le grand but de pourvoir à la tranquillité de ses peuples. Les possesseurs des biens du clergé, déjà complétement rassurés par un acte solennel qui est devenu la loi de l'Etat, trouvent en quelque sorte une autre garantie dans un projet qui suppose assez clairement l'ancienne dotation du clergé irrévocablement perdue, en proposant d'autoriser son remplacement par de nouvelles libéralités. Ainsi, à l'abri de toute inquiétude, et n'ayant à redouter aucun sacrifice forcé, ils peuvent et doivent, sans doute, se prêter à la réparation d'un mal auquel ils ne sont malheureusement pas étrangers.

Le rétablissement supposé des dîmes, qui ont appartenu au clergé, a été l'un des moyens dont les ennemis du Roi et de la monarchie se sont servis pour semer les alarmes et pour fomenter les mécontentements et les troubles. Quelques personnes de bonne foi, ne voyant pas qu'on

(1) Cette opinion n'a pas été insérée au Moniteur. 4

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